n° 24 Mai-Octobre 2018

n°24

Éditorial : 150 ans d’amour par Gilles Maury p 5

Que d’amour ! Résultats du concours d’écriture

Autour des mots, autour du parc, par Evelyne Gronier-Renaut. p 6

J P Barilet-Deschamps, Aumont et le parc de Barbieux 1863-1909 par Laurence Baudoux-Rousseau. P 10

Promenade historique 1860-1880, par Gilles Maury p 14

La Laiterie 1907-1951, l’escale des dimanches, par Philippe Waret p 23

La Maison Blanche. Histoire et question autour d’une résidence énigmatique, par Bernard Catrice p 30

Promenade historique 1911- 1980 et 1951- 1988 Par Gilles Maury p 44

Des idées pour la « Pierre Blanche » par Bernard Catrice p 42

Du Café de la Presse (du Parc) par Evelyne Gronier-Renaut p 52

Le Parc à l’heure du Progrès Social, par Michel-Louis Thévenoud p 58

Grande Guerre / épisode 8

Médard Carré et les pigeons, par Philippe Waret. p 62

Concours photos 5e édition : Roubaix ville verte et fleurie Par Evelyne Gronier-Renaut. P 65

Clin d’œil à l’Œil photographique, par Evelyne Gronier-Renaut. P 66

Le Parc Barbieux

Le parc de Barbieux est un des fleurons des parcs du nord de la France, un des grands exemples des jardins de la période florissante industrielle, promenade publique correspondant à une idée d’hygiénisme et accessible à tous. Suite à l’abandon d’un canal, celui de Roubaix, voici l’origine d’un des plus beaux parc urbain de France, aujourd’hui classé au titre national des sites en date du 26 janvier 1994.

L’histoire du canal fantôme…

En juillet 1813, Monsieur de Rézicourt, capitaine de Génie de Lille et Monsieur Roussel-Grimonprez, Maire de Roubaix, décident d’un projet de création d’un canal de la Deûle à l’Escaut.

1827 – Pose de la première pierre au confluent de la Marque. Première écluse construite au niveau de l’abbaye de Marquette sur la Deûle.

1831 – Le canal arrive à Croix jusqu’au pont d’Hem (maintenant rue Holden).

1835 – Concession Brame et ébauche, vers Roubaix, d’une berge relevée, avenue Le Nôtre par établissement d’un bassin de détournement prévu à Croix (Le Nôtre, péniches vides).

1843 à 1846 – Partie creusée à Roubaix vers la Belgique puis le boulevard du Général Leclerc (rue Jean Moulin) vers le Sartel et Leers.

1846 – Plantations de l’avenue Le Nôtre de plantations et en 1850, les quais Holden sont bâtis sur le canal de Croix. L’Escaut est atteint jusqu’aux Cascades de Roubaix.
Cette même année, il faut rappeler qu’un projet initial tendait à un embranchement vers Hem depuis Croix et vers Leers, selon la concession Brame de 1821.

1858 – Rachat du chantier par la ville de Roubaix de la rue Holden au kiosque du bassin Holden.

1859 – Essais du creusement du tunnel de Barbieux vers Roubaix sous l’actuel boulevard du Général de Gaulle. A 5 mètres sous terre, une couche de sable humide empêche les premières voûtes de se maintenir. Elles s’écroulent au bout de 60 mètres. On réussit toutefois péniblement à construire 138 mètres de galeries qui s’écroulent à leur tour.

Cette même année, M. Henri-Léon Lisot, fondateur de la « Fauvette » et poète inspiré, fréquentant le chantier abandonné envahi de végétation sauvage et goûtant la tranquillité du lieu, imagine de construire un grand parc où pourrait vivre ensemble les végétaux et les oiseaux.

Le 4 août 1860 est déposé un projet de promenade publique dans l’emplacement du canal abandonné.

Le 23 novembre de la même année, la commission pour la grande promenade sur les hauteurs de Barbieux se réunit et sollicite l’appui de la ville pour la réalisation du projet ainsi que pour la création d’une avenue bordée d’arbres jusqu’à la hauteur de Barbieux. Ce projet est complété en 1861 par le tracé d’un grand boulevard (actuellement le boulevard du Général de Gaulle).


1861 – Cession de l’Etat qui choisit de contourner la ville au nord en rejoignant la Marque par un nouveau tracé vers Wattrelos, Tourcoing, Wasquehal depuis le pont Nyckès inauguré en 1877 et ouvert dans sa totalité de la Deûle à l’Escaut.
Toujours en 1861, suite à l’abandon de la liaison entre  la Marque et l’Escaut et les déboires du tunnel prévu, acquisition du bassin de retournement, nivellement de la première partie du parc depuis la Montagne de Croix, en haut du boulevard de Paris et projet d’acquisition de 134 hectares de terre sur Croix qui se réduiront à 18 hectares pour le parc et 16 autres avoisinants et de voirie consignées. Bien plus tard, en 1926, Croix vend ces terrains à Roubaix.

1863 – Charles Daudet, Maire de Roubaix, défend ce projet et le fait adopter.

1864 – Le 29 septembre 1864, un rapport de l’administration municipale notifie l’établissement d’un jardin public sur l’ancien lit du canal de Roubaix et le projet est déclaré d’utilité publique par décret présidentiel du 30 juin 1866.

Aménagement du parc de Barbieux, dit « le beau jardin »

Pour élaborer les plans du nouveaux parc, M. Barillet-Deschamps, qui vient de dessiner le jardin Vauban à Lille est sollicité mais, accaparé par l’Exposition universelle, décline l’offre. C’est son adjoint et successeur, Georges Aumont qui se rend à Roubaix et établit les plans datés de 1868. La ville accepte son projet immédiatement et contracte un emprunt pour financer les expropriations et l’aménagement du parc.

1866-1875 – Plans d’eau tracés de l’avenue Le Nôtre, vallonnements et circulations, plantations d’arbres remarquables et ensemencements jusque l’avenue du Peuple Belge (le tout à la pelle et à la brouette). On oublie l’arrosage, d’où l’installation depuis le Huchon (château d’eau) et on réensemence.

1875-1888 – On déborde au-delà de l’avenue du Peuple Belge et on trace l’avenue de Jussieu (sinueuse à souhait). Plantation de platanes.
On prévoit l’arrivée du Mongy (1909) avenue Le Nôtre, terminus Baudelaire actuellement.

1890-1908 – Les travaux sont repris par l’architecte paysagiste parisien Georges Aumont, qui poursuit les terrassements sur l’ancien canal en panne, jusqu’au Cabaret des 1000 colonnes qui est abattu en 1907. C’est l’espace rond au niveau de la Duquenière qui formait le Belvédère sur le plan d’eau tout neuf. Construction de La Laiterie face au kiosque, en 1908 liaison par passerelle (petit pont) depuis le Belvédère ouvert en rocaille qui se poursuivront en 5 niveaux sur le fond du parc, terminé en fer à cheval, d’où le lieu-dit.

1896 – M. Gustave Nadaud a son monument à Jussieu qui était primitivement à l’Esplanade. L’entrée avec une colonnade autour, le Commandant Bossut le rejoindra plus tard.

L’exposition de 1911 s’installe sur les deux parties du parc depuis La Duquenière avec une avenue des Palais tout contre Jussieu jusque Boucicaut (café du Parc). Dès 1921, les terrains laissés vacants sont lotis et bâtis d’immeubles bourgeois dont certains existent toujours. La réalisation finale du parc de Barbieux sera faite grâce aux subsides de M. Paul Destombes.

Nous verrons l’avenue Jean Jaurès en continuité de l’avenue des Palais, l’installation du Mongy en 1925 et la préparation de l’exposition du Progrès social du Nord et de l’Industrie de 1939, ses fêtes nocturnes, ses illuminations, son bloc de marbre, son vase de Sèvres et l’ensemble de ses monuments : Weerts, Destombes, Commandant Bossut, Spriet et Jeanne d’Arc qui termine le cortège.

En 1939, l’Exposition du Progrès Social s’installe àLille et à Roubaix avec ses 14 pavillons. Elle fermera précipitamment ses portes avec l’entrée en guerre de la France.

Après la Seconde Guerre mondiale et jusque 1952, des courses automobiles sont organisées autour du parc de Barbieux avec d’illustres coureurs et notamment le fameux Fangio. Le 5 mai 1950, une célèbre course automobile est organisée par l’Automobile Club du Nord de la France pour les fêtes du Cinquantenaire.

En 1961, le café La Laiterie est démoli.

La reconnaissance…

L’association des Amis du Parc de Barbieux est créée le 4 septembre 1991.

Et en janvier 1994, suite à la demande en 1989 auprès de Michel Barnier, Ministre de l’Environnement, de Jean-Pierre Delahotte, écologiste et environnementaliste, Président du Comité National pour la protection et la sauvegarde de la faune et la flore, le parc est classé. En 2002, le Grand Prix de l’Arbre est décerné à la Ville de Roubaix et en 2010, le Parce de Barbieux obtient le label de Jardin Remarquable.

D’après M. Ernest BLEUSE, historien croisien
Th. Leuridan « Histoire de la Fabrique » 1864

Le canal et le port

LE CANAL

Conçu dès 1813, le canal joint l’ESCAUT à la Deûle par la Marque et met par conséquent en communication les bassins houillers et la mer du Nord.
 Il a été livré à la navigation en quatre parties :
– la première entre Croix et la Deûle par la Marque en 1832 ;
– la deuxième entre Roubaix et la frontière belge en 1843 ;
– la troisième reliant les deux premières et passant entre Roubaix et Tourcoing en 1877 (1) ;
– la quatrième branche de Tourcoing en 1892.
 
