Les marionnettes

Le thème d’étude de notre 31e Congrès présente au regard de Roubaix un point d’histoire intéressant : il s’agit des théâtres de marionnettes qui furent nombreux et dont la spécificité, la vie, et maintenant le renouveau, en firent un sujet qui mérite notre attention.

Il y eut des théâtres de marionnettes à Amiens et à Lille mais leur implantation à Roubaix et leur développement furent particulièrement importants. Le plus ancien connu serait celui qui était exploité dans le quartier du Moulin vers 1828 par un nommé Flamencourt, associé à Joseph Couvreur.

PIERRE-JOSEPH COUVREUR

Pierre-Joseph Couvreur, né à Hérinnes près de Tournai le 8 février 1808, était venu à Roubaix à l’âge de 9 ans. D’abord bâcleur, il passa rattacheur puis fileur. Un de ses camarades, Henri Flamencourt, un belge aussi, né à Hollain, était fileur comme lui. Pendant leurs loisirs, ils taillaient, au couteau, dans le bois, des têtes de marionnettes qu’on appelait alors « marmousets » et que leurs épouses habillaient grossièrement. Les deux vedettes de leur théâtre étaient Jacques et Cousin. Pierre-Joseph Couvreur les mettait en scène dans des pièces de sa composition : drames et vaudevilles.

La première eut lieu dans la rue du Moulin. Plus tard, le théâtre sera installé dans le Fort Bayart, rue Saint Antoine. Le Fort, à Roubaix, était un ensemble important de maisons disposées en carré ou en triangle, laissant un grand espace central. Ensuite, installation dans un grenier de la rue du Temple (maintenant rue Emile Moreau). En 1848, Couvreur sacrifie ses économies et emprunte pour fonder un vrai théâtre, rue du Fontenoy dans un hangar du Fort Wattel, derrière l’estaminet « Au Réveil du Jour ». Cet établissement sera connu sous le nom de théâtr’Roian (de roitelet, petit roi, sobriquet que Couvreur devait à sa petite taille). Avec le temps, ce spectacle va dépérir et Couvreur se consacrera au théâtre d’acteurs.

LES BELGES ET LE THEATRE DE MARIONNETTES

A partir de 1850, les théâtres de marionnettes se succédèrent sans interruption. On en a recensé plus de cinquante jusqu’en 1910, avec des fortunes diverses, dans les vieux quartiers ouvriers du Cul de Four et du Fontenoy, où habitait la plus grande partie de la population belge. C’est là qu’il faut trouver l’origine des marionnettes roubaisiennes.

L’afflux des ouvriers belges se fit à partir de 1820 à Roubaix. Les nombreuses demandes d’ouverture de ces petits théâtres, que l’on trouve aux Archives municipales, portent invariablement le nom des nouveaux immigrants wallons ou flamands. Il s’agit pour eux de compléter un salaire médiocre, ou de pouvoir subvenir à l’entretien de leur famille, étant malade ou handicapé.

Ainsi Henri Gisverdale avait été accidenté aux yeux, et se trouvait sans travail. Henri Genterdaele, ancien ouvrier menuisier, atteint d’une grave affection de la vue, était sans travail depuis 7 ans. Polydore Vandenbosche, ancien tisserand, était incapable de travailler avec une femme phtisique.

LE THEATRE DE MARIONNETTES A ROUBAIX

Nous empruntons tous les détails de la description de ce que fut le théâtre de marionnettes à Roubaix, à un manuscrit inédit de Charles Bodart-Timal intitulé « Le Théâtre Populaire à Roubaix et Tourcoing ».

Les théâtres de marionnettes avaient pour cadre soit une baraque rudimentaire au fond d’une cour ou d’une impasse, soit un grenier, mais, le plus souvent, les propriétaires utilisaient pour leurs représentations ce qu’on est convenu d’appeler chez nous « la pièce du devant ».

Les spectateurs s’y trouvaient assis sur des bancs de bois à peine équarris, disposés en gradins dans une atmosphère lourde et poussiéreuse, sans aucun confort ; la population ouvrière s’y donnait rendez-vous. On a pu recueillir quelques-uns des refrains que chantaient, lors des entractes, les spectateurs dans ces différents théâtres. C’est ainsi qu’au théâtre Desmettre où un portier faisait la police, on disait à son adresse :

Et au théâtre Desmettre

J’ai un nouveau porti

Avec que s’longu’badjette

Y vous tue à monti.

Au théâtre Lecocq, rue des Longues Haies, appelé encore « le Théâtre des enfants du Nord », on chantait, sans doute en raison de ce qu’on y vendait :

Tchi qui veut des moules                                  

Et des marmoulettes ?                          

Des penn’terre à l’p’lure

Et des saurets sans tête.

Traduction :

Qu’est-ce qui veut des moules ?

(des grosses de Hollande)

Et des petites moules

(celles de Wimereux)

Des pommes-de-terre à la pelure

Et des harengs sans tête.

Au théâtre Louis, comme partout ailleurs, on répétait en chœur avant la bamboche (petite pièce comique jouée avec des personnages d’expression patoisante), qui devait clôturer la séance, sur l’air du Clair de la Lune :

Acore in boboche

Et in s’in ira

Mets tes sous dins t’poche

Et in arven’ra !

Ces théâtres de marionnettes disparurent un à un à partir de 1900 ; l’avant-dernier, le théâtre Eugène Mahieu, rue Ma Campagne, ferma ses portes en 1910. Un seul résista à la débâcle, le théâtre Louis qui, malgré une certaine désaffection due à l’apparition du cinéma, put encore donner des séances régulières jusqu’au mois de mai 1940.

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