L’image de Roubaix : mythes, réalités et espaces d’une ville industrielle

Cet article reprend le texte d’une communication présentée aux Journées de Géographie Urbaine et Industrielle (Liège, 23 – 26 septembre 1985) du Comité National Français de Géographie, sur le thème « Images et comportements spatiaux en milieu urbain et industriel » et publiée en janvier 1986 dans le n° 6 de la série « Notes de recherches », éditée par la Société Géographique de Liège, p. 45-54. Nous remercions la Société Géographique de Liège de nous avoir autorisé à placer ce texte sur le site internet de la Société d’Émulation de Roubaix.

Dans une région du Nord – Pas-de-Calais qui n’est déjà pas particulièrement favorisée par son image de marque1, le cas de Roubaix apparaît encore un peu plus déconcertant. En effet, peu de villes, sans doute, offrent sur leur territoire ou leurs marges immédiates une telle collection de firmes largement connues en France et à l’étranger : La Redoute, Les Trois Suisses, Damart, la Lainière, Phildar, Auchan, K Way, Saint-Maclou… Peu de villes aussi, malgré une telle célébrité de leurs « vitrines », semblent aussi peu attirantes. C’est peut-être que l’importance de la vitrine occulte le magasin, autrement dit que le public ignore généralement d’où sont issus ces noms. Ce paradoxe tient pour l’essentiel, au caractère industriel de la ville et de ses effets induits sur l’habitat, la population, le cadre de vie. Cet article voudrait montrer comment cette empreinte industrielle intervient dans l’image de la ville, mais aussi comment, à différentes échelles et avec quelles articulations, se chevauchent plusieurs images.

1 – ROUBAIX, UNE VILLE-JANUS

À l’instar du dieu romain dont les deux faces regardent à l’opposé, Roubaix est affectée de caractères qui semblent porter en eux de façon indissociable des connotations apparemment incompatibles et devoir, par essence, se tourner le dos pour pouvoir exister.

Au premier rang de cette image industrielle viennent les usines. Leur omniprésence diminue peu à peu, sous l’effet de la crise du textile, de la montée du chômage, de la rénovation urbaine. Mêlées à l’habitat, massives, noires, sortes d’îlots repliés sur eux-mêmes autour de leur cheminée, elles n’en évoquent pas moins le travail, le courage, l’esprit de sacrifice de nombreuses générations. La presse rend compte des démolitions les plus spectaculaires et ce n’est jamais sans un certain pincement au cœur que les vieux Roubaisiens voient disparaître une partie de ce patrimoine si lourd de sens.

D’ailleurs, le monde de l’usine jouit d’une certaine réintégration dans une autre logique urbaine. Ainsi, en plein cœur de la ville, l’ancienne filature Motte-Bossut, avec ses tours et ses créneaux, a-t-elle échappé à la destruction. Devenue récemment monument historique, elle doit abriter ultérieurement le Centre Régional des Archives du Monde du Travail et un Centre International de la Communication et des Nouvelles Technologies. Lien entre le passé et l’avenir… Une usine semblable, autre « château de l’industrie »,2 a vu s’ouvrir, au printemps 1984, la première galerie marchande européenne de magasins d’usine. Une cinquantaine de magasins vendant avec de très forts rabais y déterminent une réelle attraction commerciale, fondée sur des campagnes publicitaires sur la voie publique et dans la presse régionale, et étendent l’influence roubaisienne hors de son aire de chalandise habituelle3.

La référence à l’usine devient donc un atout publicitaire revendiqué comme signe de compétence, de sérieux et… d’économie. Il y a un renversement de la perception à partir du moment où l’usage, le mode d’appropriation du lieu est modifié et où la fonction première, la production et son cortège de connotations péjoratives liées au « Manchester français », est évacuée. L’archéologie industrielle donne un sens tout différent à ce qui est conservé et/ou réactivé.

Induit par l’industrie, l’habitat roubaisien est tristement célèbre par son insalubrité et ses courées au pied des usines : la rue des Longues Haies, la rue Édouard Anseele (disparues toutes deux), la rue de l’Alma, le quartier de la Guinguette, le cadre de vie dépeint par Maxence Van der Meersch, ont servi de support à des images d’une misère parfois insoutenable. Mais d’une part, on a souvent oublié que cet habitat était innervé par une vie sociale très riche, à laquelle les habitants étaient plus attachés qu’à une amélioration de leur confort. D’autre part, depuis une vingtaine d’années, la résorption de l’habitat insalubre progresse rapidement sans que les images se modifient au même rythme. De grandes opérations de rénovation ont été menées : Roubaix 2000 (un millésime-image qui est aussi tout un programme !), Alma-Centre et surtout Alma-Gare. Dans ce quartier, l’enracinement et l’obstination des habitants ont précisément conduit les pouvoirs publics à se ranger à des partis de rénovation qui étaient réellement inimaginables à l’origine. Si Roubaix 2000 n’a que médiocrement atteint son but, l’Alma-Gare au contraire, loin d’être restée synonyme de taudis, l’est devenue de rénovation urbaine exemplaire, attirant des visiteurs du monde entier.

La prépondérance de l’industrie textile et l’abondance de l’habitat vétuste ont récemment accru fortement la part de la population étrangère : 14,7 % en 1968, 21,7 % en 1982 selon l’INSEE. Or, la ville se dépeuple (114 000 habitants en 1968, 100 000 en 1982), et plus de la moitié des étrangers sont des Maghrébins, dont la présence est donc de plus en plus sensible. Certaines rues se sont vidées de leur population française. Cela a suscité en retour des mouvements xénophobes, tels que la création d’une association des « Chevaliers de Roubaix » et la constitution, lors des élections municipales de 1983, d’une liste « Roubaix aux Roubaisiens » qui obtint 2 sièges. C’est oublier qu’à la fin du siècle dernier, Roubaix fut aussi un pôle de l’immigration étrangère : « au recensement de 1872, les Belges constituaient 55 % de la population municipale »4. Il est vrai qu’ils s’assimilèrent assez facilement, non sans avoir parfois posé quelques problèmes.

Les difficiles problèmes de reconversion industrielle et de rénovation urbaine, joints à cette longue tradition d’apport de sang nouveau, même controversé, et donc l’adaptation douloureuse mais nécessaire et continue qui en résulte fondent le slogan de Roubaix « ville de pionniers », « ville qui se bat » que répandent de plus en plus les actions de promotion de la ville par la municipalité. Cette connotation n’est pas récente non plus. En 1899 déjà, Ardouin-Dumazet parlent de la ville comme d’une « métropole industrielle égale par sa croissance aux villes de l’Amérique et de l’Australie »5. La référence aux pays neufs reste actuelle : la ville est un vaste chantier d’où sortent, trop lentement au gré des responsables, les nouveaux paysages urbains et les images de demain. Innovation urbanistique et économique vont de pair : c’est de Roubaix qu’est parti le vaste mouvement en faveur de la vente par correspondance en France, à Roubaix que sont nés le premier magasin Auchan6, dans un ancien atelier textile, et la première galerie marchande d’usine, idées rapportées d’Outre-Atlantique par des Roubaisiens, de même que, sur le modèle d’Holiday Inn, la chaîne d’hôtels Novotel dont Roubaix ne possède toutefois pas d’établissement.

L’héritage industriel a aussi imprimé à la ville une empreinte politique qui affecte son image. Le terrain était assez favorable pour que Jules Guesde, qui en fut député, ait voulu en faire « la ville sainte du socialisme », avec tout ce que cela sous-tend de générosité, de dévouement dans la conscience collective d’une large fraction de la population. Mais à l’inverse, à la fin du XIXe siècle, Roubaix passe aussi pour « la forteresse du collectivisme »7. Autant le premier aspect peut fasciner les milieux populaires et prolétaires, qui ont d’ailleurs très peu de moyens de se rendre dans la ville, autant le second est propre à inquiéter une bourgeoisie qui pourrait la visiter mais est peu encline à fréquenter une « ville rouge », dont le patrimoine architectural et artistique n’est pas, de surcroît, particulièrement attractif.

L’industrie a donc engendré des éléments d’une image très contrastée de Roubaix. L’évolution historique de la ville fait que rarement ont été aussi violemment opposés les traits caractéristiques constitutifs de l’image de la ville. Mais leur perception n’a pas le même poids aux différentes échelles où ils se manifestent et conduit à distinguer plusieurs espaces roubaisiens.

Image et espace communal

 

2 – IMAGE ET ESPACES ROUBAISIENS : RAYONNEMENT ET ENCLAVEMENT

Il existe plusieurs espaces roubaisiens, qui s’articulent de façon curieuse, avec des hiatus à certaines échelles, dans une dialectique instable de rayonnement – enclavement, autre face de cette ville-Janus. Urbanisme, économie et image se trouvent imbriqués avec des graduations variables selon l’échelle de perception.

À l’échelle communale, l’on peut schématiquement, et avec la prudence qu’exige l’emploi de termes simplificateurs, opposer le centre et le sud de Roubaix, « bourgeois », à une couronne « populaire ». Cette opposition s’exprime assez bien dans la majorité accordée ou non à F. Mitterrand le 10 mai 1981 (fig. 1)8. Le centre groupe commerces et services tertiaires nombreux, le sud en possède quelques-uns, mais s’identifie surtout par ses espaces verts (parc Barbieux, parcs privés) contrastant avec le reste de la commune. Ce n’est d’ailleurs qu’aux deux principales entrées sud de la ville que l’on trouve un panneau « Ville fleurie – 3 fleurs », signe de l’importance que la ville accorde à cette image, car aux autres entrées, un tel panneau pourrait paraître quelque peu provocateur…

Or, la quasi-totalité des grands noms qui fondent l’image positive de Roubaix sont localisés dans ce « croissant répulsif » par ses usines, son insalubrité, son manque d’espaces verts. Secteurs secondaire et tertiaire semblent s’exclure l’un l’autre, et les noms connus sont enclavés dans des quartiers peu fréquentés par la population qui leur est extérieure, a fortiori extra-communale. Et récemment, à l’annonce qu’IBM allait installer son siège régional à Croix, sur un terrain limitrophe de Roubaix, d’âpres négociations ont réussi à obtenir que ledit terrain trouve un débouché sur Roubaix, pour que l’on puisse dire : « Roubaix relève le défi du XXIe siècle, IBM vient s’installer chez nous »9.

En outre, ce croissant est mal situé et mal desservi par rapport aux pôles d’entraînement de la Métropole Nord que sont Lille et Villeneuve d’Ascq. À cette échelle métropolitaine, les impulsions et liaisons sont plus développées vers le sud que vers le nord où, de surcroît, la frontière franco-belge produit immédiatement un effet « cul-de-sac ». La structure des réseaux de circulation renforce celle de l’habitat : au sud les quartiers favorisés, ainsi que le centre où aboutit le « Grand Boulevard », sorte de pénétrante venant de Lille, au nord les quartiers défavorisés. C’est d’ailleurs tout le « versant Nord-Est de la métropole » qui pâtit d’une mauvaise image. En 1984, Bull a refusé d’installer une nouvelle usine sur la zone industrielle dite de Roubaix-Est (mais extérieure à la commune), et c’est Villeneuve d’Ascq qui en a bénéficié. Malgré son allure rutilante de verre et d’acier, ce n’est pas la tour Mercure, vouée au tertiaire et installée aux confins de Roubaix et Tourcoing, qui y change grand-chose. C’est aussi le résultat de l’absence de desserte autoroutière, qui ne peut qu’ajouter à l’impression du visiteur d’une ville enclavée et de circulation malaisée.