(1) Cette partie connut de multiples avatars. Son premier tracé traversait Roubaix et devait aller rejoindre le tronçon numéro 1 à travers la « montagne de Croix » en un parcours souterrain. Des éboulements firent abandonner les travaux. Une partie déjà exécutée fut comblée et donna lieu au boulevard Gambetta, le reste du chantier fut converti en promenade publique et se prêta au percement du Boulevard de Paris (alors boulevard de l’Impératrice) et à l’établissement du Parc de Barbieux.
 Extrait de « Roubaix à travers les âges » de Gaston MOTTE
 
 
L’AVENTURE ET LA METAMORPHOSE DU CANAL FANTÔME
Dès 1813, le décret impérial de la liaison Deûle-Escaut est communiqué aux autorités. En 1832, le canal de Croix est navigable jusqu’au pont de la rue d’Hem (carrefour Le Nôtre – Holden aujourd’hui).
 
En 1866, un projet de jonction avec la branche de Roubaix du canal (qui s’achève alors rue du Moulin) qui relie l’Escaut, prévoit le percement des hauteurs de Barbieux et un ouvrage souterrain sous celles-ci. Des travaux préliminaires en 1868 sont abandonnés à cause d’éboulements successifs et meurtriers. De ce fait, la liaison est repoussée au Nord vers Wattrelos et Tourcoing, Wasquehal, et rejoint la branche de Croix au lieu dit Plomeux Triest en 1877.
Les travaux de « promenade publique » sont entrepris dès 1878, poursuivis jusqu’en 1886, repris en 1903 pour la partie du territoire de Croix qui, des Calèches actuelles rejoint en diagonale, le secteur de l’église Notre-Dame de Lourdes (l’allée de Jussieu, aujourd’hui).
Il faut ici que nous revenions en arrière et que les terrains envisagés ou optionnés par Roubaix couvraient 235 hectares (la moitié du territoire croisien, Beaumont, Fer à Cheval, Barbieux, Frandres et breucq, le Créchet) furent réduits à 167, 80, 32 puis 14 hectares.
Les plans d’eau et cascades furent terminés en 1908. L’exposition de 1911 s’installe sur la partie esplanade-laiterie et ce n’est qu’en 1916 que sont définitivement fixées les nouvelles limites de territoires en 1919, percement du boulevard et de l’avenue Jaurès. (L’avenue de Jussieu et Le Nôtre existaient depuis 1910).
Les documents définitifs de ces nouvelles percées sont signés en 1925 par les deux municipalités. Dès 1921, les terrains laissés vacants par la démolition des pavillons de l’Exposition internationale furent lotis et bâtis d’immeubles bourgeois dont certains existent toujours.
 
Une petite anecdote pour la partie des secondes cascades actuelles. Cette campagne prolongée attendit jusqu’en 1976 sa configuration actuelle. Jusque là, le Thorein, humble ruisseau, né des ressuyages des terres de Beaumont, s’écoulait à ciel ouvert jusqu’en contrebas de l’avenue Le Nôtre et rejoignait la Marque sous le Fer à Cheval, en souterrain. A l’origine, (1909) le Mongy circulait Avenue Le Nôtre, Avenue Jaurès.
 
Le parc, lui-même, dessiné par Charles Aumont, grand architecte urbaniste parisien, fut agrémenté d’une statuaire importante d’hommes célèbres de Roubaix. La tour du Fer à Cheval, centre désormais la perspective des étangs, au-delà de la passerelle qui desservait un chalet des Mille colonnes, lui aussi disparu.
Jusqu’en 1903, la partie située jusqu’à la Marque (Holden) est tracée, nivelée, plantée. Le vélodrome est en exploitation de 1903 à 1909, les avenues de Jussieu, Le Nôtre sont carrossables (graviers), les « fabriques » de confort installées (les 1000 colonnes disparues font l’objet d’un projet de reconstruction- devenu La Laiterie (1907).
 
Entre 1866 et 1911 (1916 signatures), les terrains envisagés ont dégraissés de 246 ha à 14 ha… acquis par Roubaix. Les rocailles d’eau sont terminées en 1908.
L’exposition de 1911 (Fallières) s’installe depuis l’avenue de Jussieu et dans le quadrilatère compris entre la Duquenière, le Créchet et le Boulevard de Cambrai (Croix) les terrains sont rétrocédés en 1919 (derniers documents en 1925 confirmant la cession des terrains) après le percement de l’avenue Jean Jaurès (1916), et les cadastres modifiés pour la circonstance entre les deux cités Résidences bourgeoises et vers 1960 collectifs privés.
RAPPORT ADMINISTRATIF DE 1906
Comme suite aux vœux émis par le Conseil municipal, à différentes reprises déjà, le Service de la Navigation étudie la construction d’un pont dans le prolongement de la rue des Soies, pour faciliter les communications entre la Gare du pile nouvellement outillée et le Quartier du Laboureur.
L’amélioration du pont placé sur l’écluse du Sartel est également à l’étude. Un siphon a été construit sous le canal en juin 1906, pour déverser dans l’Espierre les eaux d’égout des quartiers en bordure de la route de Leers.
Le Canal de Roubaix est une voie navigable à bief de partage ; sa longueur totale est de 23 km 885 mètres, y compris les branches de Croix et de Tourcoing. Il joint l’Escaut à la Deûle par l’intermédiaire du Canal de l’Espierre ; il est, par conséquent, en communication avec les bassins houillers et les ports de mer du Nord. Les différences de niveau sont rachetées, du côté de la Deûle, par 7 écluses, du côté de l’Escaut, par 6 écluses. (Dont une en Belgique), qui toutes ont 5 m 20 de largeur.
Le canal de Roubaix, traversé par de nombreux ponts, a été livré à la navigation en quatre parties, savoir : La première comprise entre Croix et la Deûle, en 1832 ; la deuxième, entre Roubaix et la frontière, le 10 décembre 1843 ; la troisième, reliant les deux premières branches, le 1er janvier 1877, la quatrième (Branche de Tourcoing), le 1er octobre 1892.
 
Le tirant d’eau à l’étirage est de 2 m 20 ; la largeur du plafond est de 10 m ; la longueur utile des écluses est de 39 m 60. Le canal peut livrer passage aux bâtiments d’un tonnage de 375 tonnes.
Le canal est alimenté par les eaux de la rigole de dessèchement des marais de la Deûle, élevées jusqu’au bief de partage par les machines élévatoires situées à Lille près de l’ancienne écluse de Saint André.
Le mouvement de la navigation a suivi une progression rapidement croissante. La statistique donne les chiffres suivants : En 1877, le tonnage absolu a été de 164.062 tonnes ;
 
1878                             207.017
1890                             459.553
1896                             690.081
1906                             734.322
 
Les principales marchandises transportées 
Année Combustible   Matériaux de Produits          Produits          Divers, engrais, machines
                                   Construction   Industriels      Agricoles        flottage, bois à brûler
 
1898    334.103           111.836           30.794               96.555            30.966
1899    293.932           115.657           31.929             142.832           28.185
1900    295.447             96.956           39.626              77.072            31.810
1901    351.660             89.863           30.614              95.593            31.593
1902    375.550             73.279           26.514              91.206            29.107
1903    397.228           113.935           32.614             116.594           38.057
1904    353.421           123.125           26.563             153.879           57.701
1905    353.145             87.802           36.060             167.572           37.576
1906    362.924           108.664           17.720             192.203           52.811
 
 
LE PORT 
Le tonnage total du trafic du Canal de Roubaix, est supérieur de 52.167 tonnes à celui de 1905. Le tonnage des marchandises chargées ou déchargées dans les ports de Roubaix est inférieur de 59.954 tonnes à celui de l’année 1905. La ville de Roubaix a créé sur le canal, avec le concours de l’Etat, un port public qui rend de très appréciables services. Le mouvement total du port de Roubaix, proprement dit, compris entre le Pont du Blanc Seau et l’Ecluse du Galon d’Eau, a été : en 1898 de 313.913 tonne ; en 1899, de 288.165 tonnes ; en 1900, de 222.209 tonnes ; en 1901, de 259.134 tonnes ; en 1902, de 309.594 tonnes ; en 1903, de 331.752 tonnes ; en 1904, de 351.752 tonnes ; en 1905, de 345.170 tonnes ; en 1906, de 351.674 tonnes. Le tonnage des marchandises manutentionnées dans ces ports représente les 47,8 % de l’ensemble du trafic du canal.
 
Indépendamment du port de Roubaix proprement dit, il s’est créé, depuis quelques années, un mouvement commercial assez important dans le Port du Sartel dont le trafic distinct de celui du Port de Roubaix a été : en 1900, de 88.416 tonnes ; en 1901, de 95.599 tonnes ; en 1902, de 93.068 tonnes ; en 1903, de 85.111 tonnes ; en 1904, de 104.652 tonnes ; en 1905, de 100.406 tonnes ; en 1906, de 153.856 tonnes.
           
Le tonnage des marchandises arrivées dans ce port ou qui en ont été expédiées, représente en 20,9 % de l’ensemble du trafic du canal.
           
L’ensemble du trafic de la voie navigable, sur le territoire de Roubaix, ressort : en 1900, à 310.625 tonnes ; en 1901, à 354.733 tonnes ; en 1902, à 402.662 tonnes ; en 1903, à 416.863 tonnes, en 1904, à 456.623 tonnes ; en 1905, à 445.576 tonnes ; en 1906, à 505.530 tonnes.
           
Le tonnage total du mouvement de la navigation sur le territoire de Roubaix, représente les 68,4 % de l’ensemble du trafic du canal.
POURCENTAGE DU MOUVEMENT DES MARCHANDISES
 
Matières                                  Voie d’eau      Voie ferrée       Voie de terre               Total
Houille                                         34,1                    63,1                 2,8                               100
Matériaux de construction       40,9                    34,3               24,8                               100
Engrais                                      100,0                                                                                100
Bois                                             49,9                    37,5               12,6                                100
Industrie métallurgique            24,7                    71,6                 3,7                                100
Blé                                               93,0                      7,0                                                      100
Farine                                         34,7                     64,3                                                      100
Laine                                            4                        96,0                                                       100
Coton                                           5,2                     94,8                                                       100
Légumes                                                              100,0                                                       100
Fourrages secs                         12,2                    45,0               42,8                                  100
 
Sur les 40 ports les plus importants du réseau des voies navigables du Nord et du Pas de Calais, le Port de Roubaix occupe le 11e rang ; Les dix ports les plus actifs étant en 1906 !
 
