Roubaix, la ville aux 100 théâtres

par Philippe Waret et Alain Guillemin

Exposition réalisée par la FAL de Roubaix en 2001

Au Moulin de Roubaix, au « sommet » de l’actuelle rue Jean Moulin (ex rue du Moulin) en 1829, Joseph Couvreur ouvre le premier théâtre connu dans la ville.

Le lieu comporte une double scène, l’une pour les comédiens, l’autre pour les marionnettes. C’est le Théât’ Roïau où comédiens de chair et comédiens de bois jouent le même répertoire pour un public majoritairement composé de jeunes ouvriers. La famille Couvreur jouera dans divers lieux dans la ville pendant tout le XIXe siècle. La première école gratuite à Roubaix, ouvrira, également, en 1829.

Le temps des théâtres durera jusqu’à la fin du siècle qui constituera le sommet de la vague d’une véritable passion pour l’art dramatique dans cette période qui est celle des lois de Jules Ferry sur l’école. Pourtant, en cette fin de siècle la concurrence va venir des cafés-concerts, avant qu’en 1907, s’ouvrent de véritables salles de cinéma apportant des spectacles largement diffusés. Les ouvriers qui produisaient des pièces destinées au public du quartier vont perdre là de précieux compléments de ressources. Dans la période du développement industriel de Roubaix, passant de 25 000 habitants au milieu du siècle à 125 000 après 1880, on fréquente le théâtre pour s’instruire souvent plus que pour se distraire. On vient entendre des dialogues dans un français difficilement maîtrisé, apprendre l’histoire de France grâce à des spectacles souvent inspirés de romans historiques.

Quelques familles traversent et marquent toute cette époque, les Couvreur, les Richard, les Créteur, par exemple, dont le premier, Edgar, joue avec ses marionnettes à l’Epeule vers 1860, avant que son fils prenne la relève vers 1880. D’autres membres de la famille seront de célèbres costumiers de théâtre jusqu’au milieu du XXe siècle.

Le théâtre du Fontenoy CP Méd Rx

On a souvent parlé de l’incroyable nombre de cheminées d’usines à Roubaix mais la ville fut aussi remplie de théâtres : une vingtaine en activité vers 1880 et autant de théâtres de marionnettes. A côté de tout petits lieux on trouve de grandes salles, le Théâtre de Roubaix ou Théâtre Joseph Couvreur où la famille du fondateur continue son œuvre, le Théâtre des menus plaisirs et quelques salles qui accueillent plusieurs centaines de spectateurs. Le Théâtre de l’Hippodrome avec ses 1 800 places accueillera de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle des troupes de théâtres, du music-hall, du cirque, des opéras… Partout, on refuse du monde… et les salles sont souvent plus que bondées.

L’hippodrome théâtre CP Méd Rx

A la fin du XIXe siècle, les petits théâtres commencent à subir la concurrence d’autres distractions et les comédiens-ouvriers doivent se partager un bien maigre complément de ressources. Retour à la marionnette car quelques dizaines de héros de bois peuvent occuper la scène grâce à 4 ou 5 artistes. Seul Louis Richard avec son théâtre de 600 places, près de la rue des Longues Haies, continuera à vivre de son art.

Après 1918, le théâtre dans les quartiers va clairement relever d’une activité bénévole. Les patronages, handicapés par leur choix de ne pas avoir de troupe mixte et les amicales laïques animent un nombre important de compagnies. Ces dernières s’appuient sur les locaux de leur fédération, rue d’Alsace, où elles disposent d’une grande salle et d’une scène, véritables vitrines de leur activité.

L’époque des concurrences, entre un spectacle sponsorisé par le patronat, un lieu de théâtre animé par le mouvement ouvrier (la Coopérative La Paix) et des initiatives ouvrières dans les quartiers, se termine. La municipalité prend le relais et invite à l’Hippodrome des troupes professionnelles, la loi de 1901 sert de cadre juridique au bénévolat des patronages et des amicales laïques. Il faudra attendre l’après guerre pour qu’un Roubaisien, Cyril Robichez, après avoir animé les marionnettes de son Théâtre du Petit Lion, se lance, à Lille et en région, dans la première aventure de théâtre professionnel en province avec le « Théâtre Populaire des Flandres ».