Ces réseaux en provenance du sud (y compris la voie ferrée pour laquelle, mutatis mutandis, il en est de même) ont été préalablement « filtrés » par l’ensemble Lille – Villeneuve d’Ascq. Le rôle régional de Roubaix s’en ressent. Mal desservie, la ville est méconnue, même si ses magasins d’usine contribuent notablement à sa notoriété. Elle n’a guère d’attrait important pour un touriste « classique » qui n’a ni le temps ni la place de s’embarrasser d’une profusion d’achats à bon marché. Même la création récente du ballet du Nord, à vocation régionale, atteint peu le public régional. C’est à Lille, pas à Roubaix, que ce dernier satisfait essentiellement ses besoins administratifs, culturels, commerciaux. Pour la majeure partie des étudiants lillois, Roubaix est mentalement plus éloignée qu’Arras ou Dunkerque. Ils n’ont aucune idée de l’image de la ville, voire de son éloignement réel. Pour beaucoup de Nordistes, Roubaix semble être, littéralement, une sorte de marche-frontière pourvoyeuse d’une foule d’objets de consommation courante, dans une sorte de relation centre-périphérie.

Cette fonction de distribution atteint toutefois une dimension nationale, à l’échelle de laquelle Roubaix semble enjamber sa voisine lilloise. Mais cet enjambement se fait par des intermédiaires qui conduisent plus Roubaix à rendre visite aux Français que le contraire. D’abord, la vente par correspondance fait pénétrer Roubaix, qui en est la capitale française, dans des millions de foyers, de même que la publicité radiophonique. Le nom de Roubaix n’est pas toujours prononcé, mais quand un nom l’est, c’est celui de Roubaix. De la gare, la première de France pour le nombre de colis expédiés, part chaque nuit un train complet de paquets qui se disséminent en progressant vers le sud. Les nouveaux modes de ventes (par points de vente, par minitel…) atténuent sans doute la référence explicite à Roubaix, mais il est sûr qu’une partie importante du public connaît cette référence. Il en est de même, mais sans doute à un degré moindre, des marques bien connues, Phildar, Pingouin, Kiabi, Flunch, Kiloutou…, d’origine roubaisienne.

En revanche, plus perceptible est la ville, et son image, lors de la retransmission télévisée de la course cycliste Paris-Roubaix. Créée en 1896, cette course est la plus ancienne de France. Elle permet de traverser « l’enfer du Nord »10 sur quelques kilomètres de routes pavées que les organisateurs ont de plus en plus de mal à dénicher. Certes, remporter cette course est un authentique exploit athlétique, « dantesque », « apocalyptique », pour reprendre quelques termes des commentateurs. Malheureusement, les vertus humaines mises en œuvre par les coureurs sont éclipsées dans l’esprit du public par les connotations négatives liées aux pavés, au vent, à la boue ou à la poussière, bref, à la saleté, enfer au bout duquel se trouve Roubaix… En 1977, au VIè Festival International du Court métrage de Lille, un Danois est venu présenter son film, « Un dimanche à l’enfer », réalisé l’année précédente sur le parcours de Paris-Roubaix. Situation peu enviable d’une ville qui se trouve ainsi à la pointe d’une image fausse affectant d’ailleurs, dans l’esprit de beaucoup, tout le Nord – Pas-de-Calais.

Et pourtant, c’est sans doute à cette image que Roubaix doit d’être une capitale internationale du cyclisme. L’arrivée de Paris-Roubaix ou d’une étape du Tour de France y provoque toujours un afflux de Belges et de Néerlandais friands de cyclisme et assurés d’un spectacle de choix au terme d’un rude parcours. Mieux, tous les ans depuis une dizaine d’années, lors du Paris-Roubaix amateur, ce sont 7 000 à 8 000 cyclistes qui viennent par cars entiers de toute la France, de Belgique, des Pays-Bas, mais aussi d’Allemagne et d’Angleterre pour faire le parcours et se voir remettre à l’arrivée l’attestation qu’ils ont vaincu « l’enfer ». Certes, « l’effort est bien plus beau lorsqu’il est inutile », mais il serait intéressant de connaître l’image sur laquelle les concurrents ont fondé leur décision de participer, et celle qui leur reste ensuite…

La renommée internationale de Roubaix repose toutefois davantage sur le fait que c’est une capitale mondiale de la laine. L’importance de son marché à terme, de son industrie du peignage ne s’est pas démentie. Et la laine est une matière naturelle, noble : « la pure laine vierge ». Image flatteuse donc, qui s’attache à ce produit et qui fait oublier ses conséquences, la noirceur des façades, la faible qualification des emplois, la pollution de l’Espierre. Dans le prolongement de cette activité et de la diversification qu’elle connaît, le rayonnement de la ville se manifeste dans l’essaimage à l’étranger des firmes, tant dans la production que dans la distribution, en Europe, Amérique, Afrique, Océanie. Bien des usines ont été implantées là par des firmes roubaisiennes, la vente par correspondance roubaisienne s’est largement diffusée en Europe et, en Espagne, Auchan est même devenu El Campo. Cela nous ramène à l’esprit pionnier évoqué plus haut.

Conclusion

Dans un tel jeu d’ombres et de lumières, il faut bien convenir que les premières l’emportent largement dans l’image de la ville. Ce n’est pourtant pas faute d’efforts de la part des municipalités depuis plusieurs décennies11. Mais les handicaps étaient si écrasants et le décalage entre mythe et réalité met toujours tellement de temps à se résorber dans la perception mentale que l’on peut dire que Roubaix souffre encore de l’inertie de clichés fondés sur les éléments physiques présents sans doute encore en nature mais pas en degré. Sur certains points, on l’a vu, (certaines opérations de rénovation, par exemple) la ville est, au contraire, réellement en pointe. Il faut donc se demander si la persistance d’images excessives dans un sens n’appelle pas fatalement l’émergence de contre-images aussi excessives. Parler de Roubaix comme d’une « ville fleurie » semble abusif, aussi vrais soient les efforts et réalisations de la municipalité. Évoquer « Silicon Roubaix » à propos d’une exposition sur les technologies nouvelles pourrait même paraître dérisoire12. Mais l’emploi de tels slogans, qui relèvent plus de la communication que de l’information, ne permet-il pas d’équilibrer tout ce qu’a de passionné, et de passionnel, le monde de l’image, quand cette image met maintenant en jeu autant d’intérêts financiers et économiques ?

1 Cf. le chapitre sur l’image du Nord dans notre thèse d’État, Tourisme et loisirs dans le Nord – Pas-de-Calais, Paris IV, 1984, Société de Géographie de Lille, 1985, p. 89-160.

2 Expression due à L. Grenier et H. Wieser-Benedetti, Les châteaux de l’industrie – Recherches sur l’architecture de la région lilloise de 1830 à 1930, Archives d’Architecture Moderne, Paris-Bruxelles, Ministère de l’Environnement et du cadre de vie, 1979, 382 p.

3 Un sondage réalisé le samedi 8 juin 1985 de 14 à 16 h sur 709 voitures particulières en stationnement sur le parking de l’Usine indique 11,1 % de voitures immatriculées hors du département du Nord. Encore ne peut-on ainsi saisir ce qui provient de l’extérieur de l’aire de chalandise normale de la ville mais du département du Nord. Ce doit pourtant être significatif si l’on confronte les chiffres ci-dessus avec les résultats que P. Bruyelle exprime dans les cartes 17 à 21 de l’atlas annexe de sa thèse, L’organisation urbaine de la région du Nord – Pas-de-Calais, 1981.

4 F. Lentacker, La frontière franco-belge, thèse, Lille, 1974, p. 245.

5 Ardouin-Dumazet, Voyage en France, 18è série : Flandre et littoral, 1899, p. 2.

6 Tirant son nom du quartier des Hauts-Champs où il se situe. Depuis juillet 1985, passant à un autre groupe de distribution en raison du fait que ce n’était qu’un petit supermarché (Auchan ne garde que des hypermarchés), il a pris le nom d’As-Éco.

7 Ardouin-Dumazet, ibid., p. 15.

8 Depuis lors, l’émergence significative d’un courant politique lié au Front national et à l’extrême-droite ne permettrait plus une interprétation aussi schématique.

9 Extrait d’un prospectus publicitaire diffusé par la mairie de Roubaix. La recherche de la taxe professionnelle a sans doute aussi poussé à cette solution, mais la promesse de vente signée en janvier 1984 concerne Roubaix pour 3 000 m2 seulement, Croix pour 61 000, dont le bâti.

10 Nous avons analysé cette image dans notre thèse, op. cit.

11 Cf. Y.M. Hilaire, Histoire de Roubaix, Dunkerque, Westhoek-Éditions, 1984, 365 p.

12 La Voix du Nord, 6 juin 1985.

n°9 Sommaire Octobre 2010

n°9

Éditorial par Bernard Schaeffer et Gilles Maury, p.5

Évènement Le centenaire Eugène Leroy par Germain Hirselj p.6

Dossier/spécial textile 2

ENSAIT, un enseignement pionnier (2eme partie) par Achille Marel p.12

L’amour du beau : le passé et l’avenir des Broderies Dervaux par Evelyne Grenier-Renaut p.18

Hommage René Jacob, de l’ombre à la lumière par Alain Delsalle p.30

Patrimoine et reconversion De l’usine Delattre au CNE-PJJ par Xavier Lepoutre p.35

Art contemporain Le Discobolos de Wim Devoye par Germain Hirselj p.40

Histoire

Cinq siècles de congrégations religieuses (dernière partie) par Xavier Lepoutre p.42

1954, Coupe du monde de football et télévision par Philippe Waret p.48

Abonnement, adhésion, anciens numéros p.50

n°8 Sommaire mars 2010

n°8

Éditorial par Bernard Schaeffer et Gilles Maury, p.5

Publication Rémi Cogghe, un nouveau regard par Germain Hirselj p.6

Histoire

Cinq siècles de congrégations religieuses (4eme partie) par Xavier Lepoutre p.9

Jeanne d’Arc, porte étendard publicitaire par Philippe Waret p.16

Dossier

L’ENSAIT, un enseignement pionnier (1ere partie) par Achille Marel p.18

Lemaire, l’enfant chéri de trois générations d’hommes par Evelyne Grenier-Renaut p.30

Une idylle, unique roman de Gustave Nadaud par Jean Jessus p.33

Roubaix et les muses Eugène Dodeigne et son Peuple de pierre par Germain Hirselj p.38

Patrimoine disparu Les halles centrales par Xavier Lepoutre p.43

Abonnement, adhésion, anciens numéros p.46

Courrier des lecteurs p50

Sommaire n°5 Avril 2008

N°5

Denise Prouvost-Franchomme Bernard SCHAEFFER

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2

Editorial Bernard SCHAEFFER

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4

Roubaix à travers les âges III Gaston MOTTE

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5

Maurice Maes 1897 – 1961 Alain DELSALLE

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11

Roubaix et l’archéologie Philippe SCHAEFFER

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14

La muse de Nadaud – Ses présidents Jean JESSUS

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18

Cinq siècles de vie religieuse à Roubaix – I Xavier LEPOUTRE

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19

Ferdinand de Lesseps Philippe WARET

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31

Les cantines scolaires à Roubaix Joël RAVIER

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33

Histoire des marques roubaisiennes déposées – Les éléphants Philippe WARET

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35

Jacques Brel fait ses adieux à la scène au Casino de Roubaix Francine DECLERCQ – Laurence MOURETTE

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37

Le site Internet de la SER www.histoirederoubaix.com

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La laine dans tous ses états

Conférence donnée par Bernard Leman* le 5 septembre 2020

Le mot « laine » définit une masse de fibres provenant d’un animal. Celui-ci peut être un chameau, une chèvre, un lapin, un lama ou un mouton ! La majorité des laines sont utilisées de façon industrielle pour créer des articles textiles. La laine de mouton est la plus utilisée.

