La laine dans tous ses états

Conférence donnée par Bernard Leman* le 5 septembre 2020

Le mot « laine » définit une masse de fibres provenant d’un animal. Celui-ci peut être un chameau, une chèvre, un lapin, un lama ou un mouton ! La majorité des laines sont utilisées de façon industrielle pour créer des articles textiles. La laine de mouton est la plus utilisée.

Louis Jean Marie Daubenton s’intéresse à l’élevage et notamment à l’amélioration de la production de laine et, en 1782, il publie  une Instruction pour les bergers et les propriétaires de troupeaux. Louis XVI s’intéresse à son projet : en 1783, il fait bâtir une ferme près de son château de Rambouillet et fait l’achat de nombreux animaux domestiques pour mettre en pratique les théories des physiocrates visant à améliorer l’élevage ovin.

Il émet le projet de trouver un moyen de briser le monopole espagnol et d’éviter de payer chaque année 30 millions pour l’achat de laine destinées aux filatures françaises. Il réussit à obtenir de son cousin, Charles III, la permission d’acquérir un troupeau de 383 mérinos pour acclimater cette race au ciel d’IIe de France puis la faire prospérer à travers le royaume. Les meilleures têtes du cheptel hispanique choisies (334 brebis, 42 béliers et 7 moutons conducteurs furent sélectionnés), le troupeau quitte l’Espagne le 15 juin 1786 sous la conduite de 4 bergers. Quatre mois plus tard, le 12 octobre, après avoir franchi les Pyrénées, 366 mérinos arrivent à Rambouillet.

Grâce à l’intelligence des soigneurs et aux connaissances du naturaliste Daubenton, le troupeau prospère. Le pari de Louis XVI est gagné. Daubenton vend des béliers mérinos dans le monde entier, ce qui explique que la majorité des tissus produits sont faits à partir de laine mérinos. *

La zoologie classe le mouton dans la famille des animaux laineux comme la chèvre et le lapin. Les animaux laineux sont désignés par leur famille et le pays d’origine, par exemple : la chèvre cachemire (Inde), le lapin angora (Turquie). Le mouton a été domestiqué par l’homme depuis le dixième millénaire avant Jésus Christ pour sa laine, sa viande, et le lait des brebis. Des archéozoologues ont situé la fabrication du fromage de brebis au troisième millénaire. La croissance de la fibre de laine dure en continu un an environ. Un mouton qui n’est pas tondu pendant des années peut mourir étouffé par sa propre laine…

 

Mouton non tondu depuis 6 ans !

 

Un peu d’histoire

A partir de 15.000 avant J.-C., le Proche-Orient est le théâtre d’une série d’oscillations climatiques qui aboutissent à l’optimum climatique au cours duquel se développent les sociétés sédentaires, agricoles et pastorales du Néolithique. La domestication entraîne chez les animaux de multiples modifications : comportement, taille, chromosomes, etc. Chez le mouton, elle amène l’amplification du duvet laineux très réduit chez l’espèce sauvage Ovis orientalis, mais ne supprime pas immédiatement la mue annuelle. La pousse en continu n’intervient pas avant la fin de l’âge du Bronze et l’épilation des moutons et le travail de la laine ont rythmé le calendrier agricole mésopotamien. Les propriétés de ce duvet, disponible en toutes petites quantités mais chaud, léger, doux et facile à travailler, ont sans doute attisé très tôt la curiosité des hommes, peut-être dès le tout début du processus de domestication vers 8000 avant J-C.

En basse Mésopotamie, où l’environnement est encore marécageux dans la première moitié du 3e millénaire, on colonise les franges des conflits de voisinage. Les troupeaux sont confiés à des bergers appointés par le pouvoir. En Syrie du nord, le nomadisme pastoral se met en place sur les marges arides du désert syrien vers 2400 avant J-C, en concertation avec les premiers Etats. Nous connaissons mal les premiers moutons domestiques, l’iconographie de l’époque les représente avec des caractères primitifs (cornes en tire-bouchon, jabot…) et parfois une queue grasse révélatrice de la fréquentation d’un environnement aride.

