n°7 Sommaire septembre 2009

n°7

Éditorial par Bernard Schaeffer et Gilles Maury p.5

Panthéon roubaisien Pierre Auguste Mimerel, Comte de Roubaix par Félix Delattre p.6 à 8

Histoire

Cinq siècles de congrégations religieuses (3eme partie) par Xavier Lepoutre p.10 à 15

La marque du coq (histoire des marques déposées) par Philippe Waret p.16-17

Dossier

Football ! un siècle de ballon rond des crusaders au Futsal par Philippe Waret p.18 à 27

Roubaix et les muses

Rémi Cogghe et l’illustration des traditions populaires Dominique Valin-Piteux p.28 à 32

Une idylle, unique roman de Gustave Nadaud par Jean Jessus p.33 à 35

Patrimoine disparu

Le marché du Minck, place du Trichon par Xavier Lepoutre p.36-37

Les pages du service culture de la mairie

La première exposition du CIAP par Philippe Louguet p.38-39

Cahier spécial patrimoine

Le temple, le couvent des Clarisses et l’école Renan par Xavier Lepoutre et Gilles Maury p.40 à 45

Abonnement, adhésion, anciens numéros p.46

Les fondateurs de la grande industrie

(NB : D’après les travaux de recherche de Georges Teneul, Président de la Société d’Emulation de Roubaix, Histoire économique de Roubaix – Réflexions sur notre temps, 1962)

DYNAMISME ET EQUILIBRE

La liberté commerciale absolue, reconnue intangible, ouvrait la voie aux individualités fortes bien décidées à utiliser toutes les chances qui leur étaient offertes par la législation nouvelle. Ne s’attardant pas à observer les faits, les fondateurs de la Grande Industrie, hommes d’action avant tout, s’engageront avec ardeur dans le système économique libéral dont ils feront le succès. En examinant la liste des Egards et des Maîtres drapiers de l’Ancien Régime, on relève peu de leurs héritiers parmi les notabilités industrielles du XIXe siècle. Rarement, en effet, la conjoncture a été plus favorable aux empiristes dégagés des souvenirs anciens ; ils forcent le destin, alors que les attardés, timides, supputent leur chance et la laissent passer.

Les figures marquantes du XIXe siècle industriel à Roubaix seront celles de chefs de file, bâtissant leurs entreprises au jour le jour, prêts à saisir toutes les occasions heureuses. A la manière des découvreurs de terres inconnues, ces pionniers adoptent la machine à vapeur, les métiers mécaniques à filer et à tisser, entreprennent des voyages de prospection et appliquent dans leurs usines les moyens de production nouveaux. C’est l’époque où les héros de Balzac jonglent avec les lettres de change que l’extension du crédit fait circuler à travers les grandes villes de commerce. Et Daumier nous livre avec Robert Macaire, flanqué de Bertrand, la caricature de ce monde d’affaires.

Mais à Roubaix, les chances de la fortune sont exploitées avec plus de modération et de sagesse et souvent avec mesure. Les créateurs de la Grande Industrie, possédaient non seulement du talent, mais cette sorte de génie divinatoire, apanage des hommes neufs aux muscles solides et à la tête froide.

 

L’APPORT DES RURAUX

Autour du cœur de la cité, la campagne toute proche a fourni à la Manufacture les bras courageux et les cerveaux clairs dont elle avait besoin. La promotion nouvelle avait préparé son ascension dans le calme du sillon et la patience d’un labeur séculaire tenace et fécond. Ainsi, les cadets de l’Ancienne France retournaient à la charrue et, après ce contact avec la terre tutélaire, leurs ascendants réapparaissaient au premier plan. La création de la Grande Industrie fut une œuvre de force et de santé. La relève, fournie avant tout par le monde rural, possédait une confiance à toute épreuve

L’historique des censes de Roubaix est évocateur à cet égard. Les Spriet, Mulliez, Lecomte, Leuridan, Pollet, Dubar-Delespaul, Lefebvre, Prouvost, sont tous descendants de cultivateurs. Les ruraux, autant que les ouvriers de qualité ont fondé la grande industrie. Certaines usines importantes ont été construites au cours du XIXe siècle, sur l’emplacement ou à proximité des terres que cultivait, la veille encore, l’ancêtre immédiat ou le nouveau manufacturier. « Si nous nous penchons sur l’origine de la plupart des hommes qui, de nos jours, se sont distingués, nous découvrons derrière eux, une longue ascension et une longue patience. » Ainsi s’exprimait, très justement, Jacques Bainville, dans son discours de réception à l’Académie Française. La claire vision des nécessités de l’heure animait la race des bâtisseurs de nos usines. Les cheminées que, successivement, ils élèveront dans le ciel de la cité, constitueront autant d’actes de foi dans la pérennité de leurs fondations. Ces hommes ne connaissaient pas la crainte des lendemains. Dans ces heures de plénitudes, une race est forte, elle ne cherche pas à maintenir, mais à créer et à poursuivre, en la développant, la tâche entreprise. Qui ne vise qu’à durer, porte déjà dans ses flancs, les traces de la destruction. Par là, la vie opère des coupes sombres ; elle porta des coups mortels aux entreprises de l’Ancien Régime et la sélection continue.

DE QUELQUES-UNS D’ENTRE EUX

Alexandre Decrême (1) qui, en précurseur, entreprit après 1789 la fabrication des tissus de coton, était fils d’ouvrier et la génération suivante, ses descendants, s’allieront aux familles les plus notables. En 1819, un modeste artisan fonda la firme Hannart Frères, l’une des maisons d’apprêts des étoffes qui comptait à la fin du XIXe siècle parmi les plus importantes du monde entier. Emile Roussel débuta à 14 ans dans l’industrie. En 1865, il aida sa mère à créer une petite teinture et fonda une firme de grande renommée. La firme Wibaux-Florin, qui connut son apogée au XIXe siècle, fut fondée en 1810 par un cultivateur aisé. Né le 16 février 1787, à la ferme de la Mousserie, Hippolyte-Joseph Wibaux épousa Félicité Florin, fille de Pierre-Constantin Florin, premier maire de Roubaix et sa descendance figure parmi les dynasties industrielles du XIXe siècle. Cette firme se spécialise dans les tissus de chaîne coton et de trame de laine peignée et son effacement par la suite doit être attribué à un changement de mode. Ce sont les créations nouvelles qui poussent au zénith les maisons modestes ; mais ce sont elles aussi qui, plus tard, les écartent du succès.