Louis Jean Marie Daubenton s’intéresse à l’élevage et notamment à l’amélioration de la production de laine et, en 1782, il publie  une Instruction pour les bergers et les propriétaires de troupeaux. Louis XVI s’intéresse à son projet : en 1783, il fait bâtir une ferme près de son château de Rambouillet et fait l’achat de nombreux animaux domestiques pour mettre en pratique les théories des physiocrates visant à améliorer l’élevage ovin.

Il émet le projet de trouver un moyen de briser le monopole espagnol et d’éviter de payer chaque année 30 millions pour l’achat de laine destinées aux filatures françaises. Il réussit à obtenir de son cousin, Charles III, la permission d’acquérir un troupeau de 383 mérinos pour acclimater cette race au ciel d’IIe de France puis la faire prospérer à travers le royaume. Les meilleures têtes du cheptel hispanique choisies (334 brebis, 42 béliers et 7 moutons conducteurs furent sélectionnés), le troupeau quitte l’Espagne le 15 juin 1786 sous la conduite de 4 bergers. Quatre mois plus tard, le 12 octobre, après avoir franchi les Pyrénées, 366 mérinos arrivent à Rambouillet.

Grâce à l’intelligence des soigneurs et aux connaissances du naturaliste Daubenton, le troupeau prospère. Le pari de Louis XVI est gagné. Daubenton vend des béliers mérinos dans le monde entier, ce qui explique que la majorité des tissus produits sont faits à partir de laine mérinos. *

La zoologie classe le mouton dans la famille des animaux laineux comme la chèvre et le lapin. Les animaux laineux sont désignés par leur famille et le pays d’origine, par exemple : la chèvre cachemire (Inde), le lapin angora (Turquie). Le mouton a été domestiqué par l’homme depuis le dixième millénaire avant Jésus Christ pour sa laine, sa viande, et le lait des brebis. Des archéozoologues ont situé la fabrication du fromage de brebis au troisième millénaire. La croissance de la fibre de laine dure en continu un an environ. Un mouton qui n’est pas tondu pendant des années peut mourir étouffé par sa propre laine…

 

Mouton non tondu depuis 6 ans !

 

Un peu d’histoire

A partir de 15.000 avant J.-C., le Proche-Orient est le théâtre d’une série d’oscillations climatiques qui aboutissent à l’optimum climatique au cours duquel se développent les sociétés sédentaires, agricoles et pastorales du Néolithique. La domestication entraîne chez les animaux de multiples modifications : comportement, taille, chromosomes, etc. Chez le mouton, elle amène l’amplification du duvet laineux très réduit chez l’espèce sauvage Ovis orientalis, mais ne supprime pas immédiatement la mue annuelle. La pousse en continu n’intervient pas avant la fin de l’âge du Bronze et l’épilation des moutons et le travail de la laine ont rythmé le calendrier agricole mésopotamien. Les propriétés de ce duvet, disponible en toutes petites quantités mais chaud, léger, doux et facile à travailler, ont sans doute attisé très tôt la curiosité des hommes, peut-être dès le tout début du processus de domestication vers 8000 avant J-C.

En basse Mésopotamie, où l’environnement est encore marécageux dans la première moitié du 3e millénaire, on colonise les franges des conflits de voisinage. Les troupeaux sont confiés à des bergers appointés par le pouvoir. En Syrie du nord, le nomadisme pastoral se met en place sur les marges arides du désert syrien vers 2400 avant J-C, en concertation avec les premiers Etats. Nous connaissons mal les premiers moutons domestiques, l’iconographie de l’époque les représente avec des caractères primitifs (cornes en tire-bouchon, jabot…) et parfois une queue grasse révélatrice de la fréquentation d’un environnement aride.

Les textes, disponibles dès 3200, suggèrent l’existence de différentes qualités de laine. La plus prisée est la blanche, réservée à un usage vestimentaire royal. Parallèlement, des techniques inventives avec un outillage adapté se développent : teintures, armures textiles, etc. ouvrant la voie aux arts visuels. La laine ordinaire, la plus rêche, est issue de troupeaux mal nourris. Les autres qualités de laine sont réservées à différents usages : rations, échanges, voiles de bateau, manufactures. Ainsi, à la fin du 3e millénaire avant J.-C., des milliers de travailleurs sont employés dans des ateliers d’état qui contrôlent toute la chaîne de production. Aucune de ces structures n’est connue par l’archéologie mais les textes permettent parfois de suivre des individus sur plusieurs années. Ceux-ci sont en majorité des femmes et des enfants au statut précaire : prisonniers de guerre, veuves, personnes de basse extraction qui n’ont plus accès à la terre et qui sont réduits à vendre leur force de travail aux grands organismes, et qu’on emploie à des tâches élémentaires dont le savoir-faire est sans doute acquis dès l’enfance. Des tisserands masculins spécialisés encadrent cette main d’œuvre presque servile rétribuée en nature, mais pas pour autant à la pièce.

Curiosité, fibre de prestige puis matériau banalisé, la laine n’a jamais supplanté le lin en Mésopotamie. Celui-ci a connu des usages diversifiés mais principalement cérémoniels (rideaux de sanctuaires, vêtements liturgiques, etc.), rappelant que dans les sociétés agricoles, on ne met pas tous ses œufs dans le même panier.

Parmi les enjeux de société actuels éclairés par cette lointaine expérience, on retiendra l’utilisation d’une matière première renouvelable, dont la sélection peut amener des produits de haute qualité à forte plus-value, le maintien et la modernisation de savoir-faire ancestraux, parfois identitaires des régions (tonte, lavage des laines, transformation), la mise en valeur de zones ingrates et la maîtrise complète de la filière de production indispensable aux petites exploitations, la nécessaire concertation entre producteurs et consommateurs dans une économie responsable et respectueuse de l’environnement comme de la condition des travailleurs. L’Orient ancien en fut l’un des premiers laboratoires.

Le caractère du mouton

Deux traits du caractère du mouton sont importants lors du pâturage : d’abord, il est grégaire : quand les moutons sont en en pâturage, ils sont dispersés mais quand un danger se présente, ils sont apeurés et se regroupent de façon serrée.C’est ce comportement qui est utilisé quand il faut déplacer les moutons. Le moyen utilisé dépend du nombre de moutons à regrouper. On peut utiliser le chien, (le berger australien) le cheval, la moto ou le mini hélicoptère.

Berger australien, chien de berger par excellence

 

Ensuite, la hiérarchie dominante naturelle des moutons pousse les moutons à suivre docilement un chef de file vers de nouveaux pâturages. C’est un facteur essentiel qui a fait que le mouton a été une des premières espèces animales domestiquées. Pour déplacer un troupeau, il suffit que le berger place en tête un mouton ou se place lui-même en tête avec un seau de nourriture ou un agneau dans les bras comme le montre la célèbre statue de Picasso « l’homme au mouton » qui a été exposée au Musée de La Piscine lors de sa réouverture après travaux en octobre 2018.

 

L’ Homme au mouton de Picasso © La Voix du Nord

Quand on parle des « moutons de Panurge » l’expression tire son origine d’un épisode du Quart Livre de François Rabelais : « Alors que Pantagruel et ses compagnons, dont Panurge, parcourent la mer afin de consulter l’oracle de la Dive Bouteille, ils abordent un navire de commerce et font connaissance avec les passagers. Une altercation éclate entre le marchand Dindenault et Panurge, le premier s’étant moqué de l’accoutrement ridicule du second. Après le retour au calme, Panurge décide de lui acheter un mouton. La transaction s’éternise car le troupeau appartient à la race de Chrysomallos, le bélier à la toison d’or, ce qui explique son coût élevé. Panurge, après avoir en vain essayé d’abréger les boniments à propos des propriétés merveilleuses de ces bêtes, en acquiert finalement un et le jette à l’eau. Le reste du troupeau va rejoindre son congénère, emportant Dindenault et les autres bergers qui tentent de les retenir en s’accrochant à eux ».

 Du mouton au ruban de laine peignée

Dés 1900, Roubaix a été la capitale mondiale du peignage de laine. En un siècle, la population de Roubaix passera de 8.000 à 123 000 habitants. Aucun atout naturel ne prédestinait l’agglomération à une telle croissance : ni main-d’œuvre disponible, ni matière première en quantité importante, ni rivière pour laver la laine, faire tourner les machines, transporter les marchandises. Seul l’environnement de Roubaix a été un facteur positif dans son développement : l’Angleterre pour l‘accès à de nouvelles technologies, la Belgique pour le recrutement des salariés et l’approvisionnement en charbon. Mais, de l’avis de tous les historiens, ce développement fantastique trouve une bonne part de son explication dans l’esprit d’entreprise de quelques marchands-fabricants et le savoir-faire de milliers d’artisans.

 Mais avant d’arriver à la laine peignée, le chemin est long !

  • La tonte : première étape

Nos ancêtres profitaient de la mue du mouton pour récupérer la laine accrochée par les broussailles ou, quand la mue était terminée, par épilation voire par peignage des toisons avec des fers. Trois méthodes de dépilation sont mondialement utilisées :

– La méthode manuelle

L’usage des fers a toujours cours pour tondre de petits nombres de moutons.

 

Tonte manuelle aux ciseaux

La tondeuse électrique est maintenant généralisée. Chaque année a lieu le championnat mondial des tondeurs de laine. Deux Gallois et un Néo-zélandais ont été sacrés champions du monde de tonte de moutons à l’issue de la compétition qui s’est déroulée en France en juillet 2019 à Dorat en Haute-Vienne.

