Le Nouveau Roubaix

C’est sur les terres de trois fermes très anciennes que le quartier du Nouveau Roubaix s’est constitué après la Première Guerre mondiale : les censes de la Haye, de Gourguemez et de la Petite Vigne. Leur emplacement était le suivant : la cense de la Haye se trouvait à l’emplacement de l’immeuble de la rue Charles Fourier, dit « la banane », la cense de Gourguemez un peu plus à l’ouest au milieu du débouché des rues Palissy et Carpeaux, en amont de l’avenue Delory, où elle voisinera un temps avec l’usine Pollet. La ferme de la Petite Vigne se situait au sud est de la grande ferme de la Pontennerie qui a donné son nom au quartier.

La cense de la Haye est issue d’une vieille famille noble évoquée dès 1245, dont les membres ont porté le titre de rois des Timaux, qui étaient une terre franche de Fâches. Il fallait être Chevalier pour être Echevin ou Roi de cette terre entièrement libre de la Châtellenie de Lille. La cense de la Haye aura parmi ses fermiers des membres des familles Castel, Prouvost, Spriet, Desprets et Dhalluin dont beaucoup ont été échevins de Roubaix. Cité en 1136, le nom de Gorgomès s’éteint dès la première moitié du XIIIe siècle. La terre de Gorghemés devient la propriété des religieuses de Marquette, puis échoit à la famille de Croix. La cense de Gourguemez aura comme fermiers les familles Verdière, Renard, Bossut et Boussemart.

La cense de la Vigne est citée dans un dénombrement de 1401 et tient son nom de celui d’un homme du fief de Jean de Roubaix. Lorsque les fermiers demandèrent en 1834 l’érection du territoire rural de Roubaix en commune séparée, le censier de la Petite Vigne, Coisne, faisait partie des pétitionnaires. Elle appartiendra ensuite à l’industriel Louis Cordonnier qui en a fait une grande propriété qu’il appellera les Près.

Un plan de Roubaix de 1919 montre que la surface des terres comprises entre ces fermes est déjà remplie à moitié : de nouvelles usines sont apparues entre la rue de Beaumont (future rue Edouard Vaillant) et l’avenue Linné. Le boulevard de Fourmies créé comme voie particulière en 1892 permet ainsi d’accéder aux filatures Dazin Motte, et Ternynck (aujourd’hui Damart).

A l’origine de la création de ce nouveau quartier, la société immobilière Lemaire et Lefebvre continuent de vendre les terres agricoles pour les différents projets d’urbanisme. A l’initiative privée succéderont les projets publics.

Les jonctions du Boulevard de Fourmies et de la rue Ingres au Boulevard industriel (future avenue Alfred Motte), délimiteront ainsi le futur quartier du Nouveau Roubaix. C’est en effet dans cet espace que seront construites les fameuses habitations à bon marché (HBM). Ce projet de développement de l’urbanisme roubaisien fut entrepris dès 1923 par l’équipe municipale de Jean Lebas et se poursuivra jusqu’aux années trente.

 

Philippe WARET

Les Trois Ponts

Fin 19e siècle, les Trois Ponts ne sont que quelques hameaux reliés au bourg par d’étroits chemins de terre, des pieds sentes, arrosés par un riez prenant sa source à Hem, irriguant les terres de la ferme de la « Petite-Vigne « , alimentant les fossés de la ferme de Courcelles et traversant les hameaux du Pile et des Trois Ponts pour enfin se jeter dans l’Espierre au Sartel. Sans doute ce riez était-il traversé par trois ponts en planches, ceux-ci permettant de le franchir plus aisément, donnant ainsi son nom à ce secteur de la ville. D’ailleurs, en 1847, un Conseiller municipal signalait la défectuosité de ces chemins de terre reliant le bourg aux hameaux, en particulier celui des trois ponts, que la mauvaise saison avait rendu impraticable.

Les trois ponts en 1900, c’est donc la campagne (une rue Brame qui ne compte que trois maisons, dont deux estaminets), des champs de céréales, des pâturages avec au loin les péniches chargées de charbon traversant le quai du Sartel, et aussi un garde champêtre, Charles Denoyelle, que les témoins décrivaient comme imposant et solennel dans son uniforme.

Le Carihem de la Belle Epoque c’est aussi le célèbre stand de Tir National, derrière la gare du Pile que le tramway, le  » H « , desservait jusqu’à la gare de Roubaix. La Société de Tir national, née en 1859, au cours d’une réunion au café Ma Campagne pendant laquelle quelques amis (parmi lesquels Gustave Nadaud), à l’occasion de la Sainte Barbe, décidèrent de créer une société de tir qui, après quelques pérégrinations sur l’emplacement du Parc Barbieux, puis de la rue Ampère au Galon d’Eau, vint finalement s’installer, en 1910, au Carihem.

Puis, de vastes opérations d’urbanisme dessinèrent dans ce village, ce qui sera plus tard le quartier des Trois Ponts. L’épine dorsale sera constituée de la belle avenue de Verdun, débouchant sur le boulevard Salengro, face à l’avenue Van der Mersch. L’avenue Brame, elle, perpétue encore le souvenir du député de Roubaix, de Lannoy et de Cysoing, qui devint ministre de l’Instruction publique sous le Second Empire, et dont le ministère pris fin après la défaite de Sedan.

C’est en 1960 que l’histoire du quartier des Trois Ponts prend un tour décisif ; en novembre, le Conseil municipal se prononce pour une demande de déclaration d’utilité publique ayant pour conséquence majeur une vaste expropriation des maisons du quartier afin de transformer ce secteur en une grande zone à urbaniser prioritairement. Après le quartier Edouard Anseele, l’on vit donc les habitants quitter, non sans regrets, et à la suite de nombreuses difficultés, leurs maisons et les fenêtres rendues aveugles par les murs de briques.

Ainsi la superficie de 25 hectares du quartier ne comptabilisera désormais guère plus de 2 hectares de bâtis, laissant 17 hectares qui seront occupés par les futurs collectifs et les tours qui allaient s’élever. Douze ans après la décision du Conseil municipal, l’opération  » ZUP des Trois Ponts «  prit forme, inaugurant le nouveau quartier des Trois Ponts.

Le Trichon

Ce quartier ne tire pas son nom d’une quelconque ferme mais du passage du riez du Trichon . Pour Leuridan, Trie, Tries, Triez désigne un espace de terrain abandonné par les eaux d’un ruisseau ou formé par ses alluvions. Le nom de  » Trichon «  serait une appellation générale à laquelle l’usage a donné un sens particulier et qui s’est étendu au ruisseau même qui a produit le Triez, au bois qui croissait sur ses rives et au hameau qu’il arrosait. Quelques vieilles fermes existaient autrefois dans le quartier du Trichon : la ferme Selosse qui a fait place à la rue de Soubise, les censes Destombes, Watteau, Gadenne et Tiers.

La rue du Bois est mentionnée dès 1682. Elle tire son nom du petit bois du Trichon. Cette rue était un sentier par lequel on allait rejoindre le cabaret du Croque-Chuque  en passant le riez du Trichon sur une simple planche. Pour ce qui est de la Place du Trichon, on construisit sur celle-ci en 1862 un  » Minck  » ou marché aux poissons qui fut agrandi en 1887 pour être finalement démoli en 1951 et laisser la place à un petit square.

En 1867, Constantin Descat, Maire de Roubaix, décida que la rue ouverte sur les terrains des héritiers Tiers au Trichon entre la rue des Arts et des Fleurs prendrait le nom de « rue du Trichon ». La rue Rémy Cogghe qui s’appela rue des Fleurs jusqu’en 1935 reprend le tracé de l’ancien sentier du Trichon qui conduisait de la Place du Trichon à l’Epeule. La rue Mimerel est un peu plus récente : c’est en 1890 que le Comte Mimerel écrivit à l’Administration municipale pour lui demander l’autorisation de percer une rue au travers de sa propriété de la rue du Grand-Chemin en demandant : qu’en souvenir des services rendus à l’Industrie et au Commerce de Roubaix par sa famille, la rue prenne à perpétuité le nom de rue Mimerel.

La même année, la propriété de Pierre Catteau fut rachetée par la Mairie : le parc fut transformé en jardin public tandis que la maison devint tribunal. La rue Miln avait été ouverte pendant le second Empire sous le nom de rue Impériale. Elle fut débaptisée et reçut le nom de rue Miln par un arrêté municipal de 1871.

De l’autre côté de la Place du Trichon, la rue Verte apparaît avec le lieu-dit du Trichon dans l’inventaire des rues, chemins et lieux-dits de 1596. En 1836, une nouvelle rue est créée : la rue du Midi. La rue du Midi et la rue Verte donnèrent en 1867 la rue de Sébastopol, suite à la victoire impériale de 1855 pendant la guerre de Crimée. Sur le cadastre de Vendémiaire an XIII, la future rue de Soubise n’était encore qu’un chemin de neuf mètres de large qui constituait une voie de communication entre Roubaix et Lille.

Par décret municipal du 28 octobre 1867, l’ancien Chemin Vert devint la rue de Soubise. Ancienne rue de la Place Verte, la rue du Curoir fut ouverte le 6 octobre 1826 et son nom évoque, selon Leuridan, un ancien établissement où les ménagères du bourg faisaient curer leur linge. Dans cette rue s’installa en 1844 l’entreprise Delattre et fils, l’usine existe toujours et attend une reconversion prochaine. La rue des Fabricants a été ouverte en 1826 et classée dans le réseau des voies urbaines en 1847.

  

Xavier Lepoutre

 

Barbieux et les Huchons

Ce nom était porté par une ancienne famille de laboureurs dont  Ghilbert des Barbieurs  était Lieutenant de Roubaix en 1428 et est cité comme l’un des plus riches de Roubaix. Le nom de  » Barbieux «  apparaît à la fin du XVIIe siècle.

Le hameau des «  Huchons «  serait lié à la famille Prouvost. En 1474, Jean Prevost, dit des  » Huçons «   était échevin de Roubaix. Toujours selon Leuridan, la ferme Prouvost était la ferme Lepers, située à peu près au niveau du carrefour actuel boulevard du Général de Gaulle et du boulevard de Douai. Cette ferme qui appartenait à la Révolution au sieur Vander Cruisse fut rachetée par le censier Lepers dans le but de la rendre à son maître, ce qu’il fit. La famille Vander Cruisse, reconnaissante, abandonna au censier Lepers la ferme avec son verger, ne gardant que les terres.

De nos jours, l’appellation  » Barbieux «  a supplanté celle des  » Huchons  » qui n’apparaît plus que dans la dénomination des réservoirs d’eau des Huchons. Le quartier de Barbieux s’étend entre les quartiers de l’Epeule, du Moulin et de Beaumont, il est limité au sud par la commune de Croix.

Au début du XIXe siècle, c’était une étendue de terres agricoles traversées par le chemin des Loups et celui de Barbieux. Entre 1828 et 1830 des travaux préparatoires à l’établissement d’un tunnel pour le passage du canal de Roubaix furent entrepris mais ceux ci durent être interrompus étant donné le caractère friable du terrain. En lieu et place du canal fut établi, en 1866, une promenade qui fut ensuite lotie et portera le nom de « boulevard de l’Impératrice », puis « de Paris ». Le long de ce boulevard, les industriels roubaisiens firent construire leurs hôtels particuliers.

