Léon Marlot, jeune résistant de la Première Guerre mondiale

Léon Marlot, jeune résistant roubaisien

Pendant la Première Guerre mondiale

Dossier de Monsieur Jean-Pierre Delahotte,

Secrétaire de l’association Espace du Souvenir de Roubaix

Documents pour une biographie, Juillet 2013

Stèle de Léon Marlot au sein du carré militaire du cimetière de Roubaix

Photo Jean-Pierre Delahotte

Pour qui voudrait mieux connaître Léon Marlot, voici ci-dessous la transcription de deux documents dont les originaux sont consultables en Médiathèque de Roubaix. Le premier de ces documents a été offert par le Journal de Roubaix à l’occasion de l’inauguration du monument élevé à la mémoire de Léon Marlot, le dimanche 29 mars 1925.

Il s’intitule :

« L’Histoire d’un Héros de dix-sept ans fusillé par les Allemands :

Léon Marlot, Chevalier de la Légion d’Honneur »

(Cote Médiathèque RES BR 4/1346)

Ce texte a déjà connu une première mise en valeur dans la plaquette de l’association Espace du Souvenir de Roubaix (Numéro 4. Tome 1 – Janvier 2011 – Spécial Résistance 1914-1918). En effet, la sépulture de Léon Marlot se trouve dans le carré militaire du cimetière de Roubaix, cimetière que cherche à faire connaître l’association Espace du Souvenir. C’est un membre de l’association, par ailleurs adjoint au Maire de Roubaix, Monsieur Henri Planckaert, qui a retrouvé cette sépulture.

Le second de ces documents est la transcription d’une chanson honorant Léon Marlot, dont les paroles et la musique ont été composées par Henri Palanchier.

Cette chanson est intitulée « Hommage à Léon Marlot : jeune héros roubaisien fusillé par les Allemands à Tournai le 23 Juillet 1918 ». Selon une mention portée sur la partition pour le chant seul, elle aurait été vendue au profit des aveugles de guerre (Cote Médiathèque RES (BR) 4/1123).

Ces documents sont intéressants au titre des informations d’ordre biographique qu’ils présentent. Ainsi, le document diffusé par le Journal de Roubaix contient le texte de la dernière lettre du jeune homme à sa famille. Par ailleurs, article et chanson reflètent, dans le vocabulaire et les valeurs mises en avant, le type d’hommage rendu aux soldats et, comme ici, aux résistants de la Première Guerre mondiale encore plusieurs années après le conflit.

Aujourd’hui, la figure de Léon Marlot est toujours honorée à Roubaix, à l’occasion par exemple du centenaire de son certificat d’étude, fêté en 2013 dans l’école qui porte son nom, avenue Linné.

 

La publication du Journal de Roubaix

Première page du document offert par le Journal de Roubaix.

Médiathèque et Archives de Roubaix. Cote RES BR 4/1346

Un douloureux et glorieux épisode de l’occupation à Roubaix

Parmi les pages les plus glorieuses et les plus douloureuses à la fois que la guerre et l’occupation ont ajoutées à notre histoire nationale, il en est une que les Roubaisiens doivent connaître particulièrement. Et cette page est, d’autant plus belle et plus émouvante qu’elle fut écrite en lettres de sang par un enfant de notre cité : Léon Marlot.

A dix-sept ans, verser volontairement son sang, offrir sa jeunesse et sa vie pour servir son pays, n’est-ce point le plus sublime des sacrifices ? Et, lorsqu’on y songe, on est porté à se demander comment, à cet âge, le cœur peut contenir tant de noble fierté, de si viriles résolutions, tant d’abnégation et d’énergie à les mettre en pratique, malgré tous les dangers. C’est que Léon Marlot avait une double passion : l’amour de la France et la haine du Boche. Cette passion en fit un héros, un émule des Bara et des Viala. La légende n’a point ici de place : la réalité historique est plus belle que toutes les légendes. Combien nous regrettons cependant, de n’en point connaître à fond les épisodes tragiques, de ne pouvoir retracer par le menu les hauts faits qui méritèrent à Léon Marlot, cette belle citation posthume, signée du maréchal Pétain :

Le maréchal de France, commandant en chef les armées du Nord et de l’Est, cite à l’ordre de l’armée :

« Marlot Léon, de Roubaix, jeune Français âgé de 17 ans. Alors que les Allemands voulaient le forcer à travailler à leurs lignes de la région de Lens, a tenté de s’évader vers les lignes alliées, emportant le plan de nombreux dépôts de munitions ennemis qu’il avait relevé. Pris au cours de sa tentative d’évasion, jugé par un tribunal militaire, a été fusillé à Tournai, le 23 Juillet 1918. A refusé d’avoir les yeux bandés et est tombé en criant : « Vive la France ! »

POUR SERVIR LA FRANCE

Le laconisme de ce style militaire résume trop brièvement les actions de Léon Marlot et, malheureusement, les renseignements sont peu nombreux que nous avons pu recueillir sur lui, sa famille ayant quitté Roubaix depuis plusieurs années. Nous les devons, d’ailleurs, au zèle et à l’affectueuse sollicitude de son ancien instituteur de l’école de l’avenue Linné, M. Bonnet.

Lorsqu’en août 1914, la grande guerre commença de tout bouleverser, Léon Marlot venait de quitter l’école. Il avait obtenu le certificat d’études primaires, et le souvenir qu’il laissait à ses camarades et à son maître était celui d’un bon élève, courageux et tenace. Sitôt la mobilisation, quoique bien jeune encore, il se révèle un fervent patriote. Se passionnant aux évènements, il lit avec avidité tout ce qui a trait aux opérations militaires et met tout son espoir dans la victoire de la France.

