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Waldeck-Rousseau à Roubaix (mai 1898)
Au moment où il arrive à Roubaix en mai 1898, Pierre Marie Waldeck-Rousseau n’a pas encore atteint le sommet de sa carrière politique, mais il a déjà une certaine expérience de la vie politique. Né à Nantes en 1846, ce juriste et avocat d’affaires a été député de 1879 à 1889 dans les rangs des républicains opportunistes. Ministre de l’Intérieur sous Gambetta (1882) puis sous Jules Ferry (1883-1886), il a vu son nom attaché à la loi sur les syndicats professionnels (1884). Revenu pour un temps à ses activités d’avocat, il sera le défenseur de Gustave Eiffel dans le procès du scandale de Panama. Son retour en politique fait de lui le sénateur de la Loire, à partir de 1894, et il soutient le cabinet Méline, ce qui fait de lui un républicain centriste, sinon de droite. Son parcours politique jusqu’alors est représentatif de l’évolution des partis républicains face à la montée du radicalisme et du collectivisme.
C’est comme tel qu’il est invité par l’Union Sociale et Patriotique, à l’occasion d’une grande réunion républicaine à l’Hippodrome, qui doit être le point d’orgue de la campagne d’Eugène Motte.
Une foule intense se presse aux trois entrées de l’Hippodrome, et il y a tellement de monde qu’on doit refuser l’entrée à certains électeurs cependant munis de cartes d’invitation. Malgré le contrôle sérieux, parmi les 7000 participants qui ont rempli la salle, quelques perturbateurs ont pris place, qui se signaleront de temps à autre, avant d’être expulsés. On chante l’Internationale et la Marseillaise, simultanément, ce qui donne une idée de l’état d’esprit qui règne pendant cette campagne. Des ampoules d’acide sulfhydrique (boules puantes ?) sont lancées à l’intention de la table de presse, et sur la tribune, où l’une d’elles s’écrasera sur la serviette de M Waldeck-Rousseau, obligeamment apportée par son secrétaire. Une odeur nauséabonde se répand dans la salle. Les sections de l’union sociale et patriotique de Roubaix, Wattrelos, Croix et Wasquehal sont représentées et on remarque la présence du candidat tourquennois Albert Masurel.
Vers 20 h 45, Eugène Motte et Waldeck-Rousseau font leur entrée sur la scène où est dressée la tribune. L’industriel roubaisien prend la parole et doit faire face à l’obstruction systématique de perturbateurs parmi lesquels quelques uns le détrompent : « nous ne sommes pas collectivistes, nous sommes anarchistes… »
Manifestement en fin de campagne, Eugène Motte ne développe plus de programme : « je n’ai pas besoin de faire une profession de foi républicaine, vous me connaissez… », il fait appel à la tradition paternelle, mentionne la loyauté des membres de l’Union Sociale et Patriotique, affirme son respect pour les idées religieuses…
Il fait ensuite l’éloge de M Méline que soutient Waldeck-Rousseau, en se démarquant de lui sur la question du libre échange. Eugène Motte est un homme politique, mais il n’en est pas moins un grand industriel du textile. Il termine en se déclarant fidèle à la politique intérieure du cabinet Méline, du côté des anti-dreyfusards, et en réaffirmant son patriotisme.
Sa conclusion est-elle une introduction brillante à l’exposé de Waldeck-Rousseau ou résume-t-elle son propre engagement ? « il faut à notre pays des hommes qui savent se consacrer entièrement à son service et non des sectaires qui fomentent la guerre civile et la haine ».
Le Sénateur de la Loire commence alors son discours, qui porte sur son cheval de bataille : la loi sur les syndicats professionnels. Il rappelle d’abord les oppositions à cette loi : ses premiers adversaires estimaient que le travail est une force immense tumultueuse, inhabile à se donner des lois et à les respecter, et qu’il fallait la maintenir dans une impuissance relative. La peur de la grève est citée, perçue comme l’unique but de l’association ouvrière par les tenants de cette opposition.
Une fois la loi votée, d’autres adversaires plus politiciens s’acharnèrent selon lui à dénoncer son succès, puis à privilégier les syndicats rebelles…Il vise le mouvement collectiviste et ses orateurs qu’il taxe de parasites du travail, professionnels de la déclamation révolutionnaire.