La famille Prouvost est originaire de Wasquehal. Elle occupait une situation rurale de premier plan avant la Révolution. Le Chanoine C. Lecigne écrivit une biographie du poète Amédée Prouvost, dans laquelle il peint en traits brillants, le grand-père de l’écrivain. « Il aimait voyager. Un beau jour, il monta à cheval, il parcourut la France, s’extasiant devant les paysages, s’arrêtant à la porte des usines, mêlant dans ses carnets des impressions d’artistes et des notes d’affaires, exemplaire inédit du Roubaisien à la fois aventureux et positif… Il crée le peignage mécanique de la laine, il lutte dix ans contre les préjugés populaires, les obstinations intéressées et la concurrence étrangère. A force de raison, de calme bon sens, d’efforts continus, il développe l’industrie nouvelle, groupe deux mille ouvriers autour d’elle et dote Roubaix du plus grand établissement de peignage de France. C’est un grand citoyen en même temps qu’un grand industriel. » (2)

Louis-Joseph Brédart épousa en 1754, Anne-Marie Lepers, issue d’une famille rurale très considérée dès le XVIe siècle. De ce mariage naquit, entre autres enfants, Louis-Antoine-Joseph, lequel continua la descendance. L’un de ses enfants, une fille, Pauline, épousa Jean-Baptiste Motte, d’une famille urbaine de Tourcoing, et dont la profession de marchand laisse supposer une profession de négociant en laines. La postérité de la famille Motte-Brédart prend un rôle de premier plan dans la création de la grande industrie de Roubaix. L’aîné Louis Motte-Bossut fonde la filature de coton la plus considérable pour l’époque et fait preuve, au cours de sa carrière industrielle, d’un esprit d’entreprise exceptionnel qui s’est perpétué dans sa descendance. Son cadet, Alfred Motte, se destinait tout d’abord au notariat. En secondes noces, il avait épousé Léonie Grimonprez, fille de Eugène Grimonprez, le promoteur à Roubaix de la filature de la laine peignée et l’un des hommes les plus actifs de la nouvelle promotion industrielle. Après un premier échec, il construit un véritable complexe industriel textile englobant tous les stades de la fabrication, du peignage au tissage. Il fit participer à son succès de multiples associés. Sa formation juridique favorisa sa réussite et après quelques entreprises hasardeuses, il prit soin de limiter ses risques par une clause résolutoire.

Eugène Motte-Duthoit, Maire de Roubaix, de 1896 à 1908, est issu de ce mariage. Tandis que la famille Grimonprez s’est effacée, la filiation d’Alfred Motte-Grimonprez occupe présentement encore une importante situation industrielle. Les descendants de Motte-Brédard joignaient à un sens précis des réalités, une activité débordante. Louis Motte-Bossut disait la nécessité « de diriger son affaire personnellement ». « Il faut valoir quelque chose par soi-même, sans chercher trop de distraction en dehors ». Déjà gravement malade en 1882, Alfred Motte-Grimonprez poursuivra sa tâche jusqu’à sa mort, en 1886. Devant une telle ardeur qu’il eût fallut modérer, on constate qu’il est plus dur de rester inactif que d’entreprendre de grandes actions.

Dans ce Roubaix en plein développement économique, le hasard des mariages amena bien des changements de situation. Dans le discours qu’il prononça en 1927, lors de l’anniversaire de la naissance d’Alfred Motte-Grimonprez, son fils, Eugène Motte-Duthoit raconte de quelle façon son aïeul Jean-Baptiste Motte « en prenant à travers champs le chemin le plus court, cueillant pavots et bleuets pour former un bouquet de fiancé pour Pauline Brédart qui habitait Tourcoing, s’arrêtait en chemin à la grande ferme Ducatteau pour parler amicalement avec la fille du fermier. Cette ferme était la première sur le territoire de Roubaix et s’étendait du pont Vanoutryve au Conditionnement et au pont Saint-Vincent-de-Paul. « Marie Rose, vous êtes trop maligne pour rester fermière disait-il à cette jeunesse, vous devriez vous marier avec un fabricant et vous feriez belle carrière ». Et cette prédiction s’accomplit. Elle épousa M. Lefebvre et la Maison Lefebvre-Ducatteau, sous sa direction, devint l’une des premières maisons de la Fabrique de Roubaix. Elle commandita plus tard, en 1852, la Maison Amédée Prouvost, les premiers peigneurs de Roubaix et les plus réputés, et Henri, Jean et Louis Lefebvre ont hérité de l’esprit délié et entreprenant de Marie-Rose ».

En 1820, Louis Dubar épouse Marie-Joseph Delespaul, à la ferme du Hutin et fonde une importante entreprise. La famille Bayart était originaire de la ferme de l’Hornuyère de Wattrelos. Pierre-Joseph Bayart épouse en 1798, Sylvie Lefebvre et le jeune ménage s’installa comme fabricants. Dans leur descendance, on retrouve les Bayart-Cuvelier, Bayart-Lefebvre, Ernoult-Bayart et maintes autres familles qui ont fait carrière brillante dans l’industrie.

En 1853, les frères Dillies installent quelques métiers à tisser. Véritables vulgarisateurs du tissage mécanique à Roubaix, ils seront en 1860, propriétaires de 400 métiers. Simple tisserand, Julien Lagache devient un remarquable fabricant. François Frasez installe des métiers à tisser dans des maisons construites à cet usage (chaque maison recevait quatre métiers) et inaugure ainsi une méthode qui a été reprise avec succès dans d’autres régions. Commentant l’exposition de 1853 et s’arrêtant au nom de MM. Eugène Grimonprez et Cie, Théodore Leuridan dira qu’il a été frappé « du grand nombre de maisons inconnues jusqu’ici ».

A partir de 1850, la plupart des affaires se montent en associations à cause du coût élevé des industries mécanisées. De plus, la direction d’une usine exige la présence à peu près constante des patrons. Pour leur permettre de rester à leurs affaires, des maisons de commissions sont fondées. C’est M. Bossut qui fonda la première maison du genre. Par la suite, la Manufacture s’efforcera de se passer de leurs services.

Les frères Delattre, industriels avisés, Henri qui fut Maire de Roubaix en 1848 et Louis épousèrent respectivement Adèle et Pélagie Libert, filles du fermier de la Potennerie. Fondée en 1827, leur entreprise avait pris rapidement un développement considérable. La veuve Libert épousa en secondes noces Pierre Pollet-Delobel de Sainghin et leur descendance honore de nos jours encore l’industrie roubaisienne. La Maison Toulemonde-Destombes, fondée en 1820 trouve son origine dans un tissage à la campagne et il est fort probable, comme ce fut le cas de plusieurs industriels dont le fondateur mena tout d’abord de pair la culture et le tissage, que la ferme ne fut délaissée qu’après emprise sûre dans la manufacture.

On pourrait poursuivre des recherches en ce sens. « Il n’y a aucune maisons ayant tenu quelque place à Roubaix qui n’ait eu ses fondements dans une connaissance approfondie de la matière et du métier » écrit M. Gaston Motte dans son Histoire de Roubaix. La grande industrie fut fondée par une promotion nouvelle, artisans parvenant au patronat de souche roubaisienne ou immigrés, mais, le plus souvent, les industriels du XIXe siècle sont d’origine rurale.

Ces hommes nouveaux, ancrés sur la réalité, osent tout risquer et tout entreprendre. Leur tournure neuve de pensée et d’action a édifié la cité moderne. Les hautes cheminées dominaient de véritables fiefs industriels. « Plus riche en outils qu’en fonds d’Etat, l’héritier ne pouvait s’évader », dira Eugène Motte lors de l’inauguration de l’Hôtel de Ville, le 30 avril 1911.

