n°18 Mars-Août 2015

n°18

Éditorial par Bernard Schaeffer & Gilles Maury p5

Actualités

Hommages à Jean Jessus par Bernard Schaeffer, Josiane Deroubaix, Francine Declercq p 6

Un concours-photo réussi par Evelyne Gronier-Renaut p 10

Le mystère du guéridon éclairci ! par Gilles Maury p14

2ème Prix de l’émulation par Michel David p16

Dossier

Victor Vaissier renaît ! par Germain Hirsjel, Gilles Maury, Oréli Paskal, Jérôme Desliens p22

Histoire et musique

Nos orgues, suite de la visite par Evelyne Gronier-Renaut p34

La fanfare Delattre par Xavier Lepoutre p48

GRANDE-GUERRE, épisode 2

Portrait

Le destin d’Herman de Bernard Leturcq par Josiane Deroubaix p 52

Documents

Journaux inédits par Gilles Maury p 54

Louis Loucheur par Philippe Waret p 56

Abonnement, adhésion, anciens numéros p 59

n°9 Sommaire Octobre 2010

n°9

Éditorial par Bernard Schaeffer et Gilles Maury, p.5

Évènement Le centenaire Eugène Leroy par Germain Hirselj p.6

Dossier/spécial textile 2

ENSAIT, un enseignement pionnier (2eme partie) par Achille Marel p.12

L’amour du beau : le passé et l’avenir des Broderies Dervaux par Evelyne Grenier-Renaut p.18

Hommage René Jacob, de l’ombre à la lumière par Alain Delsalle p.30

Patrimoine et reconversion De l’usine Delattre au CNE-PJJ par Xavier Lepoutre p.35

Art contemporain Le Discobolos de Wim Devoye par Germain Hirselj p.40

Histoire

Cinq siècles de congrégations religieuses (dernière partie) par Xavier Lepoutre p.42

1954, Coupe du monde de football et télévision par Philippe Waret p.48

Abonnement, adhésion, anciens numéros p.50

Jules Verne à Roubaix

Jules Verne

2005 sera l’année de la célébration du centenaire de la mort de Jules Verne. Nous nous devions bien de contribuer à cette célébration, car l’auteur des Voyages Extraordinaires a fait l’honneur d’une visite à Roubaix. Cela se passait il y a 125 ans et nous allons en témoigner.

La visite de Jules Verne dans la ville aux mille cheminées

Le 18 mars 1880, vers 13 h 27, deux voyageurs descendent du train de Lille, dans la petite gare triste de Roubaix. En effet, à cette époque, la grande ville industrielle n’a pas la gare que nous connaissons encore de nos jours, ni cette superbe avenue1 qui aurait permis à nos visiteurs de rejoindre la Grand Place rapidement. Il ne semble pas que telle ait été leur destination. Le Journal de Roubaix, qui est le plus grand quotidien et le plus informé de la ville, ne mentionne aucune réception municipale pour Jules Verne et l’imprimeur Danel.

Car c’est Jules Verne en personne, qui rend visite à la cité du textile. A 52 ans, le grand écrivain est célèbre, il a déjà plus de vingt ans de littérature à son actif. Célèbre, mais pas forcément reconnu. Le Journal de Roubaix qui fait allusion à sa venue par un entrefilet paru le lendemain de la visite, cite des titres en se trompant légèrement, ce qui est étonnant pour un journal d’habitude si rigoureux : Voyage autour du monde, pour le Tour du monde en 80 jours, Six semaines en ballon, au lieu des Cinq semaines initiales, seuls Michel Strogoff et l’île mystérieuse, sans doute plus récents, échappent à l’écornage.2 Doit-on à un typographe distrait ces coquilles, ou l’auteur de l’article n’a-t-il fait que survoler l’œuvre de Jules Verne ? Il est vrai que le romancier n’a pas forcément de bonnes relations aux yeux du quotidien roubaisien : son éditeur Pierre-Jules Hetzel est républicain, publie Victor Hugo et Proudhon, et a lancé en 1864 le Magasin d’Education et de Récréation, une revue bimensuelle destinée à la jeunesse et aux familles. Il compte parmi ses auteurs un camarade d’exil, Jean Macé, le fondateur de la ligue de l’enseignement et grand militant laïque.

Qu’est donc venu faire Jules Verne à Roubaix ? On a dit de lui qu’il était un visionnaire, qu’il avait anticipé un grand nombre d’inventions dans ses Voyages Extraordinaires3. Mais Jules Verne est plutôt un vulgarisateur de la science, qui, à défaut d’être un scientifique lui-même, se documente énormément, et a le souci de la cohérence et du détail. Roubaix est donc un terrain d’investigation et il va visiter plusieurs entreprises qui lui permettront d’avoir une vision d’ensemble de la fabrication textile.