Après une longue démonstration économique sur l’intérêt des associations ouvrières, notamment dans le monde agricole, il évoque leurs activités : caisses d’assurance en cas d’accident, secours mutuels, coopératives de consommation et de production, bibliothèques, caisse de retraite, bureaux de placement, cours d’instruction professionnelle…, écorchant au passage les expériences collectivistes comme celle de la verrerie de Jean Jaurès à Albi.
Puis il attire l’attention de l’auditoire sur trois faits marquants de l’évolution du mouvement économique : tout d’abord, la nécessité de produire à bon marché a développé l’importance des entreprises et la fortune d’un seul ne suffit plus à les soutenir (paradoxal devant l’une des plus grosses fortunes de France !). Il en appelle à l’épargne individuelle. Ensuite, il mentionne l’abaissement progressif du taux d’intérêt de l’argent, pour terminer en toute logique économique, sur la puissance d’épargne du travail. En gros, il souhaite intégrer le syndicalisme à la logique capitaliste pour réaliser l’harmonie des forces sociales.
« Ce n’est pas du socialisme, c’est du progrès social »
Et de conclure en associant Eugène Motte comme champion de ce programme, dans lequel il voit le triomphe prochain de la raison, du progrès et de la liberté.
Une longue ovation suit ces derniers propos et M. Pécher, vice président de l’Union sociale et Patriotique fait approuver par acclamations l’ordre du jour qui récapitule les propos qui viennent d’être tenus et les consignes pour le vote du 8 mai prochain. Les participants entonnent la Marseillaise, il est dix heures et demie, la séance est levée.
La sortie s’effectue sans heurts, bien que quelques centaines de patriotes croisent d’autres centaines de socialistes qui avaient assisté à la réunion du Théâtre Deschamps rue Archimède, où Jules Guesde, Emile Moreau et Henri Carrette ont tour à tour pris la parole.
Soutenu théoriquement et politiquement par Waldeck-Rousseau, Eugène Motte, qui devait remporter ces élections, dut un rien frémir, quand son intervenant d’un soir devint Président du Conseil le 22 juin 1899, à la tête d’un gouvernement de défense et d’union républicaine, et que ses décisions entraînèrent rien moins que la révision du procès Dreyfus et la fin de l’agitation nationaliste. De plus, si son intention était de surveiller les congrégations et d’enlever l’enseignement aux jésuites, c’est bien Waldeck-Rousseau qui favorisera l’adoption de la loi sur les associations de 1901. Anti-waldeckiste à cette époque, Eugène Motte devra trouver d’autres soutiens pour les élections de 1902.
Philippe Waret
Jacques Brel au Casino
Par Francine Declercq et Laurence Mourette. Photos tirées d’un article de Nord Eclair.
Jacques Brel fait ses adieux à la scène au casino de Roubaix
Le 16 mai 1967, c’est l’effervescence à Roubaix. Jacques Brel, un des chanteurs les plus marquants des années 1960, y donne son dernier concert public. Lassé par des tournées interminables et par la solitude des hôtels anonymes, épuisé à force de donner toujours le meilleur de lui-même lors de ses concerts, Jacques Brel a déclaré lors de son dernier spectacle à l’Olympia de Paris « qu’il ne veut pas baisser » et qu’il arrête définitivement la scène.
Et c’est précisément à Roubaix que Georges Olivier, le directeur de sa tournée, décide qu’il y donnera son dernier concert. Dès l’ouverture des caisses de location du Casino et en quelques heures, les 2.000 places que contient l’immense salle sont vendues. Les fans viennent de toute la France, aussi bien d’Aix en Provence, de Belgique et que de Londres en Angleterre pour ovationner une dernière fois ce talentueux chanteur.
Quelques heures avant le spectacle, les journalistes et photographes de grands hebdomadaires et quotidiens français et étrangers, de la télévision et de la radio nationales convergent vers la Grand’Rue. Le mot d’ordre est passé : « Cette fois c’est la dernière ! » et personne ne veut manquer cet événement.
Devant une salle comble et survoltée, le public, ému jusqu’aux larmes écoute ses chansons qui s’enchainent les unes après les autres dans un rythme affolant. Jacques Brel a atteint la maturité des grandes vedettes. Quand il chante, personne ne reste indifférent. Chacune de ses chansons décrit ses semblables avec beaucoup de tendresse, parfois avec férocité mais toujours avec une grande lucidité.
En bas de la scène, les flashs crépitent, les photographes se bousculent et mitraillent avec deux parfois trois appareils photos. Au pied de la rampe, des dizaines de boîtes de pellicules vides jonchent le sol.