Les textes, disponibles dès 3200, suggèrent l’existence de différentes qualités de laine. La plus prisée est la blanche, réservée à un usage vestimentaire royal. Parallèlement, des techniques inventives avec un outillage adapté se développent : teintures, armures textiles, etc. ouvrant la voie aux arts visuels. La laine ordinaire, la plus rêche, est issue de troupeaux mal nourris. Les autres qualités de laine sont réservées à différents usages : rations, échanges, voiles de bateau, manufactures. Ainsi, à la fin du 3e millénaire avant J.-C., des milliers de travailleurs sont employés dans des ateliers d’état qui contrôlent toute la chaîne de production. Aucune de ces structures n’est connue par l’archéologie mais les textes permettent parfois de suivre des individus sur plusieurs années. Ceux-ci sont en majorité des femmes et des enfants au statut précaire : prisonniers de guerre, veuves, personnes de basse extraction qui n’ont plus accès à la terre et qui sont réduits à vendre leur force de travail aux grands organismes, et qu’on emploie à des tâches élémentaires dont le savoir-faire est sans doute acquis dès l’enfance. Des tisserands masculins spécialisés encadrent cette main d’œuvre presque servile rétribuée en nature, mais pas pour autant à la pièce.

Curiosité, fibre de prestige puis matériau banalisé, la laine n’a jamais supplanté le lin en Mésopotamie. Celui-ci a connu des usages diversifiés mais principalement cérémoniels (rideaux de sanctuaires, vêtements liturgiques, etc.), rappelant que dans les sociétés agricoles, on ne met pas tous ses œufs dans le même panier.

Parmi les enjeux de société actuels éclairés par cette lointaine expérience, on retiendra l’utilisation d’une matière première renouvelable, dont la sélection peut amener des produits de haute qualité à forte plus-value, le maintien et la modernisation de savoir-faire ancestraux, parfois identitaires des régions (tonte, lavage des laines, transformation), la mise en valeur de zones ingrates et la maîtrise complète de la filière de production indispensable aux petites exploitations, la nécessaire concertation entre producteurs et consommateurs dans une économie responsable et respectueuse de l’environnement comme de la condition des travailleurs. L’Orient ancien en fut l’un des premiers laboratoires.

Le caractère du mouton

Deux traits du caractère du mouton sont importants lors du pâturage : d’abord, il est grégaire : quand les moutons sont en en pâturage, ils sont dispersés mais quand un danger se présente, ils sont apeurés et se regroupent de façon serrée.C’est ce comportement qui est utilisé quand il faut déplacer les moutons. Le moyen utilisé dépend du nombre de moutons à regrouper. On peut utiliser le chien, (le berger australien) le cheval, la moto ou le mini hélicoptère.

Berger australien, chien de berger par excellence

 

Ensuite, la hiérarchie dominante naturelle des moutons pousse les moutons à suivre docilement un chef de file vers de nouveaux pâturages. C’est un facteur essentiel qui a fait que le mouton a été une des premières espèces animales domestiquées. Pour déplacer un troupeau, il suffit que le berger place en tête un mouton ou se place lui-même en tête avec un seau de nourriture ou un agneau dans les bras comme le montre la célèbre statue de Picasso « l’homme au mouton » qui a été exposée au Musée de La Piscine lors de sa réouverture après travaux en octobre 2018.

 

L’ Homme au mouton de Picasso © La Voix du Nord

Quand on parle des « moutons de Panurge » l’expression tire son origine d’un épisode du Quart Livre de François Rabelais : « Alors que Pantagruel et ses compagnons, dont Panurge, parcourent la mer afin de consulter l’oracle de la Dive Bouteille, ils abordent un navire de commerce et font connaissance avec les passagers. Une altercation éclate entre le marchand Dindenault et Panurge, le premier s’étant moqué de l’accoutrement ridicule du second. Après le retour au calme, Panurge décide de lui acheter un mouton. La transaction s’éternise car le troupeau appartient à la race de Chrysomallos, le bélier à la toison d’or, ce qui explique son coût élevé. Panurge, après avoir en vain essayé d’abréger les boniments à propos des propriétés merveilleuses de ces bêtes, en acquiert finalement un et le jette à l’eau. Le reste du troupeau va rejoindre son congénère, emportant Dindenault et les autres bergers qui tentent de les retenir en s’accrochant à eux ».

 Du mouton au ruban de laine peignée

Dés 1900, Roubaix a été la capitale mondiale du peignage de laine. En un siècle, la population de Roubaix passera de 8.000 à 123 000 habitants. Aucun atout naturel ne prédestinait l’agglomération à une telle croissance : ni main-d’œuvre disponible, ni matière première en quantité importante, ni rivière pour laver la laine, faire tourner les machines, transporter les marchandises. Seul l’environnement de Roubaix a été un facteur positif dans son développement : l’Angleterre pour l‘accès à de nouvelles technologies, la Belgique pour le recrutement des salariés et l’approvisionnement en charbon. Mais, de l’avis de tous les historiens, ce développement fantastique trouve une bonne part de son explication dans l’esprit d’entreprise de quelques marchands-fabricants et le savoir-faire de milliers d’artisans.