Pierre-Joseph Couvreur

INTRODUCTEUR DU THÉÂTRE A ROUBAIX
Pierre Joseph Couvreur est né le 8 février 1810 à Herrines en Belgique, à une dizaine de kilomètres au nord de la ville de Tournai. Il arrive à Roubaix encore enfant, âgé seulement de neuf ans. A cette époque, on commençait à travailler très jeune. Et c’est ainsi qu’il excerce successivement les métiers de bâcleur, rattacheur puis fileur.
Le 3 septembre 1838, il épouse à Roubaix Ide Roose, née à Sweveghem en Belgique, fille de Pierre Joseph et de Marie Joseph Depaemelaere. Lors de leur mariage, les époux reconnaissent un enfant prénommé Théophile, né à Roubaix le 6 août 1837.
Pierre Joseph Couvreur s’intéresse très tôt à tout ce qui touche au théâtre de marionnettes. Pendant ses rares loisirs, il taille dans le bois des figurines grossières qui sont ensuite habillées par son épouse. Il les met en scène dans des pièces, drames ou vaudevilles qu’il compose lui-même.
Avec son ami Flamencourt, il commence à donner des représentations au « Moulin de Roubaix » vers 1835. Mais cette association dure peu de temps et, tandis que Flamencourt garde le Moulin de Roubaix, Pierre Couvreur s’installe au « Fort Bayart » puis, plus tard, dans un grenier de la rue du Temple et enfin, rue de la Redoute.
Désireux d’apprendre la comédie, il part à Paris pour être figurant dans divers salles de théâtre. Revenu par la suite à Roubaix, il rassemble toutes ses économies et crée un nouveau théâtre au 8, rue du Fontenoit, dans un hangar du fort Wattel. Les représentations se font dans un local de fortune où les spectateurs s’assoient sur des planches à peine dégrossies et où le sol est fait de terre battue.
Voici une anecdote connue que nous avons plaisir à rappeler : « En hiver, les spectateurs avaient froid et s’en plaignaient, le régisseur qui n’était autre que le directeur Pierre Couvreur lui-même, annonça que pour la représentation prochaine, la salle serait chauffée. Et en effet, à la séance suivante, on put constater la présence d’un feu calorifère allumé. Les spectateurs en furent enchantés. Mais en réalité, il y avait supercherie car on avait simplement placé trois chandelles allumées à l’intérieur du poêle ! ».
Le plus difficile  reste de recruter des artistes parce qu’il n’avait pas les moyens de les rétribuer. C’est donc tout naturellement parmi ses collègues de travail qu’il trouve les acteurs et comme beaucoup ne savent même pas lire, il apprend à chacun son rôle.
L’immense travail accompli à cette époque par Pierre Couvreur mérite que son nom ne reste pas dans l’oubli. Plus tard, une vraie salle de théâtre est construite, propre et spacieuse, qui prend le nom de « Théâtre du Fontenoit » et Pierre Couvreur est nommé Directeur. Dans la fosse d’orchestre, car il y en avait une, trois musiciens peuvent prendre place. Outre les spectacles de marionnettes, on peut aussi applaudir des vaudevilles et diverses saynettes. A diverses occasions, il engage quelques artistes, ce qui donne plus de relief à son théâtre. On y joue : « La grâce de Dieu », « Lazare le pâtre », « Le curé Mérino », « Jacques Cœur », « Les Pauvres de Paris » et d’autres pièces.
En ces temps où il n’y avait ni cinéma, ni télévision, ce théâtre populaire était fort apprécié des roubaisiens. Pierre Joseph Couvreur perd son épouse Ide Roose qui meurt à Roubaix le 28 janvier 1859. Il se remarie ensuite à Roubaix le 12 septembre 1860 avec Amandine Vanhuffel, née à Kain en Belgique, fille de Jean Baptiste, facteur de graines et de Scholastique Philippo.                       
Il aura huit enfants dont 5 deviennent comédiens. Et sa fille Marie Louise, née à Roubaix le 10 octobre 1845 y épouse le 3 juillet 1859, Gustave Grégoire Deschamps, né à Roubaix le 4 novembre 1842, fils de Liévin Joseph, entrepreneur de bâtiment et de Catherine-Henriette Wauquiez. C’est lui qui dirigea par la suite le théâtre du Fontenoit, perpétuant ainsi l’œuvre de son beau-père.
Pierre Couvreur ne s’est pas enrichi. Sur la fin de sa vie, il devient cabaretier puis, par la suite, obtient de la ville, la fonction de garde du square Notre Dame. Il meurt à Roubaix le 25 novembre 1871.