Dix ans plus tard, les terrains situés dans le prolongement du boulevard servirent à créer le Parc de Barbieux en deux tranches : 1879-1886 puis 1903-1906. Le boulevard de Cambrai fut tracé en 1882 et celui de Douai en 1888. Ces deux boulevards faisaient partie du projet de boulevard de ceinture voté en 1867. Le long du boulevard de Cambrai fut construit, en 1894, la Maternité Boucicaut tandis qu’à l’extrémité du boulevard de Douai fut édifié, entre 1890 et 1894, l’Hospice de Barbieux.

En 1896, les Sœurs de la Congrégation dominicaine du Rosaire firent construire par l’architecte E. Thibeau leur institution qui comportait un pensionnat et un externat. Les réservoirs à eau des Huchons furent, quant à eux, bâtis à partir de 1885. La construction du premier réservoir fut suivie en 1892 par celle de deux autres dont l’un s’effondra en 1893, inondant le chantier de l’Hospice de Barbieux, à la grande surprise des entrepreneurs peu préparés à l’éventualité d’une inondation sur le point culminant de Roubaix.

Xavier Lepoutre

Mon vieux Fontenoy

Il y a quelques années que je suis passé dans le Fontenoy, mon quartier de jeunesse. Il n’y avait encore aucune maison abattue, mais il n’y avait plus, non plus aucune âme dans cette partie de rue située entre la rue de l’Alma et la rue de la Lys. Les fenêtres et les portes étaient bouchées par des parpaings pour empêcher toute « réoccupation », toute violation. La mort déjà planait sur ce quartier autrefois si vivant.

J’apprends à présent par mes vieux amis que tout a disparu et que des ensembles s’élèvent maintenant là où nous jouions dans le passé. Que l’on me pardonne d’évoquer cette période de ma jeunesse, mais si, comme je l’espère, nombreux sont encore ceux qui l’ont connue, ils ne pourront que sécher furtivement une larme au coin de l’œil en retrouvant vie, habitudes et habitants de cette époque à présent effacée.

Pour nous, le Fontenoy avait des limites assez nettes. Si l’on prend les axes rue de l’Alma, rue de Fontenoy, formant ainsi une croix, il s’étendait de la rue Saint-Vincent de Paul à la rue Henri Carette dans un sens et de la rue Blanchemaille au château Wibaux de l’autre. Ces limites englobaient des rues secondaires comme la rue Archimède au moins là où elle touchait la rue de l’Alma avec, sur l’un des coins, la crémerie Broutin, sur l’autre l’herboristerie Gras. C’était une rue assez calme, marquée pour moi par deux points remarquables : vers le bas l’école Archimède où j’ai fait mes classes primaires (mon père l’avait fréquentée du temps de Monsieur Lerat, Directeur). En passant, je rappelle que les enfants du quartier se partageaient entre cette école, celle de la rue Saint-Vincent (Directeur Monsieur Vaneste) et celle du boulevard d’Halluin. Le second point, vers le haut, le café « Au Mogador » où nous sommes allés mes camarades et moi, une fois adolescents, jouer bien des parties de billard. Non loin de ce café aboutissait la rue de la Lys bien peuplée jusqu’à sa jonction avec la rue de Fontenoy. Il devait y habiter, si ma mémoire ne me trompe pas, un marchand de charbon bien connu du nom de Boutteville et un chanteur des chœurs du théâtre, Monsieur Lodewick, qu’on remarquait sur la scène à cause de son pied bot. Je me souviens l’avoir vu dans le « Grand Mongol », joué au Casino Grand’rue. L’autre partie de cette rue arrivait à la rue Saint-Vincent de Paul. Si l’un des trottoirs n’offrait que quelques maisons habitées dont celle de Monsieur Thérin, adjoint au maire, qui avait marié mes parents et de nombreux Roubaisiens, l’autre longeait la fabrique Lepoutre et les entrepôts de bois de l’entreprise de menuiserie Derville (mon père y travailla) qui s’ouvrait côté rue de l’Alma face à la rue de la Redoute (actuellement rue Emile Moreau). Les murs de ces entrepôts n’étaient pas pleins, mais les briques, pour faciliter le séchage du bois, laissaient entre elles des intervalles, ce qui nous permettait de faire de l’escalade ou encore d’y cacher des petits billets dont le contenu plus ou moins bien écrit, ne comportait rien de bien compromettant.

Un peu au-dessus de cette rue, et en parallèle venait la rue de Cassel qui, de la rue Saint-Vincent à la rue de Fontenoy, ne comportait que des maisons de maître, mais voyait s’ouvrir face à cette dernière rue, le parc du château Wibaux avec son dispensaire, autre lieu d’ébats pour les enfants du quartier. Ce parc, bordé d’un long mur, descendait jusqu’à la rue Stéphenson, prolongement de la rue Archimède, nous paraissait, à nous les petits, immense. Son gardien Baptiste, homme à la jambe de bois, à la forte moustache, nous effrayait toujours quand il apparaissait, nous chassant impitoyablement de toute pelouse. Quant au jardinier de la ville, Georges, appelé à assurer son entretien, avec le recul du temps, je lui tire mon chapeau quand je pense qu’il tondait toutes les surfaces avec une tondeuse à bras, sans moteur. Quelquefois, le comité des fêtes du quartier y donnait des kermesses. Les loteries, les manèges s’installaient et alors nous ne savions plus nous décrocher de ce lieu paradisiaque sauf pour aller réclamer quelques sous à la maman pour jouer au tirlibibi.

De l’autre côté de cette partie de rue avaient été construits les immenses entrepôts du conditionnement où s’entassaient d’énormes balles de fibres textiles laine ou coton. Toutes ces rues étaient pavées de lourds grès de granit que des ouvriers alors vêtus d’un ample pantalon de velours se resserrant à la cheville, les reins ceinturés d’une bonne flanelle, venaient assez souvent remettre en place.

Après les avoir enlevés, on remettait une couche de sable bien jaune, puis à l’aide d’un outil, sorte d’herminette ou de pioche réduite à la fois marteau d’un côté et pic aplati de l’autre, les ouvriers les replaçaient après avoir enlevé un peu de sable avec la face plate de l’outil et les martelaient de l’autre pour les égaliser. Constamment courbés ou à genoux, ces hommes faisaient inlassablement, sans grands arrêts, ce travail particulièrement pénible. Il n’y avait alors aucune main d’œuvre étrangère si l’on veut bien compter comme Français la plupart des habitants qui étaient venus de Belgique lors de la poussée industrielle textile de Roubaix.

Le Fontenoy était comme un grand village, même si les églises en étaient assez éloignées. Les plus proches étaient Saint-Joseph où je fis ma communion en 1925 et Notre-Dame plus près de la place Chevreul. Chaque printemps voyait les façades être repeintes d’une couche de badigeon fait de chaux plus ou moins teintée, délayée dans l’eau, comme cela se fait encore beaucoup en Belgique. Le soubassement était passé au goudron de houille, noir, luisant, que nous allions acheter à l’usine à gaz dont les énormes réservoirs trônaient dans la rue de Tourcoing.

Dans chaque partie de rue, les habitants se connaissaient bien. Les voisines se rendant facilement visite pour prendre une tasse de café. Ainsi, j’habitais au 146 de la rue de Fontenoy. Je suis né en 1914 à l’Hôpital de la Fraternité, ma mère habitait alors, jeune mariée (mon père était au front), une petite maison cour Decock, rue de l’Alma. Après avoir, comme beaucoup de Roubaisiens évacué en Haute Marne en passant par la Suisse et par la Haute Savoie, j’étais revenu retrouver en 1920 ma grand-mère qui habitait une de ces courées aux petites maisons de deux pièces au rez-de-chaussée et de deux chambres exigües à l’étage, cour Delestrez, rue de Fontenoy. Mes parents avaient loué une maison presque face à cette cour pour y tenir un petit commerce de parapluie et de maroquinerie. Coïncidence, cette maison avait été occupée autrefois par mon grand-père paternel Camille Vandeputte, dit « le Marbré », qui y tenait café. Un jour que mes parents décidèrent d’en changer les deux fenêtres servant de vitrines d’exposition pour une nouvelle vitrine plus large et plus moderne et qu’ils changeaient alors le plancher de bois, vieux, ponctué de trous, on retrouva, là où était le comptoir du débit, des petites pièces d’argent qui s’y étaient perdues…

Quittant cette maison désormais nôtre, mon grand-père s’était installé sur l’angle de rue, en face, et tout le quartier connaissait le café de Camille que fréquentaient les menuisiers de chez Derville et où, aux moments de joie collective, les chaises servant de monture, prenaient de rudes chocs, lorsque les cavaliers, tournant autour de la salle, les menaient au rythme de la « Marche des Forgerons ».

Revenons donc aux voisins de qui je vais évoquer les noms et que bien des anciens, lisant ce journal, reconnaîtront. Nous partons vers la rue de la Lys. Sur l’angle de la rue de l’Alma, c’était le café de Jojo Lemarchand. Ce dernier y avait monté un caf’con’ où chaque dimanche des chanteurs venaient se produire. Venait ensuite la maison de la famille Bray avec Julie, la maman, Emile, le garçon devenu je crois coiffeur, et Luce, une de nos bonnes camarades de jeux. Puis, c’était le magasin de parapluies de ma mère qui n’abandonnera jamais ce quartier où tout le monde la connaissait sous le nom de « Marie Paraplu ».

Il y avait ensuite une petite courée où nous devions aller prendre notre eau à la pompe et qui comportait trois maisons : celle d’Arthur Joye, ex-marchand de charbon. Devant sa maison se dressait le hangar où il rangeait sa voiture et dont la porte cochère, à la grande colère d’Arthur, nous servait d’énorme tableau. La maison du milieu abritait la famille Mervaille. Le papa Camille était menuisier chez Derville. La maman Philomène s’occupait de ses deux garçons : Julien et Fernand. Julien l’aîné, était un de nos camarades. Continuons, après la porte cochère tableau, on trouvait une autre porte cochère : celle d’Henri Frites. Je ne lui ai connu que ce surnom que lui donnaient mes parents tout simplement parce qu’il vendait des frites à la porte du cinéma Leleu. Ses proches voisins étaient les Moutier. Ils avaient un grand garçon trop vieux déjà pour être des nôtres, par contre sa sœur Clotilde est venue jouer au Basket avec nous rue d’Alsace. On rencontrait ensuite la maison plus bourgeoise pour l’époque de Madame Lecomte. Y habitaient aussi Albert, un grand jeune homme étudiant et Yvonne, elle aussi compagne de jeu. On y voyait parfois un parent, professeur d’art, Monsieur Bayens, qui fit un jour un tableau peint de la rue. Puis c’était la famille Vandecaveye, ami d’enfance de mon père et voisine, la famille Monié. Le papa travaillait aussi chez Derville. Il y avait plusieurs garçons dont Albert et Georges un de mes très bons camarades ainsi que plusieurs filles dont Rachel. Leurs voisins, les Dehainin étaient forains. Alors venait la maison de Florine, la mère de mon ami Doyennette, presque mon frère tant il m’a guidé étant jeune. C’était la maison du bon accueil. Je m’y rendais presque chaque jour. C’était le lieu de réunion des amis : Julien, Charlot Georges, André, Roger, moi-même. La famille Dambrine se présentait alors avec sa fille Jeanne que, comme toutes les filles du lieu, nous remarquions naturellement.