Quand Jacques Brel entame sa dernière chanson « Madeleine », le public sait que le spectacle s’achève. Malgré les rappels, les cris et les sifflets, il ne revient pas sur scène et personne ne réalise encore vraiment qu’il n’y remontera plus.
Pendant ce temps, dans les coulisses toute la grande famille du music hall est là pour l’entourer. Comme Eddie Barclay, venu spécialement de Cannes et Bruno Coquatrix qui a abandonné l’Olympia pour être présent ce soir-là à Roubaix, mais aussi Georges Olivier, Gérard Jouannest, les Delta Rythm Boys… Tous se réunissent avec les musiciens et les amis, les journalistes et les ouvreuses pour entonner en chœur et avec beaucoup d’émotion la chanson « Ce n’est qu’un au revoir ».
Les fondateurs de la grande industrie
(NB : D’après les travaux de recherche de Georges Teneul, Président de la Société d’Emulation de Roubaix, Histoire économique de Roubaix – Réflexions sur notre temps, 1962)
DYNAMISME ET EQUILIBRE
La liberté commerciale absolue, reconnue intangible, ouvrait la voie aux individualités fortes bien décidées à utiliser toutes les chances qui leur étaient offertes par la législation nouvelle. Ne s’attardant pas à observer les faits, les fondateurs de la Grande Industrie, hommes d’action avant tout, s’engageront avec ardeur dans le système économique libéral dont ils feront le succès. En examinant la liste des Egards et des Maîtres drapiers de l’Ancien Régime, on relève peu de leurs héritiers parmi les notabilités industrielles du XIXe siècle. Rarement, en effet, la conjoncture a été plus favorable aux empiristes dégagés des souvenirs anciens ; ils forcent le destin, alors que les attardés, timides, supputent leur chance et la laissent passer.
Les figures marquantes du XIXe siècle industriel à Roubaix seront celles de chefs de file, bâtissant leurs entreprises au jour le jour, prêts à saisir toutes les occasions heureuses. A la manière des découvreurs de terres inconnues, ces pionniers adoptent la machine à vapeur, les métiers mécaniques à filer et à tisser, entreprennent des voyages de prospection et appliquent dans leurs usines les moyens de production nouveaux. C’est l’époque où les héros de Balzac jonglent avec les lettres de change que l’extension du crédit fait circuler à travers les grandes villes de commerce. Et Daumier nous livre avec Robert Macaire, flanqué de Bertrand, la caricature de ce monde d’affaires.
Mais à Roubaix, les chances de la fortune sont exploitées avec plus de modération et de sagesse et souvent avec mesure. Les créateurs de la Grande Industrie, possédaient non seulement du talent, mais cette sorte de génie divinatoire, apanage des hommes neufs aux muscles solides et à la tête froide.
L’APPORT DES RURAUX
Autour du cœur de la cité, la campagne toute proche a fourni à la Manufacture les bras courageux et les cerveaux clairs dont elle avait besoin. La promotion nouvelle avait préparé son ascension dans le calme du sillon et la patience d’un labeur séculaire tenace et fécond. Ainsi, les cadets de l’Ancienne France retournaient à la charrue et, après ce contact avec la terre tutélaire, leurs ascendants réapparaissaient au premier plan. La création de la Grande Industrie fut une œuvre de force et de santé. La relève, fournie avant tout par le monde rural, possédait une confiance à toute épreuve
L’historique des censes de Roubaix est évocateur à cet égard. Les Spriet, Mulliez, Lecomte, Leuridan, Pollet, Dubar-Delespaul, Lefebvre, Prouvost, sont tous descendants de cultivateurs. Les ruraux, autant que les ouvriers de qualité ont fondé la grande industrie. Certaines usines importantes ont été construites au cours du XIXe siècle, sur l’emplacement ou à proximité des terres que cultivait, la veille encore, l’ancêtre immédiat ou le nouveau manufacturier. « Si nous nous penchons sur l’origine de la plupart des hommes qui, de nos jours, se sont distingués, nous découvrons derrière eux, une longue ascension et une longue patience. » Ainsi s’exprimait, très justement, Jacques Bainville, dans son discours de réception à l’Académie Française. La claire vision des nécessités de l’heure animait la race des bâtisseurs de nos usines. Les cheminées que, successivement, ils élèveront dans le ciel de la cité, constitueront autant d’actes de foi dans la pérennité de leurs fondations. Ces hommes ne connaissaient pas la crainte des lendemains. Dans ces heures de plénitudes, une race est forte, elle ne cherche pas à maintenir, mais à créer et à poursuivre, en la développant, la tâche entreprise. Qui ne vise qu’à durer, porte déjà dans ses flancs, les traces de la destruction. Par là, la vie opère des coupes sombres ; elle porta des coups mortels aux entreprises de l’Ancien Régime et la sélection continue.