 Mais avant d’arriver à la laine peignée, le chemin est long !

  • La tonte : première étape

Nos ancêtres profitaient de la mue du mouton pour récupérer la laine accrochée par les broussailles ou, quand la mue était terminée, par épilation voire par peignage des toisons avec des fers. Trois méthodes de dépilation sont mondialement utilisées :

– La méthode manuelle

L’usage des fers a toujours cours pour tondre de petits nombres de moutons.

 

Tonte manuelle aux ciseaux

La tondeuse électrique est maintenant généralisée. Chaque année a lieu le championnat mondial des tondeurs de laine. Deux Gallois et un Néo-zélandais ont été sacrés champions du monde de tonte de moutons à l’issue de la compétition qui s’est déroulée en France en juillet 2019 à Dorat en Haute-Vienne.

Concours de tonte à la machine                                 électrique

– Le délainage

C’est le pelage des peaux de mouton après abattage pour la boucherie. C’est en voyant la laine se détacher de peaux de moutons pourries que les industriels mazamétains l’ont mis au point. Ce procédé consiste à favoriser une fermentation de la peau de mouton qui va permettre l’ouverture des pores et ainsi, la libération de la laine. Il se divise en plusieurs phases pour arriver au pelage.

Au début de l’épopée du délainage, le pelage était réalisé manuellement par les « peleurs » à l’aide du couteau de pelage. Ce procédé vient donc après l’étuvage et consiste à séparer définitivement le poil de la peau. Le peleur était debout, arc-bouté sur son outil de travail : le banc de pelage. Une extrémité de ce banc reposait à même le sol et l’autre, était relevée par un croisillon de bois, de façon à ce que le ventre du peleur puisse s’y appuyer dessus. Cela permettait à l’ouvrier peleur de coincer le haut de la peau sous son ventre. Il ne lui restait plus qu’à prendre le couteau de pelage entre ces deux mains et à peler la peau, pour arracher la laine dans un mouvement descendant. C’était un travail extrêmement contraignant. Aujourd’hui, le travail du peleur est entièrement automatisé grâce à des machines très performantes.

– La tonte chimique

C’est le laboratoire des Pelages, Toisons et Fourrures de l’Institut de .Recherche Agronomique de Jouy en Josas qui est à l’origine de cette méthode. Il s’agit d’inoculer une substance dépilatoire au mouton qui provoque l’arrêt temporaire desfollicules pileux de façon à ce que la racine du poil en croissance soit cassée à l’ intérieur, et par conséquent de façon à pouvoir procéder à une épilation facile, rapide et sans douleur. Le mouton de ce fait mue comme son ancêtre du dixième millénaire. L’histoire est un éternel recommencement !

Des études ont montré que la viande des moutons ainsi traités peut être consommée sans danger. La mise au point du procédé a été faite en Australie où elle se pratique beaucoup. Les chercheurs ont dû prendre en compte également le comportement du mouton car celui-ci est un animal facilement stressé. Une fois le mouton épilé, sa peau est aussi lisse que celle d’un bébé. Le mouton déprime et parfois en meurt. C’est pour cette raison que les fermiers pratiquant cette méthode entourent le mouton d’un léger manteau après l’épilation pour lui donner l’impression de n’avoir pas été tondu !

Les moutons tondus ont froid !

 *  Le transport

La tonte se faisant dans les pays producteurs (Australie, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud) il faut la transporter dans les pays utilisateurs. Après la tonte, la laine est compactée dans une presse de façon à obtenir une balle, et les balles sont mises dans un container. Celui-ci est immatriculé. Ce qui permet de connaitre en temps réel sa position en mer. Petite anecdote : cette immatriculation m’a permis de solutionner une réclamation sur 40 tonnes de laine brute polluée par un produit nauséabond. J’ai donc organisé cette enquête en Australie en tant que Directeur-qualité auprès de la compagnie maritime. Et nous avons pu trouver l’origine de cette contamination et déterminer « la partie » responsable qui a pris en charge tous les frais. Les ports recevant les bateaux sont Anvers, Zeebrugge, Dunkerque.

  • Le triage

Jusque 1950, la laine brute était triée manuellement dans le peignage. Après cette date, elle est pré-classée sur les lieux d’élevage, testés par des méthodes normalisées.