Vient l’occupation ; Léon Marlot refuse de travailler pour les Allemands. Il n’en est pas moins envoyé, en avril 1916, casser des cailloux sur les routes des Ardennes. Mais bientôt, à cause de son jeune âge, il est renvoyé à Roubaix. Sans cesse hanté par l’idée de servir sa Patrie, il va rôder dans les remparts de Lille, autour des mitrailleuses et des installations allemandes, dans l’espoir de recueillir des renseignements utiles pour nos troupes. Suspecté d’espionnage, il est arrêté et envoyé au camp d’aviation de Noyelles.

De nouveau obligé à travailler pour l’ennemi, il n’a plus qu’un but : se libérer de ce pénible esclavage. L’occasion tant attendue se présente un jour. Un aviateur allemand ayant abandonné son appareil à proximité de l’endroit où il travaille, Léon Marlot bondit dans l’avion. Il manœuvre les leviers… Pas assez vite cependant. Des soldats allemands l’ont aperçu. Ils se précipitent sur le jeune évadé, l’arrachent de la carlingue et, pour assouvir leur rage, ils le rouent de coups jusqu’à le laisser pour mort sur le terrain.

Léon Marlot se rétablit cependant et, quelque temps après, il est prêt pour une nouvelle tentative d’évasion. Nous ne pouvons mieux faire que lui céder la parole et l’écouter raconter lui-même les péripéties de son arrestation, dans une lettre qu’il adressa plus tard à ses parents.

« Je songeai à rejoindre les Anglais dont j’étais si près. Le 5 avril 1918, après avoir rassemblé le plus de renseignements susceptibles de rendre service aux nôtres, je partis de Noyelles-Godault et me dirigeai vers Lens, éloignée de huit kilomètres. Il était nuit. Après avoir évité les postes et soldats échelonnés le long du trajet et passé, non sans peine, quelques lignes de fils de fer barbelés, j’arrivai aux tranchées du front allemand. Au milieu des ruines de Lens, je me reposai sur une large pierre qui devait avoir servi de soutien à une statue, d’après les débris que je voyais autour de moi ; puis je repris ma route à travers les fils barbelés, les ruines, les tranchées, les trous d’obus.

De temps en temps, les mitrailleuses crépitaient, les obus sifflaient dans l’espace. Après avoir rampé pendant au moins une heure et demie et m’être caché dans les trous, j’arrivai vers la deuxième ligne d’infanterie allemande, lorsque je dus essuyer le feu d’une mitrailleuse ennemie, dont les servants m’avaient aperçu. Par trois fois, elle essaya de m’atteindre. Je rampai bien vite dans un entonnoir d’au moins trois mètres de profondeur et j’y restai blotti pendant une demi-heure.

Quand tout fut calmé, je repris ma route, car je voyais que l’horizon blanchissait. Malheureusement, je pris un boyau de tranchée qui se trouvait sur ma droite. Je fus arrêté rudement par des soldats occupés à arranger les parois. Ils me remirent à leur lieutenant, qui me fit conduire dans la grande tranchée du front où se trouvent les bureaux. J’y fus fouillé, puis dirigé vers l’arrière.

A la kommandantur de Courrières, deux agents de la police secrète me firent déshabiller et visitèrent de fond en comble mes vêtements. Après cet examen, ils me firent monter en auto et me conduisirent à Tournai. Un commissaire allemand m’y fit écrouer vers 11 heures, après m’avoir interrogé sur le plan d’un dépôt de munitions dont j’avais été trouvé porteur.

Le mercredi 15 mai, je fus jugé et reconnu coupable du crime de trahison, d’espionnage pour l’ennemi. Condamné à la peine de mort, avec circonstances atténuantes, je crois, d’après le sergent de la prison, que je partirai plutôt en Allemagne… »

LA MORT D’UN BRAVE

Mais, n’était-ce point un pieux mensonge que cette ultime espérance qu’il voulait laisser aux siens ? Et bien souvent, sans doute, dans l’obscur et douloureux silence de sa froide cellule, le petit détenu songeait à sa famille… Il savait qu’il ne la reverrait plus, que sa destinée à lui c’était la mort. Et cette mort, il l’accepta sans une larme, sans un regret apparent, trop fier pour laisser voir au Boche odieux, que son cœur d’enfant saignait d’une cruelle blessure…

Elle vint, le 23 Juillet 1918. Tandis que nos troupes commençaient leur offensive victorieuse, crânement, sans forfanterie, en vaillant Français, offrant sa jeune poitrine aux balles ennemies, après avoir refusé qu’on lui bandât les yeux, Léon Marlot tomba en poussant ce cri qui fut tout son idéal : « Vive la France ! »

LA DERNIÈRE LETTRE DE LÉON MARLOT

Avant de mourir, Léon Marlot avait envoyé à ses parents, par les bons soins de son aumônier, cette lettre sublime :

Tournai, le 23 Juillet 1918.

Très cher Papa, très chère Maman,

Chers Frères et chères Sœurs.

Vous dire la douleur horrible qui trouble mon âme en ce moment, m’est impossible ; mon être entier frémit et frissonne ! Oh ! Très chère maman, console-toi, tant d’hommes meurent en ce moment ; console-toi de la mienne, oh ! bien chère maman, oui, vois-tu, je vais mourir ; ce soir à 8 heures, je ne serai plus de ce monde ; oui, j’aurai quitté cette terre de larmes et de gémissements pour Lui rendre compte de ma vie, hélas ! Si courte. Oh ! Maman, pardonne-moi les peines que je t’ai causées par mes inconduites et mon indocilité ; je vous demande aussi pardon, chers frères et sœurs du mal que j’ai pu vous faire et du mauvais exemple que j’ai pu vous montrer.

Soyez toujours bons, généreux, pieux et vertueux surtout, car la vie ici-bas n’est qu’un passage, vous le voyez par moi-même ; aussi soyez toujours chrétiens. Remettez-vous entièrement de votre vie entre les mains de Dieu, faites sa sainte volonté ; soumettez-vous-y et vous gagnerez le ciel.