1° – Dunkerque (sur le canal de Bourbourg, de Bergues et de Furnes) ; 2° – Béthune, port public ; rivages houillers, de Marles et de Bruay (sur le canal d’Aire) ; 3° – Vendin (sur le canal de la Haute Deûle, 1ère section ; 4° – Harnes (sur le canal de Lens) ; 5° – Denain (sur l’Escaut) ; 6° – Beuvry (sur le canal d’Aire) ; 7° – Violaines (sur le canal d’Aire) ; 8° – Lille ; 9° – Liévin (sur le canal de Lens) ; 10° – Auby (sur le canal de la Haute-Deûle, 1ère section).
 
 
LE CERCLE NAUTIQUE « L’AVIRON »
Créé en 1884, le cercle nautique de l’Aviron fut d’abord installé sur les rives du Blanc Seau, il déménagea en 1924 jusqu’au quai du Grimonpont pour pouvoir s’entraîner sur le bief du canal Sartel-Grimonpont. Les trophées de ce club furent nombreux, et le plus éclatant fut sans doute la victoire aux régates internationales de l’Exposition universelle de Paris en 1900, véritable course olympique avant l’heure.
 
 ECOLE MUNICIPALE DE NATATION
Inaugurée en 1880, l’école municipale de natation fut construite à deux pas du canal, sur un terrain de 13 700 m2. A la fin du siècle, l’administration municipale s’émut du manque de fréquentation de l’établissement qui accueillait 16 000 personnes en moyenne par an. Les installations furent supprimées en 1936.
 
 LA JEUNE CLARA
Les principales marchandises transportées sur le canal de Roubaix sont les combustibles, les matériaux de construction, les produits industriels et agricoles. Il faut, en plus, mentionner les deux bateaux qui font les transports à longue distance, des ordures ménagères provenant du service de l’ébouage de la ville. Un des bateaux affectés à cet usage a eu, jadis, son heure de célébrité. L’histoire, révélée par Monsieur Deschodt, un soir de séance du Conseil municipal, eut alors beaucoup de succès. Elle n’est pas tellement vieille qu’on l’ait oubliée, mais on la lira encore avec plaisir.
L’administration avait fait l’emplette, du temps épique où Monsieur Lepers présidait aux destinées de l’ébouage (ordures ménagères), d’un bateau baptisé la Jeune Clara. Ce bateau était occupé :
« A porter l’feumi d’l’ébouache
Au villache.
Y avot coûté tros mille francs,
C’hétot inn’ belle occasion,
Si y avot été nouveau.
Mais ch’étot du vieux bos ! »
La Jeune Clara fut une cause de grands déboires, à peine en service, on s’aperçut qu’elle ne méritait pas son beau nom,
« Car ell’ étot rempli d’crevasses
Dans s’ carcasse ! »
Il fallut la faire réparer et trois mille francs furent votés pour la remettre en état.
Par Théodore LEURIDAN
MEMOIRES DE LA SOCIETE D’EMULATION DE ROUBAIX
CINQUIEME SERIE, tome II, 1914

Le riez du Trichon

Il y aurait beaucoup d’ironie à appliquer ces vers aux Roubaisiens : le cours d’eau qui arrose leur territoire n’est pas une rivière, encore moins un fleuve et on les voit difficilement s’y désaltérer, mais enfin, ils en ont un et ils peuvent dire : « Mon verre n’est pas grand mais je bois dans mon verre ».

Roubaix tire son nom, si nous en croyons les étymologistes, de deux mots tudesques : Ross : plaine marécageuse et Bach ou Bais : ruisseau. Un mince filet d’eau serpentant au milieu des bois, à travers des prairies qu’il inonde à la mauvaise saison, tel était quand nos premiers ancêtres vinrent s’installer sur ses rives, le cours d’eau dont je vais vous tracer le parcours.

Quantum mutatus ab illo : ces bois où l’on croyait entendre les oréades répondre aux naïades – Ces près fleuris – Ce clair ruisseau où buvaient les colombes et où, au début du siècle dernier, on pêchait encore des écrevisses, si j’en crois les mémoires d’Henri Dubar-Ferrier. Tout cela a disparu, et ce clair ruisseau, serré dans un corset de briques, est devenu sur tout son parcours un égout qu’il serait difficile de poétiser.

Trichon est composé de deux mots : trierss ou tirss et on. « Trie – Tries – Triez » : (je cite Leuridan à qui d’ailleurs j’ai beaucoup emprunté) désigne un certain espace de terrain abandonné par les eaux d’un ruisseau ou formé par ses alluvions ; « on »  signifie eau, ruisseau. Trichon serait une appellation générique à qui l’usage a donné un sens particulier et qui s’est étendue au ruisseau même qui a produit le triez, au bois qui croissait sur ses rives et au hameau qu’il arrosait.

Notre riez est le riez de Favreuilles, qui se prolonge par le riez du Trichon, du Triechon ou Tricson. Il prend sa source près de la ferme Deldouille, située sur le territoire de Mouvaux, entre le chemin des Duriez et le Boulevard Carnot. Vieille ferme qui existait au 18e siècle, sous le nom de Cense Douille et qui garde encore en partie ses toits de chaume et son fossé mais qui disparaîtra bientôt car ses terres sont de plus en plus envahies par les constructions.

Il reçoit les eaux des fossés qui sillonnent d’une par les versants sud de la petite éminence sur laquelle est bâtie Mouveaux et de la butte qui supporte le réservoir des Bonnets et, d’autre part celles des fossés qui bordent le chemin des Duriez et la rue Lamartine jusqu’au Grand Cottignies.

On serait peut-être tenté de croire que le Riez a donné son nom au chemin des Duriez ou Ouriez. Il n’en est rien, car ce chemin aboutit à un lieu dit « Duriez » situé entre le boulevard de la Marne et la propriété de M. César Pollet où se trouvait au début du 18e siècle une cense du nom de Dury.

Le riez longe la rue des Lilas ; à cet endroit, il est encore bien modeste, car il ne représente qu’un fossé passant sous un trottoir. Il continue le long de l’avenue Gustave Grau dans les jardins compris entre cette avenue et la rue du Congo. Il forme la limite de la propriété actuellement lotie de M. Victor Vaissier, autrefois campagne de M. Bulteau-Lenglet et aboutit au canal. Quelques pans de murs indiquent encore l’emplacement du château de M. Bulteau au bord de la rue de Wasquehal en face de l’usine Noblet. M. Vaissier, qui était un grand amateur de chevaux, en avait fait de belles écuries.

Le Trichon traverse le canal dans un siphon : après sa résurgence, il circulait récemment encore à ciel ouvert sur un terrain qui longe le canal entre celui-ci et la rue Carpeaux à Wasquehal. Il fut recouvert il y a quelques années quand la maison Carette-Duburcq acheta le terrain pour servir de décharge. Il traverse la rue Carpeaux, puis la rue Lafontaine et arrive à la rue du Riez à qui il a donné son nom d’une façon certaine cette fois.

Autrefois, depuis la rue de Wasquehal à Mouvaux jusqu’à la rue de la Mackellerie, c’est à dire jusqu’à son entrée sur le territoire de Roubaix, il servait de ligne de démarcation entre Tourcoing d’un côté et les trois communes de Mouvaux, Wasquehal et Croix de l’autre. Cela n’est plus très exact car il a été canalisé et d’une façon malheureuse : le rétrécissement de son lit amène, par les grandes pluies, l’inondation du quartier. Il sert successivement d’aqueduc à la rue du Riez à une partie de la rue du Croix et à la rue des Trois-Villes.

Il pénètre sur notre territoire au carrefour de la rue de Constantine à Tourcoing, de la rue Boucher-de-Perthes à Roubaix et de la rue de la Mackellerie qui sépare les deux communes, passe sous l’usine Lemaire et Dillies, autrefois Richard Desrousseaux, à travers l’emplacement de l’ancienne usine Gaydet, traverse la rue du Luxembourg, passe sous l’usine des Anciens Etablissements Cordonnier, traverse le chemin de fer à cinquante mètres environ du pont des Arts, coupe la rue de la Digue et la rue du Vivier. Ces deux noms sont significatifs : le dernier volume de l’histoire des rues de Leuridan nous renseignera sans doute sur l’étang alimenté par le Riez à cet endroit.

Celui-ci arrive à l’ancien abreuvoir. J’ai dit que le riez avait failli être barré par le cadavre d’un baudet qui s’y était noyé, histoire qui a quelque analogie avec celle de la sardine bouchant le port de Marseille et qui me rappelle la triste fin d’un autre Martin. Il existe au n° 18 de la rue de Mouvaux, une maison basse, sans étage, qui est l’ancien « cabaret de l’Ane rouge » ainsi dénommé pour rappeler le sort d’un malheureux animal que son maître, sur le conseil d’un mauvais plaisant, enduisit de pétrole et grilla pour n’avoir plus la peine de le tondre.

Après sa traversée de la rue de l’Epeule, le riez passe sous l’ancienne usine Ernoult-Bayart, coupe le square Pierre Catteau presque le long du Tribunal de commerce, franchit la rue Mimerel en son milieu, passe à travers l’emplacement de l’usine Prouvost-Screpel, puis Georges Masurel, sous la teinturerie Auguste et Jean Dubar et rejoint la rue des Fabricants sous l’ancienne Ecole qui fait l’angle de cette rue avec la place du Trichon.