Ainsi, voyez-vous, chaque maison était connue, comme si les habitants étaient de la même famille. Il m’est arrivé d’habiter d’autres endroits au hasard de ma profession d’instituteur. Mon dernier poste, à Lille, près de la mairie, m’a permis de connaître, parce qu’elles habitaient le même immeuble que moi, mes collègues directrices des écoles maternelle et de filles, le cafetier voisin parce que je devais y aller téléphoner et c’est tout. Je ne connaissais personne d’autre.

Pour finir et arriver à la rue de la Lys, je pourrais encore rappeler la mémoire d’un ménage dont la femme s’appelait Romanie et le garçon Maurice. Les Horquin, la famille Codron avec notre ami Pierre et la famille Bonte dont le garçon Julien faisait partie de notre groupe de sortie. La famille Mention avec notre ami Charlot habitait une courée située entre la rue de la Lys et les entrepôts de la rue Cassel.

En revenant sur nos pas, l’autre côté de la rue était occupé par l’usine Lepoutre, avec près du coin, sa chaufferie qui déchargeait à même la rue, ses cendres, ses scories, ses grouaches comme on disait et on voyait plus d’une personne venir les trier pour en retirer les morceaux de charbon imparfaitement consumés. Preuve que toutes nos familles n’étaient pas riches et que toute économie était bonne à faire. Au bout de l’usine, on remarquait le café du « Brassard Rouge » qui faisait à manger pour les ouvriers. Cette appellation vient de la guerre 14-18 durant laquelle des déportés je crois, arboraient au bras un brassard de cette couleur. Entre café et usine, il y avait pourtant le long couloir d’une courée où l’on dénombrait Charles Delmotte travaillant au Service des Eaux installé rue de la Lys, Helène Tempermann, amie de jeunesse de mon père, son mari et ses enfants, l’oncle Cyrille qui faisait encore des livraisons avec sa voiture à chevaux. Tout près était l’échoppe du cordonnier Lecomte parent de la dame qui habitait en face. Ensuite venait un ménage dont j’ai oublié le nom, ayant un seul garçon, Marcel. S’ouvrait alors le couloir de la cour Delestrez où logeait ma grand-mère maternelle Joséphine ayant comme voisins : Les Hochedez, Arthur et Mary, Henri, Jacques chez qui venaient parfois ses nièces, dont Irène qu’on lorgnait tous, ma foi. La première maison de la cour faisait partie du café voisin tenu par un homme âgé, très gros, au crâne couvert de cheveux ras : Joseph Dhondt, marié à Zulma et ayant avec lui son fils Edouard et son petit fils Raymond Wadin. C’était un personnage très connu du tout Roubaix, ex-agent de l’Antverpia, une compagnie d’assurance et je le crois aussi si mes souvenirs sont bons, chansonnier patoisant à ses heures.

Enfin venait la maison de Clémence, Madeleine et Blanche et leurs frères, toutes très droites, très douces. Puis la famille Ghesquière aux nombreux enfants dont Aurélie mariée à Monsieur Courcel et Rachèle. La dernière famille avant le coin était celle de Madame Bataille et de ses deux filles Lucienne et Rosa. Le fils Maurice qui y venait parfois a eu, sans trop le savoir, assez d’influences sur moi. Il avait fait l’Ecole Normale de Douai. Je ne sais s’il a enseigné mais il a certainement écrit et participé à des revues. C’est le premier intellectuel que j’ai rencontré. Il m’a donné des vieux cahiers d’Ecole Normale que j’ai longtemps conservés, des livres, j’ai encore celui où l’on trouve l’histoire du Comte Job, des revues reliées dans lesquelles j’ai lu l’Histoire de l’Auberge de la Croix Noire. Il m’a donc entraîné à lire alors que nous n’avions pas de livres à la maison. D’autre part, il possédait aussi un grand sabre de cavalerie qu’il me montrait volontiers et qui m’émerveillait. « Objets inanimés avez-vous donc une âme ? » Ca doit être de ce moment que commença à naître mon goût pour tout objet ayant une histoire et mes envies de collectionner.

Le café du coin ex-café Camille Vandeputte, était devenu le café Vammarck. Le père Vammarck avait plusieurs filles, l’une d’elles épousa Francis Versavel qui remplaça son beau-père, une autre Sylvie épousa le demi-frère de mon père Auguste Castelain et je devins ainsi plus ou moins son parent. Francis et mon oncle Auguste faisaient partie d’une chorale : « La Coecilia roubaisienne » dont les sorties étaient toujours remarquables. Roubaix, Tourcoing connaissaient encore d’autres chorales à cette époque : les Cric-Sik (je ne garantis pas l’orthographe), les Quarante et je crois qu’il y avait aussi le coin de la rue de la Lys et d’Archimède : Les Maboules.

Tous ces gens se côtoyaient, se fréquentaient sans aucune retenue, sans gêne : on s’interpelait dans la rue, on y bavardait longuement, on allait boire le café, on allait entre voisins ensevelir les morts, on faisait à leur intention une quête en portant de maison à maison les mortuaires, on rendait une dernière visite au gisant sur le lit de mort. Ainsi suis-je allé, tout jeune, avec maman, « voir » François, « chaux » comme on disait, Ghesquière. C’était la première fois que je voyais un cadavre.

Les dimanches de carnaval, ou le mardi gras, je pouvais rester de deux heures à six heures au « grillage de la rue de l’Alma », une courée près du café Cordule où mes parents m’envoyaient acheter un litre de bière à la fois, sans cesser de voir passer les travestis. Il se constituait aussi souvent, par quartier, des groupes costumés qui se rendaient au Fresnoy pour concourir. L’un de ceux créés au Fontenoy fut celui des « Diables Rouges ». Il y eut aussi « Les Nourrices » et « Les Poupons ».

Les soirs d’été, le dimanche, tous venaient s’assoir sur le seuil des maisons trop petites et trop chaudes, seuil en pierre bleu qui devait provenir de Tournai, et la rue entière offrait ce spectacle de voisins assis côte à côte bavardant, se reposant avant de reprendre le travail du lundi à l’appel des sirènes d’usines que chacun savait identifier : « Tiens ! Voilà Vanoutryve ! Ah ! C’est Lepoutre ».

La rue offrait encore le spectacle des marchands ambulants. Il y avait chaque jour le laitier Marcel, gros et rouge de visage, qui venait de Bondues dans la campagne proche, avec une voiture légère attelée d’un cheval ; il puisait de sa mesure réglementaire en fer blanc le lait à même le bidon. Nous ne connaissions guère le lait en bouteille ou en brique. Il ne m’a jamais empoisonné ce lait, bien qu’il lui arrivât les jours d’orage, de tourner à peine sur la cuisinière à charbon.

On remarquait aussi le lourd chariot transportant un gros tonneau plein de lait battu. Ma mère en achetait et nous mangions alors, ce soir-là, une espèce de soupe dans laquelle entrait du riz et parfois des morceaux de pomme : le goût en était un peu aigre mais je crois que tout ce monde aimait le lait battu, denrée de prix modique.

Témoignage de J.N. VANDEPUTTE
Septembre 1993

Le Parc Barbieux

Le parc de Barbieux est un des fleurons des parcs du nord de la France, un des grands exemples des jardins de la période florissante industrielle, promenade publique correspondant à une idée d’hygiénisme et accessible à tous. Suite à l’abandon d’un canal, celui de Roubaix, voici l’origine d’un des plus beaux parc urbain de France, aujourd’hui classé au titre national des sites en date du 26 janvier 1994.

L’histoire du canal fantôme…

En juillet 1813, Monsieur de Rézicourt, capitaine de Génie de Lille et Monsieur Roussel-Grimonprez, Maire de Roubaix, décident d’un projet de création d’un canal de la Deûle à l’Escaut.

1827 – Pose de la première pierre au confluent de la Marque. Première écluse construite au niveau de l’abbaye de Marquette sur la Deûle.

1831 – Le canal arrive à Croix jusqu’au pont d’Hem (maintenant rue Holden).

1835 – Concession Brame et ébauche, vers Roubaix, d’une berge relevée, avenue Le Nôtre par établissement d’un bassin de détournement prévu à Croix (Le Nôtre, péniches vides).

1843 à 1846 – Partie creusée à Roubaix vers la Belgique puis le boulevard du Général Leclerc (rue Jean Moulin) vers le Sartel et Leers.

1846 – Plantations de l’avenue Le Nôtre de plantations et en 1850, les quais Holden sont bâtis sur le canal de Croix. L’Escaut est atteint jusqu’aux Cascades de Roubaix.
Cette même année, il faut rappeler qu’un projet initial tendait à un embranchement vers Hem depuis Croix et vers Leers, selon la concession Brame de 1821.

1858 – Rachat du chantier par la ville de Roubaix de la rue Holden au kiosque du bassin Holden.

1859 – Essais du creusement du tunnel de Barbieux vers Roubaix sous l’actuel boulevard du Général de Gaulle. A 5 mètres sous terre, une couche de sable humide empêche les premières voûtes de se maintenir. Elles s’écroulent au bout de 60 mètres. On réussit toutefois péniblement à construire 138 mètres de galeries qui s’écroulent à leur tour.

Cette même année, M. Henri-Léon Lisot, fondateur de la « Fauvette » et poète inspiré, fréquentant le chantier abandonné envahi de végétation sauvage et goûtant la tranquillité du lieu, imagine de construire un grand parc où pourrait vivre ensemble les végétaux et les oiseaux.

Le 4 août 1860 est déposé un projet de promenade publique dans l’emplacement du canal abandonné.

Le 23 novembre de la même année, la commission pour la grande promenade sur les hauteurs de Barbieux se réunit et sollicite l’appui de la ville pour la réalisation du projet ainsi que pour la création d’une avenue bordée d’arbres jusqu’à la hauteur de Barbieux. Ce projet est complété en 1861 par le tracé d’un grand boulevard (actuellement le boulevard du Général de Gaulle).


1861 – Cession de l’Etat qui choisit de contourner la ville au nord en rejoignant la Marque par un nouveau tracé vers Wattrelos, Tourcoing, Wasquehal depuis le pont Nyckès inauguré en 1877 et ouvert dans sa totalité de la Deûle à l’Escaut.
Toujours en 1861, suite à l’abandon de la liaison entre  la Marque et l’Escaut et les déboires du tunnel prévu, acquisition du bassin de retournement, nivellement de la première partie du parc depuis la Montagne de Croix, en haut du boulevard de Paris et projet d’acquisition de 134 hectares de terre sur Croix qui se réduiront à 18 hectares pour le parc et 16 autres avoisinants et de voirie consignées. Bien plus tard, en 1926, Croix vend ces terrains à Roubaix.

1863 – Charles Daudet, Maire de Roubaix, défend ce projet et le fait adopter.

1864 – Le 29 septembre 1864, un rapport de l’administration municipale notifie l’établissement d’un jardin public sur l’ancien lit du canal de Roubaix et le projet est déclaré d’utilité publique par décret présidentiel du 30 juin 1866.

Aménagement du parc de Barbieux, dit « le beau jardin »

Pour élaborer les plans du nouveaux parc, M. Barillet-Deschamps, qui vient de dessiner le jardin Vauban à Lille est sollicité mais, accaparé par l’Exposition universelle, décline l’offre. C’est son adjoint et successeur, Georges Aumont qui se rend à Roubaix et établit les plans datés de 1868. La ville accepte son projet immédiatement et contracte un emprunt pour financer les expropriations et l’aménagement du parc.

