Poèmes de Musards

La « Muse de Nadaud » ne s’est pas bornée à accueillir les lauréats des Joutes Poétiques. Conformément à ses statuts, elle a admis en son sein des « sans grades » qui n’étaient pas nécessairement des « sans mérites ». Et, parmi ceux-là, n’ont pas manqué de vrais poètes, qui surent exprimer avec justesse leurs idées et leurs sentiments. Tel fut le cas, entre autres, de Jean Carlier.

 

MINUTE HEUREUSE

 Je l’ai vécue enfin, cette minute heureuse,

Court instant de bonheur longuement attendu.

C’était hier, déjà ! Dans mon âme peureuse

Le souvenir fuyant demain sera perdu…

 

C’était hier ? Mais non ! C’était, je crois, la veille…

Ah ! Je vous perds déjà, souvenirs trop confus !

Mais le Destin, méchant, me susurre à l’oreille :

« C’était… n’importe quand, mais ce ne sera plus ! »

 CARLIER Jean (Roubaix)

 

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Roubaix a donné son nom à une place proche du centre-ville, hommage amplement mérité. Charles Bodart-Timal a consacré en effet plusieurs ouvrages historiques à cette cité qui le vit naître. Il fut également l’auteur de livrets d’opérettes et de quelques deux cents chansons. Membre des Rosati de différentes Provinces, de la Société des Lettres, Arts et Sciences de Lille, de la Ligue Wallonne, Grand Prix d’Excellence du Comité Flamand de France, il fut honoré de la Médaille d’Or de la ville de Tourcoing.

 » Pétri de la glaise de notre terroir, il avait su forger, au cœur de son existence laborieuse, une philosophie souriante. Il aimait avant tout la simplicité, cette psychologie franche et primesautière qui est à la base des gens de chez nous «  (Gaston Gilman).

IL EST DES YEUX (1)

 Il est des yeux couleur de rêve

Où semble se mirer l’azur ;

Il en est d’autres qui, sans trêve,

Brillent d’un amour grand et pur.

Mais d’un bout à l’autre du monde,

Les plus doux et les plus charmants

C’est encor, partout à la ronde,

                        Les yeux des mamans !

 

Ils ont connu bien des tristesses,

Ces yeux, ces pauvres yeux usés ;

A veiller sur notre jeunesse

Ils se sont, hélas ! Epuisés.

Ils ont souffert de tant d’alarmes !

Et Dieu seul sait, dans les tourments

Ce qu’ils ont pu verser de larmes,

                        Les yeux des mamans !

 

Quand les mamans quittent la terre

Pour le suprême rendez-vous,

Même au sein du profond mystère,

Elles se souviennent de nous,

Leur regard nous cherche sans cesse

Et près de nous, à tous moments

Ils sont là, chargés de tendresse,

                        Les yeux des mamans !

 Charles BODART-TIMAL

(1)    Chanson, musique de Eddy Jura

 

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« Noble poète roubaisien » a dit Me Joseph Crombé, son compatriote et émule. Docteur en Droit, mais aussi homme de Lettres, ce proche parent d’Amédée Prouvost publia une étude sur le chansonnier patoisant Gustave Olivier – suivie d’une autre, sociologique, « La Cité de Pascal ». Grand voyageur, d’une débordante activité, il est l’auteur de trois recueils : « Les Rimes de Fer », « Les Mansuétudes » et « Feux Errants ». « Sans qu’il les ait traités avec un égal bonheur, nul des grands thèmes lyriques, toutefois n’a été négligé par lui. La grandeur ne manque pas à ces évocations et elles pourront charmer et fortifier plus d’une âme selon le vœu du poète parvenu à l’âge de la maturité ». (André Mabille de Poncheville).

 LA MAISON

 On meurt au chant des coqs dans les fermes heureuses,

A l’heure où la servante ouvre les volets bleus,

A l’heure où l’aube lente, aux teintes vaporeuses,

Caresse la maison de ses rayons joyeux.

 

Une agreste rumeur remplit toute la plaine.

Les oiseaux s’éveillant mêlent leurs gazouillis.

L’eau s’élance, plus vive, au creux de la fontaine.

Le cri du vieux berger rassemble les brebis.

 

On meurt ; et l’on entend dans la chambre voisine

Une femme qui range et la laine et le lin ;

Et bientôt, sous l’effort d’une main enfantine,

Une corde grincer dans le petit jardin.

