Les résidences du Parc

Le temps des années glorieuses et de la renommée industrielle mondiale de Roubaix a laissé des traces durables en matière d’architecture et d’urbanisme. Témoins de ce passé glorieux, les Résidences d’Armenonville et de Marly se dressent avec fierté, aux abords du Grand Boulevard, et prolongent par leur aménagement et le traitement de leur environnement le Parc de Barbieux.

Conçues en 1957 par Guillaume Gillet, Guy Lapchin et Pierre Ross, dans le cadre du projet d’aménagement du Grand Boulevard, ces résidences constituent un groupement de logements collectifs privés, inscrit au registre des quartiers résidentiels de Roubaix. Elles s’intègrent dans un ensemble paysager qui les rend indissociables l’une de l’autre et offrent des qualités architecturales et urbanistiques assez peu communes pour l’époque.

 

 

 

 

Un site et une architecture privilégiés

Destinées à accueillir une population aisée, les résidences d’Armenonville et de Marly jouissent d’une implantation privilégiée. Elles sont séparées de la chaussée par une enfilade de platanes, les lignes de tramway et une voie mixte de desserte.

Réalisées en 1958, elles témoignent d’une importante innovation en matière d’urbanisme. Elles sont spatialement organisées dans un rectangle semi-clos, formé par deux « L » symétriquement opposés et ouvrent l’espace sur la ville en brisant l’alignement du Grand Boulevard.

Cette innovation est mise en évidence par le jeu architectural subtil de l’ensemble. Chaque résidence se compose de deux échelles et deux typologies de bâtiments. La première, par son imposante hauteur de onze étages, avec RDC, représente l’élément principal de l’opération. Elle s’érige en barre, perpendiculairement au boulevard et contient le plus grand nombre de logements. La seconde de moindre hauteur, est perçue comme une « barrette » à deux étages sur RDC. Elle vient rappeler le front à rue et clore partiellement la parcelle.

L’interpénétration de ces deux unités brise l’image imposante de la « grande barre » de logements et noue le rapport classique de l’alignement au boulevard. Cette qualité du travail architectural ouvre la parcelle sur la ville, en intégrant l’identité paysagère du Parc de Barbieux dans un domaine privé.

Jeux de façades

En remontant le Grand Boulevard qui longe le Parc de Barbieux, l’œil découvre les façades des deux barres principales, chapeautées par une couverture presque plane et légèrement cambrée.

Les immeubles, constitués par une ossature en béton armé, présentent sur les murs extérieurs suivant les plans de façade, un parement de grès-cérame ou de béton armé apparent. Les rez-de-chaussée constitués de libres pilotis allègent le corps du bâtiment. L’espace au sol ainsi créé devient un lieu de passage distribuant les halls d’entrée, qui participe pleinement à la composition paysagère. Les façades laissent apparaître la structure du bâtiment d’un léger épaulement. Celles d’entre-elles qui sont les mieux exposées à la lumière, au sud-ouest, sont structurées en alternance par des fenêtres réglées sur allèges à l’horizontale et des baies vitrées toute hauteur. Placées en fond de loggias ou en balcons en façades-pignons, ces baies ouvrent sur les pièces de vie, cherchant à leur donner le maximum de clarté. Les façades arrière, au nord-est, se composent quant à elles, dans le plan vertical, d’allèges et de fenêtres réglées à l’horizontale qui se superposent les unes aux autres sur un même nu. Les circulations verticales marquent et dénotent l’homogénéité de ces façades par le glissement de cette superposition sur un demi-niveau. Ces compositions apparaissent comme le remplissage d’une grille par endroits semi-occultée (chambres), vitrée (pièces de vie) ou vide (rez-de-chaussée). Le décollement de la toiture des barres principales contribue à alléger la perception de rigidité conférée par leur structure et donne lieu, au dernier étage, à des appartements panoramiques.

 

Conçus comme une série de villas mitoyennes, les hôtels particuliers s’inscrivent dans les petites « barrettes » situées au pied des grands immeubles. Ils ont pour caractéristique de s’aligner comme des casiers sur deux étages montés sur pilotis. Cette morphologie particulière des bâtiments offre à ces logements de vastes loggias en enfilade, côté sud, et rythmé de verticales filantes de claustras en béton ajouré, côté nord.