1866-1875 – Plans d’eau tracés de l’avenue Le Nôtre, vallonnements et circulations, plantations d’arbres remarquables et ensemencements jusque l’avenue du Peuple Belge (le tout à la pelle et à la brouette). On oublie l’arrosage, d’où l’installation depuis le Huchon (château d’eau) et on réensemence.

1875-1888 – On déborde au-delà de l’avenue du Peuple Belge et on trace l’avenue de Jussieu (sinueuse à souhait). Plantation de platanes.
On prévoit l’arrivée du Mongy (1909) avenue Le Nôtre, terminus Baudelaire actuellement.

1890-1908 – Les travaux sont repris par l’architecte paysagiste parisien Georges Aumont, qui poursuit les terrassements sur l’ancien canal en panne, jusqu’au Cabaret des 1000 colonnes qui est abattu en 1907. C’est l’espace rond au niveau de la Duquenière qui formait le Belvédère sur le plan d’eau tout neuf. Construction de La Laiterie face au kiosque, en 1908 liaison par passerelle (petit pont) depuis le Belvédère ouvert en rocaille qui se poursuivront en 5 niveaux sur le fond du parc, terminé en fer à cheval, d’où le lieu-dit.

1896 – M. Gustave Nadaud a son monument à Jussieu qui était primitivement à l’Esplanade. L’entrée avec une colonnade autour, le Commandant Bossut le rejoindra plus tard.

L’exposition de 1911 s’installe sur les deux parties du parc depuis La Duquenière avec une avenue des Palais tout contre Jussieu jusque Boucicaut (café du Parc). Dès 1921, les terrains laissés vacants sont lotis et bâtis d’immeubles bourgeois dont certains existent toujours. La réalisation finale du parc de Barbieux sera faite grâce aux subsides de M. Paul Destombes.

Nous verrons l’avenue Jean Jaurès en continuité de l’avenue des Palais, l’installation du Mongy en 1925 et la préparation de l’exposition du Progrès social du Nord et de l’Industrie de 1939, ses fêtes nocturnes, ses illuminations, son bloc de marbre, son vase de Sèvres et l’ensemble de ses monuments : Weerts, Destombes, Commandant Bossut, Spriet et Jeanne d’Arc qui termine le cortège.

En 1939, l’Exposition du Progrès Social s’installe àLille et à Roubaix avec ses 14 pavillons. Elle fermera précipitamment ses portes avec l’entrée en guerre de la France.

Après la Seconde Guerre mondiale et jusque 1952, des courses automobiles sont organisées autour du parc de Barbieux avec d’illustres coureurs et notamment le fameux Fangio. Le 5 mai 1950, une célèbre course automobile est organisée par l’Automobile Club du Nord de la France pour les fêtes du Cinquantenaire.

En 1961, le café La Laiterie est démoli.

La reconnaissance…

L’association des Amis du Parc de Barbieux est créée le 4 septembre 1991.

Et en janvier 1994, suite à la demande en 1989 auprès de Michel Barnier, Ministre de l’Environnement, de Jean-Pierre Delahotte, écologiste et environnementaliste, Président du Comité National pour la protection et la sauvegarde de la faune et la flore, le parc est classé. En 2002, le Grand Prix de l’Arbre est décerné à la Ville de Roubaix et en 2010, le Parce de Barbieux obtient le label de Jardin Remarquable.

D’après M. Ernest BLEUSE, historien croisien
Th. Leuridan « Histoire de la Fabrique » 1864

Le canal et le port

LE CANAL

Conçu dès 1813, le canal joint l’ESCAUT à la Deûle par la Marque et met par conséquent en communication les bassins houillers et la mer du Nord.
 Il a été livré à la navigation en quatre parties :
– la première entre Croix et la Deûle par la Marque en 1832 ;
– la deuxième entre Roubaix et la frontière belge en 1843 ;
– la troisième reliant les deux premières et passant entre Roubaix et Tourcoing en 1877 (1) ;
– la quatrième branche de Tourcoing en 1892.
 
(1) Cette partie connut de multiples avatars. Son premier tracé traversait Roubaix et devait aller rejoindre le tronçon numéro 1 à travers la « montagne de Croix » en un parcours souterrain. Des éboulements firent abandonner les travaux. Une partie déjà exécutée fut comblée et donna lieu au boulevard Gambetta, le reste du chantier fut converti en promenade publique et se prêta au percement du Boulevard de Paris (alors boulevard de l’Impératrice) et à l’établissement du Parc de Barbieux.
 Extrait de « Roubaix à travers les âges » de Gaston MOTTE
 
 
L’AVENTURE ET LA METAMORPHOSE DU CANAL FANTÔME
Dès 1813, le décret impérial de la liaison Deûle-Escaut est communiqué aux autorités. En 1832, le canal de Croix est navigable jusqu’au pont de la rue d’Hem (carrefour Le Nôtre – Holden aujourd’hui).
 
En 1866, un projet de jonction avec la branche de Roubaix du canal (qui s’achève alors rue du Moulin) qui relie l’Escaut, prévoit le percement des hauteurs de Barbieux et un ouvrage souterrain sous celles-ci. Des travaux préliminaires en 1868 sont abandonnés à cause d’éboulements successifs et meurtriers. De ce fait, la liaison est repoussée au Nord vers Wattrelos et Tourcoing, Wasquehal, et rejoint la branche de Croix au lieu dit Plomeux Triest en 1877.
Les travaux de « promenade publique » sont entrepris dès 1878, poursuivis jusqu’en 1886, repris en 1903 pour la partie du territoire de Croix qui, des Calèches actuelles rejoint en diagonale, le secteur de l’église Notre-Dame de Lourdes (l’allée de Jussieu, aujourd’hui).
Il faut ici que nous revenions en arrière et que les terrains envisagés ou optionnés par Roubaix couvraient 235 hectares (la moitié du territoire croisien, Beaumont, Fer à Cheval, Barbieux, Frandres et breucq, le Créchet) furent réduits à 167, 80, 32 puis 14 hectares.
Les plans d’eau et cascades furent terminés en 1908. L’exposition de 1911 s’installe sur la partie esplanade-laiterie et ce n’est qu’en 1916 que sont définitivement fixées les nouvelles limites de territoires en 1919, percement du boulevard et de l’avenue Jaurès. (L’avenue de Jussieu et Le Nôtre existaient depuis 1910).
Les documents définitifs de ces nouvelles percées sont signés en 1925 par les deux municipalités. Dès 1921, les terrains laissés vacants par la démolition des pavillons de l’Exposition internationale furent lotis et bâtis d’immeubles bourgeois dont certains existent toujours.
 
Une petite anecdote pour la partie des secondes cascades actuelles. Cette campagne prolongée attendit jusqu’en 1976 sa configuration actuelle. Jusque là, le Thorein, humble ruisseau, né des ressuyages des terres de Beaumont, s’écoulait à ciel ouvert jusqu’en contrebas de l’avenue Le Nôtre et rejoignait la Marque sous le Fer à Cheval, en souterrain. A l’origine, (1909) le Mongy circulait Avenue Le Nôtre, Avenue Jaurès.
 
Le parc, lui-même, dessiné par Charles Aumont, grand architecte urbaniste parisien, fut agrémenté d’une statuaire importante d’hommes célèbres de Roubaix. La tour du Fer à Cheval, centre désormais la perspective des étangs, au-delà de la passerelle qui desservait un chalet des Mille colonnes, lui aussi disparu.
Jusqu’en 1903, la partie située jusqu’à la Marque (Holden) est tracée, nivelée, plantée. Le vélodrome est en exploitation de 1903 à 1909, les avenues de Jussieu, Le Nôtre sont carrossables (graviers), les « fabriques » de confort installées (les 1000 colonnes disparues font l’objet d’un projet de reconstruction- devenu La Laiterie (1907).
 
Entre 1866 et 1911 (1916 signatures), les terrains envisagés ont dégraissés de 246 ha à 14 ha… acquis par Roubaix. Les rocailles d’eau sont terminées en 1908.
L’exposition de 1911 (Fallières) s’installe depuis l’avenue de Jussieu et dans le quadrilatère compris entre la Duquenière, le Créchet et le Boulevard de Cambrai (Croix) les terrains sont rétrocédés en 1919 (derniers documents en 1925 confirmant la cession des terrains) après le percement de l’avenue Jean Jaurès (1916), et les cadastres modifiés pour la circonstance entre les deux cités Résidences bourgeoises et vers 1960 collectifs privés.
RAPPORT ADMINISTRATIF DE 1906
Comme suite aux vœux émis par le Conseil municipal, à différentes reprises déjà, le Service de la Navigation étudie la construction d’un pont dans le prolongement de la rue des Soies, pour faciliter les communications entre la Gare du pile nouvellement outillée et le Quartier du Laboureur.
L’amélioration du pont placé sur l’écluse du Sartel est également à l’étude. Un siphon a été construit sous le canal en juin 1906, pour déverser dans l’Espierre les eaux d’égout des quartiers en bordure de la route de Leers.
Le Canal de Roubaix est une voie navigable à bief de partage ; sa longueur totale est de 23 km 885 mètres, y compris les branches de Croix et de Tourcoing. Il joint l’Escaut à la Deûle par l’intermédiaire du Canal de l’Espierre ; il est, par conséquent, en communication avec les bassins houillers et les ports de mer du Nord. Les différences de niveau sont rachetées, du côté de la Deûle, par 7 écluses, du côté de l’Escaut, par 6 écluses. (Dont une en Belgique), qui toutes ont 5 m 20 de largeur.
Le canal de Roubaix, traversé par de nombreux ponts, a été livré à la navigation en quatre parties, savoir : La première comprise entre Croix et la Deûle, en 1832 ; la deuxième, entre Roubaix et la frontière, le 10 décembre 1843 ; la troisième, reliant les deux premières branches, le 1er janvier 1877, la quatrième (Branche de Tourcoing), le 1er octobre 1892.
 
Le tirant d’eau à l’étirage est de 2 m 20 ; la largeur du plafond est de 10 m ; la longueur utile des écluses est de 39 m 60. Le canal peut livrer passage aux bâtiments d’un tonnage de 375 tonnes.
Le canal est alimenté par les eaux de la rigole de dessèchement des marais de la Deûle, élevées jusqu’au bief de partage par les machines élévatoires situées à Lille près de l’ancienne écluse de Saint André.
Le mouvement de la navigation a suivi une progression rapidement croissante. La statistique donne les chiffres suivants : En 1877, le tonnage absolu a été de 164.062 tonnes ;
 
1878                             207.017
1890                             459.553
1896                             690.081
1906                             734.322
 
Les principales marchandises transportées 
Année Combustible   Matériaux de Produits          Produits          Divers, engrais, machines
                                   Construction   Industriels      Agricoles        flottage, bois à brûler
 
1898    334.103           111.836           30.794               96.555            30.966
1899    293.932           115.657           31.929             142.832           28.185
1900    295.447             96.956           39.626              77.072            31.810
1901    351.660             89.863           30.614              95.593            31.593
1902    375.550             73.279           26.514              91.206            29.107
1903    397.228           113.935           32.614             116.594           38.057
1904    353.421           123.125           26.563             153.879           57.701
1905    353.145             87.802           36.060             167.572           37.576
1906    362.924           108.664           17.720             192.203           52.811
 
 
LE PORT 
Le tonnage total du trafic du Canal de Roubaix, est supérieur de 52.167 tonnes à celui de 1905. Le tonnage des marchandises chargées ou déchargées dans les ports de Roubaix est inférieur de 59.954 tonnes à celui de l’année 1905. La ville de Roubaix a créé sur le canal, avec le concours de l’Etat, un port public qui rend de très appréciables services. Le mouvement total du port de Roubaix, proprement dit, compris entre le Pont du Blanc Seau et l’Ecluse du Galon d’Eau, a été : en 1898 de 313.913 tonne ; en 1899, de 288.165 tonnes ; en 1900, de 222.209 tonnes ; en 1901, de 259.134 tonnes ; en 1902, de 309.594 tonnes ; en 1903, de 331.752 tonnes ; en 1904, de 351.752 tonnes ; en 1905, de 345.170 tonnes ; en 1906, de 351.674 tonnes. Le tonnage des marchandises manutentionnées dans ces ports représente les 47,8 % de l’ensemble du trafic du canal.
 