DE QUELQUES-UNS D’ENTRE EUX
Alexandre Decrême (1) qui, en précurseur, entreprit après 1789 la fabrication des tissus de coton, était fils d’ouvrier et la génération suivante, ses descendants, s’allieront aux familles les plus notables. En 1819, un modeste artisan fonda la firme Hannart Frères, l’une des maisons d’apprêts des étoffes qui comptait à la fin du XIXe siècle parmi les plus importantes du monde entier. Emile Roussel débuta à 14 ans dans l’industrie. En 1865, il aida sa mère à créer une petite teinture et fonda une firme de grande renommée. La firme Wibaux-Florin, qui connut son apogée au XIXe siècle, fut fondée en 1810 par un cultivateur aisé. Né le 16 février 1787, à la ferme de la Mousserie, Hippolyte-Joseph Wibaux épousa Félicité Florin, fille de Pierre-Constantin Florin, premier maire de Roubaix et sa descendance figure parmi les dynasties industrielles du XIXe siècle. Cette firme se spécialise dans les tissus de chaîne coton et de trame de laine peignée et son effacement par la suite doit être attribué à un changement de mode. Ce sont les créations nouvelles qui poussent au zénith les maisons modestes ; mais ce sont elles aussi qui, plus tard, les écartent du succès.
La famille Prouvost est originaire de Wasquehal. Elle occupait une situation rurale de premier plan avant la Révolution. Le Chanoine C. Lecigne écrivit une biographie du poète Amédée Prouvost, dans laquelle il peint en traits brillants, le grand-père de l’écrivain. « Il aimait voyager. Un beau jour, il monta à cheval, il parcourut la France, s’extasiant devant les paysages, s’arrêtant à la porte des usines, mêlant dans ses carnets des impressions d’artistes et des notes d’affaires, exemplaire inédit du Roubaisien à la fois aventureux et positif… Il crée le peignage mécanique de la laine, il lutte dix ans contre les préjugés populaires, les obstinations intéressées et la concurrence étrangère. A force de raison, de calme bon sens, d’efforts continus, il développe l’industrie nouvelle, groupe deux mille ouvriers autour d’elle et dote Roubaix du plus grand établissement de peignage de France. C’est un grand citoyen en même temps qu’un grand industriel. » (2)
Louis-Joseph Brédart épousa en 1754, Anne-Marie Lepers, issue d’une famille rurale très considérée dès le XVIe siècle. De ce mariage naquit, entre autres enfants, Louis-Antoine-Joseph, lequel continua la descendance. L’un de ses enfants, une fille, Pauline, épousa Jean-Baptiste Motte, d’une famille urbaine de Tourcoing, et dont la profession de marchand laisse supposer une profession de négociant en laines. La postérité de la famille Motte-Brédart prend un rôle de premier plan dans la création de la grande industrie de Roubaix. L’aîné Louis Motte-Bossut fonde la filature de coton la plus considérable pour l’époque et fait preuve, au cours de sa carrière industrielle, d’un esprit d’entreprise exceptionnel qui s’est perpétué dans sa descendance. Son cadet, Alfred Motte, se destinait tout d’abord au notariat. En secondes noces, il avait épousé Léonie Grimonprez, fille de Eugène Grimonprez, le promoteur à Roubaix de la filature de la laine peignée et l’un des hommes les plus actifs de la nouvelle promotion industrielle. Après un premier échec, il construit un véritable complexe industriel textile englobant tous les stades de la fabrication, du peignage au tissage. Il fit participer à son succès de multiples associés. Sa formation juridique favorisa sa réussite et après quelques entreprises hasardeuses, il prit soin de limiter ses risques par une clause résolutoire.