Jouxtant les portiques, les halls d’entrée sont surmontés d’un emmarchement d’honneur. Ils assurent le socle des circulations verticales et donnent ainsi l’impression d’être autonomes par rapport à la façade. Un pan de verre, sur toute la hauteur, laisse apparaître la découpe de la porte. Seul élément visible de cette surface transparente, la poignée de cuivre flotte littéralement dans l’espace. La qualité de l’aménagement et du traitement des matériaux des halls d’entrée indique clairement le caractère privatif de l’ensemble.

Cohérence architecturale et paysagère

Cernée de murets de pierre, la Résidence d’Armenonville surplombe le boulevard en léger dénivelé et s’en détache harmonieusement. Le résident peut y accéder à pied directement depuis le boulevard, en empruntant un escalier d’une dizaine de marches. L’accès à la résidence Marly se fait quant à lui par un cheminement en bitume, à travers la haie basse de clôture puis la pelouse. Le parking, noyé dans le paysage, s’intègre pleinement au projet et conserve son identité privative. Afin de préserver le caractère résidentiel de l’opération, les architectes ont manifestement tenu à marquer d’une forte cohérence les traitements architecturaux et paysagers.

Les aménagements paysagers des résidences participent à l’ensemble du projet et entrent en résonance avec la structure même des bâtiments qu’ils desservent le sol est traité de façon à ce que le piéton passe du bitume à la pelouse pour arriver ensuite sur les dalles en béton de cailloux. Il se retrouve alors sous le bâtiment et découvre l’espace central sans que sa vue soit entravée par la masse des bâtiments. Elle effleure les halls d’entrées et file entre les portiques pour se plonger dans le jardin, situé au cœur de l’îlot. Cet espace est traité de la même façon que l’ensemble de l’aménagement paysager qui associe les surfaces minérales et végétales.

Ce lieu de promenade s’agrémente d’arbres, de schiste, de verdure, d’un bac à sable cerné de haies et de petits murets de pierre, le tout parsemé de massifs de rosiers. Le jardin offre aux résidents un véritable parcours de détente préservé des nuisances de la ville par les bâtiments qui l’entourent.

Une approche nouvelle de l’habitat collectif

Les logements des Résidences répondent aux critères de confort et de bien-être recherchés par une certaine catégorie de résidents. Organisés en studios, duplex ou appartements avec chambre de bonne attenante à la cuisine, ils proposent des pièces spacieuses et lumineuses. Un hall d’entrée et un office ont été pensés dans la réalisation de chaque logement. Leurs dessertes s’effectuent par ascenseur, escalier et monte-charge.

L’accès aux hôtels particuliers s’effectue par le hall d’entrée, situé au rez-de-chaussée, qui s’ouvre en contrebas sur l’escalier de la cave attenant à la chambre de bonne. Un escalier montant permet d’accéder aux pièces des étages supérieurs (cuisine, séjour, chambres) et aux loggias.

L’argumentaire employé dans la plaquette commerciale d’origine insiste nettement sur ces aspects de confort et de bien-être qui font la différence : « tous les appartements de cet ensemble sont équipés d’un chauffage collectif par le sol et d’installations sanitaires de premier choix. Un vitrage double ou un vitrage triple, selon les cas, assurent d’autre part aux logements une isolation thermique et phonique de très haute qualité »… tout au moins à l’époque de leur construction.

Par le jeu sur la transparence et la luminosité des espaces intérieurs et extérieurs, par le travail réalisé sur les bâtiments en osmose avec le site paysager, les architectes ont su instaurer le désir d’une approche nouvelle de l’habitat collectif. Renforcer le sentiment d’autonomie et d’intimité des habitants au sein de la collectivité, tout en leur donnant le plaisir de l’espace, tel paraît avoir été le désir et l’objectif de Guy Lapchin et Guillaume Gillet en réalisant ce projet.

 

 

Trente ans plus tard, les thèmes de confort et de bien-être qu’ils développent restent d’actualité et semblent être toujours recherchés dans la réalisation de logements collectifs non réservés à une classe sociale élevée. Dans ces conditions, l’accès au « confort à loyer modéré » peut sembler un pari fou. D’illustres figures de l’architecture ont pourtant défendu activement ces valeurs de qualité de vie et d’esthétique pour tous. Sans doute inspirés par les idées de Le Corbusier, Guy Lapchin et Guillaume Gillet s’inscrivent dans le sillage de l’architecture moderne avec un raffinement réservé ici à un public autrement privilégié.

Christophe Vanhalst

École Nationale d’architecture de Lille