Jules Verne à Roubaix

Jules Verne

2005 sera l’année de la célébration du centenaire de la mort de Jules Verne. Nous nous devions bien de contribuer à cette célébration, car l’auteur des Voyages Extraordinaires a fait l’honneur d’une visite à Roubaix. Cela se passait il y a 125 ans et nous allons en témoigner.

La visite de Jules Verne dans la ville aux mille cheminées

Le 18 mars 1880, vers 13 h 27, deux voyageurs descendent du train de Lille, dans la petite gare triste de Roubaix. En effet, à cette époque, la grande ville industrielle n’a pas la gare que nous connaissons encore de nos jours, ni cette superbe avenue1 qui aurait permis à nos visiteurs de rejoindre la Grand Place rapidement. Il ne semble pas que telle ait été leur destination. Le Journal de Roubaix, qui est le plus grand quotidien et le plus informé de la ville, ne mentionne aucune réception municipale pour Jules Verne et l’imprimeur Danel.

Car c’est Jules Verne en personne, qui rend visite à la cité du textile. A 52 ans, le grand écrivain est célèbre, il a déjà plus de vingt ans de littérature à son actif. Célèbre, mais pas forcément reconnu. Le Journal de Roubaix qui fait allusion à sa venue par un entrefilet paru le lendemain de la visite, cite des titres en se trompant légèrement, ce qui est étonnant pour un journal d’habitude si rigoureux : Voyage autour du monde, pour le Tour du monde en 80 jours, Six semaines en ballon, au lieu des Cinq semaines initiales, seuls Michel Strogoff et l’île mystérieuse, sans doute plus récents, échappent à l’écornage.2 Doit-on à un typographe distrait ces coquilles, ou l’auteur de l’article n’a-t-il fait que survoler l’œuvre de Jules Verne ? Il est vrai que le romancier n’a pas forcément de bonnes relations aux yeux du quotidien roubaisien : son éditeur Pierre-Jules Hetzel est républicain, publie Victor Hugo et Proudhon, et a lancé en 1864 le Magasin d’Education et de Récréation, une revue bimensuelle destinée à la jeunesse et aux familles. Il compte parmi ses auteurs un camarade d’exil, Jean Macé, le fondateur de la ligue de l’enseignement et grand militant laïque.

Qu’est donc venu faire Jules Verne à Roubaix ? On a dit de lui qu’il était un visionnaire, qu’il avait anticipé un grand nombre d’inventions dans ses Voyages Extraordinaires3. Mais Jules Verne est plutôt un vulgarisateur de la science, qui, à défaut d’être un scientifique lui-même, se documente énormément, et a le souci de la cohérence et du détail. Roubaix est donc un terrain d’investigation et il va visiter plusieurs entreprises qui lui permettront d’avoir une vision d’ensemble de la fabrication textile.

Le peignage Amédée Prouvost

C’est ainsi qu’il se rend à la filature de MM. Motte, Legrand et Mille, située au n°22 de la rue des longues haies, puis à l’entreprise de teinturerie et d’apprêts de M. Alfred Motte à deux pas, rue du Coq Français. Il rejoindra le tissage mécanique d’Henri Delattre père et fils aux n°10 à 18 rue du Curoir, et terminera par le peignage mécanique de M. Amédée Prouvost, rue du Fort et du Collège. Pour terminer son périple, il ira admirer la tapisserie des Flandres fabriquée par l’entreprise Prouvost jeune, au n°33 rue des Lignes. Vraisemblablement perturbé, le journaliste roubaisien se trompe de peignage, citant MM. Allard-Rousseau, ce qui entraîne une rectification dans un second article tout aussi bref. Jules Verne a-t-il rencontré les industriels au moment de sa visite ? Rien ne permet de l’affirmer. Sans doute a-t-il été accueilli par le directeur de chaque fabrique, et guidé par les techniciens qui pouvaient lui fournir les renseignements nécessaires.