Le théâtre Louis Richard

Retracer l’histoire du théâtre Louis, c’est retracer l’histoire de tous ces petits théâtres, en signalant que le théâtre Louis Richard étant un modèle du genre, ne pouvait, en aucune façon, être assimilé aux autres en raison de la valeur artistique de ses pantins de bois incomparables, de son installation rationnelle, de l’esprit qui l’animait, de la qualité de son répertoire toujours renouvelé et de la dextérité de ses manipulateurs.

 Le fondateur du théâtre Louis était Louis Richard. Né à Bruges en 1850, dès son plus jeune âge, il amusait ses compagnons en habillant de « chiquées de dentelle » (sa mère était dentellière) des petites cuillères ou des fourchettes qu’il manœuvrait à la façon de marionnettes. C’était un artiste né.

Fixé à Roubaix en 1863, à l’âge de 13 ans, il fit son apprentissage de tourneur sur métaux et, désireux de s’instruire, apprit à lire et à écrire après son travail. Fréquentant les théâtres de marionnettes de l’époque il eut l’ambition d’en diriger un à son tour et, à 19 ans, en 1869, utilisant des pantins qu’il avait lui-même fabriqués, il fonda un théâtre dans le grenier d’une de ses tantes, rue des Longues Haies. Il obtint à cet effet l’autorisation impériale portant le sceau de Napoléon III.

 Le succès aidant, il s’installe Grand-rue, dans un autre grenier d’un marchand de légumes au Galon d’Eau. Il revient en 1875 chez sa tante déménage ensuite pour aller rue de Croix et, enfin le résultat de ces divers essais répondant à ses espérances, il s’installe définitivement en 1884 dans une maison qu’il a fait bâtir au 43, rue Pierre de Roubaix où la salle de spectacles, construite spécialement, peut recevoir 400 spectateurs.

 Louis Richard qui possédait les plus belles marionnettes des environs et sans doute de France, les avait sculptées, peintes et habillées lui-même, reconstituant leurs accoutrements avec une scrupuleuse exactitude et un luxe de détails inouïs. Jamais satisfait cependant, tout au long de sa carrière, il ne cessera de les perfectionner. Au début par exemple, les cheveux de ses pantins étaient d’étoupe et les yeux étaient peints. Par la suite, il leur donnera une véritable chevelure et des yeux de verre.

 Son fils Léopold a raconté que, dans les premiers temps, son père avait travaillé les têtes de ses poupées dans du bois d’orme, qui, à cause de sa dureté ne permettait d’exprimer que des figures assez rudimentaires, utilisant par la suite un bois beaucoup plus tendre, le tilleul, avec un art consommé et une technique plus approfondie, il put enfin donner cette expression de vie extraordinaire qu’on leur voit encore aujourd’hui.

