C’est à Napoléon III que l’on demanda de poser la première pierre. Ce à quoi l’Empereur fit répondre le 6 juin 1853 : qu’il ne savait à quelle époque il se rendrait dans le Nord de la France et que ne voulant pas retarder les travaux il ne souhaitait pas poser la première pierre de l’hôpital mais qu’il consentait avec plaisir à lui donner son nom. Afin d’honorer les souscripteurs et l’Empereur, la Chambre consultative désirait aussi que les noms des souscripteurs soient gravés sur des tables de marbre qui décoreraient la salle principale de l’hôpital dans laquelle serait placé le buste en marbre de Sa Majesté l’Empereur Napoléon III.
C’est l’hypothèse d’un hôpital hospice qui est d’abord envisagée. La dépense pour la première partie de l’hôpital contenant 160 lits est évaluée à 200 000 francs. Achille Dewarlez est chargé d’en établir les plans. A quel endroit va-t-on construire cet établissement? On projette de l’édifier à la place de l’ancien cimetière de Roubaix situé rue du Fresnoy auquel serait adjointe une parcelle appartenant à Madame Deffrennes. Mais cela est refusé par le Conseil central d’Hygiène et de Salubrité du Département du Nord qui décrète que le terrain du cimetière de Roubaix ne peut être livré au commerce avant 30 ans, à dater de l’époque de sa fermeture (c’est à cet endroit que sera construite en 1885 l’ ENSAIT). Plusieurs autres emplacements sont donc étudiés : un terrain situé à l’ embranchement (rue de Lille actuelle), celui de la rue des Longues Haies, un autre au Galon d’eau enfin un emplacement rue de Blanchemaille situé entre cette rue et la voie de chemin de fer. Le terrain de la rue des Longues Haies est refusé en raison de la proximité de la partie la plus insalubre du canal et c’est l’emplacement de Blanchemaille qui est choisi. C’est un terrain élevé, sec, au nord-ouest de Roubaix, recevant donc très peu de vents passant par la Ville.
Il est près du centre de l’agglomération et des quartiers habités par la plus grande partie des nécessiteux. Un des inconvénients de ce terrain est l’éloignement du cimetière, d’où nécessité pour s’y rendre de traverser toute l’agglomération, sans méconnaître les inconvénients réels de mettre sous les yeux des habitants les nombreux convois funèbres en temps d’épidémies. Et le Conseil central d’Hygiène conclut de la façon suivante : le terrain de Blanchemaille est un point culminant, bien aéré, le sol est sec. Ce terrain est donc celui qui doit être choisi pour y construire l’hôpital. Ce terrain est constitué de deux parcelles dont l’une appartient à M. Louis Ducatteau et l’autre à M. Cannesson.
Le 5 février 1857, M. Tiers Bonte, faisant fonction de Maire, décide de mettre au concours un projet complet d’hôpital communal. Le projet devra être conçu dans les vues d’une grande économie, sans toutefois nuire à la solidité et à la régularité des formes. Point de luxe, mais du confortable au dedans et une élégante simplicité à l’extérieur. Il devra y avoir dans chacun des services, hommes et femmes, une salle de bains avec une division particulière pour les enfants.
La Ville ne prend aucun engagement relativement à la direction des travaux. Si l’architecte dont le projet aura été jugé le meilleur n’est pas chargé d’en diriger l’exécution, il recevra 2000 francs à titre de prime. Une prime de 1000 francs sera aussi accordée à l’architecte dont le projet recevra le second prix. En octobre 1857, les douze projets résultant du Concours sont soumis au jugement du Conseil général des Bâtiments civils. C’est le projet n°5 portant l’épigraphe Saint-Vincent de Paul qui est choisi. Il est l’oeuvre d’un architecte parisien M. Botrel d’Hazeville.
L’architecte s’est inspiré de l’hôpital Lariboisière de Paris. Le plan est de type pavillonnaire ramassé. C’est un vaste quadrilatère auquel viennent se souder quatre ailes principales ou pavillons séparés par des jardins. Le projet classé second dénommé « Probitas et Industria » est l’oeuvre de Théodore Lepers, l’architecte municipal.
A noter, parmi les autres projets : le n° 7 de Charles Maillard architecte de Tourcoing (ce projet est conservé aux Archives municipales). Le n° 9 de Clovis Normand fils, architecte à Hesdin. Si le projet choisi reçoit l’aval du Conseil municipal, l’édifice projeté présente un aspect monumental digne d’une ville comme la nôtre, il essuie de nombreuses critiques de la part de la Commission administrative des Hospices : la ventilation des salles ne semble pas assez prise en compte et les salles de réception des malades, la chapelle et les cellules des Sœurs qui n’offrent que deux mètres sur deux sont trop petites. Théodore Lepers qui est chargé des travaux effectue des rectifications aux plans.