Eugène Motte-Duthoit, Maire de Roubaix, de 1896 à 1908, est issu de ce mariage. Tandis que la famille Grimonprez s’est effacée, la filiation d’Alfred Motte-Grimonprez occupe présentement encore une importante situation industrielle. Les descendants de Motte-Brédard joignaient à un sens précis des réalités, une activité débordante. Louis Motte-Bossut disait la nécessité « de diriger son affaire personnellement ». « Il faut valoir quelque chose par soi-même, sans chercher trop de distraction en dehors ». Déjà gravement malade en 1882, Alfred Motte-Grimonprez poursuivra sa tâche jusqu’à sa mort, en 1886. Devant une telle ardeur qu’il eût fallut modérer, on constate qu’il est plus dur de rester inactif que d’entreprendre de grandes actions.
Dans ce Roubaix en plein développement économique, le hasard des mariages amena bien des changements de situation. Dans le discours qu’il prononça en 1927, lors de l’anniversaire de la naissance d’Alfred Motte-Grimonprez, son fils, Eugène Motte-Duthoit raconte de quelle façon son aïeul Jean-Baptiste Motte « en prenant à travers champs le chemin le plus court, cueillant pavots et bleuets pour former un bouquet de fiancé pour Pauline Brédart qui habitait Tourcoing, s’arrêtait en chemin à la grande ferme Ducatteau pour parler amicalement avec la fille du fermier. Cette ferme était la première sur le territoire de Roubaix et s’étendait du pont Vanoutryve au Conditionnement et au pont Saint-Vincent-de-Paul. « Marie Rose, vous êtes trop maligne pour rester fermière disait-il à cette jeunesse, vous devriez vous marier avec un fabricant et vous feriez belle carrière ». Et cette prédiction s’accomplit. Elle épousa M. Lefebvre et la Maison Lefebvre-Ducatteau, sous sa direction, devint l’une des premières maisons de la Fabrique de Roubaix. Elle commandita plus tard, en 1852, la Maison Amédée Prouvost, les premiers peigneurs de Roubaix et les plus réputés, et Henri, Jean et Louis Lefebvre ont hérité de l’esprit délié et entreprenant de Marie-Rose ».
En 1820, Louis Dubar épouse Marie-Joseph Delespaul, à la ferme du Hutin et fonde une importante entreprise. La famille Bayart était originaire de la ferme de l’Hornuyère de Wattrelos. Pierre-Joseph Bayart épouse en 1798, Sylvie Lefebvre et le jeune ménage s’installa comme fabricants. Dans leur descendance, on retrouve les Bayart-Cuvelier, Bayart-Lefebvre, Ernoult-Bayart et maintes autres familles qui ont fait carrière brillante dans l’industrie.
En 1853, les frères Dillies installent quelques métiers à tisser. Véritables vulgarisateurs du tissage mécanique à Roubaix, ils seront en 1860, propriétaires de 400 métiers. Simple tisserand, Julien Lagache devient un remarquable fabricant. François Frasez installe des métiers à tisser dans des maisons construites à cet usage (chaque maison recevait quatre métiers) et inaugure ainsi une méthode qui a été reprise avec succès dans d’autres régions. Commentant l’exposition de 1853 et s’arrêtant au nom de MM. Eugène Grimonprez et Cie, Théodore Leuridan dira qu’il a été frappé « du grand nombre de maisons inconnues jusqu’ici ».
A partir de 1850, la plupart des affaires se montent en associations à cause du coût élevé des industries mécanisées. De plus, la direction d’une usine exige la présence à peu près constante des patrons. Pour leur permettre de rester à leurs affaires, des maisons de commissions sont fondées. C’est M. Bossut qui fonda la première maison du genre. Par la suite, la Manufacture s’efforcera de se passer de leurs services.
Les frères Delattre, industriels avisés, Henri qui fut Maire de Roubaix en 1848 et Louis épousèrent respectivement Adèle et Pélagie Libert, filles du fermier de la Potennerie. Fondée en 1827, leur entreprise avait pris rapidement un développement considérable. La veuve Libert épousa en secondes noces Pierre Pollet-Delobel de Sainghin et leur descendance honore de nos jours encore l’industrie roubaisienne. La Maison Toulemonde-Destombes, fondée en 1820 trouve son origine dans un tissage à la campagne et il est fort probable, comme ce fut le cas de plusieurs industriels dont le fondateur mena tout d’abord de pair la culture et le tissage, que la ferme ne fut délaissée qu’après emprise sûre dans la manufacture.