1 Ancienne famille notable qui avait connu un effacement momentané.

2 Chanoine C. Lecigne : « Amédée Prouvost ».

Les festivals de Jean Prouvost

Le village d’Yvoy le Marron a encore le souvenir de Jean Prouvost venant là tous les week-ends ; il fait son tour dans le village, avec son teckel, sur le bras ou sur les genoux (la mascotte d’Intexa !). Il participe au banquet des Anciens. Un maire attentif pendant 25 ans.
Sa propriété, Saint Jean, date de la guerre 14 ou des soldats canadiens installés dans la région pour couper des sapins, ont construit une maison “Saint Jean” qui ressemble à un chalet de leur pays.
Il y a deux festivals par an. En juin, le festival lui-même et en septembre, la fête des fleurs, avec son feu d’artifice, le tout est public. Pour cet événement, Jean Prouvost fait toujours venir les équipes de Paris Match (son magazine) et attire les meilleurs artistes. Le chapiteau contient 4 à 5 000 places.
Les reportages montrent en juillet 1966, Jean Prouvost, dans une prairie, face à Guy Lux qui anime le jeu des vachettes.
En septembre 1968 les vedettes sont Marie Laforêt, Richard Antony. L’après-midi, on regarde le tournoi de catch. Jean Prouvost est au premier rang. Il suit les Jeux de Midi aussi, c’est un reportage Evelyne Pagès. Autour d’eux les gens du village regardent avec tendresse et un peu fascinés, le “Patron”, heureux et élégant comme d’habitude, abrité sous un parasol.
Les meilleurs artistes ou sportifs interviennent : les Harlem Globe Trotters en juin 1971, Thierry Le Luron, qui imite Jean Nohain, Adamo, Darry Cowl, Claude François, Johnny Halliday, comme le premier ministre Chaban Delmas. La chanteuse Séverine figure au programme (un grand prix de l’Eurovision un peu oublié), SIM est là aussi pour la fête des fleurs.
On ne se lasse pas de parcourir les éphémerides du Festival et ses autres têtes d’affiches : en juin 73, à Saint Jean, une photo de groupe rassemble Gérard Lenormand, Mireille Mathieu, Thierry Le Luron, Mike Brant. Le spectacle est réalisé par Gilbert Carpentier. Cette année-là : le bal du Moulin Rouge, les jeux de la case trésor RTL, le Rugby à XV et le Rugby à VII avec Walter et Claude Spanghero !
En 1973 aussi, les Frères Ennemis, Dalida, Julien Clerc, … en 1974, un baptême de l’air en Hélicoptère et des vedettes toujours : Yves Lecocq, Michel Sardou, Stone et Charden, Carlos, Fabrice …
En juin, 1975 les Blue Bell Girls du Lido. En juin 1976, Patrick Sébastien, Dave, Gilbert Bécaud, Les “Parisiennes”.
En 1977, c’est la fin des festivals, Jean Prouvost décède en novembre 78.

Jean Prouvost, patron de presse

Tous ceux qui l’ont approché ont été subjugués, Jacques Séguéla en témoigne :

 « Match » fut ainsi mon université en communication. L’amphithéâtre s’appelait  » bouclage « . C’étaient les deux heures fatidiques hebdomadaires où Jean Prouvost, en personne, changeait la face de son journal en scrutant celle du monde. … L’instant qui faisait l’actualité. Des quatre coins du monde, nous ramenions de quoi remplir plusieurs fois l’édition de la semaine. Nous étalions le tout sur la moquette de son bureau. Jean Prouvost allait d’un article à l’autre, l’acceptant ou le refusant, d’un revers de canne, avec une violence qu’il ne maîtrisait pas. Mon journal s’appelle Match, hurlait-il, parce que la presse est un combat et vous ne montrez que de la guimauve. La photo n’est pas une illustration. C’est une information. Foutez-moi tout ça à la poubelle! Mes lecteurs ont besoin de choc, pas de chic. »

Surprenant assemblage de grand bourgeois et de poulbot, il savait se mettre à l’écoute de ce qu’il appelait « le trottoir », cet homme et cette femme de la rue dont il percevait les désirs et les besoins. Ce crocodile avait une âme de midinette et la midinette une âme d’aventurier … » (1)

Sa personnalité marque à la fois le textile et la presse durant près de … 70 ans. Pourtant on parle de lui en oubliant que son activité a été aussi  remarquable avant la guerre, qu’elle ne le fut après la guerre, quand à 60 ans, il poursuivit sa nouvelle carrière pendant 30 ans encore.

Son rôle dans le textile est clairement celui d’un créateur ! Il n’a pas  » reçu  » ce que des ancêtres lui auraient légué. Il a lancé lui même ! Certes, au début,  il a bien imaginé de prendre une place d’associé et gérant dans le groupe Prouvost créé par les deux familles Prouvost et Lefebvre en 1850… surtout après avoir épousé Germaine Lefebvre, mais les Lefebvre se sont opposés à sa venue pour des raisons d’équilibre entre les des deux familles : « un Prouvost pour un Lefebvre ». Il va donc créer  avec un sens marketing éblouissant un secteur qui n’existait pas dans le groupe : le fil de laine à tricoter. Ce sera « la Lainière » sous la marque : Laines du Pingouin, vendues en franchise et qui vont devenir leader sur le marché. Il en confiera la gestion à son fils Jackie et à des grands collaborateurs de talent comme Marc Midol.

Son « come back » après la guerre est impressionnant. Il concerne cette fois son groupe de Presse. Sa période d’avant guerre a été déjà très fructueuse avec les créations que l’on connaît : Paris Soir, Marie Claire, Match… mais c’est avec un acharnement exceptionnel qu’il se remet au travail en 1947 (il a 64 ans ! ) après trois ans de clandestinité, pour reconstituer un nouvel empire : ce seront Paris Match, Marie Claire, Télé 7 Jours, Parents, … sans compter la reprise du Figaro, un défi de taille.

Contrairement à ces fins de règnes douloureuses, surtout dans le textile (Le groupe textile Prouvost SA a fermé en 1999), son groupe de presse a trouvé une relève dans les mains de ses petites-filles. Si le nom de Prouvost est encore connu en 2000, c’est bien grâce à la presse dirigée aujourd’hui par sa petite fille Evelyne du Groupe Marie Claire.

Les collaborateurs de Jean Prouvost dans leurs livres de souvenirs (Marcel Haedrich, Hervé Mille et surtout Philippe Boegner dans son passionnant « oui Patron »), son neveu Albert Prouvost (« toujours plus loin ») ou le Who’s Who du XXe ont largement évoqué son parcours et sa personnalité

Jean (Jehan) PROUVOST est né à Roubaix en 1885 et décédé et inhumé à Ivoy-le-Marron (Loir-et-Cher), en 1978. Il est le fils d’Albert Prouvost-Devemy. Il épouse donc en premières noces en 1905, à Roubaix (Nord), Germaine Lefebvre, petite fille d’Henri Lefebvre-Mathon. Il attendra d’être veuf en 1973 pour épouser en janvier 1974 à Paris, Elisabeth Danet qui l’a accompagné toute sa vie. De son premier mariage, il a un fils Jacques (1906-1960) père de ses cinq petites filles.

Coté textile il sera bien sur gérant de la Lainière de Roubaix mais aussi gérant du Peignage Amédée Prouvost et Cie, créé par son grand-père, puis PDG de la Lainière de Roubaix-Filatures Prouvost-Masurel, cogérant de Prouvost et Lefebvre. L’ensemble devenu Prouvost  S.A.

Il entame sa carrière de journaliste ou plutôt de patron de presse dès 1917, à la demande de Clemenceau et de Louis Loucheur (son compatriote et ministre). Il leur rend le service d’acheter un journal défaitiste, Le Pays, pour le seul motif de le saborder. En 1924, toujours conseillé par Louis Loucheur, il crée la Société française d’information et de publicité dans le but d’acquérir un journal financier, Paris-Midi, mais, cette fois-ci, c’est pour l’adapter à une nouvelle clientèle et le développer.

Dix ans plus tard, Paris-Midi est devenu le grand journal de la mi-journée. En 1930, il acquiert avec Ferdinand Beghin, le quotidien Paris-Soir. Il s’adresse au grand public en recrutant des écrivains et de grands journalistes (Pierre Lazareff, Hervé Mille, Paul Bringuier…) et développe l’usage de la photographie.