 Louis Richard était un artiste et donc un sentimental et il n’est pas sans intérêt d’apprendre que, lorsqu’il eut enfin réalisé de façon parfaite ses nouvelles marionnettes, il se sépara de ses premières, mais d’une manière qui prouve bien qu’il ne les considérait pas comme des jouets quelconques, bons à jeter à la poubelle après usage.

 Il eut une pensée que seul un poète pouvait concevoir : il creusa une tombe sous son théâtre même et il enterra pieusement et sans doute avec tristesse toutes les marionnettes rudimentaires de ses débuts. Son fils devait les exhumer trente ans plus tard avec non moins de piété.

Louis Richard qui, entre temps jusqu’en 1896, pratiqua un autre métier aujourd’hui disparu, celui de cordier pour archers, est l’inventeur de la marionnette aux jambes articulées de l’intérieur. En effet, par un système ingénieux de ficelles qui passent à travers le corps des marionnettes, il pouvait, en les manipulant, donner à ses personnages une apparence de marche réelle avec un certain déhanchement très naturel et qu’on ne trouve pas chez les autres marionnettes.

 Un américain, Réginald Sibbald a fait en 1936 une thèse sur « les marionnettes dans le Nord de la France ». Il avait été frappé de cette particularité qu’il n’avait pas encore rencontré et il exprimait ainsi son avis : « La plupart des autres marionnettes, qu’elles soient de Lille d’Amiens ou d’ailleurs, quand elles marchent, doivent s’incliner légèrement en arrière afin que les ficelles qui sont fixées extérieurement aux jambes ne puissent pas frapper le corps ou se mêler aux vêtements et, comme les ficelles sont habituellement attachées aux jointures des genoux, la poupée marche en levant les genoux, tandis que la partie inférieure de la jambe se balance simplement. Louis Richard est, à ma connaissance, le seul fabricant de marionnette qui a trouvé le moyen de surmonter cette difficulté au moyen d’une méthode secrète. Il passait ses ficelles à travers la tête dans l’intérieur même des jambes. Le résultat est remarquable. Comme les ficelles des jambes sont attachées à un simple balancier au bout de la tige du support, l’opérateur peut faire marcher, rien qu’au moyen d’un léger mouvement de poignet, en le tenant dans la position debout. Avec ce système, la marionnette peut faire de grandes enjambées ou marcher à petits pas. Les marionnettes de Richard, écrivait encore cet américain, sont les seules en Europe et sans doute dans le monde à avoir adopté ce dispositif inconnu totalement ailleurs ».

 Ajoutons que l’amélioration ainsi apportée permettait à Richard de donner sur scène de grandes batailles épiques avec de nombreux personnages sans risque de les emmêler. Les marionnettistes lillois qui n’utilisaient pas ce procédé, étaient toujours dans l’obligation de réaliser de grands combats dans la coulisse, hors de la vue des spectateurs.

 C’est dans les années 1900-1910 que le théâtre Louis connut une popularité extraordinaire. Il y avait parfois 400 à 500 spectateurs par séance. Le prix était modique : 5 sous le dimanche, 3 sous le lundi, 1 sou le jeudi.

 Il était tellement apprécié que Louis Richard, certaines années, en était arrivé à gagner près de 4 000 francs par an (francs or). Sa femme qui fut longtemps sa plus fidèle collaboratrice, interviewée en 1938, raconta qu’à certaines séances durant les entractes, elle avait vendu jusqu’à 18 paquets de 18 gaufres, dix douzaines de gâteaux, du coco à 1 sou le gobelet et 100 kilos de pommes-frites.

 De ses cinq enfants, Louis Richard fit cinq montreurs de marionnettes mais, malheureusement, deux de ses fils furent tués à la guerre 1914-1918. Le théâtre Louis a toujours été le fruit d’une exploitation familiale, Louis Richard eut pour aides en 1893 Alfred Decottignies, son neveu puis Alfred Doutreligne qui imitait les oiseaux et sifflait à ravir ; en 1899, son fils Jules devint le principal manipulateur jusqu’en 1908 ; peu après, ce fut son second fils Maurice qui fit partie de la troupe. Enfin, en 1903, Léon, son troisième fils, prit la direction, gardant dans son esprit et dans son cœur l’idéal légué par son père.

