Le patois

Le patois n’est pas, comme l’a dit Littré, du français débraillé, déformé dans la bouche d’un peuple, mais bien un dialecte qui a servi à la formation de la langue française. L’Etat même qui, autrefois, le traitait avec mépris, s’est aperçu qu’il méritait d’échapper au discrédit et a bien voulu accorder à l’Université de Lille la création d’un certificat d’études picardes et wallonnes, anciennes et modernes. Dans cet ordre d’idées, il a été adressé aux instituteurs et institutrices un questionnaire sur la signification et l’étymologie de 5 à 600 mots.

Au pays de Mistral, c’est avec lyrisme que les Félibres chantent la Provence en leur idiome qui n’est autre que la langue d’Oc. Pourquoi, nous, en notre langue d’Oil, qui a bien aussi ses quartiers de noblesse, ne chanterions nous pas notre Flandre bien-aimée ! Rien ne rajeunit comme les vieux souvenirs et qui pourrait mieux nous les remémorer que le langage du pays natal !

Le patois est aux paysans comme leur terre ; ils l’ont trouvé de leurs parents : c’est le lait de leur mère. Le soir aux veillées d’hiver, enfants, ils écoutèrent les vieilles légendes racontées en patois. Plus tard au printemps quand ils suivent le petit chemin dans le bois, pour causer avec leur promise, ils ne trouvent de tendres mots qu’en patois. Le Breton devant l’orage et la tempête fait son signe de croix en priant en patois. Le Provençal ne s’exprime pas avec plus de joie que dans la langue du terroir. Et puis, pendant la guerre le « ch’timi » du Nord savait endurer toutes les souffrances pendant des années entières en chantant le P’tit Quinquin. Certains sont tombés en chantant une dernière fois les airs en patois de leur pays !

Le patois, cette fleur sauvage plus qu’une autre parfume, c’est le doux appel du soir d’une mère à ses enfants.

Ah ! Ce patois, c’est si bon de l’entendre parler lorsqu’on est loin de chez soi : même étant à Paris, où, chaque année, les Lorrains, Alsaciens, Bretons, Provençaux, Bourguignons, se réunissent en un joyeux banquet pour parler ensemble dans la langue maternelle. Et les enfants du Nord et du Pas-de-Calais, autrefois réunis au Grand Véfour du Palais Royal, ont acclamé le Broutteux dans ses pasquilles et chansons en patois du pays natal.

Or, le pays ce n’est pas seulement le foyer, le clocher, ni ces mille liens invisibles qui nous rattachent à la petite patrie : le pays c’est aussi ses amis.

Comme documentation, je crois intéressant de donner quelques extraits d’une étude de M. Escadié de Douai :

 » Le patois vrai et légitime n’est pas un argot factice, un jargon temporaire du caprice : c’est une langue, un dialecte, un idiome, si l’on veut, mais qui a ses règles raisonnées, ou raisonnables, qui a ses richesses, ses beautés « .

Ces règles, ces lois, quoiqu’elles ne soient pas écrites dans une grammaire ou fixées par une syntaxe, ne sont pas pour cela arbitraires ou irrationnelles : elles relèvent directement de la logique naturelle, c’est à dire de ce qu’on appelle le sens commun. C’est au lexicographe de les rechercher et d’en trouver les raisons. Et, pour faire un travail utile, il doit se montrer plus difficile sur le choix des locutions et des mots qu’il admet, que désireux d’en réunir un grand nombre. Une condition qui me semble être essentielle pour arriver à un bon résultat c’est de recueillir les mots directement aux sources ou du moins, le plus près possible des sources où ils ont été conservés avec le moins de mélange. Nous ne disons pas cela, toutefois, pour certains mots ou de certaines façons de dire très légitimes et rationnelles comme « damage » qui a sa raison dans la filiation étymologique du latin dammuns ; on dit en français à mon grand dam pour à mon grand détriment. « Cras » pour gras de crassus « carbon » pour charbon de carbon carbone, etc.