En neuf ans, de 1930 à 1939, Paris-Soir passe de 70 000 exemplaires à plus de trois millions et dans le même temps, l’édition hebdomadaire Paris-Soir-Dimanche tire à plus de 2,4 millions d’exemplaires. Puis il crée un grand magazine d’actualités, Match (précédemment hebdomadaire sportif qu’il a racheté, toujours à parts égales avec Ferdinand Beghin, au groupe l’Intransigeant) et un magazine féminin, Marie Claire.

En 1940, du 5 au 16 juin, il entre au gouvernement en tant que ministre de l’Information dans le cabinet Paul Reynaud, où siégeait aussi de Gaulle puis, favorable à l’armistice, il devient Haut-Commissaire à la propagande française du 19 juin au 10 juillet 1940, dans le cabinet du maréchal Pétain, dernier cabinet de la IIIe  République. Après le vote du 10 juillet 1940 donnant au maréchal les pleins pouvoirs, il démissionne et se replie à Lyon en zone sud jusqu’en 1943, créant l’hebdomadaire Sept Jours.

Mais les Allemands continuent de faire paraître le journal sous l’occupation. Après la Libération, il est poursuivi en tant qu’ancien ministre du maréchal Pétain et les Autorités lui refusent de reprendre le titre et les bureaux de Paris-Soir. En 1947, il bénéficie d’un non-lieu. Il a 62 ans et s’apprête à retrouver sa place dans la presse !

Le rebond date de 1949, il relance l’idée du Match d’avant la guerre avec un nouvel hebdomadaire de reportages et de photos en noir et en couleur, toujours avec les Béghin ; c’est Paris-Match.  Toujours avec eux en 1950, il prend une large participation dans le Figaro rachetée à Madame Cotnaréanu, ex-femme du parfumeur François Coty. Ils reprennent le solde en 1965.

Dès 1953, Il relance Marie Claire qu’il préside, puis, en collaboration avec Hachette, créée l’hebdomadaire de télévision Télé 7 jours. Dix ans plus tard, c’est la Maison de Marie Claire et en 1969, Parents. En 1966, Il  rachète avec le groupe Hachette une participation dans la compagnie luxembourgeoise de télédiffusion Télé-Luxembourg et en devient administrateur délégué.

En 1970 : il rachète à Ferdinand Béghin toute la participation qu’il détient dans le Figaro mais ne s’entend pas avec l’équipe de la rédaction. En 1975, supportant encore des charges financières trop importantes, il cède le contrôle du Figaro à Robert Hersant et, en 1976 vend à la Librairie Hachette la plupart des autres titres de son groupe, dont Paris-Match, Parents et Télé 7 Jours, toutefois il lègue à trois de ses petites-filles le mensuel Marie Claire.

Maire depuis 1951 d’Ivoy-le-Marron, dans le Loir-et-Cher, il y décède en 1978, à l’âge de quatre-vingt-treize ans. Durant les années 60 et 70, grâce à son entregent dans la presse, il fait venir à Ivoy-le-Marron, pour la fête de la commune, les artistes les plus connus de France et de Navarre, de Claude François à Johnny et Sylvie, de Bécaud à Mireille Mathieu sous la houlette de Gilbert et Maritie Carpentier. Ces années-là, le Festival dYvoy le Marron, village de moins de 500 habitants, étonne la France entière.

Coté textile, les difficultés vont commencer au début des années 1970. « La Lainière » gère 25 sociétés telles que Pingouin, Stemm, Rodier et Korrigan, Prouvost-Masurel, les tissages Lepoutre. Elle se transforme en holding en 1973 (groupe V.E.V.) ; elle représente alors 2,4 milliards de chiffre d’affaires. Mais le secteur du fil à tricoter entre en crise et l’expansion du groupe à l’étranger (Espagne, Tunisie, Hong-Kong, Porto-Rico) se révèle onéreuse. En 1977, « La Lainière » annonce 200 licenciements. Malgré une restructuration (fermeture du site de Tourcoing et rapatriement de toute la production à Roubaix), l’entreprise reste en difficulté.

La suite de la Lainière tourne ensuite au drame : en 1980 Christian Derveloy, directeur de « La Lainière », obtient la fusion des sociétés Amédée Prouvost, Prouvost-Lefebvre et la S.A.I.T sous la raison sociale Prouvost S.A. Ce groupe éclate en 1986 en deux sociétés distinctes. Le secteur vêtements (Rodier, Vitos,  Stemm…) constitue la société « Intexal ». « La Lainière » ne conserve plus que la branche filature (fils à tricoter Pingouin, Welcomme, Pernelle, industriel de bonneterie et tissage; filiale Christory). Elle représente encore 1,5 milliards de chiffre d’affaires.

Ce chiffre s’effondre au cours des années 1980. Malgré des tentatives de redressement, les ventes de laine à tricoter, qui représentent 40 % du chiffre d’affaires, diminuent de moitié en 1988-1989. Les effectifs se  réduisent au rythme des cessions et des fermetures de sites : 3000 ouvriers en 1988, 2000 en 1989 puis après un nouveau licenciement de plus de 750 personnes, un plan industriel est mis en place. Sont privilégiés le réseau Pingouin (laine et pulls), avec moins de points de vente; le fil industriel, avec une forte réduction de production.

Mais ce plan ne suffit pas à redresser la situation. En 1991, « La Lainière » doit encore licencier 200 salariés. En juillet 1991, Pierre Barberis, nouveau P.-D.G. de Prouvost S.A., décide de spécialiser ses entreprises dans la confection. « La Lainière » (sans la marque Pingouin, qui a été filialisée) est désormais en sursis au sein du groupe. Les effectifs passent à moins de 1000 employés entre 1991 et 1993. Cette situation aboutit à la vente de « La Lainière » en juin 1993 : elle est rachetée par la filature de l’Espierre, société belge dont le directeur, Filip Verbeke, se spécialise dans le rachat d’entreprises en difficulté dans le Nord de la France.

En décembre 1999, La Lainière de Roubaix et ses derniers 208 salariés, rendent les armes  comme l’exprime Yves Durand de façon très poétique dans la Voix du Nord : « Le monument érigé par Jean Prouvost en 1912 vivra ses dernières heures dans la sérénité, embrassant furtivement un millénaire que plus personne n’osait lui promettre.  Quelques mois plus tôt, le Peignage Amédée Prouvost et ses 130 salariés avait déjà fermé ses portes. C’est la fin d’une grande affaire industrielle et humaine. »

A ce moment, en 2000, les magazines du Groupe Marie Claire qui se sont développés à l’International sous la direction d’Evelyne Prouvost-Berry, sont déclinés en 52 éditions à travers le monde, dans 34 pays, sur 5 continents et en 18 langues …

(1) Jacques Séguéla « autobiographie non autorisée » 2009

Pierre Wibaux, le cow-boy d’amérique

Pierre Wibaux, après avoir achevé son service militaire au 14ème dragon fait un long séjour en Angleterre dans le but de se préparer à entrer au sein de l’entreprise familiale. Mais, dans ce pays, il rencontre des explorateurs qui lui parlent des charmes de la vie d’éleveur aux Amériques.

