Les adieux de Brel au Casino

Le 16 mai 1967, c’est l’effervescence à Roubaix : Jacques Brel, un des chanteurs les plus marquants des années 1960, y donne son dernier concert public. Lassé par des tournées interminables et par la solitude des hôtels anonymes, épuisé à force de donner toujours le meilleur de lui-même lors de ses concerts, Jacques Brel a déclaré lors de son dernier spectacle à l’Olympia de Paris « qu’il ne veut pas baisser » et qu’il arrête définitivement la scène.

Et c’est précisément à Roubaix que Georges Olivier, le directeur de sa tournée, décide qu’il y donnera son dernier concert. Dès l’ouverture des caisses de location du Casino et en quelques heures, les 2.000 places que contient l’immense salle sont vendues. Les fans viennent de toute la France, aussi bien d’Aix en Provence, de Belgique et que de Londres en Angleterre pour ovationner une dernière fois ce talentueux chanteur.

Quelques heures avant le spectacle, les journalistes et photographes de grands hebdomadaires et quotidiens français et étrangers, de la télévision et de la radio nationales convergent vers la Grand’Rue. Le mot d’ordre est passé : « Cette fois c’est la dernière ! » et personne ne veut manquer cet événement.

Devant une salle comble et survoltée, le public, ému jusqu’aux larmes écoute ses chansons qui s’enchaînent les unes après les autres dans un rythme affolant. Jacques Brel a atteint la maturité des grandes vedettes. Quand il chante, personne ne reste indifférent. Chacune de ses chansons décrit ses semblables avec beaucoup de tendresse, parfois avec férocité mais  toujours avec une grande lucidité.

En bas de la scène, les flashs crépitent, les photographes se bousculent et mitraillent avec deux parfois trois appareils photos. Au pied de la rampe, des dizaines de boîtes de pellicules vides jonchent le sol. Quand  Jacques Brel entame sa dernière chanson « Madeleine », le public sait que le spectacle s’achève. Malgré les rappels, les cris et les sifflets, il ne revient pas sur scène et personne ne réalise encore vraiment qu’il n’y remontera plus.

Pendant ce temps, dans les coulisses toute la grande famille du music hall est là pour l’entourer. Comme Eddie Barclay, venu spécialement de Cannes et Bruno Coquatrix qui a abandonné l’Olympia pour être présent ce soir-là à Roubaix, mais aussi Georges Olivier, Gérard Jouannest, les Delta Rythm Boys… Tous se réunissent avec les musiciens et les amis, les journalistes et les ouvreuses pour entonner en chœur et avec beaucoup d’émotion la chanson « Ce n’est qu’un au revoir ».

Francine Declercq et Laurence Mourette

Photo Nord Éclair

35 ans de cinéma

Paul Maes est né à Roubaix le 3 avril 1930. Après des études à l’Institution Notre-Dame des Victoires, il obtient une licence de Lettres à la Faculté. Il se destine alors au journalisme mais passionné par le cinéma il bifurque vers ce domaine. Il rédige des publicités cinématographiques et anime un ciné-club rue de l’Alma. En 1955, à l’âge de 25 ans, il devient l’adjoint de M. Geldhof qui vient de reprendre le Casino ainsi que le plus important circuit du Nord Pas-de-Calais avec 43 salles. Paul Maes est chargé de la programmation de ce circuit.

A cette époque la ville de Roubaix ne compte pas moins de 15 salles de cinéma : Le Colisée, le Casino, un circuit dit « de seconde exclusivité » : le Cinéma Noël rue Jouffroy, le Royal rue de l’Alma, le Radio Ciné rue du Général Sarrail, un troisième circuit dit « des loisirs familiaux » qui compte plusieurs salles sur Tourcoing et le Rex Place Chaptal, enfin à ces salles s’ajoutent dans les quartiers : l’Alcazar rue de Tourcoing, le Familia rue David d’Angers, le Roxy rue Decrême, l’Universel rue des Longues Haies, le Royal Lacroix rue Lacroix, le Tramway boulevard de Strasbourg, l’Etoile d’Or rue de l’Epeule, le Renaissance rue Pierre de Roubaix, le Fresnoy.