  • Le chargement des laveuses

Comme les touffes de laine brute ont été compactées lors de la mise en balle, la laine brute est ouverte par la chargeuse. Les touffes sont ainsi divisées en touffes de quelques grammes qui alimentent la chaine de lavage.

La laveuse comporte 5 bacs, sur une longueur de 40 mètres environ. La progression est assurée par des herses appelées l’homme de fer en souvenir de l’époque où cette opération était assurée par des ouvriers munis de fourches. Après chaque bac, la laine est essorée.

Le premier bac est un bac trempeur qui permet d’éliminer la terre et les sables.

Le deuxième bac contient du carbonate de sodium, produit caustique qui permet d’extraire 80 % des matières grasses contenues dans la laine brute appelées suintine. La suintine est récupéré par centrifugation puis est raffinée pour obtenir la lanoline. La suintine a été aussi utilisée par l’infanterie : « Monsieur le Docteur Berthier, médecin major de l’armée se met à essayer la suintine sur les « godillots » des hommes de troupe de son régiment. Il remplace le cirage classique qui rend le cuir dur et cassant, lui enlève toute souplesse, et lui fait faire des plis qui sont autant d’occasions de blessures pour le pied du soldat. Cet emploi rend beaucoup des services au régiment pendant les manœuvres, il supprime les soldats trainards et les indisponibles qui ne peuvent plus marcher par suite des excoriations qu’ ils ont aux pieds, des soldats vont même jusqu’à graisser leurs pieds au début des marches forcées et suppriment de cette façon les excoriations auxquelles ils sont sujets » !

Le troisième bac contient un détergent synthétique bio-dégradable.

 

Bac de lavage au Peignage Amédée

Les deux derniers sont les bacs rinceurs. La laine est ensuite séchée car elle contient 70% d’eau. A la sortie du séchoir, elle n’en contient plus que environ 20% environ mais elle contient des éclats de paille et de chardons qui seront éliminés pendant l’opération suivante : le cardage.

  • Le cardage

Cette opération a pour but de paralléliser les fibres de laine et d’éliminer une partie des matières végétales. Le cardage consiste à faire passer la laine entre des cylindres garnis de pointes de finesse croissante. La laine forme un voile continusur une largeur de 1,80 m à 2,50 m. Ce voile est alors un ruban de quelques centimètres. Le cardage permet d’éliminer 98% des matières végétales.

Cardage au Peignage Amédée

 

  • Le peignage

Le ruban de laine cardée est calibré sur des machines appelées « GILLS ». La parallélisation des fibres est alors totale. Le ruban ainsi produit peut être peigné. Le ruban passe à travers une série de peignes très fins comptant jusqu’à trente aiguilles par centimètre. Cette opération permet d’éliminer les boutons (c’est-à-dire les nœuds) et les éclats de paille. Au sortir de la peigneuse, la laine se présente sous la forme d’un voile fin et léger. Il faudra reconstituer un ruban régulier par étirage sur un « gills » finisseur.

Le ruban de laine cardée passe entre les peignes. © Plaquette Peignage Amédée

  • Le conditionnement

Le ruban est enroulé en pots ou en bobines de 10 à 15 kilos qui sont regroupés en balles de 450 kg dans une presse hydraulique de 300 tonnes de pression.

Les balles de laine au Peignage Amédée

 

  • Les contrôles de fabrication

A chaque étape de la transformation de la laine, le laboratoire de Contrôle-qualité procède à diverses observations, mesures et analyses. Après le lavage, des échantillons sont prélevés. La teneur en matières grasses résiduelles est mesurée à l’aide de solvant. La composition des bains de lavage fait aussi l’objet de mesures précises. Le produit fini est contrôlé à intervalles réguliers pour détecter les impuretés qui auraient échappé au peignage : les nœuds, les éclats végétaux, les amas de fibres. Pour mesurer la longueur moyenne, un échantillon est testé par un appareil appelé « ALMETER ».

Le diamètre des fibres (entre 18 et 35 microns) est déterminé au microscope mais il est plus rapide de mesurer une moyenne sur un échantillon : une touffe soigneusement pesée est comprimée dans un tube ; un débit d’air constant est injecté à une extrémité et on mesure la diminution de pression à l’autre extrémité. La perte de charge est fonction du diamètre des fibres. Cet appareil de mesure s’appelle un « air flow ». En cas de litige sur les mesures, le laboratoire de la Condition publique peut faire des mesures contradictoires qui, elles, sont officielles.