L’enquête d’utilité publique a lieu du 21 août au 4 septembre 1858. Les travaux sont chiffrés à la somme de 293.257,56 francs tandis que le prix de l’acquisition du terrain s’élève à 98.994,06 francs. Le 12 juin 1860, la construction du nouvel hôpital Napoléon sur le terrain dit de Blanchemaille est déclarée d’utilité publique et à partir du mois de mai 1861 le reste des souscriptions est mis en recouvrement.
La souscription rapporte au total la somme de 93 000 francs. L’adjudication des travaux a ensuite lieu le 15 juillet 1861. La première pierre est posée le 15 août suivant, après un Te Deum solennel à Saint-Martin, par le Maire M. Ernoult Bayart, assisté de MM. Julien Lagache, Constantin Descat et Renaux Lemerre, ses adjoints, en présence du clergé, des membres du Conseil municipal et de la Chambre consultative des Arts et Manufactures et de l’architecte Théodore Lepers. Une plaque de marbre rappelle cette cérémonie.
Le 28 août 1863 il est décidé d’agrandir la chapelle, on fait appel à l’architecte lillois Alavoine. Les travaux de construction de l’hôpital dureront jusqu’en 1865. A la suite d’une visite générale mais sommaire de tous les travaux en date du 17 mars 1865, les conseillers municipaux délégués concluent que : « l’ensemble gagnerait à être habité très prochainement et engagent l’administration hospitalière à prendre immédiatement possession de l’édifice bien qu’il ne soit pas complètement achevé dans tous ses détails ». La bénédiction de la chapelle a lieu le 22 mars 1865.
A la séance du Conseil municipal du 30 mars 1865 est soumis le dessin du haut relief à exécuter sur le fronton de la chapelle. Cette oeuvre est due au statuaire parisien Charles Iguel. Très satisfait de la qualité de l’œuvre, le Conseil municipal décide d’ajouter 2.000 francs au 3.000 francs déjà votés. Un peu plus d’un mois plus tard, la décision est prise de placer ce haut relief non pas sur la façade de la chapelle endroit si peu accessible mais sur la façade même de l’hôpital à laquelle il est décidé d’ajouter un étage afin de recevoir le fronton: nous ne doutons pas que l’exhaussement d’un étage donnera à la façade un caractère beaucoup plus important que celui qu’elle a actuellement.
Les malades prennent possession du nouvel hôpital au cours de l’année 1865. En septembre 1865, un buste de marbre de l’empereur est commandé au sculpteur Iselin pour la somme de 2.000 francs (ce buste se trouve actuellement au musée de Roubaix). En effet sollicité par la Municipalité roubaisienne, le ministre de la Maison de l’Empereur et des Beaux Arts n’avait promis qu’un buste en plâtre de Sa Majesté l’Empereur, les frais d’emballage devant être acquittés par la Ville !
Le 28 août 1867, le Conseil municipal vote une allocation supplémentaire de 1500 francs à Charles Iguel à titre d’indemnité et en gage de satisfaction.
Lors de leur passage à Roubaix le 29 août 1867, l’Empereur et l’Impératrice visitent l’établissement. A ce moment, l’hôpital compte 208 lits : 108 au rez-de-chaussée (27 pour les fiévreux, 56 pour les hommes blessés, 25 pour les femmes blessées) et 100 lits au premier étage (26 pour les femmes fiévreuses, 26 pour les hommes fiévreux et 48 pour les enfants du 1er âge à 15 ans).
Le 18 janvier 1869 a lieu l’adjudication des travaux de construction d’une buanderie à vapeur tandis qu’à la séance du Conseil municipal du 22 mai est décidé d’ajouter un étage aux bâtiments latéraux à la cour de la chapelle afin de donner plus d’espace au logement des religieuses et des personnes attachées à l’établissement. C’est l’architecte Edouard Dupire qui est chargé des travaux, son oncle Théodore Lepers venant de décéder le 2 mai 1869. A la chute de l’Empire, l’Hôpital Napoléon reçoit le nom d’Hôpital civil puis d’Hôtel Dieu.
En 1881, Emile Moreau rédige un rapport sur l’hôpital en évoquant les lacunes de l’établissement: Il ne s’y trouve aucune chambre particulière pour les malades infectieux. Les salles constamment occupées y sont forcément insalubres. On y fait aucune consultation publique. Il n’y a point de maternité. Il prône aussi la laïcisation du personnel de l’Hôtel Dieu : il serait plus juste et plus humain de confier le soin des malades et la direction des différents services de l’hôpital à des veuves d’employés et d’ouvriers de l’industrie roubaisienne qu’à des congréganistes étrangères à la ville.
L’année suivante, il est décidé d’ajouter un étage de chaque côté de la cour centrale pour permettre d’installer un dortoir de 16 lits destinés à recevoir des malades atteints de maladies contagieuses et de l’autre les personnes sans famille qui désirent se faire traiter moyennant finances.