Concours de tonte à la machine                                 électrique

– Le délainage

C’est le pelage des peaux de mouton après abattage pour la boucherie. C’est en voyant la laine se détacher de peaux de moutons pourries que les industriels mazamétains l’ont mis au point. Ce procédé consiste à favoriser une fermentation de la peau de mouton qui va permettre l’ouverture des pores et ainsi, la libération de la laine. Il se divise en plusieurs phases pour arriver au pelage.

Au début de l’épopée du délainage, le pelage était réalisé manuellement par les « peleurs » à l’aide du couteau de pelage. Ce procédé vient donc après l’étuvage et consiste à séparer définitivement le poil de la peau. Le peleur était debout, arc-bouté sur son outil de travail : le banc de pelage. Une extrémité de ce banc reposait à même le sol et l’autre, était relevée par un croisillon de bois, de façon à ce que le ventre du peleur puisse s’y appuyer dessus. Cela permettait à l’ouvrier peleur de coincer le haut de la peau sous son ventre. Il ne lui restait plus qu’à prendre le couteau de pelage entre ces deux mains et à peler la peau, pour arracher la laine dans un mouvement descendant. C’était un travail extrêmement contraignant. Aujourd’hui, le travail du peleur est entièrement automatisé grâce à des machines très performantes.

– La tonte chimique

C’est le laboratoire des Pelages, Toisons et Fourrures de l’Institut de .Recherche Agronomique de Jouy en Josas qui est à l’origine de cette méthode. Il s’agit d’inoculer une substance dépilatoire au mouton qui provoque l’arrêt temporaire desfollicules pileux de façon à ce que la racine du poil en croissance soit cassée à l’ intérieur, et par conséquent de façon à pouvoir procéder à une épilation facile, rapide et sans douleur. Le mouton de ce fait mue comme son ancêtre du dixième millénaire. L’histoire est un éternel recommencement !

Des études ont montré que la viande des moutons ainsi traités peut être consommée sans danger. La mise au point du procédé a été faite en Australie où elle se pratique beaucoup. Les chercheurs ont dû prendre en compte également le comportement du mouton car celui-ci est un animal facilement stressé. Une fois le mouton épilé, sa peau est aussi lisse que celle d’un bébé. Le mouton déprime et parfois en meurt. C’est pour cette raison que les fermiers pratiquant cette méthode entourent le mouton d’un léger manteau après l’épilation pour lui donner l’impression de n’avoir pas été tondu !

Les moutons tondus ont froid !

 *  Le transport

La tonte se faisant dans les pays producteurs (Australie, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud) il faut la transporter dans les pays utilisateurs. Après la tonte, la laine est compactée dans une presse de façon à obtenir une balle, et les balles sont mises dans un container. Celui-ci est immatriculé. Ce qui permet de connaitre en temps réel sa position en mer. Petite anecdote : cette immatriculation m’a permis de solutionner une réclamation sur 40 tonnes de laine brute polluée par un produit nauséabond. J’ai donc organisé cette enquête en Australie en tant que Directeur-qualité auprès de la compagnie maritime. Et nous avons pu trouver l’origine de cette contamination et déterminer « la partie » responsable qui a pris en charge tous les frais. Les ports recevant les bateaux sont Anvers, Zeebrugge, Dunkerque.

  • Le triage

Jusque 1950, la laine brute était triée manuellement dans le peignage. Après cette date, elle est pré-classée sur les lieux d’élevage, testés par des méthodes normalisées.

  • Le chargement des laveuses

Comme les touffes de laine brute ont été compactées lors de la mise en balle, la laine brute est ouverte par la chargeuse. Les touffes sont ainsi divisées en touffes de quelques grammes qui alimentent la chaine de lavage.

La laveuse comporte 5 bacs, sur une longueur de 40 mètres environ. La progression est assurée par des herses appelées l’homme de fer en souvenir de l’époque où cette opération était assurée par des ouvriers munis de fourches. Après chaque bac, la laine est essorée.

Le premier bac est un bac trempeur qui permet d’éliminer la terre et les sables.

Le deuxième bac contient du carbonate de sodium, produit caustique qui permet d’extraire 80 % des matières grasses contenues dans la laine brute appelées suintine. La suintine est récupéré par centrifugation puis est raffinée pour obtenir la lanoline. La suintine a été aussi utilisée par l’infanterie : « Monsieur le Docteur Berthier, médecin major de l’armée se met à essayer la suintine sur les « godillots » des hommes de troupe de son régiment. Il remplace le cirage classique qui rend le cuir dur et cassant, lui enlève toute souplesse, et lui fait faire des plis qui sont autant d’occasions de blessures pour le pied du soldat. Cet emploi rend beaucoup des services au régiment pendant les manœuvres, il supprime les soldats trainards et les indisponibles qui ne peuvent plus marcher par suite des excoriations qu’ ils ont aux pieds, des soldats vont même jusqu’à graisser leurs pieds au début des marches forcées et suppriment de cette façon les excoriations auxquelles ils sont sujets » !

Le troisième bac contient un détergent synthétique bio-dégradable.

 

Bac de lavage au Peignage Amédée

Les deux derniers sont les bacs rinceurs. La laine est ensuite séchée car elle contient 70% d’eau. A la sortie du séchoir, elle n’en contient plus que environ 20% environ mais elle contient des éclats de paille et de chardons qui seront éliminés pendant l’opération suivante : le cardage.

  • Le cardage

Cette opération a pour but de paralléliser les fibres de laine et d’éliminer une partie des matières végétales. Le cardage consiste à faire passer la laine entre des cylindres garnis de pointes de finesse croissante. La laine forme un voile continusur une largeur de 1,80 m à 2,50 m. Ce voile est alors un ruban de quelques centimètres. Le cardage permet d’éliminer 98% des matières végétales.

Cardage au Peignage Amédée

 

  • Le peignage

Le ruban de laine cardée est calibré sur des machines appelées « GILLS ». La parallélisation des fibres est alors totale. Le ruban ainsi produit peut être peigné. Le ruban passe à travers une série de peignes très fins comptant jusqu’à trente aiguilles par centimètre. Cette opération permet d’éliminer les boutons (c’est-à-dire les nœuds) et les éclats de paille. Au sortir de la peigneuse, la laine se présente sous la forme d’un voile fin et léger. Il faudra reconstituer un ruban régulier par étirage sur un « gills » finisseur.

Le ruban de laine cardée passe entre les peignes. © Plaquette Peignage Amédée

  • Le conditionnement

Le ruban est enroulé en pots ou en bobines de 10 à 15 kilos qui sont regroupés en balles de 450 kg dans une presse hydraulique de 300 tonnes de pression.

Les balles de laine au Peignage Amédée

 

  • Les contrôles de fabrication

A chaque étape de la transformation de la laine, le laboratoire de Contrôle-qualité procède à diverses observations, mesures et analyses. Après le lavage, des échantillons sont prélevés. La teneur en matières grasses résiduelles est mesurée à l’aide de solvant. La composition des bains de lavage fait aussi l’objet de mesures précises. Le produit fini est contrôlé à intervalles réguliers pour détecter les impuretés qui auraient échappé au peignage : les nœuds, les éclats végétaux, les amas de fibres. Pour mesurer la longueur moyenne, un échantillon est testé par un appareil appelé « ALMETER ».

Le diamètre des fibres (entre 18 et 35 microns) est déterminé au microscope mais il est plus rapide de mesurer une moyenne sur un échantillon : une touffe soigneusement pesée est comprimée dans un tube ; un débit d’air constant est injecté à une extrémité et on mesure la diminution de pression à l’autre extrémité. La perte de charge est fonction du diamètre des fibres. Cet appareil de mesure s’appelle un « air flow ». En cas de litige sur les mesures, le laboratoire de la Condition publique peut faire des mesures contradictoires qui, elles, sont officielles.

Dessiné par Albert Bouvy, la Condition Publique voit le jour en 1902 en tant qu’établissement public, propriété de la Chambre de commerce de Roubaix. Au départ, utilisée pour le conditionnement des matières textiles telles que la laine, le coton et la soie, elle sera réhabilitée en manufacture culturelle, 101 ans plus tard.

A l’heure où l’Organisation Mondiale de la Santé rappelle les risques sanitaires liés à une surconsommation de produits carnés, on se souviendra que l’histoire de l’Homme est aussi celle de la transformation de la Nature et que les animaux n’ont pas toujours été élevés pour leur viande. Ainsi la laine des moutons domestiques fut-elle le moteur du développement européen lors de la Révolution industrielle. Un milliard de moutons sur terre produit actuellement 2,1 millions de tonnes de laine par an. Fibre de luxe transmutée en produit infroissable et lavable par les progrès de l’industrie moderne, la laine ne représente pourtant plus aujourd’hui que 2% des fibres textiles utilisées en France.

 Les aménagements nécessaires au développement industriel textile

– Le canal de Roubaix

Imaginé par Vauban, dès 1699 pour relier la Marque à l’Escaut, demandé officiellement en 1813 par le Maire de Roubaix, sa construction débute en 1827 pour l’approvisionnement en charbon, en eau, en matières premières (laine et coton) et l’expédition des produits finis de l’industrie textile en développement.

– Le prélèvement de l’eau de la Lys et la fontaine des 3 Grâces

Roubaix se développe d’une manière considérable au XIXe siècle. Pour faire face aux besoins en eau grandissants de l’industrie, on décide de puiser dans la Lys. Les travaux sont mis en route et aboutissent en 1863. Pour fêter l’événement, on construit une fontaine sur la Grand-Place. Œuvre de Charles Iguel, elle a pour sujet les trois grâces et comporte plusieurs vasques superposées. Un premier déménagement la placerait en 1874 sur le square Notre-Dame, à l’emplacement actuel de l’école des Beaux-arts. Elle y resterait jusqu’à la suppression du square en 1882. On la pose alors au carrefour du boulevard Gambetta et de la rue du Moulin le 20 mars 1883, dans le but d’orner l’entrée de Roubaix. Mais, cette malheureuse fontaine doit de nouveau émigrer en 1924. Il lui faut faire place au monument aux morts. On la démonte pour la réinstaller, quelques centaines de mètres plus loin sur le boulevard, en face de l’hôtel des Postes. Notre fontaine reste là jusqu’en 1955, mais, placée au débouché direct de la rue du Coq Français, elle est une nouvelle fois victime des aménagements pour faciliter la circulation : on la démonte une fois de plus. Au cours de ce démontage, le bassin se fissure et la fontaine est déclassée et disparaît de la voie publique roubaisienne.

 – Les réservoirs des Huchons

Au tournant des 19e et 20e siècles, l’urgence de la distribution en eau répond à un essor industriel rapide et à une évolution démographique croissante. La municipalité décide de construire, boulevard Lacordaire, deux premiers réservoirs. Datés de 1885, ils sont dus à l’ingénieur Auguste Binet. En 1930, l’ingénieur Nourtier construit l’autre paire. Il s’agit des réservoirs situés aux deux extrémités. Ces quatre réservoirs présentent tous une élévation à deux niveaux, servant de support à la cuve ; leur maçonnerie de brique rouge est richement décorée. Cette juxtaposition des deux paires de réservoirs permet d’appréhender l’adaptation et l’approche à presque un demi-siècle d’intervalle, de deux ingénieurs dont le savoir-faire se situe dans l’alliance entre fonctionnalité et esthétique.