Dessiné par Albert Bouvy, la Condition Publique voit le jour en 1902 en tant qu’établissement public, propriété de la Chambre de commerce de Roubaix. Au départ, utilisée pour le conditionnement des matières textiles telles que la laine, le coton et la soie, elle sera réhabilitée en manufacture culturelle, 101 ans plus tard.

A l’heure où l’Organisation Mondiale de la Santé rappelle les risques sanitaires liés à une surconsommation de produits carnés, on se souviendra que l’histoire de l’Homme est aussi celle de la transformation de la Nature et que les animaux n’ont pas toujours été élevés pour leur viande. Ainsi la laine des moutons domestiques fut-elle le moteur du développement européen lors de la Révolution industrielle. Un milliard de moutons sur terre produit actuellement 2,1 millions de tonnes de laine par an. Fibre de luxe transmutée en produit infroissable et lavable par les progrès de l’industrie moderne, la laine ne représente pourtant plus aujourd’hui que 2% des fibres textiles utilisées en France.

 Les aménagements nécessaires au développement industriel textile

– Le canal de Roubaix

Imaginé par Vauban, dès 1699 pour relier la Marque à l’Escaut, demandé officiellement en 1813 par le Maire de Roubaix, sa construction débute en 1827 pour l’approvisionnement en charbon, en eau, en matières premières (laine et coton) et l’expédition des produits finis de l’industrie textile en développement.

– Le prélèvement de l’eau de la Lys et la fontaine des 3 Grâces

Roubaix se développe d’une manière considérable au XIXe siècle. Pour faire face aux besoins en eau grandissants de l’industrie, on décide de puiser dans la Lys. Les travaux sont mis en route et aboutissent en 1863. Pour fêter l’événement, on construit une fontaine sur la Grand-Place. Œuvre de Charles Iguel, elle a pour sujet les trois grâces et comporte plusieurs vasques superposées. Un premier déménagement la placerait en 1874 sur le square Notre-Dame, à l’emplacement actuel de l’école des Beaux-arts. Elle y resterait jusqu’à la suppression du square en 1882. On la pose alors au carrefour du boulevard Gambetta et de la rue du Moulin le 20 mars 1883, dans le but d’orner l’entrée de Roubaix. Mais, cette malheureuse fontaine doit de nouveau émigrer en 1924. Il lui faut faire place au monument aux morts. On la démonte pour la réinstaller, quelques centaines de mètres plus loin sur le boulevard, en face de l’hôtel des Postes. Notre fontaine reste là jusqu’en 1955, mais, placée au débouché direct de la rue du Coq Français, elle est une nouvelle fois victime des aménagements pour faciliter la circulation : on la démonte une fois de plus. Au cours de ce démontage, le bassin se fissure et la fontaine est déclassée et disparaît de la voie publique roubaisienne.

 – Les réservoirs des Huchons

Au tournant des 19e et 20e siècles, l’urgence de la distribution en eau répond à un essor industriel rapide et à une évolution démographique croissante. La municipalité décide de construire, boulevard Lacordaire, deux premiers réservoirs. Datés de 1885, ils sont dus à l’ingénieur Auguste Binet. En 1930, l’ingénieur Nourtier construit l’autre paire. Il s’agit des réservoirs situés aux deux extrémités. Ces quatre réservoirs présentent tous une élévation à deux niveaux, servant de support à la cuve ; leur maçonnerie de brique rouge est richement décorée. Cette juxtaposition des deux paires de réservoirs permet d’appréhender l’adaptation et l’approche à presque un demi-siècle d’intervalle, de deux ingénieurs dont le savoir-faire se situe dans l’alliance entre fonctionnalité et esthétique.

 

  • Bernard Leman a été pendant 43 ans le Directeur-Qualité du peignage Amédée, rue de Cartigny à Roubaix

 

SOURCES
*
« La bergerie royale de Rambouillet » par Madame de Sabran
Le travail de la laine en Mésopotamie :  Catherine Breniquet  :  L’état, le pouvoir, les prestations et leurs formes en Mésopotamie ancienne (actes du colloque assyriologue franco-thèque Paris 7-8 novembre 2002)
La fontaine des 3 grâces Roubaix  : ateliers mémoires de Roubaix.
L’épopée textile de Roubaix-Tourcoing (édition de la Voix du Nord)  Les patrimoines
La récolte de la laine par  dépilation : Jean Rougeot et R .G .Thebaut Laboratoire des Pelages, Toisons et Fourrures Institut national . de la recherche agronomique
Les réservoirs du Huchon  : Monumentum

L’Hôtel Lepoutre

 

On n’a jamais retrouvé le permis de construire de construire de cet Hôtel, pas davantage le nom de son architecte. C’est l’industriel Amédée Prouvost qui l’a fait édifié au 36, de la rue Pellart (aujourd’hui avenue des Nations-Unies). C’est en effet en 1868 qu’Amédée Prouvost, créateur en 1851 du Peignage Amédée Prouvost et Compagnie, déménage du 1 Grand’Place au 36 de la rue Pellart.