Autrefois, il arrosait à cet endroit « Le hamel », carrefour et amas de maisons appelé le Tricson qui faisait partie de la seigneurie de Favreuil et qui lui a donné son nom. Il serpentait à travers le bois du Trichon qui, vers le nord, arrivait jusqu’aux clôtures du cimetière de la chapelle Saint-Georges et des maisons bâties le long de la rue de ce nom. Ce bois, dont il y a cent ans, il existait encore des vestiges, contenait 2 bonniers, soit 2 hectares et demi (le bonnier est une mesure agraire de la Flandre Française qui, suivant les localités, valait de 122 à 142 ares). Ce bois a disparu depuis longtemps ; en 1649 il était déjà converti en labours. A cette époque, un sentier descendait de la Chapelle Saint-Georges et allait rejoindre, au hameau, le cabaret du Croque Chuque en passant le riez sur une simple planche.

Le long du riez, entre le Trichon et la rue Neuve, s’étendait encore en 1826 le Curoir, établissement où les ménagères du bourg faisaient curer leur linge moyennant finance et qui consistait en un pré sillonné de fossés desservis par le riez. Son souvenir est resté dans le nom de la rue du Curoir.

Ne quittons pas ce quartier sans signaler que lorsqu’il s’est agi de tailler un domaine à la seconde paroisse de Roubaix (à l’église Notre-Dame), le côté gauche du riez depuis la rue de la Mackellerie jusqu’à la rue du Bois en fixa la limite.

On se demande pourquoi, puisqu’il n’existait alors que deux paroisses, on n’a pas étendu la ligne de démarcation sur la rive droite : c’est qu’il n’existait encore en 1840, sur cette rive, que des fermes et quelques hameaux : Favreuil – Le Trichon – Le Pile – Les Trois Ponts. Jusqu’à la Révolution, tout le développement de Roubaix s’est fait sur la rive gauche. A cette époque, le riez constituait la limite de l’agglomération, depuis la place de la Liberté jusqu’à la rue de l’Epeule.

Le riez passe sous l’usine Deschepper, coupe la rue du Nord au n° 10, traverse la rue du Curoir près de la porte du Nord-Tourisme et arrive à la rue du Maréchal Foch en face de l’Automobile Club, à un endroit où une double plaque d’égout de chaque côté de la rue indique son passage et l’emplacement du second pont.

Il traversait autrefois la rue Neuve (rue Maréchal Foch actuelle) un peu plus haut, en face de la rue des Fabricants. Il y eut à cet endroit un premier pont qui fut remplacé par un autre, sans doute plus large et mieux adapté à la circulation. Je cite : « en 1727, on construisit un nouveau pont en remplacement du vieil pont sortant du Bourg allant vers le moulin ».

La déviation du Riez eut pour conséquence d’agrandir le jardin de l’hôpital sans déplacer toutefois l’arrivée des eaux dans les fossés du château. Le nouveau pont avait 45 pieds de longueur, soit environ 15 mètres. On pourra s’étonner d’une pareille importance, mais il faut supposer que le riez avait un débit très variable, puisque, mince filet d’eau parfois, il inondait à l’occasion les près de la grande brasserie et la plaine jusqu’à Wattrelos.

Certaines dénominations de lieu, comme autrefois la Digue du Pré et actuellement encore, la rue de la Digue, rappellent qu’il fallait parfois contenir ses eaux. Il n’a pas changé d’ailleurs et surtout depuis que son bassin est presque complètement couvert de pavés et de toitures : il ne peut y avoir de grandes pluies sans que les caves des riverains ne soient inondées.

En 1693, d’après un « cueilloir » d’impôts, le château comprenait dans son enclos « puy, beffroi, donjon, basse court, amasse de granges, écuries, estables, ponts  » et plusieurs autres édifices entourés d’eau, jardin de plaisance et pour la cuisine, le tout repris pour 2 bonniers.

D’après le plan qui nous a été laissé par Sanderus, l’ensemble formait un vaste rectangle aux coins arrondis, ayant approximativement 200 mètres de long sur 100 mètres de large. Le château se trouvait très probablement dans la rue du Château, prolongement de l’ancienne avenue du Château à l’endroit où la chaussée présente un léger renflement en face de l’ancienne maison de Mr Delannoy-Leroux, au n° 9. Le château était bâti sur une motte un peu élevée. Le domaine comprenait deux enceintes de fossés, une pour le château et l’autre englobant les jardins et la basse-cour qui se trouvait devant le château du côté de l’église. Le fossé extérieur dont nous nous occupons seulement était donc constitué par quatre parties droites. L’une le long de l’actuelle rue de la Poste, deux autres qu’on peut situer d’un côté, entre la rue du Château et la rue Jeanne d’Arc, parallèlement à ces rues, et enfin une quatrième au niveau de la façade du bâtiment de la chambre de Commerce sur la Grande Place.

Le Riez débouchait dans ce fossé à l’angle du quadrilatère après avoir contourné en remontant un peu vers Saint-Martin, le fond du jardin de l’hôpital.

Il s’échappait par l’angle diamétralement opposé qui se trouvait à l’endroit où les bâtiments de l’institution de la Sagesse donnent sur la rue de la Poste. Mais tout cela est de l’histoire ancienne, car du château et de ses fossés, il ne reste plus rien.

A partir de l’endroit du pont de 1727, il a été depuis dévié et transformé en aqueduc. Il tourne à angle droit, suit la rue du Maréchal Foch jusqu’à la rue de la Poste (ancienne rue de l’Union) fait encore un angle droit pour suivre celle-ci sur l’emplacement de l’ancien fossé jusqu’à l’institution de la Sagesse où il retrouve son cours à l’endroit où il servait autrefois de décharge aux fossés du château.

Il passe sous cet établissement, dessine un arc de cercle en passant dans l’ancien jardin de M. Léon Motte où il contournait à dix mètres environ du coin, le pavillon circulaire qui se trouvait autrefois à l’angle de la rue de la Sagesse et de la rue Jeanne d’Arc, traverse celle-ci en biais, passe sous les Halles, coupe la rue des Halles, traverse le pâté de maisons qui fait l’angle de la rue Pierre Motte et de celle-ci, traverse la rue Pierre Motte, passe derrière les maisons qui font face au boulevard Gambetta et arrive place de la Liberté à 50 mètres environ du boulevard. Il la traverse en biais, il longe la Banque de France.

Autrefois, il longeait un bois, le bois de Ribobus, qui allait des fossés du Château jusqu’au Saint-Sépulcre. Ce bois appartenait à la Chapelle du Saint-Sépulcre et à l’Hôpital Sainte-Elisabeth. En 1688, l’hôpital nomme un expert pour l’arpentage et la délimitation de la partie appartenant à chacun.

Quand on considère l’aspect du territoire de Roubaix à cette époque, on est frappé de l’importance de la partie boisée. Le bourg est entouré de bois qui devaient lui donner un aspect charmant : le bois du Trichon, le bois de Ribobus, le bois de l’Ommelet, le bois qui séparait le bourg du fief du Fontenoit, le Fresnoy, le Quesnoy.

L’Hommelet était un bois d’ormes, car l’Hommelet qui doit s’écrire sans h, en un seul mot, vient du latin olmus, orme, qui a donné olme puis lomme et lommelet, comme aulnoye, lieu planté d’aulnes a donné Lannoy.

Il y avait encore, en 1783, soit à la veille de la Révolution sur Roubaix, 70 ares 80 ca, soit environ 8 000 m² de bois, taillis, plus en arbres épars : 631 chênes, 25 414 ormes, 1 406 frênes, 2 132 bois blancs, 518 peupliers et 19 arbres divers, soit environ 30 000 arbres.

J’ai dit que le Riez traversait en biais la place de la Liberté. A cet endroit, après avoir franchi la rue de la grande brasserie, il limitait autrefois, à gauche le jardin du Saint-Sépulcre, et à droite, les près de la grande brasserie. En ce temps là, naturellement, la place de la Liberté n’existait pas. Quand on venait de Saint-Martin, on avait à droite, la rue de la Grande Brasserie, plus tard rue du Saint-Sépulcre qui était le prolongement de la rue Pauvrée. Cette rue était bordée à gauche par la chapelle du Saint-Sépulcre et par les bâtiments adjoints et, plus loin, par les jardins qui allaient jusqu’au Riez. La chapelle était située le long de la Grande Rue.

Quand le Saint-Sépulcre disparut, on créa à son emplacement la place du marché au charbon, et plus loin, vers le boulevard Gambetta, on bâtit une gendarmerie que ceux de mon âge ont connue. Le marché au charbon était ainsi appelé parce qu’au début du siècle dernier, le chemin de fer n’existait pas, les honorables commerçants de cette profession allaient aux mines d’Anzin. Les seules qui existaient alors, avec des tombereaux, ramenaient le charbon sur la place du marché, près de la chapelle du Saint-Sépulcre, mettaient le tombereau sur tréteaux, et attendaient le chaland. L’affaire conclue, on rattelait, et en route pour l’usine !

Le Riez recevait à sa gauche un affluent, le ruisseau amenant les eaux de la fosse-aux-chênes qui formait l’extrémité de la rue Pellart séparant ainsi Roubaix de son faubourg Saint-Antoine, passait derrière les maisons de la rue Pauvrée, traversait sous un pont la Grand’Rue qui prenait à cet endroit le nom de rue de Fourquencroix ou du Galon d’Eau, et longeait le domaine du Saint-Sépulcre du côté opposé à la rue de la Grande Brasserie. Le pont s’appelait Pont de Fourquencroix.

Le Seigneur de Roubaix percevait sur ce ponchel, comme sur le ponchel de la cauchie de la chaussé (rue Neuve), un droit de péage à charge d’entretien des dits ponts. Ce droit de péage, viage ou ponténage, consistait en deux liards par chariot étranger passant sur l’un des deux ponts.

Je ne sais à quelle époque ces ponts ont disparu, celui de Fourquencroix n’existait déjà plus en 1727, puisqu’à cette date, je cite : « on établit une nouvelle et plus grande buise pour la décharge des eaux venant de la fosse aux chênes à travers le parc de Fourquencroix ».