Au printemps de l’année 1883, au lieu d’entrer dans la fabrique, il décide de partir au Canada avec 50 000 francs et va s’installer sur les bords de la rivière des Castors sur le territoire du Montana. Après avoir pris possession du sol, il part acheter son premier troupeau.
L’année suivante, en 1884, il revient en Europe, se marie avec Mile Nelly Cooper et se procure des capitaux afin de développer son élevage. A son retour dans le Montana, il commence la construction d’une maison et, pendant qu’il l’achève, il se réfugie avec sa jeune femme dans une cabane faite de troncs d’arbres où ils vivent un an.
C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Théodore Roosevelt qui deviendra Président des Etats-Unis de 1901 à 1908. Celui-ci possède aussi un « range » et vit sur la prairie qu’il parcourt avec Pierre Wibaux. En 1886, Pierre Wibaux bâtit à l’endroit où il s’est fixé la première fois une maison coquette et confortable. Son exemple est suivi et bientôt de nombreux cottages s’élèvent. Une ville nait, à laquelle les habitants donnent le nom de « Wibaux ».
A partir de 1890, il établit son installation principale : un « range » immense dans les états du Montana et du Dakota. Dans ces vastes prairies, il possède jusqu’à plus de 50 000 têtes de bétail. En plus de son activité d’éleveur, Pierre Wibaux occupe également la fonction de Président de la Banque Nationale de Miles-City dans le Montana. Il fonde aussi à Forsythe une nouvelle banque nationale dont il est également président. A ce titre, il sera certainement le seul Français qui ait droit de signer des billets de banque aux Etats-Unis.
Il est encore président d’une société qui exploite une mine d’or située dans les montagnes noires du Sud Dakota. Cette compagnie est appelée la « Clover Leaf Gold Mining Company ». Les actionnaires, par reconnaissance envers Pierre Wibaux, donnent à la ville qui se crée autour de la mine le nom de « Roubaix ».
Bien que très sollicité par ses nombreux amis, Pierre Wibaux refuse toujours de prendre la nationalité américaine. Il demeure fidèle à la ville de ses ancêtres et s’inquiète du bien être de ses habitants. En effet, il figure parmi les premiers souscripteurs de l’hôpital de la Fraternité et, en 1903, il écrit à l’administration municipale de Roubaix en promettant une somme de 25 000 francs pour : « établir des fermes modèles dont le lait pourrait être distribué dans les meilleures conditions aux familles nécessiteuses ».
Car, à cette époque, plus d’un nouveau-né sur cinq meurt avant l’âge d’un an. Cela est du, en grande partie, aux mauvaises conditions d’hygiène de l’alimentation. Les biberons ne sont pas bouillis, quelquefois rincés et remplis d’un lait douteux. Afin de lutter contre cet état de fait, un comité roubaisien de protection de l’enfance s’est créé en 1897. Le don de Pierre Wibaux permet de développer l’action de ce comité qui crée alors l’oeuvre de la « Goutte de lait ». Cette oeuvre a pour but de promouvoir l’allaitement maternel et fournit aussi aux mères qui ne peuvent allaiter un lait sain et contrôlé.
Pierre Wibaux est nommé président d’honneur de l’oeuvre, qui est ouverte au n°12 de la rue de Lille, le 1er février 1904.
Quelques mois auparavant, Pierre Wibaux avait été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur. Il meurt le 21 Mars 1913, à Chicago, des suites d’une intervention chirurgicale. Un mois auparavant, pressentant peut-être une issue fatale, il avait écrit : « C’est à Roubaix que je compte les affections les plus sûres et mon coeur, malgré toutes mes pérégrinations, est encore associé au pays natal ». Ensuite sa famille rentrera en France et se fixera à Paris. De son union avec Nelly Cooper est né un fils : Cyril Wibaux.
(NB de mai 2019 / Un autre article, plus développé, a été publié sur le même sujet par Samuel Facq en mars 2016 dans le numéro 20 de Gens et Pierres de Roubaix)

Henri Selosse, ou l’origine du musée de Roubaix

par Les Veilleurs
Henri SELOSSE naquit à Tourcoing en 1857 d’une famille modeste. A 14 ans il entra au service échantillonnage de la firme Lorthiois frères où il se fit rapidement remarquer par son ardeur au travail, son dynamisme et son sens du commerce. C’est pourquoi on lui confia une fonction commerciale qui l’amenait chaque jours rue de la Fosse-aux-Chênes à Roubaix où plus de 50 entreprises représentaient des clients possibles pour les laines de la firme Lorthiois.
 
Sa réussite fit de lui un des piliers de la maison à tel point qu’on lui offrit de partir pour Buenos Aires en République Argentine comme acheteur de laines. Il se révéla très vite un excellent négociateur, n’hésitant pas à explorer les provinces éloignées pour se procurer des matières de qualité à des prix avantageux. Lors de ses retours à Tourcoing, il confortait sa réputation mais il comprit vite que son indépendance seule lui permettrait de tirer le maximum de ses capacités.
 
Il quitta donc la firme Lorthiois et s’installa à Roubaix pour créer un Négoce de laines pour la vente des produits que le réseau de relations qu’il avait tissées en République Argentine lui permettait de se procurer. Son affaire prit rapidement un bon développement et Henri Selosse put donner libre cours à ses goûts d’esthète et cultiver ses relations qui étaient nombreuses à Roubaix, dont il avait fait sa ville d’adoption.
 Ame d’artiste, il encourageait les peintres et s’était constitué une collection de tableaux qu’il était fier de présenter à ses amis.
Quand la guerre de 1914 éclata, il n’envisagea jamais de quitter Roubaix alors qu’il en avait la possibilité mais choisit de rester sur place pour veiller sur son entreprise et ses collections. Homme généreux et de tempérament énergique, il contribua à soutenir le moral de ses concitoyens. En 1915 il fut l’un des 131 otages arrêtés le 1er Juillet et déportés à Gustrow en Allemagne. Il s’y montra un compagnon plein de courage et de fraternité.
Cette épreuve fut toutefois préjudiciable à sa santé. A son retour de captivité, il ressentit les premiers symptômes de la maladie qui devait l’emporter le 1er Septembre 1923. Les funérailles d’Henri Selosse furent célébrées à l’église Saint Martin et son corps fut inhumé à Tourcoing, sa ville natale.
N’ayant pas de famille, Henri Selosse avait décidé dès Janvier 1923 de léguer toutes ses collections à la ville de Roubaix. Dans ce but, il avait rédigé un testament par lequel il léguait à l’Etat, à titre perpétuel pour la Ville de Roubaix, ses meubles d’art et ses tableaux. Parmi ceux-ci se trouvait le célèbre tableau de Rémy Cogghe, « Combats de Coqs en Flandre », que tout le monde connaît.
Le 7 Décembre 1923, l’Administration municipale décida d’exposer ce témoin de l’Histoire des arts roubaisiens dans l’Hôtel de Ville où il fut longtemps présent aux regards des visiteurs au troisième étage du bâtiment. Les autres tableaux avaient été déposés au Musée de la Ville.
 
 

Eugène Mathon, Patron du Textile

Beaucoup ont entendu parler de l’entreprise MATHON et DUBRULLE mais peu connaissent la personnalité du fondateur Eugène MATHON, un bourgeois catholique entreprenant, sorti du tableau de REMBRANDT « Le syndic des drapiers », un homme qui a dominé l’industrie de la laine en France comme AKYO MORITA domine la firme SONY aujourd’hui. Un patron en avance sur son temps dans beaucoup de domaines et qu’il convient de resituer dans l’histoire de son époque.