 C’est Léopold Richard qui confiait en 1938 à un journaliste roubaisien comment il concevait son rôle de montreur de marionnettes : « Vivre pour un idéal, disait-il, qui le rapproche du peuple, peuple lui-même le marionnettiste possède ses coutumes, lui parle sa langue et se fait comprendre de lui, bien plus sûrement que les discours les mieux conçus de nos grands orateurs qui ne sont accessibles qu’à ceux qui le comprennent ».

 On ne peut mieux dire, ajoutait le journaliste et Léopold, fils de Louis, est resté dans la stricte tradition des montreurs de marionnettes ; il n’a jamais forcé son talent et il ne peut être de plus fidèle serviteur du théâtre populaire.

 Excepté entre 1914 et 1918, le théâtre Louis n’a jamais cessé de fonctionner. Des représentations furent données tous les dimanches, lundis et jeudis après-midi et aussi le jeudi soir ; le public du jeudi après-midi était composé d’enfants et les adultes assistaient nombreux aux autres séances qui leur étaient consacrées.

 Le fondateur Louis Richard a imaginé ses types de personnages de toutes pièces qui ne doivent absolument rien à Polichinelle de Paris, au Guignol de Lyon, au Lafleur d’Amiens ou au Jacques de Lille. A l’origine, le héros typique dans son théâtre, toujours chargé du rôle principal dans les drames s’appelait le Brave et son jeune acolyte « le petit brave ». Un autre héros s’appelait l’Hercule. Le comique avait nom : « Barpe-à-Poux », mais depuis de nombreuses années, il n’est plus guère connu que sous le nom de « Bibi-Lolo ». ».

 Ce Bibi-Lolo est un personnage humoristique qu’on ne peut comparer avec les autres types comiques traditionnels : Polichinelle est presque toujours commun, vulgaire, quelquefois même obscène. La fleur d’Amiens et Jacques de Lille sont des types de valets qui très souvent, tombent dans la grossièreté. Rien de tel chez Bibi-Lolo ; c’est un humoriste plaisant, raffiné même dans ses plaisanteries ; ce n’est pas le domestique habitué des Comédies de Lille ou d’Amiens. Il remplit tous les rôles et sait se contenter d’un rôle secondaire. Il est l’annonceur officiel de la troupe et son apparition sur scène apporte toujours une diversion qui, pour être assez burlesque, n’en est pas moins toujours décente et de bon aloi.

 Dans les bamboches, ces comédies patoisantes en un acte qui habituellement, terminent toujours le spectacle, le héros principal est toujours le Petit Morveux, marionnette d’une taille plus petite, à l’esprit vif, à la répartie mordante et qui ne s’exprime qu’en patois. Le public enfantin se reconnaît complètement en lui ; il est, en effet, le modèle du titi, du gavroche roubaisien.

 

Le fondateur du théâtre Louis avait créé de ses mains plus de quatre cents marionnettes ; il était devenu tellement habile qu’une journée de travail lui suffisait pour sculpter une tête au moyen de gouges et de couteaux. La figure d’un habitant du quartier lui avait-elle paru pittoresque, il la reproduisait fidèlement de mémoire, en l’accentuant quelque peu pour raisons d’optique théâtrale.

 Les rideaux, les 52 décors, les intérieurs, les extérieurs sont son œuvre, les salons, les palais, les prisons, les paysages, les scènes de pleine mer ainsi que tous les accessoires, et ils sont nombreux, ont été créés par Louis Richard. Tous les petits meubles à la taille des interprètes : fauteuils, chaises, tables canapés, trônes… ont été confectionnés par lui. Les trois cents costumes ont été dessinés par lui et confectionnés avec l’aide de sa femme, habile couturière dans un souci d’exactitude historique qui confond l’imagination. De ses mains sont sortis des squelettes effrayants de vérité, jusqu’aux animaux qui ont été ressuscités sous ses doigts d’artiste : chevaux, chiens, chats, lions, tigres, tout s’y trouve et Louis Richard grâce à son équipement remarquable, était capable de représenter n’importe quelle pièce, même exigeant une figuration spéciale.