Indépendamment du port de Roubaix proprement dit, il s’est créé, depuis quelques années, un mouvement commercial assez important dans le Port du Sartel dont le trafic distinct de celui du Port de Roubaix a été : en 1900, de 88.416 tonnes ; en 1901, de 95.599 tonnes ; en 1902, de 93.068 tonnes ; en 1903, de 85.111 tonnes ; en 1904, de 104.652 tonnes ; en 1905, de 100.406 tonnes ; en 1906, de 153.856 tonnes.
           
Le tonnage des marchandises arrivées dans ce port ou qui en ont été expédiées, représente en 20,9 % de l’ensemble du trafic du canal.
           
L’ensemble du trafic de la voie navigable, sur le territoire de Roubaix, ressort : en 1900, à 310.625 tonnes ; en 1901, à 354.733 tonnes ; en 1902, à 402.662 tonnes ; en 1903, à 416.863 tonnes, en 1904, à 456.623 tonnes ; en 1905, à 445.576 tonnes ; en 1906, à 505.530 tonnes.
           
Le tonnage total du mouvement de la navigation sur le territoire de Roubaix, représente les 68,4 % de l’ensemble du trafic du canal.
POURCENTAGE DU MOUVEMENT DES MARCHANDISES
 
Matières                                  Voie d’eau      Voie ferrée       Voie de terre               Total
Houille                                         34,1                    63,1                 2,8                               100
Matériaux de construction       40,9                    34,3               24,8                               100
Engrais                                      100,0                                                                                100
Bois                                             49,9                    37,5               12,6                                100
Industrie métallurgique            24,7                    71,6                 3,7                                100
Blé                                               93,0                      7,0                                                      100
Farine                                         34,7                     64,3                                                      100
Laine                                            4                        96,0                                                       100
Coton                                           5,2                     94,8                                                       100
Légumes                                                              100,0                                                       100
Fourrages secs                         12,2                    45,0               42,8                                  100
 
Sur les 40 ports les plus importants du réseau des voies navigables du Nord et du Pas de Calais, le Port de Roubaix occupe le 11e rang ; Les dix ports les plus actifs étant en 1906 !
 
1° – Dunkerque (sur le canal de Bourbourg, de Bergues et de Furnes) ; 2° – Béthune, port public ; rivages houillers, de Marles et de Bruay (sur le canal d’Aire) ; 3° – Vendin (sur le canal de la Haute Deûle, 1ère section ; 4° – Harnes (sur le canal de Lens) ; 5° – Denain (sur l’Escaut) ; 6° – Beuvry (sur le canal d’Aire) ; 7° – Violaines (sur le canal d’Aire) ; 8° – Lille ; 9° – Liévin (sur le canal de Lens) ; 10° – Auby (sur le canal de la Haute-Deûle, 1ère section).
 
 
LE CERCLE NAUTIQUE « L’AVIRON »
Créé en 1884, le cercle nautique de l’Aviron fut d’abord installé sur les rives du Blanc Seau, il déménagea en 1924 jusqu’au quai du Grimonpont pour pouvoir s’entraîner sur le bief du canal Sartel-Grimonpont. Les trophées de ce club furent nombreux, et le plus éclatant fut sans doute la victoire aux régates internationales de l’Exposition universelle de Paris en 1900, véritable course olympique avant l’heure.
 
 ECOLE MUNICIPALE DE NATATION
Inaugurée en 1880, l’école municipale de natation fut construite à deux pas du canal, sur un terrain de 13 700 m2. A la fin du siècle, l’administration municipale s’émut du manque de fréquentation de l’établissement qui accueillait 16 000 personnes en moyenne par an. Les installations furent supprimées en 1936.
 
 LA JEUNE CLARA
Les principales marchandises transportées sur le canal de Roubaix sont les combustibles, les matériaux de construction, les produits industriels et agricoles. Il faut, en plus, mentionner les deux bateaux qui font les transports à longue distance, des ordures ménagères provenant du service de l’ébouage de la ville. Un des bateaux affectés à cet usage a eu, jadis, son heure de célébrité. L’histoire, révélée par Monsieur Deschodt, un soir de séance du Conseil municipal, eut alors beaucoup de succès. Elle n’est pas tellement vieille qu’on l’ait oubliée, mais on la lira encore avec plaisir.
L’administration avait fait l’emplette, du temps épique où Monsieur Lepers présidait aux destinées de l’ébouage (ordures ménagères), d’un bateau baptisé la Jeune Clara. Ce bateau était occupé :
« A porter l’feumi d’l’ébouache
Au villache.
Y avot coûté tros mille francs,
C’hétot inn’ belle occasion,
Si y avot été nouveau.
Mais ch’étot du vieux bos ! »
La Jeune Clara fut une cause de grands déboires, à peine en service, on s’aperçut qu’elle ne méritait pas son beau nom,
« Car ell’ étot rempli d’crevasses
Dans s’ carcasse ! »
Il fallut la faire réparer et trois mille francs furent votés pour la remettre en état.
Par Théodore LEURIDAN
MEMOIRES DE LA SOCIETE D’EMULATION DE ROUBAIX
CINQUIEME SERIE, tome II, 1914

Le riez du Trichon

Il y aurait beaucoup d’ironie à appliquer ces vers aux Roubaisiens : le cours d’eau qui arrose leur territoire n’est pas une rivière, encore moins un fleuve et on les voit difficilement s’y désaltérer, mais enfin, ils en ont un et ils peuvent dire : « Mon verre n’est pas grand mais je bois dans mon verre ».

Roubaix tire son nom, si nous en croyons les étymologistes, de deux mots tudesques : Ross : plaine marécageuse et Bach ou Bais : ruisseau. Un mince filet d’eau serpentant au milieu des bois, à travers des prairies qu’il inonde à la mauvaise saison, tel était quand nos premiers ancêtres vinrent s’installer sur ses rives, le cours d’eau dont je vais vous tracer le parcours.

Quantum mutatus ab illo : ces bois où l’on croyait entendre les oréades répondre aux naïades – Ces près fleuris – Ce clair ruisseau où buvaient les colombes et où, au début du siècle dernier, on pêchait encore des écrevisses, si j’en crois les mémoires d’Henri Dubar-Ferrier. Tout cela a disparu, et ce clair ruisseau, serré dans un corset de briques, est devenu sur tout son parcours un égout qu’il serait difficile de poétiser.

Trichon est composé de deux mots : trierss ou tirss et on. « Trie – Tries – Triez » : (je cite Leuridan à qui d’ailleurs j’ai beaucoup emprunté) désigne un certain espace de terrain abandonné par les eaux d’un ruisseau ou formé par ses alluvions ; « on »  signifie eau, ruisseau. Trichon serait une appellation générique à qui l’usage a donné un sens particulier et qui s’est étendue au ruisseau même qui a produit le triez, au bois qui croissait sur ses rives et au hameau qu’il arrosait.

Notre riez est le riez de Favreuilles, qui se prolonge par le riez du Trichon, du Triechon ou Tricson. Il prend sa source près de la ferme Deldouille, située sur le territoire de Mouvaux, entre le chemin des Duriez et le Boulevard Carnot. Vieille ferme qui existait au 18e siècle, sous le nom de Cense Douille et qui garde encore en partie ses toits de chaume et son fossé mais qui disparaîtra bientôt car ses terres sont de plus en plus envahies par les constructions.

Il reçoit les eaux des fossés qui sillonnent d’une par les versants sud de la petite éminence sur laquelle est bâtie Mouveaux et de la butte qui supporte le réservoir des Bonnets et, d’autre part celles des fossés qui bordent le chemin des Duriez et la rue Lamartine jusqu’au Grand Cottignies.

On serait peut-être tenté de croire que le Riez a donné son nom au chemin des Duriez ou Ouriez. Il n’en est rien, car ce chemin aboutit à un lieu dit « Duriez » situé entre le boulevard de la Marne et la propriété de M. César Pollet où se trouvait au début du 18e siècle une cense du nom de Dury.

Le riez longe la rue des Lilas ; à cet endroit, il est encore bien modeste, car il ne représente qu’un fossé passant sous un trottoir. Il continue le long de l’avenue Gustave Grau dans les jardins compris entre cette avenue et la rue du Congo. Il forme la limite de la propriété actuellement lotie de M. Victor Vaissier, autrefois campagne de M. Bulteau-Lenglet et aboutit au canal. Quelques pans de murs indiquent encore l’emplacement du château de M. Bulteau au bord de la rue de Wasquehal en face de l’usine Noblet. M. Vaissier, qui était un grand amateur de chevaux, en avait fait de belles écuries.

Le Trichon traverse le canal dans un siphon : après sa résurgence, il circulait récemment encore à ciel ouvert sur un terrain qui longe le canal entre celui-ci et la rue Carpeaux à Wasquehal. Il fut recouvert il y a quelques années quand la maison Carette-Duburcq acheta le terrain pour servir de décharge. Il traverse la rue Carpeaux, puis la rue Lafontaine et arrive à la rue du Riez à qui il a donné son nom d’une façon certaine cette fois.

Autrefois, depuis la rue de Wasquehal à Mouvaux jusqu’à la rue de la Mackellerie, c’est à dire jusqu’à son entrée sur le territoire de Roubaix, il servait de ligne de démarcation entre Tourcoing d’un côté et les trois communes de Mouvaux, Wasquehal et Croix de l’autre. Cela n’est plus très exact car il a été canalisé et d’une façon malheureuse : le rétrécissement de son lit amène, par les grandes pluies, l’inondation du quartier. Il sert successivement d’aqueduc à la rue du Riez à une partie de la rue du Croix et à la rue des Trois-Villes.

Il pénètre sur notre territoire au carrefour de la rue de Constantine à Tourcoing, de la rue Boucher-de-Perthes à Roubaix et de la rue de la Mackellerie qui sépare les deux communes, passe sous l’usine Lemaire et Dillies, autrefois Richard Desrousseaux, à travers l’emplacement de l’ancienne usine Gaydet, traverse la rue du Luxembourg, passe sous l’usine des Anciens Etablissements Cordonnier, traverse le chemin de fer à cinquante mètres environ du pont des Arts, coupe la rue de la Digue et la rue du Vivier. Ces deux noms sont significatifs : le dernier volume de l’histoire des rues de Leuridan nous renseignera sans doute sur l’étang alimenté par le Riez à cet endroit.