Né sous le Second Empire, il en connaît la chute, puis sa vie se déroule pendant la 3e République, parlementaire. avec ses gouvernements changeants. Il est contemporain de la Révolution industrielle, de ses transformations sociales, des idéologies nouvelles, du développement du catholicisme social; il connaît la Belle Epoque, la guerre 1914-1918, les difficultés de l’après guerre, la reprise économique, la grande dépression des années 30 et la montée des fascismes…

Eugène MATHON un patron issu d’une famille de tradition textile 

Au Moyen Age un bourgeois du nom de Jehan MATHON s’installe à Arras pour la fabrication de draps fins, que continue son fils. Ce dernier chassé sous Louis XI, s’implante à Avesnes-le-Comte en 1479 où il établit un peignage, un tissage, une filature de laine et de lin… Plus tard, le grand père d’Eugène, Henri MATHON, vient à Roubaix en 1832 après avoir épousé une roubaisienne en 1800, Adélaïde Lepers. Son père, prénommé aussi Henri est fabricant de tissus, c’est lui qui est à l’origine des écoles libres de Roubaix, il épouse Céline Warembourg.

Eugène est le 3e fils de ce mariage, né le 21 décembre 1860 à Roubaix. Son éducation est essentiellement humaniste, à base de latin, donnée au couvent des dominicains Albert le Grand à Paris, qui reçoit surtout les jeunes gens des familles industrielles du Nord : il y côtoie Eugène MOTTE, les frères LE BLAN… Son père s’associe à un ancien officier Jean DUBRULLE. Les deux rachètent le tissage SCREPEL-ROUSSEL à Roubaix. Eugène épouse Louise MOTTE, soeur de son camarade de collège, il succède à son père, non sans avoir appris le tissage et l’anglais. En 1887, il achète un terrain Boulevard Gambetta à Tourcoing près de la voie ferrée… Il y a là 150 métiers.

Qui est-il ce nouveau patron tourquennois ? Un homme de grande taille, fortement charpenté, solide, tranquille, un industriel lettré et cultivé : c’est ÉRASME pour les idées, STENDHAL pour la prose, TACITE pour l’argumentation, un homme qui veut bousculer les routines, ennemi de la médiocrité, parfois chimérique, et ignorant des obstacles qui se dressent devant lui

Son épouse Louise est une femme dynamique et « sociale ». Du couple naissent 4 filles dont 3 meurent rapidement. Pour lui, la famille est un élément essentiel dans la société : en 1897, il fait bâtir une maison en bordure du Boulevard d’Armentières à Roubaix, au milieu des vergers et des près.

 Eugène MATHON, un patron novateur dans son entreprise

A l’usine, les ouvriers apprécient « Monsieur Eugène » pour ses connaissances du métier, à la différence des autres patrons. Il a compris l’importance du bureau d’études sur le bureau de vente : sa grande préoccupation est le « sacro saint » prix de revient. Il pense aussi qu’il faut informer l’ouvrier et a l’idée de faire des conférences à l’intérieur de l’usine, il rédige même un décalogue du chef d’entreprise « le premier devoir d’un patron est de ne pas faire faillite » écrit-il.

Eugène MATHON a bien compris que l’économie est mondiale. En dehors de Tourcoing, d’abord, il possède une filature de laine peignée à Anor « les Anorelles » et un tissage à Avelghem en Belgique, mais surtout il dispose d’agences dans tous les continents : 24 en Europe, 4 en Asie, 3 en Afrique, 2 en Amérique, 12 en Amérique Centrale, 12 en Amérique du Sud et 4 en Océanie.

Les établissements MATHON associés à Maurice DUBRULLE (fils de Jean) fabriquent des articles réputés pour hommes et femmes : des lainages, des doublures en tous genres : en 1899, ils font construire un important établissement de teinture et d’apprêts et une retorderie de l’autre coté du Boulevard Gambetta, soit au total 3 000 ouvriers et 1 000 métiers.

Eugène MATHON travaille avec son beau-fils Eugène RASSON : leur marque est Gallus symbolisée par un coq sur un globe… de l’inusable ! Il s’intéresse à son personnel auquel il donne des primes de fidélité : « la prime tabac » et une participation aux bénéfices non négligeable quand les affaires marchent bien.

 « Rester à Tourcoing, c’est brouter au piquet » dit son beau-frère (le Motte), c’est pourquoi il voyage à travers le monde. On le retrouve aux Indes, au Sénégal, au Japon (« nous n’avons rien à leur apprendre » dit-il des japonais), et à Honolulu. C’est là que malade en 1935, il rentre en France et décède quelques temps plus tard d’une embolie, le 23 novembre 1935, à Paris.

Eugène MATHON, un patron aux fonctions multiples 

Eugène MATHON a cumulé les fonctions. Il est juge au Tribunal de Commerce de Roubaix, président du Syndicat des fabricants de tissus de Roubaix-Tourcoing, il est l’organisateur de l’Exposition internationale de Roubaix en 1911 ; pendant 1914-1918, il est délégué régional de la Croix Rouge.

Sa femme, elle, est infirmière. Après la guerre, il crée l’Association des sinistrés du Nord de la France, il est conseiller du commerce extérieur, en 1922, il est président du Syndicat du Syndicat des fabricants de tissus de Roubaix-Tourcoing, administrateur de la Banque de France et président de l’Union des fabricants de tapis de France.

Eugène MATHON, un patron « frondeur » 

Il critique le régime parlementaire de la 3e République et ses incapacités. Dans les banquets, il admoneste même les ministres. Il se retrouve à droite dans l’Action Française (condamnée par la papauté en 1926). C’est ainsi qu’avec les adhérent de cette dernière, il se rend à Rome en 1923 pour y rencontrer Mussolini et le Pape. Il est foncièrement anti-marxiste et hostile à toute tendance qui s’y rapprocherait, tels ceux qu’A. Cavalier évoque dans son livre : les « Rouges chrétiens ». S’il admet l’encyclique de Léon XIII « Rerum novarum », il s’en prend aux Républicains démocrates et aux prêtres « sociaux ».

Eugène MATHON. un patron paternaliste et social

Son catholicisme le porte au paternalisme. Il est à la fois chef et père dans l’entreprise et estime qu’il doit assurer à son personnel des retraites, des allocations familiales, des logements : il fait construire pour ses ouvriers les maisons de la rue Pasteur à Mouvaux, reprenant une initiative ancienne, il crée les allocations familiales, donnant à l’ouvrier père de 4 enfants, un sursalaire équivalent à 5 jours de travail payés en plus.

La question sociale l’amène à créer le Consortium de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing en 1919, dont il confie le secrétariat à un homme qu’il a rencontré l’année précédente Désiré Ley et qui groupe, en 1921, 312 usines soit 60 000 salariés. Pour remettre en marche l’économie, après la guerre 14-18, il pense qu’il faut un accord capital-travail et donc un nouveau système économique fondé sur la corporation, avec des syndicats d’entreprise, garants de la paix sociale, théorie s’inspirant de Le Play (1806-1882) et de la Tour du Pin (1834-1924), et des corporations de métiers organisées au niveau local, régional et national, sans intervention de l’Etat, comprenant la corporation économique et la corporation sociale. C’était sans compter sur la guerre, la Révolution russe de 1917 et le bolchévisme.

Eugène MATHON, un patron face aux syndicats chrétiens 

Après la loi de 1889, s’étaient formés des syndicats tels CGT ou CGTU (unitaires), en 1920, se constituent les syndicats chrétiens, la CFTC par exemple, Eugène MATHON les critique parce que selon lui, ils pratiquent la lutte des classes, se font des alliés des « Rouges » et attaquent les patrons qui donnent des allocations familiales. C’est pourquoi il rédige deux rapports qu’il soumet au Pape Pie XI. Le premier fin 1923, le second en 1924, dans lesquels il critique les Syndicats chrétiens et les prêtres qui les soutiennent.