L’article mentionne le but supposé de la venue de l’écrivain en ces termes : il est sans doute venu chercher dans notre centre industriel quelque nouveau type dont il ferait le héros d’un de ses futurs ouvrages. Non décidément, on n’a pas lu Jules Verne au Journal de Roubaix. Bizarre, quand le même journal publie en feuilleton depuis quelques semaines le très sombre et très triste Sans Famille d’Hector Malot publié chez …Hetzel !

Les visites se sont effectuées au pas de charge. Arrivé par le train en début d’après midi, Jules Verne quitte Roubaix vers 19 heures. Ses observations ont-elles été utilisées dans un roman paru ultérieurement ? Le meilleur moyen de le savoir, c’est de nous pencher à nouveau sur l’œuvre d’un homme qui a bercé notre enfance, et qui un jour s’est intéressé à la ville aux mille cheminées. N’était ce pas un titre à la Jules Verne ?

1 Il faudra attendre 1882 pour l’avenue et 1888 pour la gare.

2 5 semaines en ballon 1862, le Tour du Monde en 80 jours 1872, l’île mystérieuse 1874, Michel Strogoff 1876.

3 Les Voyages Extraordinaires sont composés d’une série de 62 romans.

Cet article a paru dans la revue Gens et Pierres de Roubaix n°1  de Janvier 2006

Les moulins à vent

Des moulins à vent (soit à farine, soit à huile), il y en a eu à Roubaix, bien que, de nos jours, il n’en reste plus aucun vestige. Détrônés par la machine à vapeur puis par l’électricité, ils disparurent comme les terres agricoles sur lesquelles ils se dressaient, terres agricoles qui furent inexorablement absorbées par le prodigieux développement de l’industrie textile au cours du XIXe siècle.
La connaissance de l’histoire des moulins à vent de Roubaix est très fragmentaire. Jacques Prouvost, regretté président de la Société d’Emulation de Roubaix et Jean Bruggeman, président de l’ARAM, ont, en leur temps, réalisé une étude sur ce sujet. Je me suis inspiré de leurs travaux pour cet article.
 
Les Archives départementales du Nord conservent des registres « d’octroi de moulins » c’est à dire des permissions de construire. Ces registres mentionnent, sur Roubaix, au XVIe siècle, l’octroi d’un moulin à huile à Jehan Farvacques, en 1534, celui d’un autre moulin à huile à Michel Casteel et en 1603 d’un moulin à blé à Philippe Destombes.
 
En 1635, Sanderus fait figurer sur sa gravure deux moulins dans le lointain
 
Le moulin à vent le plus ancien et le plus connu de Roubaix est le moulin seigneurial mais dont on ne sait à quelle époque il avait été construit et qui se situait en haut de la rue Jean Moulin actuelle. Jean IV de Roubaix en percevait la dîme féodale tandis que la dîme ecclésiastique allait au Chapitre de la cathédrale de Tournai. En 1649, le meunier qui occupait la cense et le moulin se dénommait Mathias Jonville. En 1828, le meunier était un nommé Durot (décédé en 1848) tandis que le propriétaire était M. Mimerel Delaoutre. En 1853, le moulin fut acquis par le meunier Louis Mullier Bayart (décédé en 1883) et il construisit, en 1856, une maison puis, en 1858, un moulin à vapeur, le tout fut démoli en 1869. On reconstruisit le moulin, une tour maçonnée, en 1870, rue de Barbieux. Ce moulin cessa son activité en 1882, transformé en « tour féodale » par l’adjonction d’un couronnement de créneaux et de mâchicoulis, il servit d’ornement au parc de M. Masurel sur lequel fut tracée, dans les années trente, la rue Anatole France. Le  « moulin »  subsista jusque dans les années soixante où il fut démoli lors de la construction de l’école Anatole France. Le moulin seigneurial avait donné son nom au chemin puis à la rue qui y menait : « rue du Haut Moulin » jusqu’en 1867 puis « rue du Moulin », appellation qui a été modifiée, en 1966, en « rue Jean Moulin » !
 