Toutes ces salles connurent leur heure de gloire pendant les années de guerre où le cinéma était la seule et unique distraction des Roubaisiens mais concurrencées par la télévision un certain nombre d’entre elles commencèrent à fermer dès les années soixante. Une des premières à fermer est le Radio Ciné, victime d’un incendie, cette salle avait ouvert en 1938 avec la projection de Blanche Neige et les sept nains.

En 1951, le Colisée transforme sa salle qui devient une des plus belles salles de France, elle compte 2250 places. Celle du Casino compte 1800 places Il va sans dire que le Colisée et le Casino se livrent une concurrence effrénée. En plus des films, les deux salles accueillent des tournées de music-hall, des vedettes de la chanson, des tournées théâtrales. Claude François, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Henri Salvador… se produisent sur la scène du Casino. En 1972, la salle accueille Les Compagnons de la Chanson. Pour tous ces spectacles, les places sont louées en une demi-journée. La seule vedette à ne pas se produire au Casino est Gilbert Bécaud ami personnel de M. Deconninck et qui réserve ses passages au Colisée.

Mais le fait le plus marquant sont les adieux à la scène de Jacques Brel en mai 1967 (toutes les places sont louées en une demie heure de la France entière).

Sur le plan théâtral, en 1960, André Reybaz y présente le Centre dramatique du Nord. Le Casino organise aussi des spectacles pour les personnes âgées, des arbres de Noël pour les entreprises : Caulliez Delaoutre, EDF … Enfin, une revue sur glace « Paris sur glace » est présentée, une partie des sièges étant démontés pour accueillir la piste. Mais l’activité principale reste la programmation des films.

« Dans les années soixante, raconte Paul Maes, la séance de 17 heures 30 du dimanche était complète. Il y avait des abonnés, on louait des places numérotées. L’ambiance était conviviale, les gens arrivaient une demi-heure avant et bavardaient ensemble. Avant le film, on passait les actualités cinématographiques, puis l’entracte durait vingt minutes. La séance se terminait vers 20 heures 15, les gens rentraient alors chez eux, le cinéma était une fête ». 

Pour assurer la programmation des différentes salles du circuit, Paul Maes se rend chaque semaine auprès des agences de distribution de Lille, celles ci sont au nombre de 26 en 1955. Mais elles ferment progressivement et Paul Maes est obligé alors de se rendre à Paris chaque semaine pendant 2 ou 3 jours.

En 1972, le Casino ouvre une petite salle de 250 places : « le Club » tandis que le Colisée ouvre les Colisée 1 et 2 à Roubaix 2000. Cette même année Paul Maes succède en tant que directeur à M. Geldof qui vient de décéder. M. Desrousseaux, neveu de M. Deconninck, devient son adjoint. 

En 1978 se crée un groupement d’intérêt entre le Colisée et le Casino pour lutter contre Lille. C’est l’époque des multiplex : sept petites salles sont ouvertes à la place de la grande salle. Ce complexe prend le nom de Club 7. La fréquentation reste importante jusque dans les années 1980, elle commence à fléchir en 1985 et s’effondre en 1987.  En même temps ferment les dernières salles de quartier. Tout le circuit est alors vendu à un groupe parisien. Paul Maes continue à s’occuper de cinéma sur Paris puis prend officiellement sa retraite en 1990. Le Club 7, sous le nom des Arcades, continue à fonctionner pendant quelques années puis ferme ses portes. En 1999, la Communauté urbaine rachète les bâtiments.

Désormais M. Maes est en retraite à Roubaix avec son épouse. Ses enfants ne travaillent pas dans le cinéma et ont quitté la région. Si vous le croisez au Parc de Barbieux où il se promène régulièrement, n’hésitez pas à le saluer, cela lui fera plaisir. Comme il dit :  » Moi, je ne reconnais pas les gens, ils étaient si nombreux à venir au Casino. Mais eux me reconnaissent et m’interpellent : vous ne seriez pas M. Maes l’ancien directeur du Casino ? ».