Le peignage Amédée Prouvost

C’est ainsi qu’il se rend à la filature de MM. Motte, Legrand et Mille, située au n°22 de la rue des longues haies, puis à l’entreprise de teinturerie et d’apprêts de M. Alfred Motte à deux pas, rue du Coq Français. Il rejoindra le tissage mécanique d’Henri Delattre père et fils aux n°10 à 18 rue du Curoir, et terminera par le peignage mécanique de M. Amédée Prouvost, rue du Fort et du Collège. Pour terminer son périple, il ira admirer la tapisserie des Flandres fabriquée par l’entreprise Prouvost jeune, au n°33 rue des Lignes. Vraisemblablement perturbé, le journaliste roubaisien se trompe de peignage, citant MM. Allard-Rousseau, ce qui entraîne une rectification dans un second article tout aussi bref. Jules Verne a-t-il rencontré les industriels au moment de sa visite ? Rien ne permet de l’affirmer. Sans doute a-t-il été accueilli par le directeur de chaque fabrique, et guidé par les techniciens qui pouvaient lui fournir les renseignements nécessaires.

L’article mentionne le but supposé de la venue de l’écrivain en ces termes : il est sans doute venu chercher dans notre centre industriel quelque nouveau type dont il ferait le héros d’un de ses futurs ouvrages. Non décidément, on n’a pas lu Jules Verne au Journal de Roubaix. Bizarre, quand le même journal publie en feuilleton depuis quelques semaines le très sombre et très triste Sans Famille d’Hector Malot publié chez …Hetzel !

Les visites se sont effectuées au pas de charge. Arrivé par le train en début d’après midi, Jules Verne quitte Roubaix vers 19 heures. Ses observations ont-elles été utilisées dans un roman paru ultérieurement ? Le meilleur moyen de le savoir, c’est de nous pencher à nouveau sur l’œuvre d’un homme qui a bercé notre enfance, et qui un jour s’est intéressé à la ville aux mille cheminées. N’était ce pas un titre à la Jules Verne ?

1 Il faudra attendre 1882 pour l’avenue et 1888 pour la gare.

2 5 semaines en ballon 1862, le Tour du Monde en 80 jours 1872, l’île mystérieuse 1874, Michel Strogoff 1876.

3 Les Voyages Extraordinaires sont composés d’une série de 62 romans.

Cet article a paru dans la revue Gens et Pierres de Roubaix n°1  de Janvier 2006

La Pontenerie

Nous pouvons rêver au Roubaix champêtre, que l’ère industrielle a relégué dans les souvenirs qui composent son histoire, en contemplant la vue du château et de la cense de la Pontenerie, l’une des trois consacrées à Roubaix par un chanoine de la cathédrale d’Ypres sous l’épiscopat du célèbre Jansénius, Antoine Sanders. Il profita de ses nombreux voyages dans la Région pour réunir une collection inestimable de dessins et rédiger son ouvrage monumental sur la description de notre province, la « Flandria illustrata » dont les deux premiers tomes ont paru en 1641/1644. Le troisième, consacré à la Flandre wallonne et au Tournaisis, est resté manuscrit.

La famille éponyme est citée dès 1249, précédant 100 ans plus tard la famille de Werquigneul. Par succession, une branche légitimée de la Maison de Luxembourg garda le fief et ses 26 bonniers (36 ha) jusqu’à sa vente en 1532 à Guillaume Petipas, bourgeois de Lille et grand propriétaire foncier. Son fils, Hippolyte, fit construire une chapelle castrale et légua le domaine à son frère Charles, maïeur de Lille, anobli en 1600. Les trois petits fils de celui-ci, puis ses descendants, furent successivement seigneurs de la Pontenerie jusqu’à la vente en 1788 à Louis Charles de Lespaul de Lespierre. Ses héritiers s’en séparèrent en 1817.

La veuve des deux derniers censiers fut la belle mère de Henri Delattre-Libert, filateur, Maire de Roubaix, et de Joseph Pollet, filateur (ancêtre d’Henri, le fondateur de La Redoute).

Jean Lebas (1878-1944), ministre du travail et Maire de Roubaix, mort en déportation, naquit rue de Denain près du parc et des ruines du manoir sur lesquels ont été bâtis le lycée qui porte son nom et une piscine. L’urbanisation intense du 19e siècle a désenclavé le fief et ses terres en le transformant en quartier de la ville avec des usines et des habitations ouvrières.

Philippe A. RAMMAERT

L’eau à Roubaix

Cette étude désire répondre à une question souvent posée mais jamais traitée : comment l’industrie textile a-t-elle pu se développer à Roubaix malgré le manque de voies de communication, le manque de matières premières sur place et surtout celle qui retiendra notre attention, le manque d’eau si nécessaire à toute entreprise industrielle ?
 
DE L’ARTISANAT A L’INDUSTRIE
La formation de Roubaix est un phénomène particulièrement artificiel. Elle provient d’une cellule de vie pratiquement négligeable, ayant vécu du travail de la terre et du labeur artisanal, lequel s’est trouvé favorisé, dans la suite des temps par la proximité du centre marchand de Lille.
Puis vient une époque pendant laquelle Roubaix, à la suite de luttes répétées dont la trace se trouve dans notre histoire locale, a réussi à se libérer de Lille pour travailler d’une manière indépendante. Elle a tiré parti elle-même de la matière première (coton et laine), qu’elle avait appris à connaître et à façonner. Mais pour passer de la production artisanale à la production industrielle, il a fallu toute la volonté et le courage des Roubaisiens.
Parmi les difficultés de l’expansion, il y eut d’abord les moyens de communication. Sans nous attarder, signalons que c’est en traçant eux-mêmes des routes vers Lille, Tourcoing et la Belgique, en favorisant le chemin de fer (première gare en 1842) que les Roubaisiens ont pu sortir de leur isolement. Du point de vue routier, au départ de Lille (auquel notre passé se rattache), les routes s’éparpillent dans toutes les directions : Tournai, Courtrai, le Littoral, en ignorant Roubaix. C’est tellement vrai qu’à la fin des deux guerres, les troupes libératrices atteignant Lille par le sud, ont continué leur progression vers Tournai, vers Courtrai et le littoral sans passer par Roubaix qui est à chaque fois resté une dizaine de jours dans un angle mort, ignoré des libérations !
 