La Fosse aux chênes tire son nom d’un étang. Divers actes constatent aux cours du 17e siècle, des levées de corps noyés dans la fosse vulgairement appelée fosse-aux-chênes. Un hameau dit « près de l’Etang » existait à côté de ceux de la Basse-Masure, de l’Hommelet aux bois et de la Longue chemise. La rue des Sept-Ponts qui va de la place de la fosse-aux-Chênes à la rue de l’Hommelet, rue tortueuse comme toutes les anciennes chaussées, est un souvenir du petit cours d’eau qui amenait à la Fosse-aux-chênes les eaux du bois de l’Hommelet.

Reprenons le cours du riez. Après avoir reçu le ruisseau de la Fosse-aux-Chênes, il arrosait le domaine de Fourquencroix ainsi nommé parce qu’il se trouvait à l’endroit où la chaussée de Tourcoing à Lannoy par l’Hommelet traversait le chemin de Wattrelos, formant avec celui-ci une croix.

Il arrosait ensuite les fiefs de Beaurewart, de Beaurepaire, longeait la digue du Prêt. Actuellement, en quittant la place de la Liberté, il traverse les pâtés de maisons qui se trouvent entre la Grand’rue et le boulevard Gambetta, coupant ainsi dans leur milieu les rues Louis Catrice, Pierre de Roubaix, des 15 ballots et Nadaud, traverse l’emplacement du peignage Allard, passe sous l’ancienne usine Mulliez-Eloy, et atteint le canal ; il arrive au quai de Lorient où il traverse le canal dans un siphon à gauche de la porte de l’écluse.

Avant de traverser le canal il était encore à découvert il y a une quarantaine d’années, derrière une maison du quai de Lorient. Il donnait lieu à un métier qui se pratiquait aussi sur l’Espierre, près de la rue de l’Union à Wattrelos. Des gens ingénieux plantaient dans le cours d’eau des broches de fer en quinconce, la laine échappée des peignages avec les eaux de lavage s’accrochait à ces broches et la récolte donnait une honnête aisance à ces pêcheurs d’un genre particulier.

Un nommé Wallerand qui pratiquait ce métier quai de Lorient, faillit un jour d’orage, être entraîné sous le canal par une crue subite.

Après le canal, le riez circule à découvert, puis passe sous l’usine Carissimo, coupe la rue des Soies, passe sous le peignage Alfred Motte puis sous le chemin de fer, et finalement, après avoir encore circulé à découvert, va se jeter dans l’Espierre, à la limite du territoire derrière l’usine des alcools et levures de grains, anciennement Charles Droulers.

Les autres cours d’eau de Roubaix

Je ne veux pas terminer ce petit travail sans dire un mot des autres petits cours d’eau qui autrefois arrosaient le territoire de Roubaix et qui, maintenant, comme le Trichon, reçoivent beaucoup plus qu’ils ne donnent.

Le fief du Fontenoy avait son siège à l’endroit où fut bâti le château de M. Achille Wibaux. Ce sont les terres dépendant immédiatement de ce fief qui ont formé le parc autrefois considérable de ce château comme les terres du fief du Fresnoy ont constitué le parc immense (il avait bien une vingtaine d’hectares) du château de Mme Descat.

A la limite du fief du Fontenoy du côté de Tourcoing, coulait un ruisseau qui prenait sa source sur le versant nord de la butte de Mouvaux, derrière la propriété de M. Vanoutryve. La percée du canal de Tourcoing a diminué son domaine ; il ne reçoit plus que les eaux qui tombent dans l’angle formé par le canal de Roubaix et celui de Tourcoing. L’usine Mathon-Dubrulle est probablement son plus important fournisseur. Ce ruisseau traverse le boulevard, le chemin de fer, longe le canal et va se jeter dans l’Espierre près du boulevard des Couteaux. Il est encore à certains endroits découvert. Il y avait autrefois, à droite de l’ancien chemin de Roubaix à Tourcoing, sur le riez du Fontenoit, une chapelle : celle-ci, confiée aux soins de la confrérie de Saint-Joseph, prit le nom de chapelle de Saint-Joseph du Fontenoit.

Le nom de cette chapelle aujourd’hui disparue et qui a été remplacée par l’église Saint-Joseph, s’est insensiblement substituée à celui du Fontenoy et s’applique actuellement au quartier et au Riez.

Le Riez des Trois Ponts qui prend sa source sur le territoire d’Hem au bout de la rue Carpeaux, passait près de la « Petite Vigne », derrière la Potennerie ou plutôt Pontennerie, qui tient peut-être son nom d’un pont qui le traversait à cet endroit, alimentait les fossés de la ferme de Courcelles, traversait les hameaux du Pile et des Trois Ponts, et se jetait dans l’Espierre au Sartel.

Comme son territoire n’a été bâti qu’à une époque récente, où les idées de voirie, d’urbanisation étaient beaucoup plus développées que du temps de nos Pères, il a été dévié, rectifié, canalisé et n’est plus qu’un égout bien discipliné qui suit la rue Carpeaux, le boulevard de Reims, le boulevard de Mulhouse, fait un détour par les rues Victor Hugo, Alfred de Musset, des Trois Ponts et d’Anzin, puis traverse la gare de Roubaix-Wattrelos et se jette dans l’Espierre près du pont du Sartel après avoir passé sous le canal.

Il reste encore deux autres ruisseaux ; le courant de Maufait et le courant de Cohem qui, coulant parallèlement de chaque côté du boulevard Industriel en venant de la rue de Lannoy près de laquelle ils prennent leur source, se réunissent et se jettent dans l’Espierre à la limite de notre commune. Ces ruisseaux qui sont à découvert sur presque la totalité de leur cours, n’ont que peu de débit et pas du tout d’histoire.

On a dit que Roubaix devait son développement industriel à l’abondance de ses eaux, alors qu’il n’y passe aucune rivière et qu’au moment où l’industrie a commencé à prendre son essor, celle-ci n’avait comme ressource, qu’un faible ruisseau. Un teinturier s’était établi dans les dépendances du château pour en utiliser l’eau des fossés ; d’autres en étaient réduits à aller chercher l’eau dans des tonneaux autour des fermes. On a remédié à cette pénurie par l’adduction des eaux de la Lys moyen insuffisant et trop coûteux. Si Roubaix est peu fourni d’eau à sa surface, il a la chance de se trouver sur une cuvette du crétacé où viennent s’accumuler celles des environs, ce qui explique que chaque usine peut maintenant avoir son forage.

Le grand développement industriel de Roubaix n’aurait pas été possible si le progrès n’avait pas rendu aisé le percement des forages aux environs de cent mètres de profondeur ; sans eux, il n’y aurait pas eu les grands peignages et les grandes teintureries qui sont une des principales forces de Roubaix. Ce fait et celui de trouver sur son sol une excellente terre à brique (l’argile de Roubaix est particulièrement spécifiée dans la géologie de la région) sont peut-être des causes moins indirectes qu’on pourrait le croire, de sa prospérité.

J’ai fini. Il était difficile de vous intéresser avec l’histoire d’un seigneur d’aussi faible importance que notre Riez. Si j’ai réussi à ne pas être trop fastidieux, c’est en employant la fameuse recette de la soupe aux cailloux, c’est à dire en y ajoutant bien des choses. J’espère que vous excuserez mes digressions. Des détails, parfois futiles, m’ont paru avoir quelque intérêt pour notre histoire locale. 

Félix Delattre

Administrateur de la Société d’Emulation de Roubaix
Séance de la Société d’Emulation de Roubaix du 13 avril 1944

L’eau à Roubaix

Cette étude désire répondre à une question souvent posée mais jamais traitée : comment l’industrie textile a-t-elle pu se développer à Roubaix malgré le manque de voies de communication, le manque de matières premières sur place et surtout celle qui retiendra notre attention, le manque d’eau si nécessaire à toute entreprise industrielle ?
 
DE L’ARTISANAT A L’INDUSTRIE
La formation de Roubaix est un phénomène particulièrement artificiel. Elle provient d’une cellule de vie pratiquement négligeable, ayant vécu du travail de la terre et du labeur artisanal, lequel s’est trouvé favorisé, dans la suite des temps par la proximité du centre marchand de Lille.
Puis vient une époque pendant laquelle Roubaix, à la suite de luttes répétées dont la trace se trouve dans notre histoire locale, a réussi à se libérer de Lille pour travailler d’une manière indépendante. Elle a tiré parti elle-même de la matière première (coton et laine), qu’elle avait appris à connaître et à façonner. Mais pour passer de la production artisanale à la production industrielle, il a fallu toute la volonté et le courage des Roubaisiens.
Parmi les difficultés de l’expansion, il y eut d’abord les moyens de communication. Sans nous attarder, signalons que c’est en traçant eux-mêmes des routes vers Lille, Tourcoing et la Belgique, en favorisant le chemin de fer (première gare en 1842) que les Roubaisiens ont pu sortir de leur isolement. Du point de vue routier, au départ de Lille (auquel notre passé se rattache), les routes s’éparpillent dans toutes les directions : Tournai, Courtrai, le Littoral, en ignorant Roubaix. C’est tellement vrai qu’à la fin des deux guerres, les troupes libératrices atteignant Lille par le sud, ont continué leur progression vers Tournai, vers Courtrai et le littoral sans passer par Roubaix qui est à chaque fois resté une dizaine de jours dans un angle mort, ignoré des libérations !
 
CARTOGRAPHIE HYDROLOGIQUE ROUBAISIENNE
La deuxième cause défavorable à tout décollage industriel fut le manque endémique d’eau si nécessaire pour passer du stade de la manufacture à celui de l’usine. Le manque d’eau ne signifie pas absence complète d’eau, car la ville de Roubaix est bâtie sur une hauteur séparant la vallée de la Deûle, de la vallée de l’Escaut. Elle occupe le versant de l’Escaut sur 1 200 hectares et le versant de la Deûle sur 58 hectares. La presque totalité des eaux pluviales et résiduaires est donc envoyée dans l’Escaut par l’intermédiaire de l’Espierre.
Ce ruisseau prend sa source sur le territoire de Mouvaux, reçoit le riez Saint-Joseph situé tout entier sur Roubaix et par un parcours sinueux, se dirige vers la frontière belge. Il reçoit le ruisseau de Barckem puis le courant des Piats venant de Tourcoing, descend vers le sud et à 400 mètres de l’écluse du Sartel, reçoit le Trichon, principal émissaire des déjections industrielles de Roubaix, suit les canaux de Roubaix et de l’Espierre et au village d’Espierre, se jette dans l’Escaut.
 