Soyez certains que je prierai beaucoup pour vous là-haut, particulièrement pour toi, chère mère et aussi pour papa ; dites-lui que je lui demande pardon aussi pour les fautes et les peines que je lui ai causées, dites-lui que j’étais décidé à mener une vie toute autre que je n’avais menée jusqu’ici ; je m’aurais consacré entièrement à votre bonheur terrestre et surtout éternel.

Oh ! Maman, je te prie de redoubler d’affection pour mes chers frères que je n’ai pu, hélas ! Revoir une dernière fois. J’ai pensé à toute la famille, et notamment à mon cher père qui s’est exposé pour la patrie : en retour, priez souvent pour le repos de mon âme.

Je meurs content, victime de mon dévouement patriotique et réconforté d’ailleurs par la Sainte Communion.

Votre très affectionné fils et frère,

Signé : MARLOT Léon,

Caserne rue de la Citadelle,

Tournai, le 23 Juillet 1918. – 4 ½ (soir)

POUR SA MÉMOIRE

La glorieuse dépouille du jeune héros, reposa, durant près de quatre ans, dans un cimetière de Tournai. Exhumé en Juin 1922, il dort maintenant son dernier sommeil dans la nécropole de sa ville natale, aux côtés de ceux qui tombèrent sur le champ de bataille, ses frères des tranchées. Une stèle pareille à celle de nos soldats s’élève sur le tertre de sa tombe, que des mains amies viennent fleurir pieusement.

En décembre dernier, la Croix de la Légion d’Honneur fut attribuée à la mémoire du vaillant petit Roubaisien.

L’admiration, la vénération vouée à Léon Marlot, nous devions la graver dans la pierre.

Un monument Léon Marlot ! Quelle belle manière d’exalter la mémoire de celui qui incarna, durant l’occupation, les plus hautes aspirations de nos cœurs, de celui qui restera le plus pur et le grandiose symbole de nos douleurs et de nos souffrances ! Notre ville se devait d’élever un monument, qui dira aux jeunes Roubaisiens des futures générations, qu’un de leurs aînés, à peine sorti des bancs de l’école, ayant voué une sainte et implacable haine à l’envahisseur, résista à ses ordres barbares, et qu’ayant donné tout son cœur à sa Patrie, il voulut, lui aussi, la défendre comme les poilus sur les champs de bataille, et versa généreusement son sang pour la servir…

Ce monument, dû à l’initiative des Combattants Roubaisiens, est inauguré aujourd’hui, dimanche 29 mars, à 11 heures 15, à l’école de l’avenue Linné. En assistant à cette cérémonie, nos concitoyens accompliront leur devoir de reconnaissance et d’admiration envers cet enfant du peuple qui incarnait les plus belles vertus de la race française, envers ce héros parfait, qui a sa place parmi les plus pures figures de notre France, envers les maîtres qui ont forgé son âme, envers la famille, qui a formé et fortifié son cœur.

 

LA CHANSON-HOMMAGE

Première page de la partition

Médiathèque et Archives de Roubaix.

Cote RES (BR) 4/1123

Hommage à Léon MARLOT

Paroles et Musique d’Henri PALANCHIER

1.

Parmi les braves guerriers

De la terrible guerre,

Un Roubaisien, jeune ouvrier,

Pour la patrie quitta sa mère ;

Ce petit gars, ce grand héros

Donna sa vie pour nous sauver,

Aussi son nom : « Léon Marlot »

Dans tous nos cœurs sera gravé.

REFRAIN

En bonne santé, marchant de bon cœur,

Gaiement, il luttait sans trêve et sans peur.

Pour son Pays donna sa vie

Et pour toujours s’est endormi,

S’est endormi pour la Patrie.

2.

Ce n’est qu’un adolescent

Et, malgré son jeune âge,

Suit ses aînés combattant

Sans peur il brave le carnage,

A travers champs, villes et hameaux,

Vigilant, déjoue l’ennemi,

Notant les plans de leurs travaux

Pour son Pays et ses amis.

(Au refrain)

3.

Mais l’implacable ennemi

Un jour a mis entrave :

Entre ses mains, ce cher ami,

Prisonnier il tombe en brave

Et, sans remord, près du tombeau

Confiant, gardant l’espérance,

Meurt crânement face aux bourreaux,

Criant : « Vive la  France » !

(Au refrain)

4.

A nos enfants nous dirons

Ton émouvante histoire :

A l’avenir ils marcheront

Comme toi à la Victoire.

Adieu, Marlot, repose en paix :

Triomphants, les Poilus de France

Sous leurs drapeaux pleins de vaillance

Ont reconquis ton cher Roubaix.

(Au refrain)

5.

Dans la coquette cité,

A l’ombre d’un bocage

Un monument sera monté

Souvenir de ton courage

Et quand, par-là, nous passerons

En priant, l’âme attristée,

Et pieusement nous saluerons,

Remémorant ton épopée.

(Au refrain)

Joseph Dubar, résistant

JOSEPH DUBAR
HISTOIRE D’UN GRAND RESISTANT ROUBAISIEN
DIT JEAN DE ROUBAIX OU JEAN DU NORD
DURANT LA GUERRE 1939-1944

Souvenirs de son frère Georges Dubar

Le dimanche 6 novembre 1960, le journal Le Soir à Bruxelles, annonce le décès de Joseph Dubar et titre « Jean du Nord, héros de la résistance franco-belge, est mort à Roubaix. Un français à qui la Belgique doit beaucoup ».

« Modeste artisan, fils de tisserand, il joua un rôle de premier plan dans la guerre clandestine. Son patriotisme ardent, son amitié pour notre pays, son audace et son talent d’organisateur, en firent la cheville ouvrière des réseaux franco-belges de renseignements, d’action et d’évasion ».