CARTOGRAPHIE HYDROLOGIQUE ROUBAISIENNE
La deuxième cause défavorable à tout décollage industriel fut le manque endémique d’eau si nécessaire pour passer du stade de la manufacture à celui de l’usine. Le manque d’eau ne signifie pas absence complète d’eau, car la ville de Roubaix est bâtie sur une hauteur séparant la vallée de la Deûle, de la vallée de l’Escaut. Elle occupe le versant de l’Escaut sur 1 200 hectares et le versant de la Deûle sur 58 hectares. La presque totalité des eaux pluviales et résiduaires est donc envoyée dans l’Escaut par l’intermédiaire de l’Espierre.
Ce ruisseau prend sa source sur le territoire de Mouvaux, reçoit le riez Saint-Joseph situé tout entier sur Roubaix et par un parcours sinueux, se dirige vers la frontière belge. Il reçoit le ruisseau de Barckem puis le courant des Piats venant de Tourcoing, descend vers le sud et à 400 mètres de l’écluse du Sartel, reçoit le Trichon, principal émissaire des déjections industrielles de Roubaix, suit les canaux de Roubaix et de l’Espierre et au village d’Espierre, se jette dans l’Escaut.
 
Avec le riez de l’Espierre, nous avons :
– au nord le riez Saint Joseph
– au sud, le courant des Trois Ponts et le courant de Maufait
– à l’est, le courant de Cohem,
– au milieu de la ville, de l’ouest à l’est, nous avons le Trichon qui a été le berceau de Roubaix.
 
Le parcours du Trichon 
L’étymologie de Roubaix n’est-elle pas : Ross-Bach, le ruisseau aux roseaux ou aux chevaux ! Etant donné son importance dans l’histoire de Roubaix, il est bon de s’attarder sur le Trichon.
 
Il prend sa source près d’une ferme disparue, sur le territoire de Mouvaux. Il passe à la limite de la propriété Vaissier (le fameux roi du savon du Congo), puis sous le canal dans un siphon ensuite rue Carpeaux à Wasquehal, rue du Riez à Tourcoing et rue de la Mackellerie à Roubaix. Il passe sous l’usine Lemaire et Dillies, rue Boucher de Perthes, traverse la rue du Luxembourg, passe sous l’usine des anciens établissements Cordonnier, traverse le chemin de fer à 50 mètres du pont des Arts, coupe la rue de la Digue et la rue du Vivier (étang alimenté par le Trichon), arrive rue de l’Epeule à l’ancien abreuvoir, passe sous l’ancienne usine Ernoult-Bayart, coupe le square Pierre Catteau, la rue Mimerel et passe sous l’usine Prouvost-Scrépel et celle de Georges Masurel et sous la teinturerie Auguste et Jean Dubar. Il passe ensuite sous l’usine Deschepper, longe l’usine Delattre et coupe la rue Neuve près du siège de l’Automobile Club.
 
En 1727, il passait sous un pont à péage avant d’alimenter les fossés du château. Il tourne à angle droit par la rue de la Poste, passe sous l’école de la Sagesse, sous les anciennes halles, rue Pierre Motte, derrière les maisons du boulevard Leclerc et arrive place de la Liberté à 50 mètres du boulevard. Il la traverse en biais, longe la Banque de France. Il y avait autrefois, à sa gauche, un affluent, le ruisseau amenant les eaux de la Fosse aux Chênes, au lieu-dit Fourquencroix ainsi nommé parce qu’à cet endroit se trouvait la chaussée de Tourcoing à Lannoy par l’Hommelet qui traversait le chemin de Roubaix à Wattrelos formant ainsi une croix.
 
Continuant son parcours, le Trichon passe sous l’immeuble du CIL du Galon d’Eau, où se trouvait jadis le peignage Allard, arrive quai de Lorient et traverse le canal dans un siphon à gauche de la porte de l’écluse. Avant de traverser le canal, il était encore à découvert, vers 1900, derrière une maison du quai de Lorient.
Il donnait l’occasion à certains de pratiquer un métier que l’on retrouve aussi sur l’Espierre près de la rue de l’Union à Wattrelos. Des gens ingénieux avaient planté dans le cours d’eau des broches de fer en quinconce. La laine échappée des peignages avec les eaux de lavage, s’accrochait à ces broches et la récolte de la laine donnait une honnête aisance à ces pêcheurs d’un genre spécial.
 