Avec le riez de l’Espierre, nous avons :
– au nord le riez Saint Joseph
– au sud, le courant des Trois Ponts et le courant de Maufait
– à l’est, le courant de Cohem,
– au milieu de la ville, de l’ouest à l’est, nous avons le Trichon qui a été le berceau de Roubaix.
 
Le parcours du Trichon 
L’étymologie de Roubaix n’est-elle pas : Ross-Bach, le ruisseau aux roseaux ou aux chevaux ! Etant donné son importance dans l’histoire de Roubaix, il est bon de s’attarder sur le Trichon.
 
Il prend sa source près d’une ferme disparue, sur le territoire de Mouvaux. Il passe à la limite de la propriété Vaissier (le fameux roi du savon du Congo), puis sous le canal dans un siphon ensuite rue Carpeaux à Wasquehal, rue du Riez à Tourcoing et rue de la Mackellerie à Roubaix. Il passe sous l’usine Lemaire et Dillies, rue Boucher de Perthes, traverse la rue du Luxembourg, passe sous l’usine des anciens établissements Cordonnier, traverse le chemin de fer à 50 mètres du pont des Arts, coupe la rue de la Digue et la rue du Vivier (étang alimenté par le Trichon), arrive rue de l’Epeule à l’ancien abreuvoir, passe sous l’ancienne usine Ernoult-Bayart, coupe le square Pierre Catteau, la rue Mimerel et passe sous l’usine Prouvost-Scrépel et celle de Georges Masurel et sous la teinturerie Auguste et Jean Dubar. Il passe ensuite sous l’usine Deschepper, longe l’usine Delattre et coupe la rue Neuve près du siège de l’Automobile Club.
 
En 1727, il passait sous un pont à péage avant d’alimenter les fossés du château. Il tourne à angle droit par la rue de la Poste, passe sous l’école de la Sagesse, sous les anciennes halles, rue Pierre Motte, derrière les maisons du boulevard Leclerc et arrive place de la Liberté à 50 mètres du boulevard. Il la traverse en biais, longe la Banque de France. Il y avait autrefois, à sa gauche, un affluent, le ruisseau amenant les eaux de la Fosse aux Chênes, au lieu-dit Fourquencroix ainsi nommé parce qu’à cet endroit se trouvait la chaussée de Tourcoing à Lannoy par l’Hommelet qui traversait le chemin de Roubaix à Wattrelos formant ainsi une croix.
 
Continuant son parcours, le Trichon passe sous l’immeuble du CIL du Galon d’Eau, où se trouvait jadis le peignage Allard, arrive quai de Lorient et traverse le canal dans un siphon à gauche de la porte de l’écluse. Avant de traverser le canal, il était encore à découvert, vers 1900, derrière une maison du quai de Lorient.
Il donnait l’occasion à certains de pratiquer un métier que l’on retrouve aussi sur l’Espierre près de la rue de l’Union à Wattrelos. Des gens ingénieux avaient planté dans le cours d’eau des broches de fer en quinconce. La laine échappée des peignages avec les eaux de lavage, s’accrochait à ces broches et la récolte de la laine donnait une honnête aisance à ces pêcheurs d’un genre spécial.
 
Après le canal, le Trichon passe sous l’usine Carissimo, coupe la rue des Soies, passe sous le peignage Alfred Motte puis sous le chemin de fer et finalement va se jeter dans l’Espierre.
Nous avons là une explication certaine de la présence de tous ceux qui avaient besoin d’eau : les blanchisseurs, les apprêteurs, les teinturiers et par la suite ceux qui montèrent des machines à vapeur comme les filateurs.
 
L’EAU ET L’INDUSTRIALISATION
La première phase de l’industrialisation de la filature de coton commence en 1804 chez Grimonprez Père et Fils qui procédèrent à la première installation à Roubaix du système mule-Jenny. Mais l’installation était rudimentaire. Les métiers fonctionnaient au moyen d’une roue que le fileur faisait tourner lui-même. Les préparations étaient mises en mouvement par une grande roue qu’un homme faisait tourner. Dans les grands ateliers, le seul moteur était un manège à chevaux.
La progression de la filature changera du tout au tout quand les premières machines à vapeur ou pompes à feu, comme on le disait au début, furent introduites à Roubaix vers 1820.
De 1825 à 1830, le nombre passa à 30 unités. Les fabricants utilisaient pour la construction de leurs ateliers le fond de terrain derrière leur maison. Beaucoup s’installèrent, comme on l’a vu, dans la rue du Grand chemin, côté sud, car ils pouvaient utiliser l’eau du ruisseau du Trichon. Mais la multiplicité des machines à vapeur aboutit très rapidement à un certain assèchement des ruisseaux et des puits.
 
TROUVER DE L’EAU !
A partir de cette époque, la hantise de l’eau commença alors chez les Roubaisiens. Ce n’est pas le moindre sujet d’étonnement pour l’observation que le fait pour notre ville de Roubaix de s’être lancée dans l’industrie sans cet élément indispensable : l’eau.
Certains projets timides avaient proposé, au début du siècle dernier de recueillir les eaux des ruisseaux dans un étang artificiel, creusé dans « Le Pré de la Brasserie » (emplacement actuel de Roubaix 2000). Le projet n’eut jamais de suite. D’autres, sans faire de projets donnèrent leurs observations.
 
Ainsi un rapport de 1838, note que le riez du château (qui n’est qu’une dérivation du Trichon ) contenait : « de temps immémorial une eau claire et limpide » qui semble avoir perdu cette qualité.
 
Dans le même sens, huit ans plus tard, un rapport adressé au Maire, émanant de propriétaires de la rue du Grand Chemin, expose que : « Les eaux du riez du Trichon qui traverse leurs propriétés, eaux autrefois claires, limpides et potables même, sont devenues aujourd’hui bourbeuses et malsaines ». Une commission nommée pour juger du bien-fondé de cette réclamation, conclut, non sans raison, que      « c’est une conséquence inévitable du développement de la ville ! ». La multiplicité des manufactures naissantes avait d’abord presque vidé les ruisseaux, puis les avait transformé en égouts, mais la ténacité des Roubaisiens à trouver de l’eau leur en a fait chercher partout où cela était possible.
 
Le manufacturier Mimerel, venant d’Amiens, avait fondé vers 1820 sa filature à l’emplacement actuel du cinéma Casino, entre la Grande Rue et la place de la Liberté. Il voulait ainsi profiter des eaux du Trichon qui passe près des fondations. Désirant passer du manège de chevaux comme énergie motrice à la machine à vapeur, il se heurta comme beaucoup au manque de débit pour alimenter une machine grande consommatrice d’eau. Il fut un des premiers à faire un forage et fut très content de signaler à tous sa réussite. Il avait atteint la nappe aquifère des sables d’Ostricourt à une trentaine de mètres de profondeur. Mais, comme il avait fait des sondages avec des buses de bois, qui se sont détruites sous l’effet du temps, il dut recommencer en sondant plus profond dans le calcaire carbonifère.
 
LE CANAL DE ROUBAIX
Pendant que certains creusaient le sol, d’autres concevaient dès 1813 un canal qui traverserait le territoire reliant la Deûle à l’Escaut. Il fut livré à la navigation en quatre parties :
– la première entre Croix et la Deûle par la Marque en 1832,
– la deuxième entre Roubaix et la frontière belge en 1843,
– la troisième devant relier les deux premières,
– la quatrième partie fut la branche de Tourcoing en 1892.
 
La troisième partie connut de multiples avatars. Son tracé traversait Roubaix et devait rejoindre le tronçon numéro 1 à travers « La Montagne de Croix » (le boulevard de Paris actuellement) en un parcours souterrain. Des éboulements multiples firent abandonner les travaux. Par la suite la partie déjà exécutée fut comblée et donna le boulevard Leclerc et le boulevard Gambetta. Le reste du chantier fut converti en parc public : le Parc Barbieux.
 
Avant d’être comblée, cette partie du canal fit s’installer nombre de fabriques. Motte-Bossut avait choisi la rue de l’Union pour installer sa « filature monstre ». Il avait le Trichon à ses pieds et le canal devant sa chaufferie alimentant ainsi ses chaudières avec du charbon venant de Belgique. Quand plusieurs incendies (1845-1859) la détruisirent, il passa de l’autre côté du canal et à partir de 1853 construisit l’usine actuelle.
D’autres fabricants l’imitèrent et s’établirent le long du canal : Huet Tissage, Toulemonde-Destombes Filature, Allart Peignage de laine, Motte-Porisse Filature de laine, Motte-Meillassoux Peignage à l’entrée de la rue des Longues Haies. Il n’y avait pas de maisons à cette époque entre la fabrique et le canal.
Au départ, toutes ces firmes avaient tenté de prendre l’eau du canal pour alimenter leurs chaudières. Il fallut « mettre le holà », car le canal était pour la navigation des pondéreux et non pour l’alimentation en eaux industrielles.
 
L’utilisation de la machine à vapeur posait des problèmes d’installation, sans que soit résolu pour autant le problème de l’alimentation en eau.
 