« Il termina la guerre 1939-45 avec le grade de lieutenant-colonel des Forces Françaises Combattantes et la rosette de la Légion d’Honneur, ses brillants états de service à la tête du réseau « Ali-France » qu’il avait fondé et qui appartenait aux réseaux belges de France lui valurent le grade major A.R.A. de l’armée belge et le Prince Régent lui décerna la commanderie de l’Ordre de la Couronne. Le roi Georges VI lui conféra l’une des plus hautes distinctions militaires britanniques, le D.S.O. (Distinguished Service Order). »  

Joseph Dubar est né dans une courée, 40 rue La Fontaine à Roubaix le 30 décembre 1899. Comme beaucoup de roubaisiens à cette époque, il a des origines flamandes du côté maternel. De ses parents, il acquiert une conscience droite et le respect des convictions qui l’amèneront à devenir une figure légendaire de la Résistance, un patriote intransigeant, ayant des qualités d’animateur et de chef.

Dès ses études primaires, il est remarqué pour son inventivité et ses dons en dessin. En 1914, cet adolescent, doué pour la chimie et l’électricité qu’il étudie seul à l’aide de livres appropriés, se révolte contre l’occupation allemande. Avec beaucoup de courage et d’ingéniosité, il fabrique, seul, en cachette, dans le grenier de ses grands parents, des explosifs avec de la potasse qu’il arrive encore à se procurer dans une droguerie de la rue de Lannoy.

Son frère se souvient qu’à cette époque, pour gagner de l’argent, il fabriquait et vendait des lacets en récupérant, dans les usines textiles fermées de Roubaix, de la corde à broche qu’il teignait et munissait d’embouts de fer récupérés sur de vieilles boîtes de conserve.

Un jour, il réussit à faire sauter un grand pylône supportant les liaisons téléphoniques d’un PC allemand situé en haut de l’avenue du Général de Gaulle.  Une autre fois, il injecte de l’acide avec une seringue dans le trou d’une serrure d’un important relais téléphonique réservé à l’occupant. Situé rue du Manège (aujourd’hui rue De Lattre de Tassigny) il occasionne de graves dégâts sur les câbles électriques.

Bloqué par l’occupation allemande, il décide de s’engager dans l’armée Française. En 1917, il part en sabots avec une bêche sur l’épaule pour ressembler à un paysan. Après avoir traversé à pieds toute la Belgique dans l’intention de gagner la France non occupée et l’armée française, il échoue à la frontière hollandaise, très bien surveillée. Sa mère le voit revenir à Roubaix en piteux état, les pieds ensanglantés.

La guerre finie, il effectue son service militaire (classe 19) et se marie en 1924 avec Laure Hennion, nièce de Jean Lebas, maire socialiste de Roubaix. Il s’installe à son compte en 1936 avec son épouse spécialisée en bonneterie et ouvre un petit atelier de confection qui fonctionne jusqu’à sa mobilisation, en janvier 1940, au 3ème Génie à Arras. Il est alors âgé de 41 ans. Affecté aux ponts fluviaux de Croix et de Wasquehal, il participe à leur destruction en mai 1940 pendant la bataille de France. Le 28 mai 1940, encerclé à Lille avec son unité, il refuse de se rendre et échappe à la captivité en se démobilisant lui-même, rentre chez lui, reprend la vie civile et débute aussitôt son activité de « résistant clandestin ».  

Il rencontre Paul Joly, petit industriel Roubaisien né comme lui en 1899, fait prisonnier à Dunkerque et évadé. Bien qu’ils soient d’opinions politiques différentes, Joseph Dubar est militant socialiste tandis que Paul Joly est plutôt de sensibilité de droite, ils s’accordent pour joindre leurs efforts dans la lutte contre l’ennemi. Avec l’aide de Marcel Guislain, médecin à Roubaix, ils commencent à évacuer les soldats alliés.

Joseph Dubar expose ses vues à Jean Lebas qui lui accorde sans réserve son soutien et le met en rapport avec des personnes sûres dans toute la France. Le jour de l’appel du Général de Gaulle, le 18 juin 1940, ils ont regroupé autour d’eux des hommes et des femmes qui refusent d’abandonner le combat. Le réseau, encore embryonnaire, porte le nom de leur mot de passe « Caviar » et s’occupe de tous travaux de résistance. Parmi les compagnons de la première heure, Joseph Dubar cite Paul Joly, Jean Lebas et son fils Raymond, Georges Marc, douanier à Toufflers, Marcel Delcroix entrepreneur à Wattrelos, Marius et Millette Berrodier, fleuristes rue de la Gare à Roubaix, tous sont d’opinions différentes mais animés du même idéal.

Dès juillet 1940, l’urgence est d’organiser l’évacuation des soldats alliés cachés chez les habitants en leur fournissant nourriture, logement et habillement. Joseph Dubar les accompagne ensuite jusqu’à Marseille à travers deux lignes dangereuses : la Somme pour sortir de la zone interdite particulièrement dangereuse, puis la ligne de démarcation pour sortir de la zone occupée et même parfois également la frontière belge. Il risque sa vie à chacun de ces passages. Il réussit pourtant et recommence inlassablement le même trajet avec d’autres personnes qu’on lui amène de tout côté.

C’est par Marcel Delcroix (alias Mancel), petit entrepreneur de Wattrelos, évadé du camp de Rexpoede et ami de son frère Charles, qu’ils entendent parler du Fort Saint Jean près de Marseille où se trouve une antenne M.I.S., le service britannique qui s’occupe d’évasion. Cécile Hermey, professeur d’anglais à l’Institution Ségur à Roubaix accompagne, pendant les vacances de Noël 1940, deux soldats anglais recueillis à Hem et prend des contacts utiles pour organiser une filière d’évasion. Joseph Dubar utilisera ce « débouché » jusqu’en juillet 1941 et profitera de ces voyages pour transmettre au capitaine anglais Murphy Plommen (alias Murchie), responsable du Seamens House de Marseille, les renseignements rassemblés essentiellement par Georges Marc qui pouvaient s’avérer utiles pour les alliés.  