On pourrait poursuivre des recherches en ce sens. « Il n’y a aucune maisons ayant tenu quelque place à Roubaix qui n’ait eu ses fondements dans une connaissance approfondie de la matière et du métier » écrit M. Gaston Motte dans son Histoire de Roubaix. La grande industrie fut fondée par une promotion nouvelle, artisans parvenant au patronat de souche roubaisienne ou immigrés, mais, le plus souvent, les industriels du XIXe siècle sont d’origine rurale.
Ces hommes nouveaux, ancrés sur la réalité, osent tout risquer et tout entreprendre. Leur tournure neuve de pensée et d’action a édifié la cité moderne. Les hautes cheminées dominaient de véritables fiefs industriels. « Plus riche en outils qu’en fonds d’Etat, l’héritier ne pouvait s’évader », dira Eugène Motte lors de l’inauguration de l’Hôtel de Ville, le 30 avril 1911.
1 Ancienne famille notable qui avait connu un effacement momentané.
2 Chanoine C. Lecigne : « Amédée Prouvost ».
Seigneurs et personnalités de Roubaix au Moyen-âge
(NB : D’après les travaux de recherche de H. J. Dumez
Le Terroir – Bulletin du Cercle Littéraire Amédée Prouvost – 1925
Fonds d’Archives La Muse de Nadaud)
Charles Crupelandt, deux fois vainqueur du Paris-Roubaix
(NB : A propos de ce coureur, voir également, Gens & Pierres de Roubaix, n°20)
Charles Crupelandt naquit à Roubaix le 23 octobre 1888, fils d’Adolphe Crupelandt, tisserand de Courtrai, alors âgé de 31 ans et de prudence Vanpeybrouck. Ils demeuraient rue d’Italie.
Dès son plus jeune âge, il fit preuve de grandes qualités sportives et s’orienta vers le cyclisme où il se révéla rapidement comme un futur champion. Après avoir participé à des courses locales ou régionales, il s’inscrit pour la première fois à la grande épreuve de Paris-Roubaix en 1904 ; il terminera treizième de la course, ce qui était un succès remarquable pour ce jeune coureur âgé de moins de 18 ans. En 1910, il devait y prendre la cinquième place. Désormais, Charles Crupelandt gravira tous les échelons du succès.
Surnommé le « Taureau du Nord », il était la terreur de ses adversaires en raison de la puissance de son sprint. Il donna toute la mesure de ses capacités lors de l’arrivée sur le vélodrome de la course Paris-Roubaix en 1912, où il l’emporta de manière incontestable. Les Roubaisiens lui firent une ovation extraordinaire. Pour la première fois, un roubaisien remportait l’épreuve !
Cette victoire venait consacrer une carrière pleine de succès : au palmarès de Charles Crupelandt, il faut en effet inscrire avant ce triomphe dans Paris-Roubaix, les résultats suivants : seconde place dans Paris-Bruxelles en 1907, vainqueur de Paris-Menin en 1911 ; la même année, il termine troisième de Paris-Bruxelles et quatrième du Tour de France.
Après sa victoire en 1912 dans Paris-Roubaix, l’année 1913 sera également un grand cru. Il remporta la course Paris-Tours, termina troisième du championnat de France, troisième de Paris-Bruxelles. Il fut aussi cette année-là, troisième de Paris-Roubaix où la victoire lui échappa de justesse.
En 1914, Charles Crupelandt se révéla égal à lui-même. Il décrocha le titre de champion de France, remporta Paris-Roubaix une seconde fois et pris la troisième place de Milan-San Remo, où il rata la victoire de peu.
La guerre de 1914-1918 devait couper la carrière de notre champion roubaisien qui, cependant, fait encore preuve de grandes qualités en 1922 et 1923 où il remporta à nouveau le Championnat de France.
Zephirin Disdal, pionnier du parachutisme


Les festivals de Jean Prouvost
Maurice Maes
En allant faire les courses à Mouvaux, rue Roosevelt, avec Georgette, on s’arrêtait au n° 5 pour rendre visite à Clémence. J’avais 15 ans et j’entrais pour la première fois dans une petite maison flamande, de basse toiture, dans une entrée où l’on ne pouvait se croiser et là, c’était un éblouissement : des peintures aussi hautes que les murs de la maison où jaillissaient la lumière et les formes, un tourbillon de couleurs et une présence. « On entrait dans une cathédrale ».
Trônait à droite sur la cheminée « le Portrait du Père » de Maurice MAES, étincelant dans les jaunes de Van Gogh (aujourd’hui conservé au musée La Piscine de Roubaix).