EXTRAIT D’UNE LETTRE DE LOUIS MOTTE-BOSSUT A SA FEMME EN 1851
« Ne maudis pas nos machines à vapeur qui me font danser depuis longtemps. Elles sont sages et promettent de l’être de plus en plus, mais elles n’ont plus d’eau. Elles ont soif et souffrent de cette disette, elles marchent moins bien. Bref, depuis huit jours, je passe mon temps à faire faire des rigoles dans le fond du canal. Nous faisons couler les eaux d’un côté ; nous les rappelons de l’autre. La nuit détruit les travaux édifiés le jour, et, nous devons les recommencer le lendemain. Mais à l’heure qu’il est, cela marche et j’espère que cela va continuer à bien marcher ».
 
AUTRE LETTRE DE LOUIS MOTTE-BOSSUT A SA FEMME EN 1854
« … si j’ai le bonheur d’avoir de l’eau dans le canal pour marcher sans arrêt, je ferais tout ce que je pourrais pour passer huit jours à Blankenberghe avec toi… ».
 
ROUBAIX MANQUE D’EAU !
Alimenter en eau la machine à vapeur est une chose, rejeter les eaux usées en est une autre. Quand plusieurs filateurs demandent au Maire l’autorisation d’installer une machine à vapeur, le Maire leur envoie l’accord à condition de ne pas laisser écouler sur la rue les eaux provenant des dites machines. Mais à la suite des réclamations devant cette interdiction, le Préfet intervient le 2 juillet 1832 en écrivant au maire :
 
« Le Conseil, dans l’intérêt général, abandonne sa première opinion, se fondant sur ce que les fabricants ne pourraient être privés du droit commun de faire écouler leurs eaux sur la voie publique que dans le cas où cela présenterait des inconvénients soit pour la salubrité soit pour la propreté ; que les fontaines d’eau chaude que fournissent les pompes à feu rendront les plus grands services à la ville de Roubaix qui a besoin d’eau et qui dans l’été fait de grandes dépenses pour en faire chercher au loin , que ces fontaines donneront à la classe indigente un moyen commode de lessiver son linge, qu’elles offriront au voisinage de l’eau chaude pour des bains et assureront des secours en cas d’incendie, que ce serait nuire aux intérêts de tous et particulièrement des pauvres que de renoncer à un avantage aussi évident, qu’à la vérité ces eaux nuisent aux pavés pendant les grandes gelées mais qu’il est faux de remédier à cet inconvénient en imposant aux pétitionnaires l’obligation de faire réparer les dégradations que les eaux provenant de leurs machines auront occasionnés aux pavés ».
 
Cette suggestion de fontaine d’eau chaude resta lettre morte, par contre, vingt cinq ans plus tard, l’eau étant toujours à l’ordre du jour, la Chambre consultative de Roubaix revint sur le projet du canal en écrivant au ministre de l’Agriculture le 15 décembre 1857.
 
« … L’achèvement du canal… nous donnerait surtout l’eau que nous refuse notre sol asséché par des forages trop multipliés et que nous attendons seulement du niveau supérieur de la Deûle. La ville … attend avec anxiété que l’Etat, réalisant ses promesses, commence les travaux du souterrain. C’est à dessein, Monsieur le Ministre, que nous employons le mot anxiété, la position intolérable que nous subissons ne le justifie que trop. Nous touchons à la mi-décembre et l’eau nous manque à ce point que, soit pour les moteurs, soit pour les teinturiers et les lavages de laines, soit même our les usages domestiques, nos rues sont incessamment sillonnées par des charrois d’eau : l’eau est devenue une véritable marchandise dont la valeur influe sur le prix de revient des objets manufacturés… »
 
En 1858, un fermier a payé son fermage en vendant de l’eau provenant des fossés bourbeux de sa ferme !
 
LES EAUX DE LA LYS ET D’ANCHIN
Les années passent. Pas de succès du côté du canal et toujours trop peu d’eau pour alimenter les machines à vapeur. Le Maire de Roubaix s’oriente alors dans une autre direction : aller chercher l’eau dans un fleuve à grand débit. Le moyen le plus rapide et le plus sûr fut de s’adresser à une compagnie qui se chargea de puiser l’eau dans la Lys et de s’entendre avec Tourcoing qui avait la même préoccupation. La question fut mise à l’étude. Elle n’aboutira que six ans plus tard. Elle donna lieu, en 1863, à une cérémonie d’inauguration qui se déroula dans un enthousiasme bien compréhensible.
 
Pourtant, ce n’était là qu’une demi-mesure, car cette eau qui amenait à Roubaix les odeurs de rouissage du lin, était impropre à la consommation ménagère. Elle satisfaisait toutefois les besoins de l’industrie. Celle-ci trouva un appoint dans la continuation de percement de forages nombreux qui allaient chercher à des profondeurs toujours plus grandes pour les épuiser, les nappes souterraines de la région. La tradition nous dit que, lorsque les usines de Roubaix sont en grève, l’eau remonte dans les puits à Tournai !
 
Pour avoir enfin de l’eau potable, on se décida à creuser un forage à Anchin, et il y eut alors à Roubaix de l’eau industrielle venant de la Lys et de l’eau potable venait de Pecquencourt (1896).
 
Quand le problème de l’eau fut enfin résolu, il y eut, avant la guerre de 1914, un changement d’énergie. Ce fut l’électricité qui entraîna la disparition lente mais sûre de la machine à vapeur au profit du moteur électrique pour chaque métier, pour des raisons d’économies et d’autonomie.
Seules les grandes entreprises de lavage de la laine, de blanchisseries, de teintures et d’apprêt continuèrent à avoir certains problèmes avec l’eau. Beaucoup d’usines préfèrent actuellement avoir leurs propres forages plutôt que l’eau courante qui est de plus en plus onéreuse.
 
En conclusion, nous pouvons louer la ténacité des Roubaisiens qui surent répondre à un besoin aussi essentiel que l’eau ; ils utilisèrent les riez naturels qui parcouraient la ville, particulièrement le Trichon, creusèrent des forages de plus en plus profonds, insistèrent pour avoir un canal sur lequel les manufacturiers avaient fondé beaucoup d’espoir et qui leur apporta finalement beaucoup de déceptions. Ils sont ensuite allés chercher l’eau de la Lys pour l’usage industriel, puis l’eau artésienne à Pecquencourt pour l’eau potable.
 
Bibliographie :
Pierre BRUYELLE « Les Grandes Villes Françaises, Lille-Roubaix-Tourcoing » in La Documentation Française n° 3206 3 juillet 1965.
Félix DELATTRE « Le Riez du Trichon » in Mémoires de la Société d’Emulation de Roubaix, Tome 35, 1961.
Gaston MOTTE, « Roubaix à Travers les Ages », 1946
Gaston MOTTE « Motte-Bossut, une époque 1817-1883 », lettres de familles
Théodore LEURIDAN « Histoire d’Archives de l’ancienne Chambre Consultative des Arts et Manufactures de Roubaix 1805-1872 » Reboux 1879.
 
 

Les moulins à vent

Des moulins à vent (soit à farine, soit à huile), il y en a eu à Roubaix, bien que, de nos jours, il n’en reste plus aucun vestige. Détrônés par la machine à vapeur puis par l’électricité, ils disparurent comme les terres agricoles sur lesquelles ils se dressaient, terres agricoles qui furent inexorablement absorbées par le prodigieux développement de l’industrie textile au cours du XIXe siècle.
La connaissance de l’histoire des moulins à vent de Roubaix est très fragmentaire. Jacques Prouvost, regretté président de la Société d’Emulation de Roubaix et Jean Bruggeman, président de l’ARAM, ont, en leur temps, réalisé une étude sur ce sujet. Je me suis inspiré de leurs travaux pour cet article.
 
Les Archives départementales du Nord conservent des registres « d’octroi de moulins » c’est à dire des permissions de construire. Ces registres mentionnent, sur Roubaix, au XVIe siècle, l’octroi d’un moulin à huile à Jehan Farvacques, en 1534, celui d’un autre moulin à huile à Michel Casteel et en 1603 d’un moulin à blé à Philippe Destombes.
 
En 1635, Sanderus fait figurer sur sa gravure deux moulins dans le lointain
 
Le moulin à vent le plus ancien et le plus connu de Roubaix est le moulin seigneurial mais dont on ne sait à quelle époque il avait été construit et qui se situait en haut de la rue Jean Moulin actuelle. Jean IV de Roubaix en percevait la dîme féodale tandis que la dîme ecclésiastique allait au Chapitre de la cathédrale de Tournai. En 1649, le meunier qui occupait la cense et le moulin se dénommait Mathias Jonville. En 1828, le meunier était un nommé Durot (décédé en 1848) tandis que le propriétaire était M. Mimerel Delaoutre. En 1853, le moulin fut acquis par le meunier Louis Mullier Bayart (décédé en 1883) et il construisit, en 1856, une maison puis, en 1858, un moulin à vapeur, le tout fut démoli en 1869. On reconstruisit le moulin, une tour maçonnée, en 1870, rue de Barbieux. Ce moulin cessa son activité en 1882, transformé en « tour féodale » par l’adjonction d’un couronnement de créneaux et de mâchicoulis, il servit d’ornement au parc de M. Masurel sur lequel fut tracée, dans les années trente, la rue Anatole France. Le  « moulin »  subsista jusque dans les années soixante où il fut démoli lors de la construction de l’école Anatole France. Le moulin seigneurial avait donné son nom au chemin puis à la rue qui y menait : « rue du Haut Moulin » jusqu’en 1867 puis « rue du Moulin », appellation qui a été modifiée, en 1966, en « rue Jean Moulin » !
 
D’autres moulins à vent se dressèrent sur Roubaix, au XIXe siècle, car la Révolution en supprimant les privilèges en avait rendu la construction libre. Le plan de la commune de Roubaix du 25 vendémiaire de l’an XIII (17 octobre 1804) fait figurer six moulins. Le premier était le moulin seigneurial que nous venons d’évoquer.
 