Après le canal, le Trichon passe sous l’usine Carissimo, coupe la rue des Soies, passe sous le peignage Alfred Motte puis sous le chemin de fer et finalement va se jeter dans l’Espierre.
Nous avons là une explication certaine de la présence de tous ceux qui avaient besoin d’eau : les blanchisseurs, les apprêteurs, les teinturiers et par la suite ceux qui montèrent des machines à vapeur comme les filateurs.
 
L’EAU ET L’INDUSTRIALISATION
La première phase de l’industrialisation de la filature de coton commence en 1804 chez Grimonprez Père et Fils qui procédèrent à la première installation à Roubaix du système mule-Jenny. Mais l’installation était rudimentaire. Les métiers fonctionnaient au moyen d’une roue que le fileur faisait tourner lui-même. Les préparations étaient mises en mouvement par une grande roue qu’un homme faisait tourner. Dans les grands ateliers, le seul moteur était un manège à chevaux.
La progression de la filature changera du tout au tout quand les premières machines à vapeur ou pompes à feu, comme on le disait au début, furent introduites à Roubaix vers 1820.
De 1825 à 1830, le nombre passa à 30 unités. Les fabricants utilisaient pour la construction de leurs ateliers le fond de terrain derrière leur maison. Beaucoup s’installèrent, comme on l’a vu, dans la rue du Grand chemin, côté sud, car ils pouvaient utiliser l’eau du ruisseau du Trichon. Mais la multiplicité des machines à vapeur aboutit très rapidement à un certain assèchement des ruisseaux et des puits.
 
TROUVER DE L’EAU !
A partir de cette époque, la hantise de l’eau commença alors chez les Roubaisiens. Ce n’est pas le moindre sujet d’étonnement pour l’observation que le fait pour notre ville de Roubaix de s’être lancée dans l’industrie sans cet élément indispensable : l’eau.
Certains projets timides avaient proposé, au début du siècle dernier de recueillir les eaux des ruisseaux dans un étang artificiel, creusé dans « Le Pré de la Brasserie » (emplacement actuel de Roubaix 2000). Le projet n’eut jamais de suite. D’autres, sans faire de projets donnèrent leurs observations.
 
Ainsi un rapport de 1838, note que le riez du château (qui n’est qu’une dérivation du Trichon ) contenait : « de temps immémorial une eau claire et limpide » qui semble avoir perdu cette qualité.
 
Dans le même sens, huit ans plus tard, un rapport adressé au Maire, émanant de propriétaires de la rue du Grand Chemin, expose que : « Les eaux du riez du Trichon qui traverse leurs propriétés, eaux autrefois claires, limpides et potables même, sont devenues aujourd’hui bourbeuses et malsaines ». Une commission nommée pour juger du bien-fondé de cette réclamation, conclut, non sans raison, que      « c’est une conséquence inévitable du développement de la ville ! ». La multiplicité des manufactures naissantes avait d’abord presque vidé les ruisseaux, puis les avait transformé en égouts, mais la ténacité des Roubaisiens à trouver de l’eau leur en a fait chercher partout où cela était possible.
 
Le manufacturier Mimerel, venant d’Amiens, avait fondé vers 1820 sa filature à l’emplacement actuel du cinéma Casino, entre la Grande Rue et la place de la Liberté. Il voulait ainsi profiter des eaux du Trichon qui passe près des fondations. Désirant passer du manège de chevaux comme énergie motrice à la machine à vapeur, il se heurta comme beaucoup au manque de débit pour alimenter une machine grande consommatrice d’eau. Il fut un des premiers à faire un forage et fut très content de signaler à tous sa réussite. Il avait atteint la nappe aquifère des sables d’Ostricourt à une trentaine de mètres de profondeur. Mais, comme il avait fait des sondages avec des buses de bois, qui se sont détruites sous l’effet du temps, il dut recommencer en sondant plus profond dans le calcaire carbonifère.
 
LE CANAL DE ROUBAIX
Pendant que certains creusaient le sol, d’autres concevaient dès 1813 un canal qui traverserait le territoire reliant la Deûle à l’Escaut. Il fut livré à la navigation en quatre parties :
– la première entre Croix et la Deûle par la Marque en 1832,
– la deuxième entre Roubaix et la frontière belge en 1843,
– la troisième devant relier les deux premières,
– la quatrième partie fut la branche de Tourcoing en 1892.
 
La troisième partie connut de multiples avatars. Son tracé traversait Roubaix et devait rejoindre le tronçon numéro 1 à travers « La Montagne de Croix » (le boulevard de Paris actuellement) en un parcours souterrain. Des éboulements multiples firent abandonner les travaux. Par la suite la partie déjà exécutée fut comblée et donna le boulevard Leclerc et le boulevard Gambetta. Le reste du chantier fut converti en parc public : le Parc Barbieux.
 
Avant d’être comblée, cette partie du canal fit s’installer nombre de fabriques. Motte-Bossut avait choisi la rue de l’Union pour installer sa « filature monstre ». Il avait le Trichon à ses pieds et le canal devant sa chaufferie alimentant ainsi ses chaudières avec du charbon venant de Belgique. Quand plusieurs incendies (1845-1859) la détruisirent, il passa de l’autre côté du canal et à partir de 1853 construisit l’usine actuelle.
D’autres fabricants l’imitèrent et s’établirent le long du canal : Huet Tissage, Toulemonde-Destombes Filature, Allart Peignage de laine, Motte-Porisse Filature de laine, Motte-Meillassoux Peignage à l’entrée de la rue des Longues Haies. Il n’y avait pas de maisons à cette époque entre la fabrique et le canal.
Au départ, toutes ces firmes avaient tenté de prendre l’eau du canal pour alimenter leurs chaudières. Il fallut « mettre le holà », car le canal était pour la navigation des pondéreux et non pour l’alimentation en eaux industrielles.
 