C’est à partir de janvier 1941 que le réseau s’organise véritablement. En effet, vers la fin 1940, Joseph Dubar est approché par Jules Correntin (alias Léon). Il s’offre immédiatement pour procurer à la résistance belge des moyens de communications avec la zone non occupée. En collaboration avec Paul Joly, il convoie jusque Marseille neuf pilotes de l’aviation belge par la même ligne qu’il avait montée pour les soldats anglais. Parmi eux arrivent à Londres des hommes qui allaient jouer un rôle essentiel dans l’organisation de la résistance belge comme le Colonel Van Dyck, le Major Guillaume, Gazon et d’autres personnes comme le capitaine Pierre Vandermies, qui reviendra en France le 13 juin 1941 afin d’organiser l’évacuation d’un courrier hebdomadaire comprenant tous les renseignements des réseaux belges (mission Dewinde).  

Le réseau se scinde en deux parties au mois de juillet 1943. Paul Joly avec son service Caviar continue le renseignement. Joseph Dubar avec son service Jean du Nord et plus tard Ali continue l’évacuation des hommes et du courrier et travaillera pour les services belges à Londres et dépendra organiquement de la sûreté de l’Etat. Comme d’autres Français, Joseph Dubar, méfiant vis à vis du gouvernement de Vichy, choisit de servir dans ces formations belges qui, sans un soutien efficace, n’auraient pu se développer sur le territoire français et qui étaient indispensables pour les liaisons entre la Belgique et la Grande-Bretagne. Le contact est alors pris avec Fernand Kerkhofs, fondateur du réseau Zéro à Bruxelles.

A la fin de l’année 1941, les principaux mouvements de la résistance belge ont fait du triangle Lille-Roubaix-Tourcoing la plaque tournante d’une formidable clandestinité. Jean de Roubaix « est connu de tous les chefs de la résistance en Belgique comme un ami sûr et un compagnon de lutte ».

Pierre Vandermies demande également à Paul Joly et Joseph Dubar de recevoir et d’aider les agents parachutés dans le nord de la France pour les réseaux belges. Ils leur procurent des faux-papiers, vont rechercher leur matériel, leur font passer la frontière ainsi qu’à leurs bagages qui sont en général remis à la buvette de la gare de Tournai « Chez Louise ».  

Pour cela, Jean du Nord a constitué ce qu’il appelle lui-même un « petit état-major » qui fonctionne dès 1940. Celui-ci se retrouve au Café de l’Univers installé sur la Grande Place de Roubaix, géré par Joseph et Irène Verbert. « Le fait qu’Irène, née allemande, peut opposer à des perquisitions, un accueil dans la langue de l’envahisseur rend le rôle du café de l’Univers capital jusqu’à ce moment de 1942 où il apparaît prudent de faire prendre la clandestinité à ses responsables. »

Le groupe pour lequel Paul Joly est devenu « Caviar » et Dubar « Jean du Nord», « Jean de Roubaix » ou aussi « Jean Ballois » prend très vite un rôle considérable. On en trouve la trace dans le rapport de la Feld Polizei du 5 juin 1941, qui décrit, sur la foi d’aveux d’un soldat anglais pris à la ligne de démarcation, tout ce qu’un « client » pouvait connaître des « gens de l’Univers».

A partir juin 1941, la royal Air Force largue systématiquement tous ses agents au-dessus du nord de la France. Les parachutés, appelés aussi « Jean de la Lune» ont pour consigne de se présenter au Café de l’Univers muni d’un mot de passe et d’un billet portant la signature de Vandermies. Entre octobre 1941 et janvier 1943, pratiquement tous les agents parachutés pour les réseaux de renseignements belges passeront par Roubaix et tous, sauf pour une équipe, seront accueillis soit à l’Univers soit, plus tard, par les fleuristes Marius et Marie Berrodier, rue de la Gare. Munis de faux papiers à Roubaix, Joseph Dubar, Paul Joly ou un de leurs collaborateurs les font franchir la frontière franco-belge ou les acheminent en zone libre. Ils vont également chercher leur matériel que les agents cachent après leur saut et cette recherche les mène parfois dans des endroits curieux (comme des caveaux vides dans les cimetières…)

Ils organisent également le convoyage des courriers des divers services de renseignement regroupés par le réseau Zéro à Bruxelles. S’y ajouteront le courrier d’autres réseaux belges : Bravery et à partir de juin 1942, celui du réseau Boucle. Plus tard, Ali-France transportera aussi le courrier de Zig et pendant quelques semaines, en 1943, celui du réseau Marc. Ainsi chaque semaine à partir d’août 1941, un courrier groupant tous les réseaux belges part de Bruxelles via Tournai, Roubaix, Paris pour Tours et Toulouse ou Lyon, Montpellier et Perpignan en passant la ligne de démarcation à Chalon sur Saône ou à La Haye-Descartes avec l’aide du réseau « Sabot » puis le P.C.B. (Poste Commandement Belge) puis le P.C.C. (Poste Commandement Courrier).

Wilson Churchill a écrit dans ses mémoires que durant la bataille du Radar en 1941, 80 % des renseignements venus des services établis en territoire occupé, furent fournis par les réseaux belges. La majeure partie de ces courriers passèrent entre les mains de Jean de Roubaix, de Léon de Tourcoing et de leurs compagnons.

Parachuté en France la nuit du 22 au 23 juin 1942, le capitaine belge Gérard Kaisin (alias Alex) a la mission de créer un réseau de renseignement dans le Nord de la France. Paul Joly, avec une trentaine de ses collaborateurs comme Joseph Verbert, les Berrodier, Suzanne Derache et Geneviève Liebert, fondent le réseau « Zéro-France » en juillet 1942.