Ce déménagement est très certainement en rapport avec les travaux d’agrandissement de la Grand’Place qui entraînent la démolition d’un certain nombre d’habitations. Nous n’avons pas retrouvé le permis de construire du 36 rue Pellart mais il est presque certain qu’il a été édifié par Amédée Prouvost lui-même. Seule a été retrouvée une demande de raccordement à l’aqueduc municipal en date du 19 avril 1872.

Cet Hôtel particulier est bâti entre cour et jardin. En front à rue s’élève un bâtiment à un seul étage réservé aux communs. Un grand porche dont l’aspect a dû être modifié permet d’accéder à la cour. L’imposte sur la cour de ce passage est orné d’un beau fer forgé.

Dans la cour, la façade principale se dresse devant nous. Le perron semi-circulaire est garni de balustres, quatre colonnes monolithes supportent une saillie de la façade, elle aussi semi-circulaire, percée de trois baies séparées par des pilastres. Chaque baie est surmontée par un motif de stuc. De chaque côté de cette avancée, la façade est rythmée par deux travées de fenêtres.

Au-dessus du premier étage, le comble est garni de lucarnes. Le bâtiment central se prolonge légèrement par deux petites ailes en retour de chaque côté de la cour. Sur le côté gauche, une galerie ouverte au rez-de-chaussée assure la liaison avec le bâtiment front à rue.

 

UN ORATOIRE AU PREMIER ETAGE

A l’arrière et sur le côté droit, s’étend le jardin, bien rétréci ces dernières années par la construction d’une résidence d’étudiants. A l’intérieur, au rez-de-chaussée, un grand hall permet d’accéder au fumoir et aux différents salons qui donnent sur le jardin.

A l’extrémité du hall s’élève un escalier qui permet de gagner le premier étage. Là, un autre hall dessert les chambres. Au fond, s’ouvre un oratoire.

C’est dans cet hôtel que meurt Amédée Prouvost le 11 décembre 1885, ce sera sa veuve, née Joséphine Yon, qui l’habitera ensuite jusqu’à son propre décès en 1902. Puis l’hôtel est loué à Monsieur et Madame Auguste Lepoutre dont les usines s’étendent en face.

Après la Première Guerre mondiale, il est acheté par la « Société Immobilière des fils d’Auguste Lepoutre». Après la Seconde Guerre mondiale, l’hôtel est transformé en commissariat de police jusqu’à son déménagement pour le boulevard de Belfort. Il sera ensuite occupé quelques années par une annexe du lycée Saint Martin. Depuis 1993, c’est l’A.R.A. (Ecole de musique de rock) qui en a pris possession.

 

PROTEGE PAR LES MONUMENTS HISTORIQUES

A côté, le numéro 34 a été bâti en 1872 par M. Henri Lestienne, époux d’Antoinette Prouvost. C’est un Hôtel en front à rue qui s’ouvre par une grande porte cochère. Cette construction s’imbrique dans l’Hôtel d’Amédée Prouvost, d’ailleurs les deux cours communiquent. Au fond de la cour du numéro 34 s’élève un charmant pavillon de jardin. Ce numéro 34 sera habité en 1885 par Monsieur et Madame Wibaux-Motte, puis, quelques années plus tard, par Edouard Prouvost qui l’occupe. A partir de 1910, le Syndicat des peigneurs de laine s’y installe jusque dans les années soixante.

Pour en revenir au n° 36, cet hôtel est un des rares exemples d’Hôtel particulier entre cour et jardin bâti sur Roubaix. Il se devait d’être conservé dans son intégralité. En 1997, la COREPHAE avait reconnu l’intérêt architectural de cet Hôtel en acceptant de le protéger par une inscription à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques car ce bâtiment est : « un exemple intéressant d’Hôtel d’industriel entre cour et jardin, ayant conservé des dispositions intérieures et décoratives originales… ».

Docteur Xavier Lepoutre

Vice-Président de la Société d’Émulation de Roubaix