Celui-ci arrive à l’ancien abreuvoir. J’ai dit que le riez avait failli être barré par le cadavre d’un baudet qui s’y était noyé, histoire qui a quelque analogie avec celle de la sardine bouchant le port de Marseille et qui me rappelle la triste fin d’un autre Martin. Il existe au n° 18 de la rue de Mouvaux, une maison basse, sans étage, qui est l’ancien « cabaret de l’Ane rouge » ainsi dénommé pour rappeler le sort d’un malheureux animal que son maître, sur le conseil d’un mauvais plaisant, enduisit de pétrole et grilla pour n’avoir plus la peine de le tondre.

Après sa traversée de la rue de l’Epeule, le riez passe sous l’ancienne usine Ernoult-Bayart, coupe le square Pierre Catteau presque le long du Tribunal de commerce, franchit la rue Mimerel en son milieu, passe à travers l’emplacement de l’usine Prouvost-Screpel, puis Georges Masurel, sous la teinturerie Auguste et Jean Dubar et rejoint la rue des Fabricants sous l’ancienne Ecole qui fait l’angle de cette rue avec la place du Trichon.

Autrefois, il arrosait à cet endroit « Le hamel », carrefour et amas de maisons appelé le Tricson qui faisait partie de la seigneurie de Favreuil et qui lui a donné son nom. Il serpentait à travers le bois du Trichon qui, vers le nord, arrivait jusqu’aux clôtures du cimetière de la chapelle Saint-Georges et des maisons bâties le long de la rue de ce nom. Ce bois, dont il y a cent ans, il existait encore des vestiges, contenait 2 bonniers, soit 2 hectares et demi (le bonnier est une mesure agraire de la Flandre Française qui, suivant les localités, valait de 122 à 142 ares). Ce bois a disparu depuis longtemps ; en 1649 il était déjà converti en labours. A cette époque, un sentier descendait de la Chapelle Saint-Georges et allait rejoindre, au hameau, le cabaret du Croque Chuque en passant le riez sur une simple planche.

Le long du riez, entre le Trichon et la rue Neuve, s’étendait encore en 1826 le Curoir, établissement où les ménagères du bourg faisaient curer leur linge moyennant finance et qui consistait en un pré sillonné de fossés desservis par le riez. Son souvenir est resté dans le nom de la rue du Curoir.

Ne quittons pas ce quartier sans signaler que lorsqu’il s’est agi de tailler un domaine à la seconde paroisse de Roubaix (à l’église Notre-Dame), le côté gauche du riez depuis la rue de la Mackellerie jusqu’à la rue du Bois en fixa la limite.

On se demande pourquoi, puisqu’il n’existait alors que deux paroisses, on n’a pas étendu la ligne de démarcation sur la rive droite : c’est qu’il n’existait encore en 1840, sur cette rive, que des fermes et quelques hameaux : Favreuil – Le Trichon – Le Pile – Les Trois Ponts. Jusqu’à la Révolution, tout le développement de Roubaix s’est fait sur la rive gauche. A cette époque, le riez constituait la limite de l’agglomération, depuis la place de la Liberté jusqu’à la rue de l’Epeule.

Le riez passe sous l’usine Deschepper, coupe la rue du Nord au n° 10, traverse la rue du Curoir près de la porte du Nord-Tourisme et arrive à la rue du Maréchal Foch en face de l’Automobile Club, à un endroit où une double plaque d’égout de chaque côté de la rue indique son passage et l’emplacement du second pont.

Il traversait autrefois la rue Neuve (rue Maréchal Foch actuelle) un peu plus haut, en face de la rue des Fabricants. Il y eut à cet endroit un premier pont qui fut remplacé par un autre, sans doute plus large et mieux adapté à la circulation. Je cite : « en 1727, on construisit un nouveau pont en remplacement du vieil pont sortant du Bourg allant vers le moulin ».

La déviation du Riez eut pour conséquence d’agrandir le jardin de l’hôpital sans déplacer toutefois l’arrivée des eaux dans les fossés du château. Le nouveau pont avait 45 pieds de longueur, soit environ 15 mètres. On pourra s’étonner d’une pareille importance, mais il faut supposer que le riez avait un débit très variable, puisque, mince filet d’eau parfois, il inondait à l’occasion les près de la grande brasserie et la plaine jusqu’à Wattrelos.

Certaines dénominations de lieu, comme autrefois la Digue du Pré et actuellement encore, la rue de la Digue, rappellent qu’il fallait parfois contenir ses eaux. Il n’a pas changé d’ailleurs et surtout depuis que son bassin est presque complètement couvert de pavés et de toitures : il ne peut y avoir de grandes pluies sans que les caves des riverains ne soient inondées.

En 1693, d’après un « cueilloir » d’impôts, le château comprenait dans son enclos « puy, beffroi, donjon, basse court, amasse de granges, écuries, estables, ponts  » et plusieurs autres édifices entourés d’eau, jardin de plaisance et pour la cuisine, le tout repris pour 2 bonniers.

D’après le plan qui nous a été laissé par Sanderus, l’ensemble formait un vaste rectangle aux coins arrondis, ayant approximativement 200 mètres de long sur 100 mètres de large. Le château se trouvait très probablement dans la rue du Château, prolongement de l’ancienne avenue du Château à l’endroit où la chaussée présente un léger renflement en face de l’ancienne maison de Mr Delannoy-Leroux, au n° 9. Le château était bâti sur une motte un peu élevée. Le domaine comprenait deux enceintes de fossés, une pour le château et l’autre englobant les jardins et la basse-cour qui se trouvait devant le château du côté de l’église. Le fossé extérieur dont nous nous occupons seulement était donc constitué par quatre parties droites. L’une le long de l’actuelle rue de la Poste, deux autres qu’on peut situer d’un côté, entre la rue du Château et la rue Jeanne d’Arc, parallèlement à ces rues, et enfin une quatrième au niveau de la façade du bâtiment de la chambre de Commerce sur la Grande Place.

Le Riez débouchait dans ce fossé à l’angle du quadrilatère après avoir contourné en remontant un peu vers Saint-Martin, le fond du jardin de l’hôpital.

Il s’échappait par l’angle diamétralement opposé qui se trouvait à l’endroit où les bâtiments de l’institution de la Sagesse donnent sur la rue de la Poste. Mais tout cela est de l’histoire ancienne, car du château et de ses fossés, il ne reste plus rien.

A partir de l’endroit du pont de 1727, il a été depuis dévié et transformé en aqueduc. Il tourne à angle droit, suit la rue du Maréchal Foch jusqu’à la rue de la Poste (ancienne rue de l’Union) fait encore un angle droit pour suivre celle-ci sur l’emplacement de l’ancien fossé jusqu’à l’institution de la Sagesse où il retrouve son cours à l’endroit où il servait autrefois de décharge aux fossés du château.

Il passe sous cet établissement, dessine un arc de cercle en passant dans l’ancien jardin de M. Léon Motte où il contournait à dix mètres environ du coin, le pavillon circulaire qui se trouvait autrefois à l’angle de la rue de la Sagesse et de la rue Jeanne d’Arc, traverse celle-ci en biais, passe sous les Halles, coupe la rue des Halles, traverse le pâté de maisons qui fait l’angle de la rue Pierre Motte et de celle-ci, traverse la rue Pierre Motte, passe derrière les maisons qui font face au boulevard Gambetta et arrive place de la Liberté à 50 mètres environ du boulevard. Il la traverse en biais, il longe la Banque de France.

Autrefois, il longeait un bois, le bois de Ribobus, qui allait des fossés du Château jusqu’au Saint-Sépulcre. Ce bois appartenait à la Chapelle du Saint-Sépulcre et à l’Hôpital Sainte-Elisabeth. En 1688, l’hôpital nomme un expert pour l’arpentage et la délimitation de la partie appartenant à chacun.

Quand on considère l’aspect du territoire de Roubaix à cette époque, on est frappé de l’importance de la partie boisée. Le bourg est entouré de bois qui devaient lui donner un aspect charmant : le bois du Trichon, le bois de Ribobus, le bois de l’Ommelet, le bois qui séparait le bourg du fief du Fontenoit, le Fresnoy, le Quesnoy.

L’Hommelet était un bois d’ormes, car l’Hommelet qui doit s’écrire sans h, en un seul mot, vient du latin olmus, orme, qui a donné olme puis lomme et lommelet, comme aulnoye, lieu planté d’aulnes a donné Lannoy.

Il y avait encore, en 1783, soit à la veille de la Révolution sur Roubaix, 70 ares 80 ca, soit environ 8 000 m² de bois, taillis, plus en arbres épars : 631 chênes, 25 414 ormes, 1 406 frênes, 2 132 bois blancs, 518 peupliers et 19 arbres divers, soit environ 30 000 arbres.

J’ai dit que le Riez traversait en biais la place de la Liberté. A cet endroit, après avoir franchi la rue de la grande brasserie, il limitait autrefois, à gauche le jardin du Saint-Sépulcre, et à droite, les près de la grande brasserie. En ce temps là, naturellement, la place de la Liberté n’existait pas. Quand on venait de Saint-Martin, on avait à droite, la rue de la Grande Brasserie, plus tard rue du Saint-Sépulcre qui était le prolongement de la rue Pauvrée. Cette rue était bordée à gauche par la chapelle du Saint-Sépulcre et par les bâtiments adjoints et, plus loin, par les jardins qui allaient jusqu’au Riez. La chapelle était située le long de la Grande Rue.

Quand le Saint-Sépulcre disparut, on créa à son emplacement la place du marché au charbon, et plus loin, vers le boulevard Gambetta, on bâtit une gendarmerie que ceux de mon âge ont connue. Le marché au charbon était ainsi appelé parce qu’au début du siècle dernier, le chemin de fer n’existait pas, les honorables commerçants de cette profession allaient aux mines d’Anzin. Les seules qui existaient alors, avec des tombereaux, ramenaient le charbon sur la place du marché, près de la chapelle du Saint-Sépulcre, mettaient le tombereau sur tréteaux, et attendaient le chaland. L’affaire conclue, on rattelait, et en route pour l’usine !

Le Riez recevait à sa gauche un affluent, le ruisseau amenant les eaux de la fosse-aux-chênes qui formait l’extrémité de la rue Pellart séparant ainsi Roubaix de son faubourg Saint-Antoine, passait derrière les maisons de la rue Pauvrée, traversait sous un pont la Grand’Rue qui prenait à cet endroit le nom de rue de Fourquencroix ou du Galon d’Eau, et longeait le domaine du Saint-Sépulcre du côté opposé à la rue de la Grande Brasserie. Le pont s’appelait Pont de Fourquencroix.

Le Seigneur de Roubaix percevait sur ce ponchel, comme sur le ponchel de la cauchie de la chaussé (rue Neuve), un droit de péage à charge d’entretien des dits ponts. Ce droit de péage, viage ou ponténage, consistait en deux liards par chariot étranger passant sur l’un des deux ponts.

Je ne sais à quelle époque ces ponts ont disparu, celui de Fourquencroix n’existait déjà plus en 1727, puisqu’à cette date, je cite : « on établit une nouvelle et plus grande buise pour la décharge des eaux venant de la fosse aux chênes à travers le parc de Fourquencroix ».