D’autres moulins à vent se dressèrent sur Roubaix, au XIXe siècle, car la Révolution en supprimant les privilèges en avait rendu la construction libre. Le plan de la commune de Roubaix du 25 vendémiaire de l’an XIII (17 octobre 1804) fait figurer six moulins. Le premier était le moulin seigneurial que nous venons d’évoquer.
 
Deux autres moulins se situaient à droite de la « route du Fresnoy » sur la hauteur près de la gare actuelle. En 1812, ils sont mentionnés dans le tableau indicatif des moulins : l’un à 18 mètres de l’axe de la route, l’autre à 12 mètres. Ils appartiennent alors tous les deux à M. Fremaux Benjamin, rentier à Tourcoing. Le moulin à blé disparut peu après cette date, tandis que le second, destiné à la fabrication d’huile, appartenait en 1828 à Louis Fremaux, cultivateur à Tourcoing. L’occupant était M. Farvacques Fremaux dont la veuve acquit le moulin en 1829. Ce moulin fut démoli en 1840, peut être à la suite des travaux de construction des voies de chemin de fer et de la gare de Roubaix (1842).
 
Le quatrième moulin à vent, à farine, était édifié à la ferme des Hauts-Champs, à la limite de Hem. En 1828, il appartenait à Mme Veuve Jean Baptiste Jonville. Lorsqu’il cessa son activité, le moulin était la propriété de Louis Agache.
 
Le cinquième moulin s’élevait près de la ferme de Beaurewaert, non loin de la rue de Beaurewaert et de la rue de Lannoy. Ce moulin à farine sur pivot appartenait à la famille meunière Fournier. On lui adjoignit, en 1851, un moulin à vapeur qui sera démoli en 1878 tandis que le moulin à vent avait disparu en 1864.
 
• Enfin, le sixième moulin avait été édifié non loin de la Caisse d’Allocations familiales actuelle, il était destiné à broyer les écorces de chênes destinées aux tanneries et appartint à M. Bernard Duthoit, marchand de charbon. Il brûla dans les années 1850. Ce moulin avait donné son nom à la rue : « rue du Moulin Bernard » puis « rue du Moulin brûlé ». En 1871, cette rue prit le nom de « rue Bernard ». Le souvenir du moulin fut aussi, un temps, conservé par MM. C. et J. Bernard, épiciers en gros, rue de Lannoy, qui avait donné comme enseigne à leur commerce : « Au Moulin Bernard ». Tout cela disparut dans les années soixante lors de la démolition du secteur de la rue des Longues Haies.
Docteur Xavier Lepoutre
Vice-Président de la Société d’Emulation de Roubaix
Membre de la Commission Historique du Nord
                                    
 
Bibliographie :
Leuridan Théodore, Les rues de Roubaix, Mémoires de la Société d’Emulation de Roubaix, Cinquième série, tome II
Prouvost Jacques, Jean Bruggeman, A propos des Moulins de Roubaix, Rencontre avec les Moulins à vent de Roubaix, bibliothèque municipale de Roubaix, n°8 septembre 1983.  
  

Les fondateurs de la Grande Industrie

DYNAMISME ET ÉQUILIBRE

La liberté commerciale absolue, reconnue intangible, ouvrait la voie aux individualités fortes bien décidées à utiliser toutes les chances qui leur étaient offertes par la législation nouvelle. Ne s’attardant pas à observer les faits, les fondateurs de la Grande Industrie, hommes d’action avant tout, s’engageront avec ardeur dans le système économique libéral dont ils feront le succès. En examinant la liste des Egards et des Maîtres drapiers de l’Ancien Régime, on relève peu de leurs héritiers parmi les notabilités industrielles du XIXème siècle. Rarement, en effet, la conjoncture a été plus favorable aux empiristes dégagés des souvenirs anciens ; ils forcent le destin, alors que les attardés, timides, supputent leur chance et la laissent passer.