Joseph Dubar continue ses activités et donne le nom d’« Ali-France» à son réseau en souvenir de son ami Georges Marc, alias « Ali 99 ». Sa fille Raymonde, devient son bras droit après son arrestation et le seconde efficacement. Il se consacre essentiellement aux évasions et aux réceptions de parachutistes ainsi qu’au transport des courriers. Appuyé par Victor Provo, maire depuis juillet 1942, il assure la remise des papiers d’identité et des cartes de ravitaillement place de la Gare, héberge les clandestins dans la crèche de la rue de Tourcoing et les achemine vers le sud.

Le réseau « Ali-France » fonctionne jusqu’à la Libération. A son actif, il aura, d’après les contrôles officiels belges, convoyés « 700 hommes militaires ou civils français, belges et britanniques, vers la zone libre ou l’Espagne ». Sur ces 700 évadés officiellement contrôlés, 3 % seulement n’arriveront pas à Londres. De plus, 80 % des hommes parachutés par le gouvernement belge ont été réceptionnés sans incident.

De juillet 1940 à juillet 1943, le nombre des courriers de renseignement pris en charge par « Jean du Nord » est de 104, chaque contenair pesant de 20 à 30 kg. Cela représentait plusieurs milliers de documents, dont un bon nombre ont eu une importance militaire capitale dans le déroulement de la guerre. Le courrier des réseaux belges passe la frontière à La Festingue chez François Vienne où l’épouse de Georges Marc et le dépose à la crèche de la rue de Tourcoing à Roubaix. Entre la fin 1943 et mai 1944, cette ligne fait partie intégrante du système du P.C.C.  

Dès 1941, la police allemande traque « Jean » dont elle a confisqué tous ses biens et mis sa tête à prix 1 million de francs belges. Le 21 mai, elle arrête sa femme, Laure Dubar-Hennion, son oncle Jean Lebas, Député-maire de Roubaix et le fils de celui-ci, Raymond Lebas, ils ne reviendront pas. Le 9 octobre 1941, c’est l’arrestation du roubaisien Marcel Duhayon, douanier, suivie le 11 décembre de son collègue Georges Marc de Toufflers. Le 4 mai 1942, le Docteur Marcel Guislain et Marcel Delcroix tombent aux mains de l’ennemi. Camille Chevalier est arrêté le 12 août 1942 à Chalon-sur-Saône et fusillé le 18 août 1942. Raymonde Marc est arrêtée à Toufflers le 29 avril 1943 puis Mr et Mme Capette avec leur fils le 26 mai 1943, qui servaient de boîte aux lettres. Paul Joly est arrêté le 21 juillet 1943 en même temps que Marius et Millette Berrodier, fleuristes dans l’avenue de la Gare et qui utilisaient des noms de fleurs comme mots de passe. On demandait des Iris bleus, des marguerites blanches ou des roses rouges. Et enfin Mme Lapaire, arrêtée à Tours, le 15 juillet 1944.  

En février 1945, on n’a encore peu de nouvelles de ces agents, à l’exception de Camille Chevalier, fusillé. Conscients du danger pour eux-mêmes et leurs familles, une caisse spéciale de secours aux agents arrêtés et d’aide à leur famille est créée en juillet 1943. Elle est organisée de façon à subsister au cas où le réseau Ali-France viendrait à disparaître et permet son bon fonctionnement. Elle accorde des secours aux familles et aux personnes qui ont recueilli un aviateur abattu et finance intégralement les colis envoyés aux agents prisonniers. Elle fournit également de l’argent de poche aux soldats évadés d’Allemagne pour leur voyage en train et leur nourriture en cours de route. De nombreux français furent également aidés pour gagner l’Angleterre. Joseph Dubar, dans son rapport de février 1945 « souligne l’appui entier obtenu des autorités Belges pour cette œuvre. Jamais les fonds nécessaires n’ayant été discuté ».

Malgré les coups très durs, « Jean du Nord » continue de défier l’ennemi et le danger par une activité prodigieuse et incessante. Son habileté devient légendaire dans les réseaux. Il va, il vient, avec des hommes, des courriers, du matériel parachuté, de Roubaix à la Somme, il force la ligne, de la Somme à La Haye-Descartes où il passe la 2ème ligne de démarcation. Un jour, il est à Tournai ou à Bruxelles, un autre jour, on le retrouve à Paris, à Charleville, à Chalon-sur-Saône, à Lyon ou dans les Pyrénées. Jamais au même endroit, sa mobilité déconcertera ses poursuivants et contribuera à déjouer tous les pièges que les polices, nazie et collaboratrice, lui tendent. Pourtant, il conserve des contacts précis avec certains de ses amis et le travail n’est jamais interrompu.

Il voyage en train, mais fait aussi des raids considérables à vélo lorsqu’il lui faut récupérer du matériel parachuté. Avec ses camarades belges, chefs de réseaux, il participe à l’évacuation de condamnés à mort évadés, d’agents « brûlés » et de personnalités politiques belges qui gagnent le monde libre. C’est lui qui réceptionne presque tous les « Jean de la Lune » c’est à dire les agents belges et leurs matériels parachutés en France. En juillet 1943, il totalise 21 missions de cette sorte dont pas un homme ni un poste émetteur n’a été perdu.

A la demande pressante du commandement belge, Jean du Nord s’envole pour Londres le 17 décembre 1943 afin organiser un service de transmission directe des renseignements depuis le Nord. « Si c’est uniquement pour ma sécurité que vous m’appelez chez vous, j’estime ne pas pouvoir accepter (…) Je ne suis pas inconscient des dangers qui m’entourent » écrit-il à Londres et il n’acceptera que si Londres l’appelle « pour me donner des instructions spéciales et me ramener ensuite ». Londres lui demandera également de surveiller les rampes de V1 et V2 dans la région du Nord.