On s’asseyait à la table de la cuisine et Clémence nous ouvrait les cahiers d’écolier pleins de dessins, tous plus forts les uns que les autres et dont la découverte faisait que ces œuvres ne ressemblaient à aucune autres. C’était magique…
Plus tard, à l’école des Beaux Arts, notre professeur, Monsieur JACOB, nous montrera les dessins réalisés à l’école par Maurice MAES dont un était accroché près du poêle dans la salle de classe, un visage d’homme sans âge, qui avait dans le regard la détresse des soldats revenant du front de la guerre 1914.
Maurice MAES, c’est Monsieur JACOB qui me le fera découvrir dans son œuvre au cours de nos trajets de l’Ecole à Roubaix (l’E.N.S.A.I.T.) jusque Mouvaux, son domicile. Il me gratifiait d’un cours d’histoire de l’Art, pendant que je le conduisais en voiture car, à l’époque, il n’avait pas le permis et détestait prendre le volant.
Maurice MAES a conquis son droit de peindre à force de discipline. C’est un artisan de la matière, amoureux de la matière, de ses révélations et de ses rayonnements, un besoin de découverte et de renouveau constant de vie. « La peinture, sa plus belle joie » dira René JACOB.
Né le 8 novembre 1897 à Bruges, il décède à Mouvaux le 14 juin 1961. Il fait ses débuts à l’Académie de Bruges, sa ville natale, avant la guerre. En 1915, à 17 ans, il s’engage et fait toute la Campagne dans l’armée Belge. Il subi l’expérience sans pareil de la guerre des tranchées, sans excès héroïque mais aussi sans en être marqué profondément. Après la guerre, à a cause des nécessités de la vie, il vient s’installer à Mouvaux et reprend la palette après une interruption de 15 ans.
Élève de l’école des Beaux Arts de Tourcoing puis de l’E.N.S.A.I.T à Roubaix, il rencontre Monsieur JACOB, historien d’Art et Professeur de dessin, modèle vivant et peinture. Maurice MAES est vite considéré comme un artiste modeste et solitaire. On décèle cependant chez lui un génie certain, une impulsion de « démon » de la peinture. Sans autre maître que ce commandement intérieur, il produit une peinture dont l’œuvre restera marquante pour les générations futures.
« Sans maître oui, si ce n’est ceux qui sont les maîtres de tout le monde, l’immortelle phalange des artistes de tous les temps que le destin a marqué de son signe » (La Croix du Nord).
Maurice MAES était Flamand d’origine et restera Flamand de cœur et de tempérament, il était pourtant profondément attaché à la culture française. Il reconnaissait avec enthousiasme la suprématie de la peinture moderne française et s’en imprégnait sans cesse, il l’admirait totalement depuis l’époque Romantique jusqu’à nos jours et s’il aimait sincèrement les Flamands tels que Permeke ou Ensor, il plaçait au dessus de tout les impressionnistes, Pissarro en particulier, mais aussi Van Gogh.
« Maurice MAES en resta plus totalement attaché à la vie, de toutes les fibres de son être, avec ardeur, avec conviction rejetant par avance toutes les complications esthétiques qui auraient pu le détourner de cette expression franche et directe qui devait dire avant tout que la Vie était belle du moment qu’elle est vraie ».
Une des plus belles distinctions qu’il reçut fût la Rose d’or des Rosati en reconnaissance de son œuvre. Il est reconnu également par ses nombreuses participations au Salon des Artistes Français et de Paris ainsi qu’au Salon des Artistes Roubaisiens à l’hôtel de Ville de Roubaix. Une rétrospective au Musée des Beaux Arts de Tourcoing, préfacée par Monsieur Jacob et les expositions annuelles à la Galerie d’Art à Lille rue Esquermoise, lui permirent de se faire connaître du grand public.
Comment ne pas évoquer l’influence de ce grand Artiste qui avait son atelier rue Nain à Roubaix et que fréquenteront les grands Artistes d’aujourd’hui d’Eugène Leroy dont l’œuvre, mondialement connue, a reçu l’empreinte de ce grand aîné, Arthur Van Hecke, un Roubaisien dont nous avons évoqué le parcours dans « Les Gens et Pierres de Roubaix » (n° 2 de Septembre 2006), et André Missant, cet autre géant dont Roubaix fêtera le centenaire en octobre de cette année.