L’utilisation de la machine à vapeur posait des problèmes d’installation, sans que soit résolu pour autant le problème de l’alimentation en eau.
 
EXTRAIT D’UNE LETTRE DE LOUIS MOTTE-BOSSUT A SA FEMME EN 1851
« Ne maudis pas nos machines à vapeur qui me font danser depuis longtemps. Elles sont sages et promettent de l’être de plus en plus, mais elles n’ont plus d’eau. Elles ont soif et souffrent de cette disette, elles marchent moins bien. Bref, depuis huit jours, je passe mon temps à faire faire des rigoles dans le fond du canal. Nous faisons couler les eaux d’un côté ; nous les rappelons de l’autre. La nuit détruit les travaux édifiés le jour, et, nous devons les recommencer le lendemain. Mais à l’heure qu’il est, cela marche et j’espère que cela va continuer à bien marcher ».
 
AUTRE LETTRE DE LOUIS MOTTE-BOSSUT A SA FEMME EN 1854
« … si j’ai le bonheur d’avoir de l’eau dans le canal pour marcher sans arrêt, je ferais tout ce que je pourrais pour passer huit jours à Blankenberghe avec toi… ».
 
ROUBAIX MANQUE D’EAU !
Alimenter en eau la machine à vapeur est une chose, rejeter les eaux usées en est une autre. Quand plusieurs filateurs demandent au Maire l’autorisation d’installer une machine à vapeur, le Maire leur envoie l’accord à condition de ne pas laisser écouler sur la rue les eaux provenant des dites machines. Mais à la suite des réclamations devant cette interdiction, le Préfet intervient le 2 juillet 1832 en écrivant au maire :
 
« Le Conseil, dans l’intérêt général, abandonne sa première opinion, se fondant sur ce que les fabricants ne pourraient être privés du droit commun de faire écouler leurs eaux sur la voie publique que dans le cas où cela présenterait des inconvénients soit pour la salubrité soit pour la propreté ; que les fontaines d’eau chaude que fournissent les pompes à feu rendront les plus grands services à la ville de Roubaix qui a besoin d’eau et qui dans l’été fait de grandes dépenses pour en faire chercher au loin , que ces fontaines donneront à la classe indigente un moyen commode de lessiver son linge, qu’elles offriront au voisinage de l’eau chaude pour des bains et assureront des secours en cas d’incendie, que ce serait nuire aux intérêts de tous et particulièrement des pauvres que de renoncer à un avantage aussi évident, qu’à la vérité ces eaux nuisent aux pavés pendant les grandes gelées mais qu’il est faux de remédier à cet inconvénient en imposant aux pétitionnaires l’obligation de faire réparer les dégradations que les eaux provenant de leurs machines auront occasionnés aux pavés ».
 
Cette suggestion de fontaine d’eau chaude resta lettre morte, par contre, vingt cinq ans plus tard, l’eau étant toujours à l’ordre du jour, la Chambre consultative de Roubaix revint sur le projet du canal en écrivant au ministre de l’Agriculture le 15 décembre 1857.
 
« … L’achèvement du canal… nous donnerait surtout l’eau que nous refuse notre sol asséché par des forages trop multipliés et que nous attendons seulement du niveau supérieur de la Deûle. La ville … attend avec anxiété que l’Etat, réalisant ses promesses, commence les travaux du souterrain. C’est à dessein, Monsieur le Ministre, que nous employons le mot anxiété, la position intolérable que nous subissons ne le justifie que trop. Nous touchons à la mi-décembre et l’eau nous manque à ce point que, soit pour les moteurs, soit pour les teinturiers et les lavages de laines, soit même our les usages domestiques, nos rues sont incessamment sillonnées par des charrois d’eau : l’eau est devenue une véritable marchandise dont la valeur influe sur le prix de revient des objets manufacturés… »
 
En 1858, un fermier a payé son fermage en vendant de l’eau provenant des fossés bourbeux de sa ferme !
 
LES EAUX DE LA LYS ET D’ANCHIN
Les années passent. Pas de succès du côté du canal et toujours trop peu d’eau pour alimenter les machines à vapeur. Le Maire de Roubaix s’oriente alors dans une autre direction : aller chercher l’eau dans un fleuve à grand débit. Le moyen le plus rapide et le plus sûr fut de s’adresser à une compagnie qui se chargea de puiser l’eau dans la Lys et de s’entendre avec Tourcoing qui avait la même préoccupation. La question fut mise à l’étude. Elle n’aboutira que six ans plus tard. Elle donna lieu, en 1863, à une cérémonie d’inauguration qui se déroula dans un enthousiasme bien compréhensible.
 