Les figures marquantes du XIXème siècle industriel à Roubaix seront celles de chefs de file, bâtissant leurs entreprises au jour le jour, prêts à saisir toutes les occasions heureuses. A la manière des découvreurs de terres inconnues, ces pionniers adoptent la machine à vapeur, les métiers mécaniques à filer et à tisser, entreprennent des voyages de prospection et appliquent dans leurs usines les moyens de production nouveaux. C’est l’époque où les héros de Balzac jonglent avec les lettres de change que l’extension du crédit fait circuler à travers les grandes villes de commerce. Et Daumier nous livre avec Robert Macaire, flanqué de Bertrand, la caricature de ce monde d’affaires.

Mais à Roubaix, les chances de la fortune sont exploitées avec plus de modération et de sagesse et souvent avec mesure. Les créateurs de la Grande Industrie, possédaient non seulement du talent, mais cette sorte de génie divinatoire, apanage des hommes neufs aux muscles solides et à la tête froide.

L’APPORT DES RURAUX

Autour du cœur de la cité, la campagne toute proche a fourni à la Manufacture les bras courageux et les cerveaux clairs dont elle avait besoin. La promotion nouvelle avait préparé son ascension dans le calme du sillon et la patience d’un labeur séculaire tenace et fécond. Ainsi, les cadets de l’Ancienne France retournaient à la charrue et, après ce contact avec la terre tutélaire, leurs ascendants réapparaissaient au premier plan. La création de la Grande Industrie fut une œuvre de force et de santé. La relève, fournie avant tout par le monde rural, possédait une confiance à toute épreuve.

L’historique des censes de Roubaix est évocateur à cet égard. Les Spriet, Mulliez, Lecomte, Leuridan, Pollet, Dubar-Delespaul, Lefebvre, Prouvost, sont tous descendants de cultivateurs. Les ruraux, autant que les ouvriers de qualité ont fondé la grande industrie. Certaines usines importantes ont été construites au cours du XIXème siècle, sur l’emplacement ou à proximité des terres que cultivait, la veille encore, l’ancêtre immédiat ou le nouveau manufacturier. « Si nous nous penchons sur l’origine de la plupart des hommes qui, de nos jours, se sont distingués, nous découvrons derrière eux, une longue ascension et une longue patience. » Ainsi s’exprimait, très justement, Jacques Bainville, dans son discours de réception à l’Académie Française. La claire vision des nécessités de l’heure animait la race des bâtisseurs de nos usines. Les cheminées que, successivement, ils élèveront dans le ciel de la cité, constitueront autant d’actes de foi dans la pérennité de leurs fondations. Ces hommes ne connaissaient pas la crainte des lendemains. Dans ces heures de plénitudes, une race est forte, elle ne cherche pas à maintenir, mais à créer et à poursuivre, en la développant, la tâche entreprise. Qui ne vise qu’à durer, porte déjà dans ses flancs, les traces de la destruction. Par là, la vie opère des coupes sombres ; elle porta des coups mortels aux entreprises de l’Ancien Régime et la sélection continue.

DE QUELQUES-UNS D’ENTRE EUX

Alexandre Decrême (1) qui, en précurseur, entreprit après 1789 la fabrication des tissus de coton, était fils d’ouvrier et la génération suivante, ses descendants, s’allieront aux familles les plus notables. En 1819, un modeste artisan fonda la firme Hannart Frères, l’une des maisons d’apprêts des étoffes qui comptait à la fin du XIXème siècle parmi les plus importantes du monde entier.

Emile Roussel débuta à 14 ans dans l’industrie. En 1865, il aida sa mère à créer une petite teinture et fonda une firme de grande renommée. La firme Wibaux-Florin, qui connut son apogée au XIXème siècle, fut fondée en 1810 par un cultivateur aisé. Né le 16 février 1787, à la ferme de la Mousserie, Hippolyte-Joseph Wibaux épousa Félicité Florin, fille de Pierre-Constantin Florin, premier maire de Roubaix et sa descendance figure parmi les dynasties industrielles du XIXème siècle. Cette firme se spécialise dans les tissus de chaîne coton et de trame de laine peignée et son effacement par la suite doit être attribué à un changement de mode. Ce sont les créations nouvelles qui poussent au zénith les maisons modestes ; mais ce sont elles aussi qui, plus tard, les écartent du succès.