La Fosse aux chênes tire son nom d’un étang. Divers actes constatent aux cours du 17e siècle, des levées de corps noyés dans la fosse vulgairement appelée fosse-aux-chênes. Un hameau dit « près de l’Etang » existait à côté de ceux de la Basse-Masure, de l’Hommelet aux bois et de la Longue chemise. La rue des Sept-Ponts qui va de la place de la fosse-aux-Chênes à la rue de l’Hommelet, rue tortueuse comme toutes les anciennes chaussées, est un souvenir du petit cours d’eau qui amenait à la Fosse-aux-chênes les eaux du bois de l’Hommelet.

Reprenons le cours du riez. Après avoir reçu le ruisseau de la Fosse-aux-Chênes, il arrosait le domaine de Fourquencroix ainsi nommé parce qu’il se trouvait à l’endroit où la chaussée de Tourcoing à Lannoy par l’Hommelet traversait le chemin de Wattrelos, formant avec celui-ci une croix.

Il arrosait ensuite les fiefs de Beaurewart, de Beaurepaire, longeait la digue du Prêt. Actuellement, en quittant la place de la Liberté, il traverse les pâtés de maisons qui se trouvent entre la Grand’rue et le boulevard Gambetta, coupant ainsi dans leur milieu les rues Louis Catrice, Pierre de Roubaix, des 15 ballots et Nadaud, traverse l’emplacement du peignage Allard, passe sous l’ancienne usine Mulliez-Eloy, et atteint le canal ; il arrive au quai de Lorient où il traverse le canal dans un siphon à gauche de la porte de l’écluse.

Avant de traverser le canal il était encore à découvert il y a une quarantaine d’années, derrière une maison du quai de Lorient. Il donnait lieu à un métier qui se pratiquait aussi sur l’Espierre, près de la rue de l’Union à Wattrelos. Des gens ingénieux plantaient dans le cours d’eau des broches de fer en quinconce, la laine échappée des peignages avec les eaux de lavage s’accrochait à ces broches et la récolte donnait une honnête aisance à ces pêcheurs d’un genre particulier.

Un nommé Wallerand qui pratiquait ce métier quai de Lorient, faillit un jour d’orage, être entraîné sous le canal par une crue subite.

Après le canal, le riez circule à découvert, puis passe sous l’usine Carissimo, coupe la rue des Soies, passe sous le peignage Alfred Motte puis sous le chemin de fer, et finalement, après avoir encore circulé à découvert, va se jeter dans l’Espierre, à la limite du territoire derrière l’usine des alcools et levures de grains, anciennement Charles Droulers.

Les autres cours d’eau de Roubaix

Je ne veux pas terminer ce petit travail sans dire un mot des autres petits cours d’eau qui autrefois arrosaient le territoire de Roubaix et qui, maintenant, comme le Trichon, reçoivent beaucoup plus qu’ils ne donnent.

Le fief du Fontenoy avait son siège à l’endroit où fut bâti le château de M. Achille Wibaux. Ce sont les terres dépendant immédiatement de ce fief qui ont formé le parc autrefois considérable de ce château comme les terres du fief du Fresnoy ont constitué le parc immense (il avait bien une vingtaine d’hectares) du château de Mme Descat.

A la limite du fief du Fontenoy du côté de Tourcoing, coulait un ruisseau qui prenait sa source sur le versant nord de la butte de Mouvaux, derrière la propriété de M. Vanoutryve. La percée du canal de Tourcoing a diminué son domaine ; il ne reçoit plus que les eaux qui tombent dans l’angle formé par le canal de Roubaix et celui de Tourcoing. L’usine Mathon-Dubrulle est probablement son plus important fournisseur. Ce ruisseau traverse le boulevard, le chemin de fer, longe le canal et va se jeter dans l’Espierre près du boulevard des Couteaux. Il est encore à certains endroits découvert. Il y avait autrefois, à droite de l’ancien chemin de Roubaix à Tourcoing, sur le riez du Fontenoit, une chapelle : celle-ci, confiée aux soins de la confrérie de Saint-Joseph, prit le nom de chapelle de Saint-Joseph du Fontenoit.

Le nom de cette chapelle aujourd’hui disparue et qui a été remplacée par l’église Saint-Joseph, s’est insensiblement substituée à celui du Fontenoy et s’applique actuellement au quartier et au Riez.

Le Riez des Trois Ponts qui prend sa source sur le territoire d’Hem au bout de la rue Carpeaux, passait près de la « Petite Vigne », derrière la Potennerie ou plutôt Pontennerie, qui tient peut-être son nom d’un pont qui le traversait à cet endroit, alimentait les fossés de la ferme de Courcelles, traversait les hameaux du Pile et des Trois Ponts, et se jetait dans l’Espierre au Sartel.

Comme son territoire n’a été bâti qu’à une époque récente, où les idées de voirie, d’urbanisation étaient beaucoup plus développées que du temps de nos Pères, il a été dévié, rectifié, canalisé et n’est plus qu’un égout bien discipliné qui suit la rue Carpeaux, le boulevard de Reims, le boulevard de Mulhouse, fait un détour par les rues Victor Hugo, Alfred de Musset, des Trois Ponts et d’Anzin, puis traverse la gare de Roubaix-Wattrelos et se jette dans l’Espierre près du pont du Sartel après avoir passé sous le canal.

Il reste encore deux autres ruisseaux ; le courant de Maufait et le courant de Cohem qui, coulant parallèlement de chaque côté du boulevard Industriel en venant de la rue de Lannoy près de laquelle ils prennent leur source, se réunissent et se jettent dans l’Espierre à la limite de notre commune. Ces ruisseaux qui sont à découvert sur presque la totalité de leur cours, n’ont que peu de débit et pas du tout d’histoire.

On a dit que Roubaix devait son développement industriel à l’abondance de ses eaux, alors qu’il n’y passe aucune rivière et qu’au moment où l’industrie a commencé à prendre son essor, celle-ci n’avait comme ressource, qu’un faible ruisseau. Un teinturier s’était établi dans les dépendances du château pour en utiliser l’eau des fossés ; d’autres en étaient réduits à aller chercher l’eau dans des tonneaux autour des fermes. On a remédié à cette pénurie par l’adduction des eaux de la Lys moyen insuffisant et trop coûteux. Si Roubaix est peu fourni d’eau à sa surface, il a la chance de se trouver sur une cuvette du crétacé où viennent s’accumuler celles des environs, ce qui explique que chaque usine peut maintenant avoir son forage.

Le grand développement industriel de Roubaix n’aurait pas été possible si le progrès n’avait pas rendu aisé le percement des forages aux environs de cent mètres de profondeur ; sans eux, il n’y aurait pas eu les grands peignages et les grandes teintureries qui sont une des principales forces de Roubaix. Ce fait et celui de trouver sur son sol une excellente terre à brique (l’argile de Roubaix est particulièrement spécifiée dans la géologie de la région) sont peut-être des causes moins indirectes qu’on pourrait le croire, de sa prospérité.

J’ai fini. Il était difficile de vous intéresser avec l’histoire d’un seigneur d’aussi faible importance que notre Riez. Si j’ai réussi à ne pas être trop fastidieux, c’est en employant la fameuse recette de la soupe aux cailloux, c’est à dire en y ajoutant bien des choses. J’espère que vous excuserez mes digressions. Des détails, parfois futiles, m’ont paru avoir quelque intérêt pour notre histoire locale. 

Félix Delattre

Administrateur de la Société d’Emulation de Roubaix
Séance de la Société d’Emulation de Roubaix du 13 avril 1944

L’hôpital Napoléon

C’est à Napoléon III que l’on demanda de poser la première pierre. Ce à quoi l’Empereur fit répondre le 6 juin 1853 : qu’il ne savait à quelle époque il se rendrait dans le Nord de la France et que ne voulant pas retarder les travaux il ne souhaitait pas poser la première pierre de l’hôpital mais qu’il consentait avec plaisir à lui donner son nom. Afin d’honorer les souscripteurs et l’Empereur, la Chambre consultative désirait aussi que les noms des souscripteurs soient gravés sur des tables de marbre qui décoreraient la salle principale de l’hôpital dans laquelle serait placé le buste en marbre de Sa Majesté l’Empereur Napoléon III.

C’est l’hypothèse d’un hôpital hospice qui est d’abord envisagée. La dépense pour la première partie de l’hôpital contenant 160 lits est évaluée à 200 000 francs. Achille Dewarlez est chargé d’en établir les plans. A quel endroit va-t-on construire cet établissement? On projette de l’édifier à la place de l’ancien cimetière de Roubaix situé rue du Fresnoy auquel serait adjointe une parcelle appartenant à Madame Deffrennes. Mais cela est refusé par le Conseil central d’Hygiène et de Salubrité du Département du Nord qui décrète que le terrain du cimetière de Roubaix ne peut être livré au commerce avant 30 ans, à dater de l’époque de sa fermeture (c’est à cet endroit que sera construite en 1885 l’ ENSAIT). Plusieurs autres emplacements sont donc étudiés : un terrain situé à l’ embranchement (rue de Lille actuelle), celui de la rue des Longues Haies, un autre au Galon d’eau enfin un emplacement rue de Blanchemaille situé entre cette rue et la voie de chemin de fer. Le terrain de la rue des Longues Haies est refusé en raison de la proximité de la partie la plus insalubre du canal et c’est l’emplacement de Blanchemaille qui est choisi. C’est un terrain élevé, sec, au nord-ouest de Roubaix, recevant donc très peu de vents passant par la Ville.

Il est près du centre de l’agglomération et des quartiers habités par la plus grande partie des nécessiteux. Un des inconvénients de ce terrain est l’éloignement du cimetière, d’où nécessité pour s’y rendre de traverser toute l’agglomération, sans méconnaître les inconvénients réels de mettre sous les yeux des habitants les nombreux convois funèbres en temps d’épidémies. Et le Conseil central d’Hygiène conclut de la façon suivante : le terrain de Blanchemaille est un point culminant, bien aéré, le sol est sec. Ce terrain est donc celui qui doit être choisi pour y construire l’hôpital. Ce terrain est constitué de deux parcelles dont l’une appartient à M. Louis Ducatteau et l’autre à M. Cannesson.

Le 5 février 1857, M. Tiers Bonte, faisant fonction de Maire, décide de mettre au concours un projet complet d’hôpital communal. Le projet devra être conçu dans les vues d’une grande économie, sans toutefois nuire à la solidité et à la régularité des formes. Point de luxe, mais du confortable au dedans et une élégante simplicité à l’extérieur. Il devra y avoir dans chacun des services, hommes et femmes, une salle de bains avec une division particulière pour les enfants.

La Ville ne prend aucun engagement relativement à la direction des travaux. Si l’architecte dont le projet aura été jugé le meilleur n’est pas chargé d’en diriger l’exécution, il recevra 2000 francs à titre de prime. Une prime de 1000 francs sera aussi accordée à l’architecte dont le projet recevra le second prix. En octobre 1857, les douze projets résultant du Concours sont soumis au jugement du Conseil général des Bâtiments civils. C’est le projet n°5 portant l’épigraphe Saint-Vincent de Paul qui est choisi. Il est l’oeuvre d’un architecte parisien M. Botrel d’Hazeville.

L’architecte s’est inspiré de l’hôpital Lariboisière de Paris. Le plan est de type pavillonnaire ramassé. C’est un vaste quadrilatère auquel viennent se souder quatre ailes principales ou pavillons séparés par des jardins. Le projet classé second dénommé « Probitas et Industria » est l’oeuvre de Théodore Lepers, l’architecte municipal.