Pourtant, ce n’était là qu’une demi-mesure, car cette eau qui amenait à Roubaix les odeurs de rouissage du lin, était impropre à la consommation ménagère. Elle satisfaisait toutefois les besoins de l’industrie. Celle-ci trouva un appoint dans la continuation de percement de forages nombreux qui allaient chercher à des profondeurs toujours plus grandes pour les épuiser, les nappes souterraines de la région. La tradition nous dit que, lorsque les usines de Roubaix sont en grève, l’eau remonte dans les puits à Tournai !
 
Pour avoir enfin de l’eau potable, on se décida à creuser un forage à Anchin, et il y eut alors à Roubaix de l’eau industrielle venant de la Lys et de l’eau potable venait de Pecquencourt (1896).
 
Quand le problème de l’eau fut enfin résolu, il y eut, avant la guerre de 1914, un changement d’énergie. Ce fut l’électricité qui entraîna la disparition lente mais sûre de la machine à vapeur au profit du moteur électrique pour chaque métier, pour des raisons d’économies et d’autonomie.
Seules les grandes entreprises de lavage de la laine, de blanchisseries, de teintures et d’apprêt continuèrent à avoir certains problèmes avec l’eau. Beaucoup d’usines préfèrent actuellement avoir leurs propres forages plutôt que l’eau courante qui est de plus en plus onéreuse.
 
En conclusion, nous pouvons louer la ténacité des Roubaisiens qui surent répondre à un besoin aussi essentiel que l’eau ; ils utilisèrent les riez naturels qui parcouraient la ville, particulièrement le Trichon, creusèrent des forages de plus en plus profonds, insistèrent pour avoir un canal sur lequel les manufacturiers avaient fondé beaucoup d’espoir et qui leur apporta finalement beaucoup de déceptions. Ils sont ensuite allés chercher l’eau de la Lys pour l’usage industriel, puis l’eau artésienne à Pecquencourt pour l’eau potable.
 
Bibliographie :
Pierre BRUYELLE « Les Grandes Villes Françaises, Lille-Roubaix-Tourcoing » in La Documentation Française n° 3206 3 juillet 1965.
Félix DELATTRE « Le Riez du Trichon » in Mémoires de la Société d’Emulation de Roubaix, Tome 35, 1961.
Gaston MOTTE, « Roubaix à Travers les Ages », 1946
Gaston MOTTE « Motte-Bossut, une époque 1817-1883 », lettres de familles
Théodore LEURIDAN « Histoire d’Archives de l’ancienne Chambre Consultative des Arts et Manufactures de Roubaix 1805-1872 » Reboux 1879.
 
 

Les fondateurs de la Grande Industrie

DYNAMISME ET ÉQUILIBRE

La liberté commerciale absolue, reconnue intangible, ouvrait la voie aux individualités fortes bien décidées à utiliser toutes les chances qui leur étaient offertes par la législation nouvelle. Ne s’attardant pas à observer les faits, les fondateurs de la Grande Industrie, hommes d’action avant tout, s’engageront avec ardeur dans le système économique libéral dont ils feront le succès. En examinant la liste des Egards et des Maîtres drapiers de l’Ancien Régime, on relève peu de leurs héritiers parmi les notabilités industrielles du XIXème siècle. Rarement, en effet, la conjoncture a été plus favorable aux empiristes dégagés des souvenirs anciens ; ils forcent le destin, alors que les attardés, timides, supputent leur chance et la laissent passer.

Les figures marquantes du XIXème siècle industriel à Roubaix seront celles de chefs de file, bâtissant leurs entreprises au jour le jour, prêts à saisir toutes les occasions heureuses. A la manière des découvreurs de terres inconnues, ces pionniers adoptent la machine à vapeur, les métiers mécaniques à filer et à tisser, entreprennent des voyages de prospection et appliquent dans leurs usines les moyens de production nouveaux. C’est l’époque où les héros de Balzac jonglent avec les lettres de change que l’extension du crédit fait circuler à travers les grandes villes de commerce. Et Daumier nous livre avec Robert Macaire, flanqué de Bertrand, la caricature de ce monde d’affaires.

Mais à Roubaix, les chances de la fortune sont exploitées avec plus de modération et de sagesse et souvent avec mesure. Les créateurs de la Grande Industrie, possédaient non seulement du talent, mais cette sorte de génie divinatoire, apanage des hommes neufs aux muscles solides et à la tête froide.

L’APPORT DES RURAUX

Autour du cœur de la cité, la campagne toute proche a fourni à la Manufacture les bras courageux et les cerveaux clairs dont elle avait besoin. La promotion nouvelle avait préparé son ascension dans le calme du sillon et la patience d’un labeur séculaire tenace et fécond. Ainsi, les cadets de l’Ancienne France retournaient à la charrue et, après ce contact avec la terre tutélaire, leurs ascendants réapparaissaient au premier plan. La création de la Grande Industrie fut une œuvre de force et de santé. La relève, fournie avant tout par le monde rural, possédait une confiance à toute épreuve.