 Ainsi, par exemple au bûcher de Jeanne d’Arc, on voyait un homme d’armes mettre réellement le feu avec une torche et le rideau tombait quand le bûcher commençait à flamber. Lors d’une bataille, on peut voir un cavalier dont la tête était emportée par un boulet, tandis que le cheval continuait sa course. Le théâtre Louis était arrivé à reconstituer un combat naval et les spectateurs avaient la nette impression d’apercevoir un navire sombrer dans les flots.

 Dans les batailles rangées, il n’était pas rare de voir s’amonceler sur scène plus de cent cadavres de marionnettes et du dernier carré de Waterloo, par exemple, on a conservé le souvenir d’une scène épique où les morts tombaient drus dans un enchevêtrement de caissons, de canons et de violence d’expression qui nous surprendrait aujourd’hui.

 Quand on jouait Jeanne d’Arc et qu’on chantait sur scène :

« Guerre aux tyrans !

Jamais, jamais en France

Jamais l’anglais ne régnera. »

toute l’assistance debout appuyait cette affirmation de 400 « non ! non ! » retentissants de quoi faire crouler tout l’établissement.

 Contrairement aux autres théâtres où les spectateurs ne se gênaient pas pour créer un certain tumulte et jeter des fruits à la face des marionnettes, le théâtre Louis avait su discipliner ses auditeurs et les séances avaient toujours lieu dans un calme relatif.

 

Une fois par an cependant, le lundi des Parjurés (c’est le lundi qui suit l’Epiphanie. Ce nom vient du manque de foi attribué aux rois mages qui ne rapportèrent pas au roi Hérode, comme ils s’y étaient engagés, des nouvelles de l’Enfant-Jésus). Louis Richard donnait une farce en trois actes intitulée « La perruque de la fermière » et les habitués savaient qu’à cette occasion, ils pouvaient se munir de projectiles et qu’ils seraient autorisés à les jeter sur la scène, à un certain moment. Ce moment était impatiemment attendu et quand la fermière intimait à son garde, Jacques, de faire son travail et d’arrêter quelques petits maraudeurs, Jacques se tournait vers la salle et criait : « Allez feu ! Cha y est ch’ed l’bombardement ! » A ce signal tous les spectateurs inondaient la scène de noix, d’oranges, de carottes, de navets, de pommes de terre tandis que le Petit Morveux surgissait sur scène pour enlever la perruque de la fermière, montrant son crâne à nu, sous les applaudissements frénétiques de toute l’assistance.

 Le répertoire du théâtre Louis fut très important. Environ 500 pièces ont été composées par Louis Richard et ses successeurs, pièces qui parfois comptent 40 actes et certaines mêmes comme « Les mystères de Venise » 120. Il faut ajouter plus de 200 « boboches » écrits dans le plus pur patois roubaisien.

 Mais la grande vogue des théâtres de marionnettes est morte depuis une génération, pratiquement depuis l’avènement du café-concert et du cinéma parlant qui a coupé les ficelles des marionnettes et comme disait Léopold Richard avec émotion : « L’rideau ya tché comme in’brique ».

 Heureusement la tradition a été reprise. Une association pour le renouveau de la marionnette à tringle existe à Roubaix. Les représentations sont nombreuses. La vitalité en est très grande. Nous conclurons en rappelant cette phrase de Paul Claudel : « La marionnette n’est pas un acteur, c’est une parole qui agit ».

Communication présentée par Monsieur Jacques PROUVOST, Président de la Société d’Emulation de Roubaix au Congrès de la Fédération des Sociétés Savantes du Nord de la France en 1990