 

  • Bernard Leman a été pendant 43 ans le Directeur-Qualité du peignage Amédée, rue de Cartigny à Roubaix

 

SOURCES
*
« La bergerie royale de Rambouillet » par Madame de Sabran
Le travail de la laine en Mésopotamie :  Catherine Breniquet  :  L’état, le pouvoir, les prestations et leurs formes en Mésopotamie ancienne (actes du colloque assyriologue franco-thèque Paris 7-8 novembre 2002)
La fontaine des 3 grâces Roubaix  : ateliers mémoires de Roubaix.
L’épopée textile de Roubaix-Tourcoing (édition de la Voix du Nord)  Les patrimoines
La récolte de la laine par  dépilation : Jean Rougeot et R .G .Thebaut Laboratoire des Pelages, Toisons et Fourrures Institut national . de la recherche agronomique
Les réservoirs du Huchon  : Monumentum

Du Café à la Presse (du Parc)

A la fin du XIXe siècle, Le « Beau Jardin » prend forme… les Roubaisiens commencent à aller s’y promener en remontant doucement le boulevard de Paris. Le kiosque à musique, construit en 1881 (détruit aujourd’hui), remporte un tel succès qu’en 1883, on peut lire un rapport à l’administration municipale réclamant « l’acquisition de mille chaises ».* Mais la promenade donne soif !

Le Café du Parc CP Méd Rx

Il semble que l’idée d’installer un café à proximité du Parc ait germé dans la tête du Roubaisien Edouard Catteau qui, dès 1896, demande à la Ville de lui louer une parcelle de terrain lui appartenant, située « à l’entrée, côté droit du parc de Barbieux ». Il s’engage à y établir un « café-restaurant qui sera construit à ses frais suivant toutes les règles de l’art ». La Ville accepte avec quelques conditions : une durée de bail de dix années et, à l’expiration de la concession, l’immeuble deviendra gratuitement la propriété de la Ville qui en disposera comme elle voudra. De la construction de ce café, on ne trouve aucune trace… Mais en 1906, non seulement le bail a expiré, mais en plus, Edouard Catteau a cessé d’occuper cette maison depuis fin 1905… « La Ville a donc pu prendre possession plus tôt de la construction établie sur ce terrain et en faire le logement du jardinier-chef » peut-on lire dans les délibérations municipales de 1907. (En 1894, le Conseil municipal avait déjà décidé de construire un logement pour le chef-jardinier, « faisant front au Boulevard de Douai ». Les travaux furent adjugés en 1895 et terminés la même année mais est-ce à ce même emplacement ? ).

Hôtel particulier de Charles Georges Masurel CP Méd Rx

Parallèlement, on découvre qu’en 1897, un certain Jules Lerouge-Losfeld demande à la mairie l’autorisation de faire construire un café par l’architecte Louis Barbotin, sans doute sur les deux autres parcelles voisines. Il semble bien que ce soit, là, la véritable naissance du Café du Parc. A l’époque, Louis Barbotin a déjà construit l’Hospice Barbieux et construira la caserne des Pompiers avenue Gambetta en 1907. Dès 1900, on trouve donc trace de ce nouveau café au 116 bd de Paris dans les Ravet-Anceau. Il est face à l’hôtel particulier de Charles-Georges Masurel-Leclercq, construit par Dupire-Rozan dans les années 1890. Et les deux constructions qui encadrent le carrefour des boulevards de Paris et Cambrai sont réalisées dans un style cohérent. Puis en 1903, ce même Lerouge-Losfeld (que l’on trouve alors domicilié au 116 bd de Paris, c’est-à-dire au café même), demande le permis de construire un « chalet » au 118 bd de Paris.

La famille Vanhove à la terrasse du Café du Parc en 1947. Collection particulière.

Cependant en 1937, une demande de travaux sur le Café du Parc signale qu’ Amédée Haustrate en est le propriétaire… Il est, depuis 1920, le propriétaire du garage juste à côté, 70 bd de Cambrai… Bref, les propriétaires de ce café se sont donc succédé ! Ce nouveau café se prolonge vers l’avenue Jean Jaurès d’une véranda et d’une « terrasse » ombragée qui accueille les clients quand le temps le permet. Et le chalet sert de salle de concert où se produisent de nombreux artistes de tout style et parfois de grande célébrité, voire des vedettes parisiennes : chanteurs, musiciens, acrobates, humoristes… Maurice Chevalier y serait même venu ! Les spectacles se déroulent principalement les samedis, dimanches et lundis. C’est donc un café « chic » et de bonne renommée qui jouit d’une belle clientèle. Il ne semble pas faire d’ombre aux autres estaminets du Parc ni même au café « La Laiterie » qui sera construit en 1908.

Plusieurs cafetiers s’y succèdent : P. Verrièle, A. Sieuw, M. Castelain. En 1934, il est désormais référencé comme « Café du Parc », tenu par A. Jonckheere. En 1945, on le nomme aussi bien « Café du Parc » que « Café Duthilleul » du nom de son nouveau propriétaire. Ce Gaston Duthilleul a affirmé avoir employé plus d’une vingtaine de garçons dans son établissement ! C’est dire son succès… La Seconde Guerre mondiale mettra fin aux activités de cafés-concerts.

La fin d’un café… la naissance d’une Presse

Hélas, en 1957, le Conseil municipal envisage la création d’un café-restaurant dans le Parc (ce sera le futur Bol d’air) et décide la destruction du Café du Parc et la vente du terrain, en 1959, à La Compagnie française de Raffinage et à la SCI lilloise « Résidence Barbieux »… Le café sera démoli en février 1964…

Le café du Parc est démoli Photo NE

Les deux associés font appel à l’architecte de Lambersart Gustave Dumoulin qui n’obtient le permis de construire qu’en 1962 après un premier refus par la mairie de Roubaix en 1959. La société pétrolière, avec l’accord du Ministère des carburants, envisage donc d’installer une station-service : c’est l’emplacement idéal à cette sortie de Roubaix, vers la route de Lille.

Maquette de la station service. Doc AmRx

Mais il manque un peu de place : il faudrait adjoindre à l’ancien terrain du café les 205 mètres carrés mitoyens qui appartiennent à la Ville de Roubaix et font partie du Parc Barbieux même s’ils sont séparés par l’avenue (est-ce l’emplacement de la maison du jardinier-chef ?) ! Oui mais… se dresse là, depuis 1925, la statue du Commandant Bossut ! Qu’à cela ne tienne ! Avec l’accord de la famille Bossut, une entreprise parisienne la déménage en 1963 dans le Parc proprement dit, où elle est toujours. La station-service s’intègre dans un nouvel immeuble de 6 étages, qui, avec 24 appartements et 2 studios, est censé lutter contre la crise du logement à Roubaix. La station prend le nom de « station Relais du commandant Bossut ». A la base un autre commerce : et voilà la naissance de la Presse du Parc ! Elle sera inaugurée en août 1966 par sa propriétaire Mme Cattoire. Les logements ne seront, eux, terminés qu’en juin 1967.

Le début d’une longue histoire. ©NE

Son architecture, une fois encore, s’harmonise avec l’immeuble de standing en arrondi, bâti en 1951 par l’architecte-urbaniste roubaisien Porte, sur l’emplacement de la propriété Masurel-Leclercq sur le coin opposé.

Un carrefour bien dégagé qui reste parfaitement harmonieux… dans un autre style ! © EG

De la Presse du Parc à la Maison de la Presse

Après Mme Cattoire, c’est Madame Deveyer qui achète cette « Presse du Parc » et développe une clientèle assez bourgeoise, proposant en particulier beaucoup d’articles-cadeaux : très beaux stylos, maroquinerie, etc. La vente se fait derrière de grands comptoirs en bois à tiroirs : papeterie, tabac, librairie… bien séparés.

Et c’est là que les Groux entrent en scène : en 1995, Gérard Groux, responsable d’un dépôt de presse employant 60 porteurs de journaux à Carvin dans le Pas de Calais, envisage de s’offrir son propre point de vente. Il entend parler de la « Presse du Parc » qui est en vente mais… venir à Roubaix ? Il fait quand même « l’effort » et… s’y installe ! Tout est à faire pour se sentir chez soi dans cette presse dont il reprend les 3 vendeuses. Il a donc l’idée d’adopter le concept de franchise de la Maison de la Presse. Ce concept, nouveau à l’époque, qui n’accorde son enseigne qu’à une seule librairie par ville, propose une solution « clés en mains » très d’avant-garde. Tout est prévu : enseigne, linéaires, disposition du magasin, publicité, jusqu’au carrelage bleu qui couvre encore de nos jours le sol de la Presse du Parc. C’est la Maison de la Presse qui prend tous les travaux en charge. Et pendant 3 semaines, Gérard et Annie Groux installent le point de vente dans des bungalows sur le parking, avec l’accord des occupants de l’immeuble, bien sûr ! La nouvelle enseigne propose aux clients le libre-service alors que dans la boutique précédente, ils étaient servis. Le nom La Presse du Parc est cependant conservé car il a fait la réputation du magasin. En 2007, Gérard Groux prend sa retraite et c’est son fils, François, qui prend la relève avec sa sœur Stéphanie pendant quelques années.

Quand, en 2010, arrive Virginie… Responsable d’un magasin de mode de luxe à Rambouillet, elle a l’expérience de la présentation des produits dans une boutique, le merchandising comme on dit maintenant, et la fibre du contact avec la clientèle. François reconnaît très gentiment « que c’est grâce à elle que la Presse se développe tant ». 

Mais c’est un travail sans relâche : toute l’année, presque tous les jours, de 7h 30 à 19h, sans compter que, bien souvent après la fermeture, Virginie ou François assure encore des services aux alentours comme de livrer journaux ou tabac à domicile. Leur maître-mot est en effet « proximité avec la clientèle ». Et ce ne sont pas les idées et les initiatives qui leur manquent comme par exemple celle de réserver près de 2 500 Charlie Hebdo pour leur clientèle, lors de l’attentat de janvier 2015…

Point de rencontre des élèves de la Cité scolaire Baudelaire ou de nombreux autres établissements scolaires de Roubaix, et de clients roubaisiens fidèles, encore roubaisiens ou habitant désormais Bondues, Hem ou même Leers, la Presse du Parc est une figure emblématique de Roubaix… François et Virginie sont loin de se reposer sur leurs lauriers ! Bon courage à eux et merci pour leur accueil toujours chaleureux !

Virginie, François et Gérard Groux, la bonne équipe de la Presse du Parc. © EG

Evelyne Gronier-Renaut

 

* In « Ce joli parc doit vous rappeler de belles choses » Isabelle Baudelet

Merci à Philippe Waret et à Jean-Pierre Maerten des Ateliers mémoire pour leur aide, leurs documents, leurs informations. Merci aussi à toute l’équipe des Archives municipales qui m’a aidée dans mes recherches.