La famille Prouvost est originaire de Wasquehal. Elle occupait une situation rurale de premier plan avant la Révolution. Le Chanoine C. Lecigne écrivit une biographie du poète Amédée Prouvost, dans laquelle il peint en traits brillants, le grand-père de l’écrivain. « Il aimait voyager. Un beau jour, il monta à cheval, il parcourut la France, s’extasiant devant les paysages, s’arrêtant à la porte des usines, mêlant dans ses carnets des impressions d’artistes et des notes d’affaires, exemplaire inédit du Roubaisien à la fois aventureux et positif… Il crée le peignage mécanique de la laine, il lutte dix ans contre les préjugés populaires, les obstinations intéressées et la concurrence étrangère. A force de raison, de calme bon sens, d’efforts continus, il développe l’industrie nouvelle, groupe deux mille ouvriers autour d’elle et dote Roubaix du plus grand établissement de peignage de France. C’est un grand citoyen en même temps qu’un grand industriel. » (2)

Louis-Joseph Brédart épousa en 1754, Anne-Marie Lepers, issue d’une famille rurale très considérée dès le XVIème siècle. De ce mariage naquit, entre autres enfants, Louis-Antoine-Joseph, lequel continua la descendance. L’un de ses enfants, une fille, Pauline, épousa Jean-Baptiste Motte, d’une famille urbaine de Tourcoing, et dont la profession de marchand laisse supposer une profession de négociant en laines. La postérité de la famille Motte-Brédart prend un rôle de premier plan dans la création de la grande industrie de Roubaix. L’aîné Louis Motte-Bossut fonde la filature de coton la plus considérable pour l’époque et fait preuve, au cours de sa carrière industrielle, d’un esprit d’entreprise exceptionnel qui s’est perpétué dans sa descendance. Son cadet, Alfred Motte, se destinait tout d’abord au notariat. En secondes noces, il avait épousé Léonie Grimonprez, fille de Eugène Grimonprez, le promoteur à Roubaix de la filature de la laine peignée et l’un des hommes les plus actifs de la nouvelle promotion industrielle. Après un premier échec, il construit un véritable complexe industriel textile englobant tous les stades de la fabrication, du peignage au tissage. Il fit participer à son succès de multiples associés. Sa formation juridique favorisa sa réussite et après quelques entreprises hasardeuses, il prit soin de limiter ses risques par une clause résolutoire.

Eugène Motte-Duthoit, Député du Nord de 1896 à 1908, est issu de ce mariage. Tandis que la famille Grimonprez s’est effacée, la filiation d’Alfred Motte-Grimonprez occupe présentement encore une importante situation industrielle. Les descendants de Motte-Brédard joignaient à un sens précis des réalités, une activité débordante. Louis Motte-Bossut disait la nécessité « de diriger son affaire personnellement ». « Il faut valoir quelque chose par soi-même, sans chercher trop de distraction en dehors ». Déjà gravement malade en 1882, Alfred Motte-Grimonprez poursuivra sa tâche jusqu’à sa mort, en 1886. Devant une telle ardeur qu’il eût fallut modérer, on constate qu’il est plus dur de rester inactif que d’entreprendre de grandes actions.

Dans ce Roubaix en plein développement économique, le hasard des mariages amena bien des changements de situation. Dans le discours qu’il prononça en 1927, lors de l’anniversaire de la naissance d’Alfred Motte-Grimonprez, son fils, Eugène Motte-Duthoit raconte de quelle façon son aïeul Jean-Baptiste Motte « en prenant à travers champs le chemin le plus court, cueillant pavots et bleuets pour former un bouquet de fiancé pour Pauline Brédart qui habitait Tourcoing, s’arrêtait en chemin à la grande ferme Ducatteau pour parler amicalement avec la fille du fermier. Cette ferme était la première sur le territoire de Roubaix et s’étendait du pont Vanoutryve au Conditionnement et au pont Saint-Vincent-de-Paul.

« Marie Rose, vous êtes trop maligne pour rester fermière disait-il à cette jeunesse, vous devriez vous marier avec un fabricant et vous feriez belle carrière ».