Dans les conflits sociaux de l’après guerre, notamment ceux d’Halluin : grève chez SION, grève des « Dix Sous » (1928-29), le consortium, par Désiré LEY, s’en prend plus aux syndicalistes chrétiens qu’aux unitaires ; dans ces grèves longues et dures, les grévistes ont besoin de soutiens financiers pour aider leurs membres. C’est pourquoi ils lancent une souscription à laquelle participe Monseigneur Achille LIENART, ancien curé-doyen de St Christophe à Tourcoing, devenu évêque de Lille, prenant ainsi nettement position.

Cela entraîne une réaction d’Eugène MATHON et une réponse de l’évêque de Lille : « J’ai rempli mon devoir de charité en venant au secours de la misère physique, lorsqu’un conflit social en vient à menacer des vies et des santés humaines, la charité doit aller au secours de ces misères, elle n’a pas à se demander qui a tort et qui a raison ».

C’est pendant ces conflits qu’arrive la réponse de Pie XI aux rapports d’Eugène MATHON, prenant acte de ce qu’a fait le Consortium mais critiquant les méthodes de Désiré LEY et reconnaissant l’action des Syndicats Chrétiens, réponse publiée dans la « Semaine religieuse » par celui qui devint à 46 ans le Cardinal LIENART. L’action du Consortium et de Désiré LEY se continue dans les années de crise 1930-1931, mais son attitude intransigeante amène plusieurs patrons à faire dissidence…

Eugène MATHON a donc été un capitaine d’industrie, une personnalité qui a défendu sa profession, sa région, qui a eu des idées d’avant garde. N’a-t-il pas préconisé la décentralisation ? mais il n’a peut-être pas bien perçu les changements du monde de son époque.

Les établissements MATHON et DUBRULLE deviennent UTINOR en 1964, puis sont rachetés par TERNYNCK Frères en 1972. Aujourd’hui ils n’existent plus, mais il reste la mémoire de ce « patron choc » qu’a été Eugène MATHON.

Par Francis Delannoy

 

Les fondateurs de la Grande Industrie

DYNAMISME ET ÉQUILIBRE

La liberté commerciale absolue, reconnue intangible, ouvrait la voie aux individualités fortes bien décidées à utiliser toutes les chances qui leur étaient offertes par la législation nouvelle. Ne s’attardant pas à observer les faits, les fondateurs de la Grande Industrie, hommes d’action avant tout, s’engageront avec ardeur dans le système économique libéral dont ils feront le succès. En examinant la liste des Egards et des Maîtres drapiers de l’Ancien Régime, on relève peu de leurs héritiers parmi les notabilités industrielles du XIXème siècle. Rarement, en effet, la conjoncture a été plus favorable aux empiristes dégagés des souvenirs anciens ; ils forcent le destin, alors que les attardés, timides, supputent leur chance et la laissent passer.

Les figures marquantes du XIXème siècle industriel à Roubaix seront celles de chefs de file, bâtissant leurs entreprises au jour le jour, prêts à saisir toutes les occasions heureuses. A la manière des découvreurs de terres inconnues, ces pionniers adoptent la machine à vapeur, les métiers mécaniques à filer et à tisser, entreprennent des voyages de prospection et appliquent dans leurs usines les moyens de production nouveaux. C’est l’époque où les héros de Balzac jonglent avec les lettres de change que l’extension du crédit fait circuler à travers les grandes villes de commerce. Et Daumier nous livre avec Robert Macaire, flanqué de Bertrand, la caricature de ce monde d’affaires.

Mais à Roubaix, les chances de la fortune sont exploitées avec plus de modération et de sagesse et souvent avec mesure. Les créateurs de la Grande Industrie, possédaient non seulement du talent, mais cette sorte de génie divinatoire, apanage des hommes neufs aux muscles solides et à la tête froide.

L’APPORT DES RURAUX

Autour du cœur de la cité, la campagne toute proche a fourni à la Manufacture les bras courageux et les cerveaux clairs dont elle avait besoin. La promotion nouvelle avait préparé son ascension dans le calme du sillon et la patience d’un labeur séculaire tenace et fécond. Ainsi, les cadets de l’Ancienne France retournaient à la charrue et, après ce contact avec la terre tutélaire, leurs ascendants réapparaissaient au premier plan. La création de la Grande Industrie fut une œuvre de force et de santé. La relève, fournie avant tout par le monde rural, possédait une confiance à toute épreuve.

L’historique des censes de Roubaix est évocateur à cet égard. Les Spriet, Mulliez, Lecomte, Leuridan, Pollet, Dubar-Delespaul, Lefebvre, Prouvost, sont tous descendants de cultivateurs. Les ruraux, autant que les ouvriers de qualité ont fondé la grande industrie. Certaines usines importantes ont été construites au cours du XIXème siècle, sur l’emplacement ou à proximité des terres que cultivait, la veille encore, l’ancêtre immédiat ou le nouveau manufacturier. « Si nous nous penchons sur l’origine de la plupart des hommes qui, de nos jours, se sont distingués, nous découvrons derrière eux, une longue ascension et une longue patience. » Ainsi s’exprimait, très justement, Jacques Bainville, dans son discours de réception à l’Académie Française. La claire vision des nécessités de l’heure animait la race des bâtisseurs de nos usines. Les cheminées que, successivement, ils élèveront dans le ciel de la cité, constitueront autant d’actes de foi dans la pérennité de leurs fondations. Ces hommes ne connaissaient pas la crainte des lendemains. Dans ces heures de plénitudes, une race est forte, elle ne cherche pas à maintenir, mais à créer et à poursuivre, en la développant, la tâche entreprise. Qui ne vise qu’à durer, porte déjà dans ses flancs, les traces de la destruction. Par là, la vie opère des coupes sombres ; elle porta des coups mortels aux entreprises de l’Ancien Régime et la sélection continue.

DE QUELQUES-UNS D’ENTRE EUX

Alexandre Decrême (1) qui, en précurseur, entreprit après 1789 la fabrication des tissus de coton, était fils d’ouvrier et la génération suivante, ses descendants, s’allieront aux familles les plus notables. En 1819, un modeste artisan fonda la firme Hannart Frères, l’une des maisons d’apprêts des étoffes qui comptait à la fin du XIXème siècle parmi les plus importantes du monde entier.

Emile Roussel débuta à 14 ans dans l’industrie. En 1865, il aida sa mère à créer une petite teinture et fonda une firme de grande renommée. La firme Wibaux-Florin, qui connut son apogée au XIXème siècle, fut fondée en 1810 par un cultivateur aisé. Né le 16 février 1787, à la ferme de la Mousserie, Hippolyte-Joseph Wibaux épousa Félicité Florin, fille de Pierre-Constantin Florin, premier maire de Roubaix et sa descendance figure parmi les dynasties industrielles du XIXème siècle. Cette firme se spécialise dans les tissus de chaîne coton et de trame de laine peignée et son effacement par la suite doit être attribué à un changement de mode. Ce sont les créations nouvelles qui poussent au zénith les maisons modestes ; mais ce sont elles aussi qui, plus tard, les écartent du succès.