Marie-Rose et Jean Ducatez

Jean Ducatez est natif de l’Artois, son père est mineur, lui-même devient douanier. Nommé à Tourcoing, il rencontre son épouse en 1955. Elle est employée au bureau du piqurage des Ets Mathon et Dubrulle depuis 1948, à 14 ans. Sa mère était ouvrière dans cet atelier, sa grand-mère y avait été tisserande et son grand-père travaillait aux apprêts. «  Je ne pouvais que suivre la lignée «  dit-elle. Devenue dactylo puis mécanographe, elle arrive bientôt dans les  » grands bureaux « , elle est secrétaire et côtoie Messieurs Dubrulle, Rasson et la fille d’Eugène Mathon, Madame Eugène Rasson.

De son coté, Jean Ducatez est en poste à la frontière belge, à la Martinoire, La Marlière, au Mont à Leux. Il doit s’initier au textile. Il convient de distinguer les matières synthétiques, la laine lavée, carbonisée… Il est aidé par son épouse et vient de nombreuses fois à l’usine Mathon. Ils y sont attachés.

Au début des années 60, la firme Mathon et Dubrulle va être, sous le nom d’Utinor, au cœur d’un regroupement comprenant les Ets Paul et Charles Toulemonde et la SA Tissus et Nouveautés et la Société Anonyme de Roncq dont la maison mère est Motte et Cie ( Joseph, Alphonse et Antoine Motte). Cette concentration ne donne pas de résultat devant la crise montante, plus favorable aux structures réactives et flexibles. La décision d’arrêter l’activité est donc prise entre les associés. La meilleure part du personnel est reprise par les établissements Ternynck Frères et la décision est prise de livrer l’usine à la démolition.

Le destin va s’accélérer

Nous sommes en 1972 et Marie-Rose Ducatez fait partie du groupe des 6 personnes restantes. Il faut emporter tout ce qui reste. « Nous sommes arrivés à la salle des coffres, il y avait des papiers personnels, des souvenirs de la guerre 14-18, des effets personnels d’Auger Dubrulle, une trentaine de plaques de verre photographiques de l’entreprise utilisées pour une plaquette des années 30, quelques courriers d’Eugène Mathon … «  Qu’en faire ?

Le fils de Maurice Dubrulle, appelé, leur dit de débarrasser tous ces objets mis de coté par son père et le fondé de pouvoir de l’entreprise, connaissant la passion de Jean Ducatez pour cette période, l’autorise à tout ramener chez lui… A partir de ce moment les époux ne cesseront pas d’enrichir ce fonds constitué d’objets relatifs à la guerre 14, faite par Auger Dubrulle et le Capitaine de Gaulle, ainsi qu’à la firme Mathon et Dubrulle.

Marie-Rose Ducatez poursuit sa carrière aux Ets Ternynck Frères. Elle connaît beaucoup de choses et s’occupe du courrier, telex, facturation, comptabilité avec la confiance de tous. Elle quitte l’entreprise en 1989. Pour elle, ces 41 ans de travail l’ont été dans une seule firme. Avec son mari, ils vont partir s’installer dans le midi à Six Fours.

Que faire des archives ? Pour la trentaine de plaques de verre photographiques de l’entreprise Mathon et Dubrulle des années 30, Jean Ducatez va les proposer au musée de Tourcoing et sa conservatrice, Madame Coppin, va les reproduire, en vue de faire une future exposition. Lors de leur déménagement, ne pouvant stocker de tels objets, Jean Ducatez les donne à un brocanteur de Tourcoing, José Escarti, ou elles disparaissent.

Les recherches vont se poursuivre

Les autres archives  » papiers  » vont accompagner les époux Ducatez dans le Midi ou leurs recherches vont se poursuivre : étude de la période de la guerre 14 ou le Lieutenant Dubrulle et le Capitaine de Gaulle, sont compagnons de tranchées, particulièrement cette journée du 2 mars 1916 ou ils tomberont cote à cote ; Auger Dubrulle tué et Charles de Gaulle blessé d’un coup de baïonnette, prisonnier durant de longues années. S’y ajoutent d’autres sujets d’intérêt comme l’histoire des autres enfants Dubrulle tués à la guerre dont Jean (le stade Jean Dubrulle), le Patois, … Les Ducatez opèrent le classement des papiers d’entreprise et entretiennent un réseau d’information avec tous leurs anciens amis et collègues.

Actuellement, nos amis veulent que leurs travaux soient utiles à qui de droit : c’est le sens de leur dépôt au Commandant du porte avions Charles de Gaulle et celui qu’ils m’ont fait au titre de l’entreprise ou Marie-Rose a fait toute sa carrière.

Auger Dubrulle dont le Général de Gaulle parle dans ses écrits…

Je sens aussi qu’ils aimeraient qu’un travail d’historien soit réalisé sur la personnalité d’Auger Dubrulle, décédé à Douaumont à 23 ans aux cotés du Général de Gaulle, qui en parle dans ses écrits. Toute sa correspondance est conservée, un gros travail a été fait dans les archives du 33e RI et les récits des combattants de l’époque, elles pourrait permettre de remettre à la lumière une époque dramatique de notre histoire. Si un jeune étudiant en histoire veut s’y livrer, il aura de la matière et de la satisfaction.

Archives des Ets Mathon et Dubrulle.

Ce texte a été mis en forme par Stéphane Mathon à partir des courriers et discussions avec Marie-Rose et Jean Ducatez ainsi que des documents qu’ils ont communiqués.

Ce n’est qu’un modeste hommage à leur qualité de femme et d’homme de mémoire, à tous deux : merci !

 

Bières et brasseurs

Selon les écrivains romains, c’était la boisson favorite des barbares qui envahirent l’Empire au début de notre ère. Les archives du Moyen-âge foisonnent de lois, coutumes, chartes et autres documents officiels qui relatent les règlements administratifs concernant la fabrication et la commercialisation de la bière. La corporation des brasseurs jouissait dans toutes les cités flamandes d’une réputation considérable.

Bien qu’elle ait eu à lutter contre l’influence du vin dont nos aïeux faisaient une consommation importante même dans nos régions, la bière tenait tête ardemment à la concurrence ; elle coulait à flots dans toutes les cérémonies, à toutes les occasions. Le roi Gambrinus, personnage mythique apparaît dans une foule de légendes sous les traits d’un géant trônant entre les fûts de bière aux formes rebondies. Le houblon était d’une culture courante et nombreux sont les villages dont les archives rappellent cette culture sous forme d’un lieu-dit « La Houblonnière » appellation donnée à une terre affectée à cette plante.

LES BRASSERIES DE ROUBAIX

Il y avait à Roubaix, depuis les temps les plus reculés, la cense de la Brasserie, propriété du seigneur de Roubaix, située à côté du château, approximativement à l’entrée de la rue de Lannoy.

Mais au XVIe siècle, ce n’était pas la seule brasserie à Roubaix, nous en avons relevé quatre, dont celle que nous venons de citer, deux autres installées aussi dans des censes, à la cense de La Haye et à la cense de la Potennerie, et la quatrième que nous croyons implantée près du centre du bourg, tenue par Arthus ROUSSEL, lui-même marié avec une fille de la cense de la Brasserie.

Au XVIIe siècle, les brasseries roubaisiennes étaient au nombre de 9, leurs propriétaires étaient : Jacques CASTEL, Hugues de Le BECQUE, Pierre de Le RUE, la veuve Jean-François LECOMTE, Estienne Le CLERCQ, André CASTEL, Georges DUFOREST, Pierre BAYART et Jacques DUJARDIN.

Au XVIIIe siècle, ils sont 13, que nous énumérons : La veuve Jean-Baptiste LEPLAT, François LEPLAT, la veuve Antoine LEPLAT, Charles WACRENIER, Joseph LECOMTE, Michel SELOSSE, François GRIMONPREZ, François GOUBE, Georges du TOIT, Louis MATON, François GHESTEM, Charles de LOS et LEHEMBRE Fils.

Au XIXe siècle, le développement de la ville qui se traduit par une augmentation considérable de la population entraîne l’ouverture de très nombreux estaminets (plus de 2.000 sont recensés en 1895). Ceci amène un accroissement des brasseries dont le nombre passe à une vingtaine d’établissements qui pour faire face à la demande atteignent une capacité de production importante. Nous donnons ci-après la liste des brasseries existant en 1895 ainsi que leur adresse et leur capacité de production telle qu’elle ressort du registre des patentes de la même année :

BOSSUT Frères, rue Hoche, 73 hl

BRASSERIE DE JEAN GHISLAIN, 101/103, rue de l’Ommelet, 138 hl

BRASSERIE ROUBAISIENNE, 6, boulevard d’Halluin, 383 hl

BRASSERIE DE L’UNION, quai d’Anvers, 277 hl

BROWAEYS-TIERS, 81/85, rue de Rome, 97 hl

DAZIN Frères, boulevard de Beaurepaire et quai de Wattrelos, 309 hl

DELCOURT-LORTHIOIS, 12, rue de Lannoy, 395 hl

DUJARDIN ET DELMASURE, 37, rue de l’Ouest, 225 hl

DUTHOIT-DROULERS, 19, rue de Blanchemaille et 3, rue de l’Avocat

FROIDURE & LEFEBVRE, 211, rue de Lannoy 271 hl

Auguste LEFRANCOIS & Cie, 83, rue d’Inkerman et 45 bis, rue des Arts, 233 hl

LORIDAN-LEFEBVRE, 58, rue du Tilleul, 43 hl

Edmond MULLE-WATTEAU, 168, rue de Lille, 202 hl

POLLET-JONVILLE, 52/54, rue de l’Espérance, 210 hl

QUINT-DEVALLEE, 53, chaussée du Moulin, 285 hl

H. SALEMBIER, 1, rue d’oran, 123 hl

E. SCHOONACKERS, 19, rue de Croix, 28 hl

SOCIETE UNION DE ROUBAIX-TOURCOING, 27, rue Meyerber, 223 hl

TOUTLEMONDE L., rue Darbo, 72 hl

Il s’agit ici de la capacité des chaudières de chaque entreprise et non de sa production. Ces deux éléments sont cependant bien évidemment en rapport entre eux.

L’évolution de la vente devait amener certains de ces établissements à se transformer en société coopérative, ceci dès 1875/1880. On peut ainsi lire dans le Journal de Roubaix du 20 juin 1880 la relation d’un banquet offert aux actionnaires et au personnel d’une brasserie coopérative créée à Roubaix en novembre 1879. La particularité de cette fête est que les organisateurs avaient tenu à dresser un menu entièrement réalisé à la bière que nous ne résistons pas au plaisir de vous présenter :

Birambo Saint Arnould

Sardines et radis à la drêche

Tête de veau houblonnière

Rosbeef aux pommes, sauce Gambrinus

Haricots verts à la Lawette

Rôti de veau malté aux petits pois

Fromage à la mousse

Gâteaux à la glucose

Desserts variés au levain

Café et liqueurs

 

Le XXe siècle devait être marqué par une concentration de cette industrie à tel point que Roubaix ne compte plus à présent qu’un seul établissement.

