Les réservoirs d’eau

Quand l’activité textile roubaisienne est passée, au début du XIXe siècle, du stade artisanal au stade industriel, le problème des besoins en eau s’est très vite posé. En effet, sur le territoire de Roubaix ne coulaient que quelques ruisseaux dont, en particulier, le Trichon qui naissait à Mouvaux et aller se jeter dans l’Espierre à la limite de Wattrelos. Résumé de façon très grossière, son tracé suivait, sur Roubaix, la rue du Grand Chemin puis le boulevard Gambetta.

 L’EAU A ROUBAIX

Au moment où les premières machines à vapeur arrivèrent à Roubaix, vers 1820, un certain nombre de filateurs s’installèrent le long du Trichon mais cela entraîna son assèchement et sa transformation en ce que l’on appellerait aujourd’hui : « un égout à ciel ouvert ».

L’industriel d’origine amiénoise, Auguste Mimerel, confronté au manque d’eau, fut l’un des premiers à avoir l’idée de réaliser un forage. Son expérience fut fructueuse et il fut imité par un certain nombre de manufacturiers.

Alors que certains allaient chercher l’eau en profondeur, d’autres l’amenèrent en surface en créant un canal qui devait relier la Deûle à l’Escaut. Un premier tronçon fut ouvert, en 1832, entre la Deûle et Croix ; un second, en 1843, entre la frontière belge et Roubaix. Ces deux tronçons devaient se rejoindre par un tunnel creusé «  sous la montagne de Croix » ( le boulevard du Général de Gaulle actuel ) mais la friabilité du terrain et les éboulements qui s’en suivirent firent renoncer à ce projet. Le canal s’arrêta, sur Roubaix, au niveau de l’emplacement actuel du Monument aux Morts.

En 1861, un décret impérial décida de faire passer le canal sur des terrains plus propices au Nord de Roubaix. Ce tracé qui assurait la jonction fut ouvert en 1877. Le bras mort, entre le pont Nyckes et le bas du boulevard du Général de Gaulle fut comblé progressivement à partir de 1880 et transformé en nos boulevards Gambetta et Leclerc actuels. Mais, auparavant, un certain nombre d’usines s’étaient installées le long du canal : le Peignage Allart, la filature Motte-Bossut, l’usine Motte – Porisse … Cependant l’eau du canal devait servir au transport des pondéreux et non à alimenter les chaudières à vapeur. En temps de pénurie, l’eau était apportée par charroi.

En 1857, le Maire de Roubaix s’orienta dans une autre direction : aller chercher de l’eau dans un fleuve à grand débit. On choisit la Lys. Le Maire de Roubaix associa à son projet celui de Tourcoing. L’eau de la Lys arriva à Roubaix et Tourcoing le 15 août 1863, jour de la fête de l’Empereur. L’inauguration eut lieu « en grande pompe ». Cette eau était impropre à la consommation ménagère mais satisfaisait aux besoins de l’industrie. Quelques jours plus tard, fut inauguré à Tourcoing, le service des Eaux de Roubaix-Tourcoing sous la direction de l’ingénieur qui avait suivi les travaux jusque là : M. Varennes. Cette Société eut pour tâche de construire les réservoirs destinés à stocker cette eau qui devait servir à l’industrie.

LES RESERVOIRS D’EAU SUR ROUBAIX

 • Le réservoir du Fontenoy

Le premier réservoir d’eau industrielle de Roubaix fut construit, en 1863, par M. Varennes dans le quartier du Fontenoy entre les rues de la Lys et de Cassel. Ce réservoir est contemporain de ceux des Francs, à Tourcoing, et leur ressemble quelque peu. Il est de type «  tour cylindrique maçonnée » avec une cuve en fonte à fond concave de 1600 m3. Les arcs du soubassement sont en plein-cintre et un travail de brique surmonte la maçonnerie.

Un deuxième réservoir fut construit en 1878, à peu près du même type mais plus bas, il fut démoli plus tard en raison d’une mauvaise étanchéité des joints des plaques de la cuve.

 

Les réservoirs de Huchon

Situés sur le point le plus haut de Roubaix, à proximité du Lycée Baudelaire actuel et de l’hospice de Barbieux, les quatre réservoirs à eau du Huchon sont alignés, semblables deux à deux, le long du boulevard Lacordaire. La cohérence actuelle masque une histoire mouvementée où se succédèrent constructions, démolitions et même effondrement. Auguste Binet, ingénieur directeur du Service des Eaux de Roubaix-Tourcoing, fit construire dans un premier temps, en 1887, le réservoir Est ( le second à partir de la gauche). Il réalisa ensuite, de part et d’autre, deux châteaux d’eau à l’allure très proche de nos châteaux d’eau modernes en « champignon » mais avec une cuve métallique. Le soubassement était sans aucune ornementation. En 1893, lors de la mise en eau, l’un des deux réservoirs s’effondra inondant le chantier de l’hospice de Barbieux à la grande surprise des entrepreneurs qui s’attendaient peu à une inondation sur le point culminant de Roubaix.

En 1895, M. Binet remplaça le réservoir effondré par un château d’eau identique au premier qu’il avait édifié en 1886 et qui n’avait, jusque là, posé aucun souci tandis que le second nouveau réservoir ne servira que partiellement rempli. Le réservoir reconstruit ne sera achevé qu’en 1902 soit deux ans après la mort de M. Binet.

Les réservoirs de 1886 et de 1895 sont d’une architecture très soignée : des pilastres colossaux scandent des travées percées de baies sur deux étages. La baie du rez-de-chaussée possède un linteau métallique orné de rosaces, les baies du premier étage sont en plein cintre. Une bande lombarde court en corniche. Le matériau employé en majorité est la brique, matériau régional, mais on lui a adjoint la pierre de Soignies et des briques vernissées ce qui donne aux bâtiments un joli aspect polychrome.

En 1930, M. Nourtier, ingénieur-directeur, fit démolir le réservoir déficient restant, construit par son prédécesseur, et édifia deux nouveaux réservoirs placés aux extrémités. Ces deux réservoirs furent construits en béton armé. Les cuves de 1700 m3, couvertes, reposent sur des poteaux et des poutres en béton. Toute cette structure est cachée derrière des façades non porteuses scandées également de pilastres colossaux. Les très hautes baies sont coupées au niveau du passage du rez-de-chaussée au premier étage par un bandeau décoré du blason des Villes de Roubaix et Tourcoing.

En 1968, la Communauté urbaine de Lille a repris le service des Eaux de Roubaix-Tourcoing et depuis 1986, la Société des Eaux du Nord est concessionnaire de la distribution des eaux. Cette Société qui a en charge le patrimoine, a réalisé entre 1990 et 1993 une rénovation très soignée des réservoirs du Huchon. Enfin, en août 1998, en raison de leur grand intérêt architectural, les quatre réservoirs ont été inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.

De nos jours, l’eau ne vient plus de la Lys mais de la nappe phréatique et l’industrie est beaucoup moins « gourmande »  en eau qu’autrefois : la consommation est passée de 26 000 m3 en 1926 à 5000 m3 en 2002.

                                                                           

Bibliographie

Jacques Prouvost : L’industrie textile de Roubaix face au manque d’eau, Société d’Emulation de Roubaix, septième série, Tome I, Tome XXXVIII de la collection

Béatrice Auxent : Les réservoirs d’eau de la métropole lilloise 1860 – 1930 Nord

Itinéraires du Patrimoine n° 102

Théodore Leuridan : Les rues de Roubaix, Mémoires de la Société d’Emulation de Roubaix – Cinquième série, tome II ( tome XXX de la collection )