L’historique des censes de Roubaix est évocateur à cet égard. Les Spriet, Mulliez, Lecomte, Leuridan, Pollet, Dubar-Delespaul, Lefebvre, Prouvost, sont tous descendants de cultivateurs. Les ruraux, autant que les ouvriers de qualité ont fondé la grande industrie. Certaines usines importantes ont été construites au cours du XIXème siècle, sur l’emplacement ou à proximité des terres que cultivait, la veille encore, l’ancêtre immédiat ou le nouveau manufacturier. « Si nous nous penchons sur l’origine de la plupart des hommes qui, de nos jours, se sont distingués, nous découvrons derrière eux, une longue ascension et une longue patience. » Ainsi s’exprimait, très justement, Jacques Bainville, dans son discours de réception à l’Académie Française. La claire vision des nécessités de l’heure animait la race des bâtisseurs de nos usines. Les cheminées que, successivement, ils élèveront dans le ciel de la cité, constitueront autant d’actes de foi dans la pérennité de leurs fondations. Ces hommes ne connaissaient pas la crainte des lendemains. Dans ces heures de plénitudes, une race est forte, elle ne cherche pas à maintenir, mais à créer et à poursuivre, en la développant, la tâche entreprise. Qui ne vise qu’à durer, porte déjà dans ses flancs, les traces de la destruction. Par là, la vie opère des coupes sombres ; elle porta des coups mortels aux entreprises de l’Ancien Régime et la sélection continue.

DE QUELQUES-UNS D’ENTRE EUX

Alexandre Decrême (1) qui, en précurseur, entreprit après 1789 la fabrication des tissus de coton, était fils d’ouvrier et la génération suivante, ses descendants, s’allieront aux familles les plus notables. En 1819, un modeste artisan fonda la firme Hannart Frères, l’une des maisons d’apprêts des étoffes qui comptait à la fin du XIXème siècle parmi les plus importantes du monde entier.

Emile Roussel débuta à 14 ans dans l’industrie. En 1865, il aida sa mère à créer une petite teinture et fonda une firme de grande renommée. La firme Wibaux-Florin, qui connut son apogée au XIXème siècle, fut fondée en 1810 par un cultivateur aisé. Né le 16 février 1787, à la ferme de la Mousserie, Hippolyte-Joseph Wibaux épousa Félicité Florin, fille de Pierre-Constantin Florin, premier maire de Roubaix et sa descendance figure parmi les dynasties industrielles du XIXème siècle. Cette firme se spécialise dans les tissus de chaîne coton et de trame de laine peignée et son effacement par la suite doit être attribué à un changement de mode. Ce sont les créations nouvelles qui poussent au zénith les maisons modestes ; mais ce sont elles aussi qui, plus tard, les écartent du succès.

La famille Prouvost est originaire de Wasquehal. Elle occupait une situation rurale de premier plan avant la Révolution. Le Chanoine C. Lecigne écrivit une biographie du poète Amédée Prouvost, dans laquelle il peint en traits brillants, le grand-père de l’écrivain. « Il aimait voyager. Un beau jour, il monta à cheval, il parcourut la France, s’extasiant devant les paysages, s’arrêtant à la porte des usines, mêlant dans ses carnets des impressions d’artistes et des notes d’affaires, exemplaire inédit du Roubaisien à la fois aventureux et positif… Il crée le peignage mécanique de la laine, il lutte dix ans contre les préjugés populaires, les obstinations intéressées et la concurrence étrangère. A force de raison, de calme bon sens, d’efforts continus, il développe l’industrie nouvelle, groupe deux mille ouvriers autour d’elle et dote Roubaix du plus grand établissement de peignage de France. C’est un grand citoyen en même temps qu’un grand industriel. » (2)

Louis-Joseph Brédart épousa en 1754, Anne-Marie Lepers, issue d’une famille rurale très considérée dès le XVIème siècle. De ce mariage naquit, entre autres enfants, Louis-Antoine-Joseph, lequel continua la descendance. L’un de ses enfants, une fille, Pauline, épousa Jean-Baptiste Motte, d’une famille urbaine de Tourcoing, et dont la profession de marchand laisse supposer une profession de négociant en laines. La postérité de la famille Motte-Brédart prend un rôle de premier plan dans la création de la grande industrie de Roubaix. L’aîné Louis Motte-Bossut fonde la filature de coton la plus considérable pour l’époque et fait preuve, au cours de sa carrière industrielle, d’un esprit d’entreprise exceptionnel qui s’est perpétué dans sa descendance. Son cadet, Alfred Motte, se destinait tout d’abord au notariat. En secondes noces, il avait épousé Léonie Grimonprez, fille de Eugène Grimonprez, le promoteur à Roubaix de la filature de la laine peignée et l’un des hommes les plus actifs de la nouvelle promotion industrielle. Après un premier échec, il construit un véritable complexe industriel textile englobant tous les stades de la fabrication, du peignage au tissage. Il fit participer à son succès de multiples associés. Sa formation juridique favorisa sa réussite et après quelques entreprises hasardeuses, il prit soin de limiter ses risques par une clause résolutoire.

Eugène Motte-Duthoit, Député du Nord de 1896 à 1908, est issu de ce mariage. Tandis que la famille Grimonprez s’est effacée, la filiation d’Alfred Motte-Grimonprez occupe présentement encore une importante situation industrielle. Les descendants de Motte-Brédard joignaient à un sens précis des réalités, une activité débordante. Louis Motte-Bossut disait la nécessité « de diriger son affaire personnellement ». « Il faut valoir quelque chose par soi-même, sans chercher trop de distraction en dehors ». Déjà gravement malade en 1882, Alfred Motte-Grimonprez poursuivra sa tâche jusqu’à sa mort, en 1886. Devant une telle ardeur qu’il eût fallut modérer, on constate qu’il est plus dur de rester inactif que d’entreprendre de grandes actions.