Durant quatre mois, il subit un entraînement spécial pour apprendre à évacuer les courriers par mail pick-up c’est à dire enlever et débarquer les contenairs de courrier et les « colis » (agents parachutés) par avion Lysander appelés aussi Lizzies. Durant son absence, le réseau continue de fonctionner normalement grâce à son frère Charles, comptable à Wattrelos. Il est de retour en France en mai 1944 où ses camarades ont subi une série de coups très durs et prépare le débarquement allié en montant en Touraine un nouveau service de mail pick-up.

Avec succès, il donne des renseignements internes et externes de la construction de la base de lancement des fameux « V1 » d’Eperlecques qui, du Nord de la France doivent abattre Londres grâce à son chef de secteur, René Fonson, ami d’enfance, qui, pour exécuter sa mission, se fait embaucher comme ouvrier libre sur le chantier. Le réseau reçoit les félicitations de Londres pour ce travail.

Il termine ses exploits en participant activement à la libération de sa ville natale de Roubaix en septembre 1944 où il remonte juste à temps en deux étapes avec son vélo et deux postes émetteurs sur le porte-bagage : Tours-Paris et Paris-Roubaix.

Joseph Dubar a lutté tant qu’il a pu dans cette résistance. Lorsqu’à Londres, selon les us de l’identification, on lui demanda un spécimen de son écriture, il écrit cette phrase qui dépeint le résistant : « L’espérance force le destin ». Sa réussite tient aux deux qualités essentielles qu’il possédait, plus la chance évidemment !

1°) Une très bonne mémoire, surtout visuelle. Il n’a jamais de document compromettant en sa possession lors des contrôles. Il lui suffit de passer une seule fois dans un lieu, pour en repérer les moindres détails et les enregistrer dans sa tête.

2°) Un grand flegme. Il ne montre jamais aucun trouble dans les moments difficiles, lorsqu’il franchit les diverses zones de passage, il ne s’énerve jamais et sait rester passif.

Il lui a fallu également une excellente santé pour supporter, durant quatre années, cette vie clandestine extrêmement mouvementée et dangereuse. La guerre terminée, il reprend son activité de bonnetier. En 1948, il se remarie avec Renée Hodewyck, veuve de Louis Deregnaucourt, mort en déportation et aura un fils, Jean Dubar. Il devient chef de travaux au C.I.L. en 1949 et décède en novembre 1962 après avoir revu ces amis belges.

Distinctions reçues :

–    Grade de Lieutenant-colonel des Forces Françaises Combattantes
–    Grade de Major ARA de l’armée belge
–    Officier de la Légion d’Honneur
–    Croix de Guerre
–    Médaille de la Résistance
–    Médaille de Combattant Volontaire de la Résistance 1939/1945
–    Commandeur de la Couronne de Belgique avec Palme
–    La Médaille Commémorative 1939/1945 avec éclair
–    La Médaille Freedom avec palme
–    Titulaire du « Distinguished Service Order » (D.S.O.)

Ces récompenses bien méritées, il n’aimait pas les exhiber. Il était resté très modeste. A la Libération, il s’est efforcé de témoigner et d’appuyer les demandes d’obtention de ce que l’Etat pouvait accorder à ses collaborateurs. Sinistré, il n’a jamais reçu ses propres dommages de guerre. Il finira le conflit plus pauvre qu’au départ, contrairement à ceux qui en avaient profité durant toute l’Occupation.

Lors de la visite officielle de la reine d’Angleterre le 12 avril 1957, Joseph Dubar accompagne la reine Elisabeth II lors de l’hommage rendu aux Résistants Morts pour la France. Le prince Philip se montra particulièrement intéressé de savoir comment ce grand résistant avait reçu la « Distinguished Service Order », accordée presque uniquement aux officiers anglais.

A force de volonté, cet homme « si simple, si modeste, si effacé » comme le disait à ses funérailles le 7 novembre 1962 son ami Marcel Guislain, a galvanisé les énergies autour de lui. Peu après, la ville de Roubaix baptisera une rue à son nom dans le quartier des Hauts Champs afin de perpétuer sa mémoire.

Anecdotes recueillies auprès de son frère Georges Dubar et de sa femme :

Premier itinéraire suivi par Joseph Dubar lui-même lors de son voyage à Marseille. Nous suivons le parcours de deux soldats anglais et leur jeune guide, Yves-Jean Henno, fils de militants socialistes Roubaisiens. Les deux anglais sont partis de Bruxelles le 10 janvier 1941 après avoir été hébergés à Flobecq (Hainaut) et à différents endroits dans la capitale belge. Arrivés à Tourcoing, le 10 janvier au soir, ils sont hébergés par Lezaire jusqu’au 14 janvier. A cette date, Lezaire remet un des deux anglais (Wright) à la femme de Joseph Dubar qui l’amène chez son oncle Jean Lebas où il sera hébergé jusqu’au 25 janvier. On attend en effet le retour de Dubar avant d’entreprendre leur évacuation. Le 25, Joseph Dubar remet Wright (que Raymond Lebas a muni d’une fausse carte d’identité au nom de Charles Duroc) à Henno qui a amené le second anglais (Harry Dando) en gare de Roubaix. Henno reçoit de Dubar tous les renseignements nécessaires pour le passage de la Somme et de la ligne de démarcation. La ligne rouge de la Somme est passée la nuit, en barque, en compagnie de deux hommes entre Coquerel sur la rive droite (où Dubar peut compter sur la famille Libraire) et Fontaine-Sur-Somme sur la rive gauche (où il a recruté la famille Rabouille). C’est cette dernière famille qui loge les trois hommes. De là, ils se rendent à Paris où ils sont hébergés par un oncle de Henno et le 27 janvier, le trio va en train jusque Bourges. Là, ils descendent et continuent leur route à pied jusqu’au petit village de Morthomier, près de Saint Florent sur Cher, au sud de Bourges où ils doivent franchir la ligne de démarcation. Pour ce faire, Henno se met en rapport avec Raymond Fortepaule ; cette adresse a été renseignée par Cécile Hermey et Dubar y est passé lors de son premier voyage à Marseille. Fortepaule les dirige vers un café dans lequel la police allemande arrête le 27 au soir, neuf candidats au départ dont Henno et les deux anglais et très probablement Fortepaule. Leurs déclarations et surtout celles de Wright, mèneront, le 21 mai 1941 à l’arrestation de Jean Lebas, de son fils Raymond et de l’épouse de Joseph Dubar. Le passage de Morthomier est abandonné aussitôt mais Dubar trouvera très vite deux autres points de passage sur la ligne de démarcation qui tiendront longtemps à la Haye Descartes (Indre et Loire) et à Chalon sur Saône (Saône et Loire).