Deux autres moulins se situaient à droite de la « route du Fresnoy » sur la hauteur près de la gare actuelle. En 1812, ils sont mentionnés dans le tableau indicatif des moulins : l’un à 18 mètres de l’axe de la route, l’autre à 12 mètres. Ils appartiennent alors tous les deux à M. Fremaux Benjamin, rentier à Tourcoing. Le moulin à blé disparut peu après cette date, tandis que le second, destiné à la fabrication d’huile, appartenait en 1828 à Louis Fremaux, cultivateur à Tourcoing. L’occupant était M. Farvacques Fremaux dont la veuve acquit le moulin en 1829. Ce moulin fut démoli en 1840, peut être à la suite des travaux de construction des voies de chemin de fer et de la gare de Roubaix (1842).
 
Le quatrième moulin à vent, à farine, était édifié à la ferme des Hauts-Champs, à la limite de Hem. En 1828, il appartenait à Mme Veuve Jean Baptiste Jonville. Lorsqu’il cessa son activité, le moulin était la propriété de Louis Agache.
 
Le cinquième moulin s’élevait près de la ferme de Beaurewaert, non loin de la rue de Beaurewaert et de la rue de Lannoy. Ce moulin à farine sur pivot appartenait à la famille meunière Fournier. On lui adjoignit, en 1851, un moulin à vapeur qui sera démoli en 1878 tandis que le moulin à vent avait disparu en 1864.
 
• Enfin, le sixième moulin avait été édifié non loin de la Caisse d’Allocations familiales actuelle, il était destiné à broyer les écorces de chênes destinées aux tanneries et appartint à M. Bernard Duthoit, marchand de charbon. Il brûla dans les années 1850. Ce moulin avait donné son nom à la rue : « rue du Moulin Bernard » puis « rue du Moulin brûlé ». En 1871, cette rue prit le nom de « rue Bernard ». Le souvenir du moulin fut aussi, un temps, conservé par MM. C. et J. Bernard, épiciers en gros, rue de Lannoy, qui avait donné comme enseigne à leur commerce : « Au Moulin Bernard ». Tout cela disparut dans les années soixante lors de la démolition du secteur de la rue des Longues Haies.
Docteur Xavier Lepoutre
Vice-Président de la Société d’Emulation de Roubaix
Membre de la Commission Historique du Nord
                                    
 
Bibliographie :
Leuridan Théodore, Les rues de Roubaix, Mémoires de la Société d’Emulation de Roubaix, Cinquième série, tome II
Prouvost Jacques, Jean Bruggeman, A propos des Moulins de Roubaix, Rencontre avec les Moulins à vent de Roubaix, bibliothèque municipale de Roubaix, n°8 septembre 1983.  
  

Les réservoirs d’eau

Quand l’activité textile roubaisienne est passée, au début du XIXe siècle, du stade artisanal au stade industriel, le problème des besoins en eau s’est très vite posé. En effet, sur le territoire de Roubaix ne coulaient que quelques ruisseaux dont, en particulier, le Trichon qui naissait à Mouvaux et aller se jeter dans l’Espierre à la limite de Wattrelos. Résumé de façon très grossière, son tracé suivait, sur Roubaix, la rue du Grand Chemin puis le boulevard Gambetta.

 L’EAU A ROUBAIX

Au moment où les premières machines à vapeur arrivèrent à Roubaix, vers 1820, un certain nombre de filateurs s’installèrent le long du Trichon mais cela entraîna son assèchement et sa transformation en ce que l’on appellerait aujourd’hui : « un égout à ciel ouvert ».

L’industriel d’origine amiénoise, Auguste Mimerel, confronté au manque d’eau, fut l’un des premiers à avoir l’idée de réaliser un forage. Son expérience fut fructueuse et il fut imité par un certain nombre de manufacturiers.

Alors que certains allaient chercher l’eau en profondeur, d’autres l’amenèrent en surface en créant un canal qui devait relier la Deûle à l’Escaut. Un premier tronçon fut ouvert, en 1832, entre la Deûle et Croix ; un second, en 1843, entre la frontière belge et Roubaix. Ces deux tronçons devaient se rejoindre par un tunnel creusé «  sous la montagne de Croix » ( le boulevard du Général de Gaulle actuel ) mais la friabilité du terrain et les éboulements qui s’en suivirent firent renoncer à ce projet. Le canal s’arrêta, sur Roubaix, au niveau de l’emplacement actuel du Monument aux Morts.

En 1861, un décret impérial décida de faire passer le canal sur des terrains plus propices au Nord de Roubaix. Ce tracé qui assurait la jonction fut ouvert en 1877. Le bras mort, entre le pont Nyckes et le bas du boulevard du Général de Gaulle fut comblé progressivement à partir de 1880 et transformé en nos boulevards Gambetta et Leclerc actuels. Mais, auparavant, un certain nombre d’usines s’étaient installées le long du canal : le Peignage Allart, la filature Motte-Bossut, l’usine Motte – Porisse … Cependant l’eau du canal devait servir au transport des pondéreux et non à alimenter les chaudières à vapeur. En temps de pénurie, l’eau était apportée par charroi.

En 1857, le Maire de Roubaix s’orienta dans une autre direction : aller chercher de l’eau dans un fleuve à grand débit. On choisit la Lys. Le Maire de Roubaix associa à son projet celui de Tourcoing. L’eau de la Lys arriva à Roubaix et Tourcoing le 15 août 1863, jour de la fête de l’Empereur. L’inauguration eut lieu « en grande pompe ». Cette eau était impropre à la consommation ménagère mais satisfaisait aux besoins de l’industrie. Quelques jours plus tard, fut inauguré à Tourcoing, le service des Eaux de Roubaix-Tourcoing sous la direction de l’ingénieur qui avait suivi les travaux jusque là : M. Varennes. Cette Société eut pour tâche de construire les réservoirs destinés à stocker cette eau qui devait servir à l’industrie.

LES RESERVOIRS D’EAU SUR ROUBAIX

 • Le réservoir du Fontenoy

Le premier réservoir d’eau industrielle de Roubaix fut construit, en 1863, par M. Varennes dans le quartier du Fontenoy entre les rues de la Lys et de Cassel. Ce réservoir est contemporain de ceux des Francs, à Tourcoing, et leur ressemble quelque peu. Il est de type «  tour cylindrique maçonnée » avec une cuve en fonte à fond concave de 1600 m3. Les arcs du soubassement sont en plein-cintre et un travail de brique surmonte la maçonnerie.

Un deuxième réservoir fut construit en 1878, à peu près du même type mais plus bas, il fut démoli plus tard en raison d’une mauvaise étanchéité des joints des plaques de la cuve.

 

Les réservoirs de Huchon

Situés sur le point le plus haut de Roubaix, à proximité du Lycée Baudelaire actuel et de l’hospice de Barbieux, les quatre réservoirs à eau du Huchon sont alignés, semblables deux à deux, le long du boulevard Lacordaire. La cohérence actuelle masque une histoire mouvementée où se succédèrent constructions, démolitions et même effondrement. Auguste Binet, ingénieur directeur du Service des Eaux de Roubaix-Tourcoing, fit construire dans un premier temps, en 1887, le réservoir Est ( le second à partir de la gauche). Il réalisa ensuite, de part et d’autre, deux châteaux d’eau à l’allure très proche de nos châteaux d’eau modernes en « champignon » mais avec une cuve métallique. Le soubassement était sans aucune ornementation. En 1893, lors de la mise en eau, l’un des deux réservoirs s’effondra inondant le chantier de l’hospice de Barbieux à la grande surprise des entrepreneurs qui s’attendaient peu à une inondation sur le point culminant de Roubaix.

En 1895, M. Binet remplaça le réservoir effondré par un château d’eau identique au premier qu’il avait édifié en 1886 et qui n’avait, jusque là, posé aucun souci tandis que le second nouveau réservoir ne servira que partiellement rempli. Le réservoir reconstruit ne sera achevé qu’en 1902 soit deux ans après la mort de M. Binet.

Les réservoirs de 1886 et de 1895 sont d’une architecture très soignée : des pilastres colossaux scandent des travées percées de baies sur deux étages. La baie du rez-de-chaussée possède un linteau métallique orné de rosaces, les baies du premier étage sont en plein cintre. Une bande lombarde court en corniche. Le matériau employé en majorité est la brique, matériau régional, mais on lui a adjoint la pierre de Soignies et des briques vernissées ce qui donne aux bâtiments un joli aspect polychrome.

En 1930, M. Nourtier, ingénieur-directeur, fit démolir le réservoir déficient restant, construit par son prédécesseur, et édifia deux nouveaux réservoirs placés aux extrémités. Ces deux réservoirs furent construits en béton armé. Les cuves de 1700 m3, couvertes, reposent sur des poteaux et des poutres en béton. Toute cette structure est cachée derrière des façades non porteuses scandées également de pilastres colossaux. Les très hautes baies sont coupées au niveau du passage du rez-de-chaussée au premier étage par un bandeau décoré du blason des Villes de Roubaix et Tourcoing.

En 1968, la Communauté urbaine de Lille a repris le service des Eaux de Roubaix-Tourcoing et depuis 1986, la Société des Eaux du Nord est concessionnaire de la distribution des eaux. Cette Société qui a en charge le patrimoine, a réalisé entre 1990 et 1993 une rénovation très soignée des réservoirs du Huchon. Enfin, en août 1998, en raison de leur grand intérêt architectural, les quatre réservoirs ont été inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.

De nos jours, l’eau ne vient plus de la Lys mais de la nappe phréatique et l’industrie est beaucoup moins « gourmande »  en eau qu’autrefois : la consommation est passée de 26 000 m3 en 1926 à 5000 m3 en 2002.

                                                                           

Bibliographie

Jacques Prouvost : L’industrie textile de Roubaix face au manque d’eau, Société d’Emulation de Roubaix, septième série, Tome I, Tome XXXVIII de la collection

Béatrice Auxent : Les réservoirs d’eau de la métropole lilloise 1860 – 1930 Nord

Itinéraires du Patrimoine n° 102

Théodore Leuridan : Les rues de Roubaix, Mémoires de la Société d’Emulation de Roubaix – Cinquième série, tome II ( tome XXX de la collection )