Dans ce Roubaix en plein développement économique, le hasard des mariages amena bien des changements de situation. Dans le discours qu’il prononça en 1927, lors de l’anniversaire de la naissance d’Alfred Motte-Grimonprez, son fils, Eugène Motte-Duthoit raconte de quelle façon son aïeul Jean-Baptiste Motte « en prenant à travers champs le chemin le plus court, cueillant pavots et bleuets pour former un bouquet de fiancé pour Pauline Brédart qui habitait Tourcoing, s’arrêtait en chemin à la grande ferme Ducatteau pour parler amicalement avec la fille du fermier. Cette ferme était la première sur le territoire de Roubaix et s’étendait du pont Vanoutryve au Conditionnement et au pont Saint-Vincent-de-Paul.

« Marie Rose, vous êtes trop maligne pour rester fermière disait-il à cette jeunesse, vous devriez vous marier avec un fabricant et vous feriez belle carrière ».

Et cette prédiction s’accomplit. Elle épousa M. Lefebvre et la Maison Lefebvre-Ducatteau, sous sa direction, devint l’une des premières maisons de la Fabrique de Roubaix. Elle commandita plus tard, en 1852, la Maison Amédée Prouvost, les premiers peigneurs de Roubaix et les plus réputés, et Henri, Jean et Louis Lefebvre ont hérité de l’esprit délié et entreprenant de Marie-Rose ».

En 1820, Louis Dubar épouse Marie-Joseph Delespaul, à la ferme du Hutin et fonde une importante entreprise. La famille Bayart était originaire de la ferme de l’Hornuyère de Wattrelos. Pierre-Joseph Bayart épouse en 1798, Sylvie Lefebvre et le jeune ménage s’installa comme fabricants. Dans leur descendance, on retrouve les Bayart-Cuvelier, Bayart-Lefebvre, Ernoult-Bayart et maintes autres familles qui ont fait carrière brillante dans l’industrie.

En 1853, les frères Dillies installent quelques métiers à tisser. Véritables vulgarisateurs du tissage mécanique à Roubaix, ils seront en 1860, propriétaires de 400 métiers. Simple tisserand, Julien Lagache devient un remarquable fabricant. François Frasez installe des métiers à tisser dans des maisons construites à cet usage (chaque maison recevait quatre métiers) et inaugure ainsi une méthode qui a été reprise avec succès dans d’autres régions. Commentant l’exposition de 1853 et s’arrêtant au nom de MM. Eugène Grimonprez et Cie, Théodore Leuridan dira qu’il a été frappé « du grand nombre de maisons inconnues jusqu’ici ».

A partir de 1850, la plupart des affaires se montent en associations à cause du coût élevé des industries mécanisées. De plus, la direction d’une usine exige la présence à peu près constante des patrons. Pour leur permettre de rester à leurs affaires, des maisons de commissions sont fondées. C’est M. Bossut qui fonda la première maison du genre. Par la suite, la Manufacture s’efforcera de se passer de leurs services.

Les frères Delattre, industriels avisés, Henri qui fut Maire de Roubaix en 1848 et Louis épousèrent respectivement Adèle et Pélagie Libert, filles du fermier de la Potennerie. Fondée en 1827, leur entreprise avait pris rapidement un développement considérable. La veuve Libert épousa en secondes noces Pierre Pollet-Delobel de Sainghin et leur descendance honore de nos jours encore l’industrie roubaisienne. La Maison Toulemonde-Destombes, fondée en 1820 trouve son origine dans un tissage à la campagne et il est fort probable, comme ce fut le cas de plusieurs industriels dont le fondateur mena tout d’abord de pair la culture et le tissage, que la ferme ne fut délaissée qu’après emprise sûre dans la manufacture.

On pourrait poursuivre des recherches en ce sens. « Il n’y a aucune maisons ayant tenu quelque place à Roubaix qui n’ait eu ses fondements dans une connaissance approfondie de la matière et du métier » écrit M. Gaston Motte dans son « Histoire de Roubaix ». La grande industrie fut fondée par une promotion nouvelle, artisans parvenant au patronat de souche roubaisienne ou immigrés, mais, le plus souvent, les industriels du XIXème siècle sont d’origine rurale.

Ces hommes nouveaux, ancrés sur la réalité, osent tout risquer et tout entreprendre. Leur tournure neuve de pensée et d’action a édifié la cité moderne. Les hautes cheminées dominaient de véritables fiefs industriels. « Plus riche en outils qu’en fonds d’Etat, l’héritier ne pouvait s’évader » dira Eugène Motte lors de l’inauguration de l’Hôtel de Ville, le 30 avril 1911.

D’après les travaux de recherche de Georges Teneul,

Président de la Société d’Émulation de Roubaix

et son « Histoire économique de Roubaix – Réflexions sur notre temps » 1962

1 Ancienne famille notable qui avait connu un effacement momentané.

2 Chanoine C. Lecigne : « Amédée Prouvost ».