Et cette prédiction s’accomplit. Elle épousa M. Lefebvre et la Maison Lefebvre-Ducatteau, sous sa direction, devint l’une des premières maisons de la Fabrique de Roubaix. Elle commandita plus tard, en 1852, la Maison Amédée Prouvost, les premiers peigneurs de Roubaix et les plus réputés, et Henri, Jean et Louis Lefebvre ont hérité de l’esprit délié et entreprenant de Marie-Rose ».

En 1820, Louis Dubar épouse Marie-Joseph Delespaul, à la ferme du Hutin et fonde une importante entreprise. La famille Bayart était originaire de la ferme de l’Hornuyère de Wattrelos. Pierre-Joseph Bayart épouse en 1798, Sylvie Lefebvre et le jeune ménage s’installa comme fabricants. Dans leur descendance, on retrouve les Bayart-Cuvelier, Bayart-Lefebvre, Ernoult-Bayart et maintes autres familles qui ont fait carrière brillante dans l’industrie.

En 1853, les frères Dillies installent quelques métiers à tisser. Véritables vulgarisateurs du tissage mécanique à Roubaix, ils seront en 1860, propriétaires de 400 métiers. Simple tisserand, Julien Lagache devient un remarquable fabricant. François Frasez installe des métiers à tisser dans des maisons construites à cet usage (chaque maison recevait quatre métiers) et inaugure ainsi une méthode qui a été reprise avec succès dans d’autres régions. Commentant l’exposition de 1853 et s’arrêtant au nom de MM. Eugène Grimonprez et Cie, Théodore Leuridan dira qu’il a été frappé « du grand nombre de maisons inconnues jusqu’ici ».

A partir de 1850, la plupart des affaires se montent en associations à cause du coût élevé des industries mécanisées. De plus, la direction d’une usine exige la présence à peu près constante des patrons. Pour leur permettre de rester à leurs affaires, des maisons de commissions sont fondées. C’est M. Bossut qui fonda la première maison du genre. Par la suite, la Manufacture s’efforcera de se passer de leurs services.

Les frères Delattre, industriels avisés, Henri qui fut Maire de Roubaix en 1848 et Louis épousèrent respectivement Adèle et Pélagie Libert, filles du fermier de la Potennerie. Fondée en 1827, leur entreprise avait pris rapidement un développement considérable. La veuve Libert épousa en secondes noces Pierre Pollet-Delobel de Sainghin et leur descendance honore de nos jours encore l’industrie roubaisienne. La Maison Toulemonde-Destombes, fondée en 1820 trouve son origine dans un tissage à la campagne et il est fort probable, comme ce fut le cas de plusieurs industriels dont le fondateur mena tout d’abord de pair la culture et le tissage, que la ferme ne fut délaissée qu’après emprise sûre dans la manufacture.

On pourrait poursuivre des recherches en ce sens. « Il n’y a aucune maisons ayant tenu quelque place à Roubaix qui n’ait eu ses fondements dans une connaissance approfondie de la matière et du métier » écrit M. Gaston Motte dans son « Histoire de Roubaix ». La grande industrie fut fondée par une promotion nouvelle, artisans parvenant au patronat de souche roubaisienne ou immigrés, mais, le plus souvent, les industriels du XIXème siècle sont d’origine rurale.

Ces hommes nouveaux, ancrés sur la réalité, osent tout risquer et tout entreprendre. Leur tournure neuve de pensée et d’action a édifié la cité moderne. Les hautes cheminées dominaient de véritables fiefs industriels. « Plus riche en outils qu’en fonds d’Etat, l’héritier ne pouvait s’évader » dira Eugène Motte lors de l’inauguration de l’Hôtel de Ville, le 30 avril 1911.

D’après les travaux de recherche de Georges Teneul,

Président de la Société d’Émulation de Roubaix

et son « Histoire économique de Roubaix – Réflexions sur notre temps » 1962

1 Ancienne famille notable qui avait connu un effacement momentané.

2 Chanoine C. Lecigne : « Amédée Prouvost ».