La même année, l’architecte municipal dresse les plans d’un baraquement pour varioleux qu’il est d’abord question de construire sur l’emplacement à Barbieux qui doit servir ultérieurement à la construction d’un hospice pour les vieillards puis sur les terrains des Hauts Champs. En 1884, on décide de construire le pavillon pour varioleux de 30 lits dans l’enceinte de l’hôpital sur la parcelle de terrain restée inoccupée du côté de la rue Isabeau de Roubaix… Deux ans plus tard, on projette de construire une brasserie sur le coin de la rue de l’Alma et de la rue Isabeau de Roubaix.
A ce moment, l’Hôtel Dieu compte 331 lits et 15 berceaux. La réception définitive du pavillon pour varioleux a lieu le 5 octobre 1888. L’année suivante est décidé de construire une aile de deux niveaux entre la rue Saint-Vincent de Paul et le pavillon central, ce qui permet d’ajouter 46 nouveaux lits déjà existants. En 1892 est voté un crédit pour l’établissement d’une étuve à désinfection. Cette étuve à désinfection sera mise à la disposition du public : il en coûtera 2 francs pour la désinfection d’un matelas, 0,50 pour celle d’un drap.
En 1893, l’administration des Hospices signale à la Municipalité l’exiguité de la cave de la brasserie de l’Hôtel Dieu : en effet par suite de l’augmentation de la fabrication de bière résultant des livraisons faites aux cantines scolaires (!) et au nouvel hospice de Barbieux, l’entonnerie de la brasserie est devenue insuffisante. En 1895, on décide de réunir le pavillon des varioleux qui avait été construit de façon isolée, au corps central de l’hôpital. En 1898, il est décidé pour agrandir le pavillon des enfants d’utiliser un baraquement dont la construction avait été commencée lors d’une épidémie de choléra et qui avait été conservé dans les magasins de la Ville.
En 1901, l’hôpital reçoit la visite de l’Inspection générale des services administratifs. Il est de nouveau déploré l’exiguïté de l’hôpital et les risques de contagion qui en découle : comme service de contagieux, il y a seulement trois petites pièces ou salles d’isolement ce qui est tout à fait insuffisant et même dangereux. On place indistinctement chez les fiévreux les typhiques et les malades atteints de la diphtérie. A la séance du 27 juin 1902 est votée, à la suite de la découverte dans les écoles roubaisiennes de 81 enfants atteints de la pelade, de la teigne ou de différentes maladies du cuir chevelu, la construction d’un dispensaire pour le traitement des maladies du cuir chevelu avec cette réserve qu’il serait pris des mesures pour que les visites à ce dispensaire ne coïncident pas avec les entrées et sorties de l’école de la rue Saint-Vincent de Paul et ne permettrait pas le contact des enfants malades avec les enfants qui fréquentent la dite école.
En 1907, à l’ouverture du nouvel hôpital de la Fraternité, les malades quittent l’Hôtel Dieu. Celui-ci accueille les pensionnaires de l’Hospice (situé rue de l’Hospice) qui est démoli, on construira à sa place la salle Watremez. Trois cent cinquante vieillards sont hébergés dans ce qui devient alors l’hospice Blanchemaille. A la même époque, la Commission administrative des Hospices fixe son siège dans l’établissement.
En 1911, à la suite d’une visite de l’hospice, M. et Mme Joseph Pollet Motte offre une somme de 100.000 francs pour construire deux infirmeries supplémentaires. La Commission administrative accueille avec empressement cette proposition et décide de réaliser cet agrandissement en surélevant de deux étages les bâtiments qui entourent la cour d’entrée. C’est l’architecte Ernest Thibeau qui est chargé des travaux. Ceux-ci sont terminés en 1913. En 1911 également, l’aumônier l’abbé Algrain augmente la surface de la chapelle et l’embellit. La chapelle est dégagée des deux salles de bains immenses qui la flanquaient et y répandaient l’humidité et on lui adjoint deux nefs latérales. Le chœur est agrandi et embelli par la restauration de l’autel, du banc de communion et de la chaire.
En novembre et décembre 1977, 163 pensionnaires quittent l’hospice de Blanchemaille pour celui de Barbieux. Enfin, en mars 1978, les 82 derniers pensionnaires quittent l’établissement. L’Hospice de Blanchemaille est démoli en 1981. Quelques années auparavant, l’Evêché avait envisagé d’utiliser la chapelle de l’hospice en remplacement de l’église Notre-Dame démolie.
Ne subsistent des bâtiments que le fronton de Charles Iguel qui est remonté grâce à une souscription et à la Fondation de France sur le square qui jouxte la Caisse d’Allocations familiales ainsi que les plaques des donateurs qui se trouvaient dans le hall et qui ont été reposées dans la galerie gauche de l’hospice de Barbieux.