A noter, parmi les autres projets : le n° 7 de Charles Maillard architecte de Tourcoing (ce projet est conservé aux Archives municipales). Le n° 9 de Clovis Normand fils, architecte à Hesdin. Si le projet choisi reçoit l’aval du Conseil municipal, l’édifice projeté présente un aspect monumental digne d’une ville comme la nôtre, il essuie de nombreuses critiques de la part de la Commission administrative des Hospices : la ventilation des salles ne semble pas assez prise en compte et les salles de réception des malades, la chapelle et les cellules des Sœurs qui n’offrent que deux mètres sur deux sont trop petites. Théodore Lepers qui est chargé des travaux effectue des rectifications aux plans. 

L’enquête d’utilité publique a lieu du 21 août au 4 septembre 1858. Les travaux sont chiffrés à la somme de 293.257,56 francs tandis que le prix de l’acquisition du terrain s’élève à 98.994,06 francs. Le 12 juin 1860, la construction du nouvel hôpital Napoléon sur le terrain dit de Blanchemaille est déclarée d’utilité publique et à partir du mois de mai 1861 le reste des souscriptions est mis en recouvrement.

La souscription rapporte au total la somme de 93 000 francs. L’adjudication des travaux a ensuite lieu le 15 juillet 1861. La première pierre est posée le 15 août suivant, après un Te Deum solennel à Saint-Martin, par le Maire M. Ernoult Bayart, assisté de MM. Julien Lagache, Constantin Descat et Renaux Lemerre, ses adjoints, en présence du clergé, des membres du Conseil municipal et de la Chambre consultative des Arts et Manufactures et de l’architecte Théodore Lepers. Une plaque de marbre rappelle cette cérémonie.

Le 28 août 1863 il est décidé d’agrandir la chapelle, on fait appel à l’architecte lillois Alavoine. Les travaux de construction de l’hôpital dureront jusqu’en 1865. A la suite d’une visite générale mais sommaire de tous les travaux en date du 17 mars 1865, les conseillers municipaux délégués concluent que : « l’ensemble gagnerait à être habité très prochainement et engagent l’administration hospitalière à prendre immédiatement possession de l’édifice bien qu’il ne soit pas complètement achevé dans tous ses détails ». La bénédiction de la chapelle a lieu le 22 mars 1865.

A la séance du Conseil municipal du 30 mars 1865 est soumis le dessin du haut relief à exécuter sur le fronton de la chapelle. Cette oeuvre est due au statuaire parisien Charles Iguel. Très satisfait de la qualité de l’œuvre, le Conseil municipal décide d’ajouter 2.000 francs au 3.000 francs déjà votés. Un peu plus d’un mois plus tard, la décision est prise de placer ce haut relief non pas sur la façade de la chapelle endroit si peu accessible mais sur la façade même de l’hôpital à laquelle il est décidé d’ajouter un étage afin de recevoir le fronton: nous ne doutons pas que l’exhaussement d’un étage donnera à la façade un caractère beaucoup plus important que celui qu’elle a actuellement.

Les malades prennent possession du nouvel hôpital au cours de l’année 1865. En septembre 1865, un buste de marbre de l’empereur est commandé au sculpteur Iselin pour la somme de 2.000 francs (ce buste se trouve actuellement au musée de Roubaix). En effet sollicité par la Municipalité roubaisienne, le ministre de la Maison de l’Empereur et des Beaux Arts n’avait promis qu’un buste en plâtre de Sa Majesté l’Empereur, les frais d’emballage devant être acquittés par la Ville !

Le 28 août 1867, le Conseil municipal vote une allocation supplémentaire de 1500 francs à Charles Iguel à titre d’indemnité et en gage de satisfaction.

Lors de leur passage à Roubaix le 29 août 1867, l’Empereur et l’Impératrice visitent l’établissement. A ce moment, l’hôpital compte 208 lits : 108 au rez-de-chaussée (27 pour les fiévreux, 56 pour les hommes blessés, 25 pour les femmes blessées) et 100 lits au premier étage (26 pour les femmes fiévreuses, 26 pour les hommes fiévreux et 48 pour les enfants du 1er âge à 15 ans).

Le 18 janvier 1869 a lieu l’adjudication des travaux de construction d’une buanderie à vapeur tandis qu’à la séance du Conseil municipal du 22 mai est décidé d’ajouter un étage aux bâtiments latéraux à la cour de la chapelle afin de donner plus d’espace au logement des religieuses et des personnes attachées à l’établissement. C’est l’architecte Edouard Dupire qui est chargé des travaux, son oncle Théodore Lepers venant de décéder le 2 mai 1869. A la chute de l’Empire, l’Hôpital Napoléon reçoit le nom d’Hôpital civil puis d’Hôtel Dieu.

En 1881, Emile Moreau rédige un rapport sur l’hôpital en évoquant les lacunes de l’établissement: Il ne s’y trouve aucune chambre particulière pour les malades infectieux. Les salles constamment occupées y sont forcément insalubres. On y fait aucune consultation publique. Il n’y a point de maternité. Il prône aussi la laïcisation du personnel de l’Hôtel Dieu : il serait plus juste et plus humain de confier le soin des malades et la direction des différents services de l’hôpital à des veuves d’employés et d’ouvriers de l’industrie roubaisienne qu’à des congréganistes étrangères à la ville.

L’année suivante, il est décidé d’ajouter un étage de chaque côté de la cour centrale pour permettre d’installer un dortoir de 16 lits destinés à recevoir des malades atteints de maladies contagieuses et de l’autre les personnes sans famille qui désirent se faire traiter moyennant finances.

La même année, l’architecte municipal dresse les plans d’un baraquement pour varioleux qu’il est d’abord question de construire sur l’emplacement à Barbieux qui doit servir ultérieurement à la construction d’un hospice pour les vieillards puis sur les terrains des Hauts Champs. En 1884, on décide de construire le pavillon pour varioleux de 30 lits dans l’enceinte de l’hôpital sur la parcelle de terrain restée inoccupée du côté de la rue Isabeau de Roubaix… Deux ans plus tard, on projette de construire une brasserie sur le coin de la rue de l’Alma et de la rue Isabeau de Roubaix.

A ce moment, l’Hôtel Dieu compte 331 lits et 15 berceaux. La réception définitive du pavillon pour varioleux a lieu le 5 octobre 1888. L’année suivante est décidé de construire une aile de deux niveaux entre la rue Saint-Vincent de Paul et le pavillon central, ce qui permet d’ajouter 46 nouveaux lits déjà existants. En 1892 est voté un crédit pour l’établissement d’une étuve à désinfection. Cette étuve à désinfection sera mise à la disposition du public : il en coûtera 2 francs pour la désinfection d’un matelas, 0,50 pour celle d’un drap.

En 1893, l’administration des Hospices signale à la Municipalité l’exiguité de la cave de la brasserie de l’Hôtel Dieu : en effet par suite de l’augmentation de la fabrication de bière résultant des livraisons faites aux cantines scolaires (!) et au nouvel hospice de Barbieux, l’entonnerie de la brasserie est devenue insuffisante. En 1895, on décide de réunir le pavillon des varioleux qui avait été construit de façon isolée, au corps central de l’hôpital. En 1898, il est décidé pour agrandir le pavillon des enfants d’utiliser un baraquement dont la construction avait été commencée lors d’une épidémie de choléra et qui avait été conservé dans les magasins de la Ville.

En 1901, l’hôpital reçoit la visite de l’Inspection générale des services administratifs. Il est de nouveau déploré l’exiguïté de l’hôpital et les risques de contagion qui en découle : comme service de contagieux, il y a seulement trois petites pièces ou salles d’isolement ce qui est tout à fait insuffisant et même dangereux. On place indistinctement chez les fiévreux les typhiques et les malades atteints de la diphtérie. A la séance du 27 juin 1902 est votée, à la suite de la découverte dans les écoles roubaisiennes de 81 enfants atteints de la pelade, de la teigne ou de différentes maladies du cuir chevelu, la construction d’un dispensaire pour le traitement des maladies du cuir chevelu avec cette réserve qu’il serait pris des mesures pour que les visites à ce dispensaire ne coïncident pas avec les entrées et sorties de l’école de la rue Saint-Vincent de Paul et ne permettrait pas le contact des enfants malades avec les enfants qui fréquentent la dite école.

En 1907, à l’ouverture du nouvel hôpital de la Fraternité, les malades quittent l’Hôtel Dieu. Celui-ci accueille les pensionnaires de l’Hospice (situé rue de l’Hospice) qui est démoli, on construira à sa place la salle Watremez. Trois cent cinquante vieillards sont hébergés dans ce qui devient alors l’hospice Blanchemaille. A la même époque, la Commission administrative des Hospices fixe son siège dans l’établissement.

En 1911, à la suite d’une visite de l’hospice, M. et Mme Joseph Pollet Motte offre une somme de 100.000 francs pour construire deux infirmeries supplémentaires. La Commission administrative accueille avec empressement cette proposition et décide de réaliser cet agrandissement en surélevant de deux étages les bâtiments qui entourent la cour d’entrée. C’est l’architecte Ernest Thibeau qui est chargé des travaux. Ceux-ci sont terminés en 1913. En 1911 également, l’aumônier l’abbé Algrain augmente la surface de la chapelle et l’embellit. La chapelle est dégagée des deux salles de bains immenses qui la flanquaient et y répandaient l’humidité et on lui adjoint deux nefs latérales. Le chœur est agrandi et embelli par la restauration de l’autel, du banc de communion et de la chaire.

En novembre et décembre 1977, 163 pensionnaires quittent l’hospice de Blanchemaille pour celui de Barbieux. Enfin, en mars 1978, les 82 derniers pensionnaires quittent l’établissement. L’Hospice de Blanchemaille est démoli en 1981. Quelques années auparavant, l’Evêché avait envisagé d’utiliser la chapelle de l’hospice en remplacement de l’église Notre-Dame démolie.

Ne subsistent des bâtiments que le fronton de Charles Iguel qui est remonté grâce à une souscription et à la Fondation de France sur le square qui jouxte la Caisse d’Allocations familiales ainsi que les plaques des donateurs qui se trouvaient dans le hall et qui ont été reposées dans la galerie gauche de l’hospice de Barbieux.

Xavier Lepoutre
Vice-Président de la Société d’Emulation de Roubaix

La Grande Vigne

Cette importante propriété fut acquise par Oste, frère bâtard de Jean de Roubaix, grand soldat, dont la valeur et la vaillance étaient reconnues notamment par le Duc de Bourgogne. A sa mort, le 17 mars 1444, la Seigneurie est incorporée au gros du fief de Roubaix et convertie en cense sous le nom de  » Grande Vigne « . Oste est inhumé à Saint-Martin où l’on peut toujours voir son épitaphe en pierre blanche sur un des murs de l’église.

En 1633, la cense est exploitée par Pierre de Hallewin et comprend 23 bonniers. Elle est reprise en 1649 par Gilles Masurel, puis la famille Lepers pendant six générations et en 1703 par la famille Salembier Corne, Salembier-Bulteau puis Salembier-Mulliez. Une brasserie complétait la ferme qui se transforme en brasserie-malterie à partir de 1862. Elle fonctionnera jusqu’en 1938.

La ferme brûle en 1892 et les bâtiments sont reconstruits à l’identique avec deux nouvelles chaudières pour produire des bières de haute et basse fermentation. On peut toujours voir ces bâtiments au n° 1 de la rue d’ Oran. Ils hébergent actuellement d’autres entreprises.