Il en est de même de beaucoup de verbes que le beau langage a déformés et irrégularisés et qui, néanmoins, sont restés dans le patois ce qu’ils étaient primitivement et tels que les conjuguent encore tous les jours selon la loi logique de la formation des temps les enfant avec leur bon sens naturel, ainsi que les étrangers qui ayant appris les règles de notre langue n’en connaissent pas les innombrables exceptions. On trouve dans les vieux écrivains : « nous craindons » pour nous craignons, vous « prendez », pour vous prenez, « ils veneront » pour ils viendront, nous « voirons » pour nous verrons. Au demeurant, la recherche des mots et locutions tombés dans le patois est une étude amusante et assez curieuse. C’est de l’archéologie linguistique. Le patois est éminemment conservateur ; il est par rapport aux ustensiles du langage, ce que sont les vestiaires, les garde-meubles, par rapport aux petits monuments de l’archéologie. Véritablement, le langage n’est-ce pas le costume de la pensée ?

Or, le patois conserve ; il fait plus, il utilise les vieilles locutions, les défroques, que les caprices de la mode ont réformés ou déformés, et, en fait, abandonnées souvent sans qu’on les ait remplacées. Et ces mots, ou des tournures de phrases, mis au rebut, ne sont plus que des curiosités archéologiques qu’on n’exhibe que pour s’en servir maladroitement ou pour s’en amuser comme des costumes des vieux âges en temps de carnaval.

Pour peu qu’on n’y prenne garde, on s’aperçoit que les prétendus ennoblissements et enrichissements de la langue ne sont plus souvent que des appauvrissements des adultérations de la langue. On voit que presque toujours on a rejeté le mot précis et directement expressif pour y substituer des termes généraux et vagues. Tous nos grands écrivains, ces illustres ouvriers du langage, ont lutté contre ces mutilations. Je ne parle pas de nos plus anciens chroniqueurs mais les poètes : Corneille, Molière, La Fontaine ont sauvé et remis en usage le plus qu’ils ont pu de ces joyaux de la vieille langue française. La Bruyère, dans quelques pages, déplore l’abandon qu’on a fait des mots anciens de la langue qu’il reproduit en une longue kyrielle. A ces anciens écrivains de talents ajoutons Marcelline Desbordes, dont la statue figure à douai, sa ville natale. Cet illustre enfant de Gayant, pour obtenir des dons destinés à la fondation d’une crèche, a composé sous ce titre « Oraison pour la crèche », un petit chef d’œuvre en tercets commençant ainsi :

« Dong ! Dong ! ch’est pou chés p’tiots infants

Rassennés din l’ville ed Gayant

Comm’ des tiots’maguett din chés camps ».

Gustave Nadaud fut aussi l’auteur d’une chanson en patois sur Roubaix dont voici le refrain :

« Ch’est à Roubaix, qu’in fait tout mieux qu’ailleurs

Les Roubaignos i sont toudis vainqueurs »

Le célèbre chansonnier roubaisien fit un jour présent au Broutteux des deux volumes de ses chansons illustrées par ses amis. Il les expédia sur deux brouettes comme le dit ce quatrain en patois :

« Puisque t’aim’ben mes canchonnettes,

Watteeuw,

J’te les invos sur deux brouettes,

Broutteux »

Le Broutteux a répondu :

« Mi, j’grippe d’sus m’brouette

Ben haut,

Et j’crie : Vive l’poète

Nadaud ! »

Concluons : nous unissant aux défenseurs du patois, proclamons notre devoir de conserver la langue du pays de nos ancêtres. Ce n’est point avec l’intention (elle serait enfantine) de la voir perpétuer au détriment de notre merveilleuse langue française. Plus modeste est notre but : faire aimer notre petite patrie en popularisant son esprit de gaieté. Laissez-nous jouir de sa beauté, peut-être fruste, mais sûrement captivante pour qui la pénètre. Laissez-nous notre patois pour ses qualités naturelles bien françaises et parce qu’il éveille en nous l’esprit de clocher et les si douces souvenances de notre cher pays natal, résumées en cette devise du Broutteux :

« Y n’a rin d’pus bon qu’ims’ ma mère,

Y n’a rin d’si beau qu’sin pays ! »

Jules Watteuw

Administrateur de la Société d’Émulation de Roubaix

Séance de la Société d’Émulation de Roubaix du 21 octobre 1943

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