A la demande de Londres, le réseau Ali France est chargé de déceler les emplacements des rampes de lancement des fusées  V1 et V2. Jean de Roubaix demande à René Fonson, son ami d’enfance, de se faire embaucher au chantier d’Eperlecques en tant qu’ouvrier libre pour photographier l’intérieur de l’immense blockhaus. Il y reste pendant trois mois, de juin à août 1943. Grâce à ce travail minutieux, alors que les terribles V2 qui doivent selon Hitler détruire Londres, sont presque prêts, le bunker subit le 27 août 1943 un bombardement d’une telle puissance qu’il est en grande partie détruit et rendu inutilisable.

Le réseau Ali-France
Mon frère donnera le nom d’Ali-France  à son réseau en hommage à Georges Marc, alias Ali 99 Germain, qui, arrêté le 11 décembre 1941 est déporté et décède le 19 décembre 1944 au camp de Gross Rosen en Allemagne. Raymonde Marc, sa fille, n’hésitera pas à prendre la relève et devient son bras droit. Avec une grande volonté et un sang froid à toute épreuve, elle affrontera avec courage son arrestation, la torture et sa déportation au camp de Ravensbrück. C’est lui qui, le premier, avait organisé dans la région un service de renseignements.

Jean de Roubaix avait en location à Paris en 1943, je pense, un petit studio qui lui servait surtout de boîte aux lettres. Est-ce par suite d’une dénonciation ? Trois ou quatre membres de la Gestapo investissent son logement et l’occupent durant trois jours. Sans résultat, ils le quittent le quatrième jour et pas une heure après leur départ, la concierge voit arriver mon frère. Toute blême, elle lui fait signe de s’enfuir au plus vite, ne sachant pas si l’un d’eux n’était pas resté sur place. Ne l’écoutant pas, mon frère monte dans l’appartement, celui-ci était vide, l’air irrespirable par l’odeur du tabac et de la bière consommée durant leur séjour.

Une nuit de Novembre 1943, pendant la pleine lune, profitant d’un raid de bombardiers alliés sur Saint Nazaire, un petit avion anglais piloté par une élite de l’aviation, non armé, avait pour mission de venir atterrir sur un terrain proche de Niort. Bien que banalisé par la Résistance, le pilote se pose trop loin du terrain et s’embourbe dans une prairie marécageuse. Devant l’impossibilité de décoller vers l’Angleterre, mon frère s’oriente vers la ferme la plus proche, il réveille le paysan qui accepte, avec l’aide de deux bœufs et d’un câble, de dégager l’appareil. Nouvel échec et il faut se résigner à mettre le feu à l’avion et fuir rapidement car cet incendie risquait de donner l’alarme à l’occupant. Le lendemain, les allemands arrivent au petit matin, arrêtent comme prévu ce brave paysan qui, sur le conseil de mon frère, avait imaginé leur dire que c’est sous la contrainte que deux hommes armés l’avaient forcé à sortir ses bêtes, en pleine nuit, pour sortir l’appareil de ce bourbier. Les traces des sabots sur le sol trempé donnaient une vérité irréfutable de cette version, finalement, ils le lâchèrent quelques jours après. L’alarme était lancée, tout le département des Deux Sèvres consigné. Routes, chemins de fer, la gestapo avait compris qu’il y avait un grand intérêt à arrêter ces « terroristes ». Un mois après, à la pleine lune suivante, un autre avion est venu reprendre dans un autre endroit mon frère et le pilote du premier avion. Mon frère, tant attendu par l’espionnage anglais, allait donc vivre chez eux de décembre 1943 à mai 1944 pour être posé dans la zone ouest par un autre avion, un mois avant le grand débarquement du 6 juin.

Durant les derniers mois de l’occupation, mon frère allait devoir, en vélo, effectuer tous ses déplacements (plus de train, gares démolies). Bruxelles, Toufflers, la Somme, Paris, jusqu’à Orléans et Tours. Un jour qu’il remontait vers le Nord, en passant la Somme par la fameuse côte de Doullens, il aperçut un barrage allemand en bas de cette côte. Fait assez rare, une seule sentinelle était de service, c’était pendant l’heure du repas. L’allemand, assez âgé et sans doute mobilisé de la dernière heure, arrête mon frère, lui demanda ses papiers, faux évidemment, examine le colis posé devant son porte-bagage (c’était un poste émetteur assez mal enveloppé dans une toile de jute trop ajourée d’où l’on devinait la carcasse en aluminium). Mon frère est certain que le soldat avait deviné être en présence d’un terroriste, avec son matériel émetteur. Pourtant, il n’insista pas et le laissa partir. A son âge, il avait sûrement hâte d’en finir avec cette guerre déjà perdue. Mon frère a grimpé cette côte raide à une allure surnaturelle, craignant qu’il ne donne l’alarme à son poste de commandement.