 

Une angoisse glacée étreint votre poitrine

Pendant que le repas fume sur le foyer,

Et pendant que le repas fume sur le foyer,

Et pendant que l’horloge, au mur de la cuisine,

Marque à chaque labour son rythme régulier.

 

Qu’importe à la Nature indifférente et belle

De notre dernier jour le terme douloureux !

Mais toi, Maison, mais toi ! Vas-tu faire comme elle,

Vas-tu, sans t’attrister, nous voir fermer les yeux ?

 Charles DROULERS (Roubaix)

 

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« Talentueux poète roubaisien peu connu de ses compatriotes » lit-on dans la revue « La Fauvette » qui, en date du 25 août 1907, annonçait son décès. De sa plume ne nous restent que de rares œuvres parues dans cet éphémère périodique.

PREMIER BAISER

 Elan du cœur qui sur la lèvre

Vient se briser

Explosion de douce fièvre,

Premier baiser !

Je me souviens de ton ivresse,

Je me souviens

De ta fraîcheur enchanteresse ;

Et je conviens

Que l’amour n’a rien de plus tendre

A t’opposer,

O douceur que rien ne peut rendre,

Premier baiser !

Paul PHILIPPE (Roubaix)

Juin 1891

 

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Prématurément disparu, il appartenait à la célèbre famille d’industriels qui contribua puissamment au développement économique de Roubaix. De bonne heure attiré par les Lettres, il signa trois recueils, influencés par l’Ecole Symboliste : « L’Ame Voyageuse », « Sonates au Clair de Lune » (couronné par l’Académie Française) et « Le Poème du Travail et du Rêve ».

« Malgré le temps, les métamorphoses du Progrès, quand les lauriers trop éclatants des idoles fugitives seront tombés en poudre, les vers d’Amédée Prouvost – dont la délicate sensibilité aimait les joies familiales ». (Marc Choquet )

 Il fut un poète attachant, loué par l’éminent critique Jules Lemaître et par ses pairs, tels Henri de Régnier et Anna de Noailles. « Pour juger du talent d’Amédée Prouvost, a écrit Jean Piat, le mieux est de relire son œuvre. Elle est à la Bibliothèque Municipale. » Que dire de mieux ?

 LA MAIN DU TRAVAILLEUR

 Main d’artisan, ô main calleuse qu’ennoblit

Le dur labeur de la tâche quotidienne

Main sans cesse ébranlée au choc des établis,

Familière du poids des fardeaux et des peines,

 

Main meurtrie et blessée où quelquefois on lit,

Blanche ligne à côté du sillon bleu des veines,

L’entaille de l’outil dans le réseau des plis,

Main rude et ferme comme une écorce de chêne !

 

Main qui ne connaît pas la molle oisiveté

Et qui, le froid hiver ou le brillant été,

Travaille sans répit pour vaincre la misère

 

Hâtive d’assurer le pain du lendemain,

Combien j’aime sentir ton étreinte sincère

Main noire d’artisan, ô vigilante main !

Amédée PROUVOST (Roubaix)

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Russe d’origine, venu en France vers 1920, il ne tarda pas à fréquenter les milieux artistiques de Roubaix. Il traduisait en vers français des auteurs russes, en particulier les poètes (Pouchkine Lermontov). Parallèlement, il composait des strophes (et des textes en prose) d’excellente facture. Des prix lui furent attribués par l’Académie d’Arras, les Rosati de Flandre, et aux Jeux Floraux de Bigorre. A cette activité littéraire, il ajoutait celles de peintre d’icônes et de compositeur de musique, pratiquant avec talent le piano le violon et le chant choral. Un vrai « Musard » !

MENDIANT

Un mendiant restait debout

Sous le porche d’un sanctuaire ;

Le malheureux était à bout,

Souffrant la faim et la misère.

 

Il ne demandait que du pain,

Ses yeux n’étaient qu’une prière :

Eh bien ! Quelqu’un mit dans sa main

Tendue et tremblante, une pierre.

 

Je mendiais avec langueur,

Avec des larmes, ta tendresse,

Et tu ne laisses, dans mon cœur

Trahi, que la noire détresse.

 G. LERMONTOV (Roubaix)

Traduit du russe par Nicolas Vnoukovsky – 21 août 1946

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