Maurice MAES avait la force d’un Courbet, il s’attaquait aux motifs les plus sauvages, aux ciels les plus tourmentés comme lui plein de vie et mouvement, traduisant par le dessin, les valeurs, la couleur, c’est à dire tout ce que la vie de la nature représentait de plus riche et de plus tonifiant.
Maurice MAES a voulu rester fidèle à la vérité des choses auxquelles il devait tout, il l’a fait en profitant des enrichissements de l’Art Moderne dans la liberté, dans la couleur, atteignant encore ainsi plus de vivacité dans la sensation.
« L’Art de Maurice MAES, c’est tout cela réuni avec une conviction dont il n’aurait jamais permis à personne de douter ».
« C’est par cette conviction que son œuvre nous touche et qu’elle nous est un exemple » (Claude Glaster et René Jacob – entretien)
Alain DELSALLE
Président de la Société des Artistes Roubaisiens
Janvier 2008
Albert de Jaeger
Albert de Jaeger est né à Roubaix le 28 octobre 1908. Fils d’un contremaître dans un tissage et d’une mère fileuse, il obtient son Certificat d’Etudes à l’Ecole Communale de la rue Pierre de Roubaix. Il entre alors comme apprenti sculpteur dans une usine de meubles de la ville tout en suivant une formation à l’E.N.S.A.I.T. qui en fait un artiste aux dons diversifiés. Il dépose en effet divers brevets d’invention dans les domaines aussi divers que l’électronique, la fonderie, l’ameublement ou la construction. Pourtant, c’est à l’école des Beaux Arts de Tourcoing qu’il apprend la sculpture.
A 18 ans, il part à Paris pour suivre les cours de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs et reçoit le 1er prix de sculpture en 1933 et de l’école des Beaux Arts de Paris où il est l’élève de Despiau, tout en travaillant la nuit pour payer ses études.
Il expose à Paris au Salon des Artistes Français, au Salon d’Automne et au Salon des Artistes Indépendants. En 1935, il reçoit le Premier Grand Prix de Rome et part pour la villa Médicis à Rome où il reste trois ans.
Il revient en France juste avant la guerre et s’installe à Meudon où il continue son activité artistique. C’est là qu’il conçoit, en 1943, dans le plus grand secret, la première médaille du Général de Gaulle. Il est ensuite nommé en 1944 conseiller artistique du Général Koening (commandant en chef en Allemagne) et Secrétaire général du Conseil Supérieur d’architecture et d’urbanisme en zone française d’occupation en Allemagne de 1945 à 1950. Il dirige alors les ateliers d’art français de 1944 à 1949 pour promouvoir le rapprochement culturel entre les deux pays.
La production artistique d’Albert de Jaeger est très importante. Sculpteur, il réalise de nombreux monuments comme celui du Général de Gaulle à Meudon, de Charles Péguy, de Cujas… Il est l’auteur des Portes de l’Europe à Mayence (portes monumentales en bronze). Médailleur reconnu, beaucoup de ses médailles sont commémoratives : Le tricentenaire de la Compagnie de Saint Gobain, le septième centenaire de la mort de Saint Louis, le tricentenaire des Invalides, le bicentenaire des Ets de Wendel, le bicentenaire de la naissance de Napoléon 1er, mais aussi les médailles du président Kennedy, pour le corps Enseignant de Droit de Paris, de l’ENA, le mariage de la Princesse Margrethe de Danemark et du prince Henrik, pour le prince Rainier de Monaco, de l’impératrice Farah Pahlavi d’Iran, du premier ministre d’Iran A. Hoveyda, pour Edmond Michelet, l’amiral Cabanier, le Général de Boissieu, mais aussi de Youri Gagarine. Il exécute de véritables chefs d’oeuvre comme la médaille pour le Prix Galien en bronze doré à l’or pur, patinée et brunie à l’agate.
Il est officier de la Légion d’Honneur, Commandeur de l’Ordre National du Mérite, Officier des Arts et des Lettres. Il meurt à Paris dans le 14earrondissement le mardi 19 mai 1992. Sa carrière internationale en fait un des plus grands artistes roubaisiens du 20e siècle.
Bibliographie
Bénézit
Archives de la Société d’Emulation de Roubaix
Archives Municipales de Roubaix
Roubaix, une ville née de l’industrie, Itinéraires du Patrimoine, P. 33
Archives municipales de Meudon