La société des Rosati

Le 12 juin 1778, un groupe d’amis se réunissait dans un petit village d’Artois du nom de Blangy, près d’Arras. Comme les muses, ils étaient neuf : Louis Joseph Legay, avocat au Conseil d’Artois, accompagné de Caramond, Lenglet, Desprets, Caignez, Bergaigne, Giguet, Berthe et Carré. Animés par une réelle joie de vivre, en bons épicuriens et disciples d’Anacreon, poète grec déjà vénéré par Platon, ils célébraient la poésie, la rose et le bon vin. A l’issue de cette journée du « gai savoir », l’un d’eux, sortant de ses poches des pétales de roses, s’écria : « Amis qu’un si beau jour renaisse tous les ans, et qu’on l’appelle la fête des roses ». Ainsi naquirent les Rosati, dignes descendants des « Puys d’Amour » dont les trouvères avaient fait les beaux jours. Au fil des ans, des personnages connus vinrent agrandir le cercle des créateurs, tels Robespierre, Carnot, Dubois de Fosseux, etc.

Aujourd’hui encore, l’intronisation du futur Rosati se fait toujours selon le rite du « cousin Jacques », pseudonyme de Beffroy de Reigny, journaliste, auteur de comédie et sous les auspices de Jean de La Fontaine, « patron des Rosati». Présenté au public par son parrain, le récipiendaire reçoit de trois ballerines la rose, le vin et le baiser, l’assemblée entonnant la chanson « Ecoute ô mon cœur », écrite par Marcel Legay en 1904 et choisie comme hymne des Rosati en 1929.

En 1904, les Rosati décidèrent de distinguer d’une Rose d’Or les personnalités ayant œuvré pour faire connaître et aimer notre région, dans les domaines des arts et des lettres.

Au fil des ans, des célébrités nationales originaires du Septentrion ou ayant fréquenté cette région furent intronisées. Citons parmi celles-ci, des gens de lettres : Paul Adam, Pierre Mac-Orlan, Jean Richepin, Pierre-Jean Jouve, Germaine Acremant, Maurice Fombeure, Jules Mousseron, André Stil, Jacques Duquesne, Alain Decaux, Jean-Louis Fournier, le chef d’orchestre Jean-Claude Casadessus, le compositeur Henri Dutilleux, le chanteur Julos Beaucarne, l’acteur Ronny Coutteure, le conservateur en chef des Musées Nationaux René Huyghe, les peintres Carolus-Duran, Henri Le Sidaner, Carrier-Belleuse, Lucien Jonas, René Ducourant et parmi les derniers élus, l’humoriste Robert Lassus et le comédien Fred Personne.

Les Rosati se réunissent plusieurs fois par an. Leurs repas et réunions sont animés de joutes poétiques, de débats, d’hommages ou de spectacles. Toutefois, ces gens d’esprit prennent garde de ne pas se prendre trop au sérieux. Le plaisir prévaut toujours sur la vanité et l’humour sur les convictions. C’est dans ce contexte que sont organisées tous les ans Les Joutes Poétiques de la Francophonie.

 

NUIT MALEFIQUE

 Viens ! Le ciel se corrode

Au souffle pestilent

D’un succube qui rôde,

         Lent.

 

Partons ! Qui peut savoir

Pourquoi la seule étoile

Etouffe sous un voile

         Noir ?

 

Entends-tu ? La cadence

D’un piétinement sourd

Agresse le silence

         Lourd.

 

Est-ce la sarabande

Qui rythme le sabbat ?

Fou, le cœur de la lande

         Bat.

 

Et sur la grande hune

Du bateau de la nuit,

L’œil torve de la lune

         Luit

 

Pierre QUERLEU (Roubaix)

 

Les pertinents articles de Pierre Querleu dans la revue « Nord » ont été toujours appréciés des connaisseurs, et ses œuvres poétiques les ont séduits par leurs qualités d’invention jointes à un style agréable, d’un classicisme aujourd’hui rare (Evocation », « La fenêtre ouverte », « La Saison mentale »).

 

TENDRESSE

Chaque soir je sens comme un soleil qui m’inonde,

Quand tu parais ainsi, ma belle épouse blonde,

Le sourire incliné vers ta fille qui dort.

Et chaque soir, mon cœur tressaille plus encore

Lorsque mes doigts émus et tremblants de tendresse

Confondent vos chers yeux dans la même caresse.

 

Viens, allons nous asseoir sur le banc du verger.

Dans l’air tiède, ce soir, flotte un parfum léger,

Et le reflet glacé d’une première étoile

Scintille, en tes cheveux, au tulle bleu du voile.

 

De nos genoux unis faisons un doux berceau

Pour notre enfant blottie ainsi qu’un frêle agneau.

Ses yeux vont se fermer sous leur paupière lasse,

Ecoutons-la dormir en parlant à voix basse ;

La nature, elle aussi, va sommeiller bientôt.

Déjà la nuit descend qui traîne son manteau…

 

Amédée PROUVOST (Roubaix)

 La jeune épouse du poète venait de mettre au monde leur fille, Béatrice.

 

SOUS LE TILLEUL

 Au pied de ce tilleul, sur un vieux banc de pierre

J’aime venir m’asseoir aux beaux jours, et rêver

Quand du soleil ardent est près de s’achever

Dans l’azur qui s’éteint le parcours solitaire.

 

Les oiseaux ont mis fin, nichés dans le feuillage

– las de chanter, sans doute- à leur bruyant concert ;

Et sur l’immense plaine où le regard se perd,

Déjà la brume tend un paisible nuage.

 

Plus près, à travers champs, d’un ruisseau qui serpente

Vont bientôt s’effacer les bords capricieux :

Crépuscule d’été, pâle et mystérieux,

Qui parfois me retient jusqu’à la nuit tombante !

 

De la ville fuyant le tumulte ordinaire,

Ici je redécouvre enfin libre, enfin seul,

L’air pur et le silence au pied de ce tilleul

Qui s’incline, amical, vers mon vieux banc de pierre…

 

Jean-Louis LARCY

Posted in Arts et loisirs, Sociétés.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *