Les cafés guérisseurs

Café d’amis, d’habitués qui aimaient tant se retrouver après le dur labeur de l’usine et où les cris des discussions passionnées remplaçaient le vacarme des métiers à tisser, interrompu par la voix stridente d’une compagne furieuse tentant de récupérer son homme ivre.

Souvent cellule politique enfermant dans leurs convictions des ouvriers malades d’égalité et de liberté car, on soigne le cœur et les âmes, mais aussi les corps dans les cafés de Roubaix.

Capitale du Textile certes, notre vieille cité avait aussi, au XIXe siècle, une réputation nationale et même internationale. On y venait de Belgique et même d’Algérie, pour guérir des malades envahis par le ténia, communément appelé Ver Solitaire , qui ne restait pas longtemps seul à Roubaix. Ce mal était très fréquent à une époque d’insuffisance des contrôles sanitaires de la viande. La rumeur, toujours plus efficace que la médecine traditionnelle, conseillait alors de se rendre rue Buffon, dans un café étrange appelé LE VER SOLITAIRE.

L’estaminet du VER SOLITAIRE était alors tenu par un singulier personnage : Alphonse Berthe que, ni sa profession, ni ses études, ni son apparence ne semblaient destiner au rôle de GUERISSEUR, et de guérisseurs heureux, qu’il a rempli pendant des années. Alphonse Berthe avait trouvé un bien curieux remède qui permettait de délivrer du ver solitaire les malheureux rongés par le terrible parasite.

La salle de l’estaminet tenait lieu de tout, cabinet de consultation, salle d’opération et clinique. Dieu sait le courage qu’il fallait aux patients pour avaler la drogue magique, les grimaces et les contorsions qu’elle arrachait aux pauvres malades ! Mais, au moins, elle guérissait, elle était irrésistible. L’installation, il faut le dire, était absente, les malades se trouvaient pèle mêle. Des scènes épiques se déroulaient alors dans l’estaminet et dans la cour, occasionnées tout d’abord par l’absorption et ensuite par les diverses phases d’opération du remède.

Mais qu’importe ! Telle la devineresse de la fable, le guérisseur de la rue Buffon avait la côte, son galetas, mieux que s’il eut été salon, reçut plus d’un quart de siècle, la visite de milliers et milliers de personnes atteintes de ce mal particulier. Les malades appartenaient à toutes les classes de la société. Sa popularité était considérable, une chanson de carnaval qui passait en revue les célébrités locales, mentionnait naturellement Alphonse Berthe, surnomme EL VER SOLITAIRE dans le couplet suivant :

 

V’la Alphonse EL ver solitaire

Sin nom y est bin répindu

Ch’est in homm qui connot s’n affaire

Car y nin minque jomais nu !

 

Mais cela n’alla pas toujours tout seul pour EL VER SOLITAIRE … car ce qu’il pratiquait là c’était tout bonnement, l’exercice illégal de la médecine. Cependant, sa célébrité, contraire en cela à beaucoup d’autres, n’avait guère décru quand il vint à mourir à la fin du 19e siècle, emportant avec lui son secret dans la tombe. Nous disons son secret car la médecine d’aujourd’hui en a d’autres. Comment avait-il découvert le sien ? En feuilletant de vieux bouquins, paraît-il, il avait trouvé le nom des plantes dont la mixture était assez énergique pour produire un effet salutaire.

L’estaminet du VER SOLITAIRE, démoli en 1910, avec quelques maisons qui l’entouraient, a laissé la place aujourd’hui au Groupe Scolaire BUFFON.

Plus tard, au café LE PETIT GLOBE situé au 51 rue Pellart, le tenancier Edmond MERCIER vendait une pommade exceptionnelle pour guérir des cors au pied. LE TUE CORS qui faisait courir les Roubaisiens, fut retiré de la vente en 1931 et Edmond MERCIER a été condamné pour exercice illégal de la médecine !

 

                                                                                            Bernard SCHAEFFER

Président de la Société d’Emulation de Roubaix de 2002 à 2015

 

SOURCES : Les rues de Roubaix – Théodore LEURIDAN – ANNALES tome X ( 1914)

                      Les rues de Roubaix Société d’Emulation de Roubaix – Tome 1.

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