Edmond DERREUMAUX

Président de la Société d’Émulation de Roubaix de 1993 à 1996

Bulletin de la Société d’Émulation de Roubaix n° 1 – Mars 1993

Service de nuit au 19e siècle

En 1881, le Conseil Municipal de Roubaix décida d’étudier la mise en place d’un service médical de nuit destiné à faire face aux besoins de la population dans le domaine des soins d’urgence aux malades et aux accouchements. Cette décision était motivée par l’insécurité qui régnait dans la ville dès la nuit tombée, comme dans toutes les grandes cités à la même époque, et dont on peut trouver le témoignage par la lecture de la presse locale de la fin du 19e siècle.

Pour mettre au point ce service, il fut d’abord décidé de consulter les autres villes françaises ayant mis au point une organisation de ce genre et le dossier conservé aux Archives municipales de Roubaix contient les réponses détaillées des villes de Rouen, Le Havre et Lyon ainsi qu’une lettre de la municipalité d’Amiens qui précise qu’aucun service analogue n’existe dans sa ville. Après ces consultations, la Ville de Roubaix décida la création d’un service médical de nuit qui fut institué par l’arrêté municipal du 2 juillet 1881.

Ce service répondait aux quatre préoccupations suivantes :

1 – Etablir une liste de médecins et de sages-femmes s’engageant à effectuer le service de nuit ;
2 – Assurer la sécurité des praticiens qui se rendent au chevet des patients ;
3 – Fixer les honoraires des soins donnés ;
4 – Garantir le paiement des honoraires au besoin en se substituant sur ce point au malade, quitte à procéder par tous moyens légaux au recouvrement des sommes dues.

Il en résulta un arrêté municipal adopté le 16 septembre 1881.
Ce service devait dans l’ensemble donner satisfaction aux usagers, patients, médecins et sages-femmes ; les problèmes venant surtout des taux des honoraires qui furent rapidement contestés par les médecins qui les trouvaient insuffisants.

Au fur et à mesure que les années passent, on voit ainsi les rétributions des intervenants évoluer selon le tableau succinct que nous avons établi : les tarifs de 1898 étaient encore en vigueur à la veille de la guerre de 1914. A titre de comparaison, nous dirons qu’à la fin du 19e siècle, un kilo de pain de ménage coûtait de 35 à 40 centimes et que le salaire d’une journée de travail (10 à 12 heures) d’un tisserand était payé de 3 francs 50 à 4 francs 25 (il s’agit du salaire courant, celui-ci pouvant varier selon la qualification).

Après la guerre 14-18, le prix d’une visite de nuit par un médecin était fixé à 24 francs. Nous n’avons pas d’indication sur le taux de vacation des sages-femmes à cette période, il semble d’ailleurs que les accouchements d’urgence étaient alors plus fréquemment orientés vers la maternité de l’hôpital. Les difficultés les plus importantes rencontrées par la Municipalité de Roubaix dans le fonctionnement du service médical de nuit survinrent à propos des honoraires que le patient ne payait pas au moment des soins et dont l’administration faisait l’avance en vertu du règlement du service. La récupération de ces sommes donnait lieu à de nombreux litiges et contestations et son budget gonflait démesurément.

Au départ, le Conseil Municipal avait voté en 1881 un crédit de 600 francs (pour un trimestre puisqu’il fonctionnait à partir du 26 septembre). En 1887, le crédit qui avait été porté à 5 000 francs s’était révélé insuffisant et il avait fallu voter le 21 février 1888, une rallonge de 1 365 francs. Devant l’inquiétude des conseillers municipaux, une enquête fut ordonnée dont les conclusions furent les suivantes :

1 – Multiplication des sommes irrécupérables, soit que les débiteurs sont considérés comme insolvables ou indigents, soit qu’ils n’aient pu être retrouvés, étant « partis sans laisser d’adresse »;

2 – Irrégularités à propos des accouchements des femmes assistées par le Bureau de Bienfaisance à propos desquels deux cartes de remboursement étaient parfois établies, l’une avant l’accouchement par le Bureau de Bienfaisance, l’autre par le service médical de nuit si l’on faisait appel à lui pour intervenir auprès de la parturiente. Il en résultait que certains accouchements dont le prix aurait dû être à la charge du Bureau de Bienfaisance, avaient été imputés sur le budget du service médical de nuit.

Pour remédier à ces anomalies, le Conseil municipal lors de sa réunion du 12 juillet 1889, adopta un arrêté précisant que l’accouchement étant chose prévue, nul ne pourra requérir l’office d’une sage-femme s’il n’est muni d’une carte préalablement délivrée par le Maire ou par le Bureau de Bienfaisance, à moins qu’il ne solde d’abord le prix de la vacation.

En 1913, le fonctionnement du service médical devait coûter 6 679 francs.

Parallèlement à ce service médical de nuit, la municipalité avait créé par arrêté du 15 décembre 1882, un service pharmaceutique de nuit qui fonctionnait de la manière suivante : des boîtes de secours étaient déposées dans les différents postes de police et placées sous la surveillance des chefs de postes. Les médicaments et objets contenus dans ces boîtes étaient fournis par l’administration des hospices, ils devaient servir à donner les premiers soins aux blessés et aux personnes qui tombaient malades sur la voie publique.

Après la guerre de 1914-1918, et à plus forte raison après celle de 1940-1945, le développement du téléphone puis de l’automobile modifièrent totalement les besoins des particuliers en matière de soins d’urgence bien qu’on retrouve certaines analogies de nos jours dans les services assurés la nuit par les pharmaciens avec l’intervention de la police et les services d’urgence actuels.

Une autre préoccupation du Conseil Municipal de Roubaix  se porta en 1884 sur le problème du transport des blessés et des malades, particulièrement des contagieux.

Le nouveau Conseil Municipal élu en 1884 comprenait en son sein deux médecins : les docteurs Isidore Carette et Henri Derville.

Lors de la séance du 4 juin 1884 ce dernier exposa les problèmes posés par le transport des malades de leur domicile à l’hôpital. Selon ses indications, les familles faisaient appel à des fiacres qui, outre qu’ils n’étaient absolument pas équipés pour ce service, ne subissaient  aucune désinfection et pouvaient tout aussi bien prendre un autre client immédiatement après avoir déposé à l’Hôtel-Dieu un malade contagieux. Selon le Docteur Derville, les draps et housses des fiacres étaient de véritables dépôts de microbes.

Il soulevait également la question du transport des accidentés sur la voie publique pour lesquels aucune organisation  n’était prévue. Il décrit ainsi ce qui se produit : « Il faut d’abord trouver un médecin, puis aller chercher une civière, parfois à une demi-heure de distance et seulement alors transporter le malade qui ne reçoit des secours qu’après plusieurs heures de souffrance. Pensez aussi que cette civière, portée par des gens qui n’en ont pas l’habitude, reçoit un mouvement de cahot propre à tuer le malade avant son arrivée. »

Le Docteur Derville proposa la création à Roubaix comme il existait déjà à Bruxelles, à Paris et dans quelques grandes villes européennes, d’un service d’ambulance qui serait stationné en permanence à l’Hôtel de Ville, prêt au départ avec des chevaux affectés à son usage et auquel on ferait appel en cas de besoin par l’intermédiaire du poste de police le plus proche de l’habitation du malade ou de l’endroit de l’accident.

Les postes de police étant reliés par téléphone à l’Hôtel de Ville, on devrait ainsi  disposer d’une organisation efficace. Cette communication fut jugée du plus haut intérêt par le Conseil qui chargea la commission adéquate de l’étudier, ce qui fut fait sans tarder car le dossier conservé aux Archives communales contient les échanges de correspondance en 1884 et 1885 avec l’Assistance Publique de Paris et le service d’Hygiène de l’administration communale de Bruxelles et des renseignements intéressants sur ce qui se pratique dans ces capitales. On y apprend que le 14 octobre 1882, la Préfecture de Police de Paris avait créé un service de transport des malades et que plusieurs voitures spéciales y avaient été affectées et remisées dans les dépendances de l’Hôtel Dieu à cet effet.

Par la suite, le 2 juin 1888, fut créé, à Paris, une organisation privée appelée « Œuvres des ambulances urbaines » dont le but était de porter secours, dans le plus bref délai possible, à toutes les victimes d’accident, de maladies subites, de tentatives de meurtre ou de suicide, survenant sur la voie publique, dans les lieux publics, dans les ateliers, théâtres, chantiers, manufactures, usines et arsenaux.

Cette organisation due à l’initiative du Docteur Nachtel, bénéficiait du patronage de nombreuses personnalités de l’époque dont Louis Pasteur, Armand Fallières, Waldeck-Rousseau, etc. Elle était installée à l’Hôpital Saint Louis de Paris et ambitionnait l’ouverture de nouveaux postes qui devaient lui permettre de couvrir tout le territoire de la capitale.
En ce qui concerne Bruxelles, l’administration belge déclarait qu’elle utilisait essentiellement des hamacs montés sur deux roues dont étaient dotés tous les bureaux et postes de police et dont la maniabilité et la légèreté se prêtaient parfaitement à tous les transports de blessés et de malades.

Parallèlement à ces contacts avec les administrations, la municipalité roubaisienne entrait en correspondance avec les fournisseurs éventuels de voitures et de brancards susceptibles de répondre à ses besoins. C’est ainsi qu’on trouve dans le dossier des Archives municipales de Roubaix la proposition du 4 novembre 1884 de l’entreprise Kellner, sise 109, avenue Malakoff à Paris, pour une voiture automobile adaptée spécialement au transport des malades et des blessés et aussi l’offre du 15 mars 1885 de la Manufacture spéciale pour la fabrication de voitures et engins de secours, sise, 18, avenue de la Reine à Bruxelles qui présente un appareil léger pour transporter les blessés et les malades sans avoir besoin de les déranger pour passer là où un véhicule roulant ne peut avoir accès. Nous le reproduisons ci-après.

Les informations et documentations rassemblées devaient permettre à la Municipalité roubaisienne dès sa séance du 12 décembre 1884 de décider la création d’un service permanent municipal pour le transport des blessés et des malades à l’hôpital et de voter un crédit de 2 500 francs à cet effet en vue de l’achat d’une voiture adaptée à cet usage. Ce service devait être confié aux sapeurs-pompiers de la ville et pour permettre à ces derniers de faire face à ces besoins nouveaux, on décida de leur affecter un cheval supplémentaire complétant les deux quadrupèdes dont ils disposaient déjà pour le service des incendies.

Comme on le voit, nos braves pompiers jouaient déjà, il y a plus d’un siècle, le rôle de sauvegarde de la population auquel ils font toujours face avec le dévouement qu’on leur connait.