La famille Prouvost est originaire de Wasquehal. Elle occupait une situation rurale de premier plan avant la Révolution. Le Chanoine C. Lecigne écrivit une biographie du poète Amédée Prouvost, dans laquelle il peint en traits brillants, le grand-père de l’écrivain. « Il aimait voyager. Un beau jour, il monta à cheval, il parcourut la France, s’extasiant devant les paysages, s’arrêtant à la porte des usines, mêlant dans ses carnets des impressions d’artistes et des notes d’affaires, exemplaire inédit du Roubaisien à la fois aventureux et positif… Il crée le peignage mécanique de la laine, il lutte dix ans contre les préjugés populaires, les obstinations intéressées et la concurrence étrangère. A force de raison, de calme bon sens, d’efforts continus, il développe l’industrie nouvelle, groupe deux mille ouvriers autour d’elle et dote Roubaix du plus grand établissement de peignage de France. C’est un grand citoyen en même temps qu’un grand industriel. » (2)

Louis-Joseph Brédart épousa en 1754, Anne-Marie Lepers, issue d’une famille rurale très considérée dès le XVIème siècle. De ce mariage naquit, entre autres enfants, Louis-Antoine-Joseph, lequel continua la descendance. L’un de ses enfants, une fille, Pauline, épousa Jean-Baptiste Motte, d’une famille urbaine de Tourcoing, et dont la profession de marchand laisse supposer une profession de négociant en laines. La postérité de la famille Motte-Brédart prend un rôle de premier plan dans la création de la grande industrie de Roubaix. L’aîné Louis Motte-Bossut fonde la filature de coton la plus considérable pour l’époque et fait preuve, au cours de sa carrière industrielle, d’un esprit d’entreprise exceptionnel qui s’est perpétué dans sa descendance. Son cadet, Alfred Motte, se destinait tout d’abord au notariat. En secondes noces, il avait épousé Léonie Grimonprez, fille de Eugène Grimonprez, le promoteur à Roubaix de la filature de la laine peignée et l’un des hommes les plus actifs de la nouvelle promotion industrielle. Après un premier échec, il construit un véritable complexe industriel textile englobant tous les stades de la fabrication, du peignage au tissage. Il fit participer à son succès de multiples associés. Sa formation juridique favorisa sa réussite et après quelques entreprises hasardeuses, il prit soin de limiter ses risques par une clause résolutoire.

Eugène Motte-Duthoit, Député du Nord de 1896 à 1908, est issu de ce mariage. Tandis que la famille Grimonprez s’est effacée, la filiation d’Alfred Motte-Grimonprez occupe présentement encore une importante situation industrielle. Les descendants de Motte-Brédard joignaient à un sens précis des réalités, une activité débordante. Louis Motte-Bossut disait la nécessité « de diriger son affaire personnellement ». « Il faut valoir quelque chose par soi-même, sans chercher trop de distraction en dehors ». Déjà gravement malade en 1882, Alfred Motte-Grimonprez poursuivra sa tâche jusqu’à sa mort, en 1886. Devant une telle ardeur qu’il eût fallut modérer, on constate qu’il est plus dur de rester inactif que d’entreprendre de grandes actions.

Dans ce Roubaix en plein développement économique, le hasard des mariages amena bien des changements de situation. Dans le discours qu’il prononça en 1927, lors de l’anniversaire de la naissance d’Alfred Motte-Grimonprez, son fils, Eugène Motte-Duthoit raconte de quelle façon son aïeul Jean-Baptiste Motte « en prenant à travers champs le chemin le plus court, cueillant pavots et bleuets pour former un bouquet de fiancé pour Pauline Brédart qui habitait Tourcoing, s’arrêtait en chemin à la grande ferme Ducatteau pour parler amicalement avec la fille du fermier. Cette ferme était la première sur le territoire de Roubaix et s’étendait du pont Vanoutryve au Conditionnement et au pont Saint-Vincent-de-Paul.

« Marie Rose, vous êtes trop maligne pour rester fermière disait-il à cette jeunesse, vous devriez vous marier avec un fabricant et vous feriez belle carrière ».

Et cette prédiction s’accomplit. Elle épousa M. Lefebvre et la Maison Lefebvre-Ducatteau, sous sa direction, devint l’une des premières maisons de la Fabrique de Roubaix. Elle commandita plus tard, en 1852, la Maison Amédée Prouvost, les premiers peigneurs de Roubaix et les plus réputés, et Henri, Jean et Louis Lefebvre ont hérité de l’esprit délié et entreprenant de Marie-Rose ».

En 1820, Louis Dubar épouse Marie-Joseph Delespaul, à la ferme du Hutin et fonde une importante entreprise. La famille Bayart était originaire de la ferme de l’Hornuyère de Wattrelos. Pierre-Joseph Bayart épouse en 1798, Sylvie Lefebvre et le jeune ménage s’installa comme fabricants. Dans leur descendance, on retrouve les Bayart-Cuvelier, Bayart-Lefebvre, Ernoult-Bayart et maintes autres familles qui ont fait carrière brillante dans l’industrie.

En 1853, les frères Dillies installent quelques métiers à tisser. Véritables vulgarisateurs du tissage mécanique à Roubaix, ils seront en 1860, propriétaires de 400 métiers. Simple tisserand, Julien Lagache devient un remarquable fabricant. François Frasez installe des métiers à tisser dans des maisons construites à cet usage (chaque maison recevait quatre métiers) et inaugure ainsi une méthode qui a été reprise avec succès dans d’autres régions. Commentant l’exposition de 1853 et s’arrêtant au nom de MM. Eugène Grimonprez et Cie, Théodore Leuridan dira qu’il a été frappé « du grand nombre de maisons inconnues jusqu’ici ».

A partir de 1850, la plupart des affaires se montent en associations à cause du coût élevé des industries mécanisées. De plus, la direction d’une usine exige la présence à peu près constante des patrons. Pour leur permettre de rester à leurs affaires, des maisons de commissions sont fondées. C’est M. Bossut qui fonda la première maison du genre. Par la suite, la Manufacture s’efforcera de se passer de leurs services.

Les frères Delattre, industriels avisés, Henri qui fut Maire de Roubaix en 1848 et Louis épousèrent respectivement Adèle et Pélagie Libert, filles du fermier de la Potennerie. Fondée en 1827, leur entreprise avait pris rapidement un développement considérable. La veuve Libert épousa en secondes noces Pierre Pollet-Delobel de Sainghin et leur descendance honore de nos jours encore l’industrie roubaisienne. La Maison Toulemonde-Destombes, fondée en 1820 trouve son origine dans un tissage à la campagne et il est fort probable, comme ce fut le cas de plusieurs industriels dont le fondateur mena tout d’abord de pair la culture et le tissage, que la ferme ne fut délaissée qu’après emprise sûre dans la manufacture.

On pourrait poursuivre des recherches en ce sens. « Il n’y a aucune maisons ayant tenu quelque place à Roubaix qui n’ait eu ses fondements dans une connaissance approfondie de la matière et du métier » écrit M. Gaston Motte dans son « Histoire de Roubaix ». La grande industrie fut fondée par une promotion nouvelle, artisans parvenant au patronat de souche roubaisienne ou immigrés, mais, le plus souvent, les industriels du XIXème siècle sont d’origine rurale.

Ces hommes nouveaux, ancrés sur la réalité, osent tout risquer et tout entreprendre. Leur tournure neuve de pensée et d’action a édifié la cité moderne. Les hautes cheminées dominaient de véritables fiefs industriels. « Plus riche en outils qu’en fonds d’Etat, l’héritier ne pouvait s’évader » dira Eugène Motte lors de l’inauguration de l’Hôtel de Ville, le 30 avril 1911.

D’après les travaux de recherche de Georges Teneul,

Président de la Société d’Émulation de Roubaix

et son « Histoire économique de Roubaix – Réflexions sur notre temps » 1962

1 Ancienne famille notable qui avait connu un effacement momentané.

2 Chanoine C. Lecigne : « Amédée Prouvost ».