Par Edmond DERREUMAUX,
Président de la Société d’Émulation de Roubaix

Référence :
Archives Municipales de Roubaix – 3q III n° 2 et compte-rendu du Conseil Municipal

La fin de la Société Motte-Bossut

L’affaire a été créée en 1843. Son chiffre d’affaires est de l’ordre de 200 millions de francs HT avec un effectif de 650 personnes. La perte de l’exercice est de 30 millions. Pourtant, ces dernières années, les bénéfices (hors impôt amortissement et provisions) ont été conséquents : 10 millions de francs /an (entre 1974 et 1978 soit près de 6% du CA. La raison invoquée pour le dépôt de bilan est l’invasion des velours américains.

La gestion de l’affaire est normale, sans excès. La Direction générale est rémunérée avec parcimonie ; les deux plus hauts salaires n’atteignent que 57.000 €, derrière eux, deux cadres sont payés 50.000 €. Une quinzaine de cadres reçoivent 30.000 €. Coté social, les salaires versés se montent à près de 40 millions et les cotisations sociales à 20 millions. L’affaire est socialement utile.

Une affaire ancienne mais vulnérable

 La faille est ailleurs, les fonds propres ne sont que de 30 millions et l’affaire est obligée d’emprunter à court terme en permanence une centaine de millions pour financer les stocks et la trésorerie des comptes clients !

Les banques sont nombreuses à se presser autour de cette affaire au renom solide, vieille de 140 ans dont le crédit est reconnu. Elles sont toutes là pour conclure des prêts à court terme: le Crédit Lyonnais, la Société Générale, la Barclays, la Banque Scalbert, Via Banque, la BNP, la BFCE, le Crédit du Nord et d’autres encore. Leurs taux d’intérêt sont élevés (de 12 à 14%). Résultat : le montant des frais financiers, les agios donnés aux banques, assèchent littéralement le résultat d’exploitation. Motte Bossut travaille pour ses banques ! On jugera plus tard de leur empressement à participer au plan de redressement !

Les 60 actionnaires sont encore tous de la famille, celle de la descendance Motte-Bossut. Plus de vingt portent encore le nom. Depuis la crise interne des années 30, l’essentiel est entre les mains de 2 branches ; celle des Edouard Motte (52% des parts), celle des Gaston Motte (16% des parts). Gaston Motte-Burrus (fils) est le plus gros actionnaire individuel avec plus de 14 % des parts, loin devant ses soeurs, Madeleine, notre mère et Monique. Les autres familles apparentées sont les Brabant, Dassonville, Despature, d’Halluin, Flipo, Le Blan, Leurent, Macquet, Mulliez, Scrive, Segard, Thiriez, Vespieren, Wattel, Wattinne. Le nombre des actionnaires « extérieurs » à la famille est symbolique.

Après 138 ans d’existence …  la décision a été prise de déposer notre bilan

La Direction de la Société MOTTE-BOSSUT communique :

 » A l’issue d’une réunion du Conseil d’Administration du 22 Septembre 1981 à laquelle participaient comme habituellement les représentants du personnel, la décision a été prise de déposer notre bilan au Tribunal de Commerce de ROUBAIX. Notre Société, dont l’origine remonte à 1843 et dont les activités de filature et tissage avaient établi la réputation tant sur le plan national qu’à l’exportation, est principalement spécialisée dans la fabrication du velours.

Depuis de longs mois, des importations incontrôlées, atteignant plus de 50 % de la consommation au niveau de nos productions et au stade des articles confectionnés, ont amené une diminution de notre activité, une perte de nos débouchés et une baisse de notre chiffre d’affaires entraînant des coûts de production supérieurs aux prix du marché, eux-mêmes faussés par ces importations et une concurrence désordonnée.Malgré de nombreuses démarches professionnelles auprès des Pouvoirs publics, malgré notre ferme volonté de faire face, malgré diverses mesures de restructuration, malgré des investissements considérables pour rester compétitifs, malgré la qualité des hommes qui nous accompagnent, malgré une gestion rigoureuse, le niveau excessif de nos frais financiers et de nos pertes nous a contraints à prendre cette mesure. 

Nous avons sollicité et obtenu le bénéfice du règlement judiciaire et avons été autorisés à poursuivre notre exploitation. « Nous jetons une fois de plus un cri d’alarme auprès des Pouvoirs publics … qu’une volonté politique, se concrétise dans la pratique par des mesures qui permettraient de sauver une industrie en plein démembrement du fait des importations « .

La situation prend du temps à évoluer

Près de 6 mois plus tard, le 4 février 1982, un nouveau courrier précise la situation:

 » Cher (e) actionnaire,

Depuis notre dépôt de bilan le 23 Septembre dernier, MOTTE-BOSSUT a connu les évènements suivants : mise en oeuvre d’un plan de restructuration strict avec allègement de nos charges dans tous les secteurs ; arrêt définitif du tissage de Comines …

Les effectifs de la Société ont été ainsi ramenés à 550 personnes au 31 Décembre 1981 Nous allons sortir à nouveau pour 1981 un bilan fort mauvais ; … la question essentielle qui se pose à nous est de savoir quelles sont nos chances de pouvoir présenter un concordat et si nous pouvons y arriver sans l’intervention d’un tiers.

C’est ici que s’insère l’action des Pouvoirs publics. Sous l’égide du Député Maire de Roubaix, nous avons été successivement convoqués au Ministère de l’Industrie, puis des Finances, puis à Matignon : il nous a été dit que notre dossier, après mûr examen et visite de nos installations, méritait que « l’on s’y intéresse ».

Le CIASI, organisme ad hoc, a pris les choses en mains ; il dispose de moyens financiers importants ; notre crainte est qu’il ne mette pas ces moyens directement à la disposition de MOTTE-BOSSUT mais bien plutôt à la disposition de tiers qui accepteraient ainsi de prendre le contrôle de la Société…

Le Président Directeur Général

Jacques Motte

P.S. Nous vous remercions de garder à cette communication le  caractère strictement confidentiel qu’elle mérite. »

A partir de février, Dominique Motte, fils de Gaston, commence à monter son dossier de reprise. Sa présentation et la décision des intéressés : actionnaires, créanciers, syndicats, tribunal de commerce, … interviendront fin juillet. Jacques MOTTE, Président-Directeur Général fait le point à l’Assemblée générale ordinaire du lundi 28 juin 1982 et révèle le parcours du combattant subi par la Direction de la société :

 » Madame, Messieurs et Chers Actionnaires,

Il me paraît indispensable de vous dire une nouvelle fois, notre profonde inquiétude. Ayant été assurés, dès le dépôt de bilan, d’une déclaration d’intention très positive à notre égard de la part des Pouvoirs publics, nous nous sommes vite aperçus que les actes ne suivaient pas … au moins comme on les attendait.

Tout d’abord, l’exécution du plan de restructuration élaboré en accord avec notre Syndic s’est heurté à des difficultés de compréhension ; les cent cinquante licenciements que nous avions prévus ont été contestés tant par les Maires de l’Association du Versant Nord-Est de la  Métropole que par les représentants du Ministère de l’Industrie. Malgré cela, nous avons accompli cette étape difficile, compliquée et alourdie par le fait de démissions que nous ne souhaitions pas et qui se situaient pour certaines d’entre elles, au niveau élevé de notre hiérarchie cadres.

D’emblée aussi, les banquiers nous ont pénalisés sur les taux d’escompte, les retenues de garantie et les montants de papiers qu’ils acceptaient de nous prendre (deux d’entre eux ont refusé toute relation avec nous) ; nous avons eu, en liaison avec le Syndic, à mener une bataille permanente pour « survivre » avec les ajustements indispensables correspondant à une nouvelle répartition du pool bancaire et à la hausse de nos chiffres d’affaires.

Les fournisseurs pour la plus grande partie d’entre eux, nous ont également talonnés, exigeant le plus souvent un paiement immédiat avant toute autre livraison, ce malgré qu’ils avaient la garantie de la masse. Les clients ont dû  continuellement être confortés dans leur confiance à notre égard ; nous nous sommes attachés à les livrer ponctuellement et à les assurer que leurs ordres seraient honorés… faute de quoi, nous n’aurions plus de carnet à ce jour.

A côté de cela, le CIASI (Instance au Ministère des Finances chargée de dépanner les entreprises en difficulté et dont le maintien apparaît souhaitable et possible) s’est attaqué à notre dossier avec une lenteur et un manque de conviction très nets ; nous avons alors vu défiler des Fiduciaires, des Conseils, des Experts venus étudier notre risque pour compte de diverses Sociétés intéressées à une reprise …

 L’importance de MOTTE-BOSSUT (500 salariés), l’investissement important à assurer, le contexte textile, la spécialisation velours, l’évolution sociale (vote de la Loi Auroux entre autres), tout cela a dissuadé plusieurs investisseurs possibles.

 Nous nous sommes retrouvés finalement en face d’un Groupe animé par Monsieur Dominique MOTTE, accompagné de quelques « capitalistes » et d’une société d’ingénieurs-conseils intitulée Cabinet BOSSARD ; ceux-ci étaient d’accord pour faire une proposition de reprise. Malheureusement, depuis des semaines, les banques refusent leur concours à ce Groupe, malgré les pressions du CIASI.

 Pendant ce temps, le Tribunal de Commerce de Roubaix par la voie de notre juge-commissaire et de notre Syndic, s’inquiètent de nos perspectives d’avenir … si nos comptes depuis avril sont équilibrés ou à peu de chose près, nous pensons qu’à partir des congés, ils seront  à nouveau nettement moins bons et  probablement même mauvais. Sur quoi, le Tribunal a estimé qu’il ne fallait pas prolonger l’exploitation et qu’il aurait lieu de décider la liquidation de biens dans un très proche avenir.

 Notre personnel, informé de cette menace, a immédiatement constitué une « Intersyndicale » regroupant les représentants des Syndicats C.G.C., C.F.D.T., F.O., C.F.T.C., C.G.T. et a entrepris un certain nombre de démarches auprès des Maires de ROUBAIX, LEERS et HEM, auprès de MATIGNON (Premier Ministre) et du CIASI.

Est-ce sous leur influence ? Toujours est-il que nous avons appris vendredi dernier que six des banquiers re-consultés au sujet du dossier Dominique MOTTE étaient revenus sur leur position précédente et désormais se trouvaient disposés à prendre la quote-part des prêts participatifs qu’on leur demandait de souscrire…

Nous nous trouvons en conclusion en face de deux hypothèses : une seule sauvegarde le personnel et l’exploitation de MOTTE-BOSSUT, elle a de ce fait notre préférence ; toutes deux cependant aboutissent à la conclusion définitive de la perte totale du capital de MOTTE-BOSSUT pour ses actionnaires actuels. Il est évident qu’avec un bilan où les fonds propres sont nuls, il est difficile de défendre une valeur de cession.

 Nous sommes navrés d’arriver à un tel aboutissement ; votre Direction tient cependant à vous assurer qu’elle s’est battue pied à pied durant tous ces mois difficiles ; elle l’a fait et continue à le faire dans des conditions fort particulières… les projets d’avenir construits pour MOTTE-BOSSUT étant en fait élaborés le plus souvent en dehors d’elle. »