Jean-Baptiste Henri Reboux, lithographe

JEAN BAPTISTE HENRI JOSEPH REBOUX

DEUXIEME DU NOM

LITHOGRAPHE A ROUBAIX

L’art de la lithographie, c’est la reproduction par impression d’un dessin, d’un texte écrit ou tracé sur une pierre calcaire de grain très fin. Préparé avec un crayon gras, le dessin est fixé avec une préparation de gomme acidulée. La pierre était mouillée avant chaque tirage ; lors de l’encrage au rouleau, le dessin retenait l’encre grasse par affinité, tandis que les parties non dessinées refusaient l’encre. L’impression se faisait au moyen d’une presse à râteau sur papier humide.

Jean Baptiste Henri Joseph Reboux, premier du nom, s’éteint le 27 juin 1843 à Lille, et Jean (le Baptiste est très vite abandonné, sans doute pour éviter la confusion avec son père) s’associera un temps pour reprendre l’affaire paternelle avec son frère Edouard, lequel fondera en 1848 avec les frères Bernard (Kolb et Henri) le journal La Liberté, qui deviendra La Vérité, puis le Mémorial de Lille.

Mais c’est à Roubaix que Jean Reboux a son avenir. D’abord installé rue St Georges, il reprend ensuite au n°7 rue du vieil abreuvoir, la succession du libraire Burlinchon, qui possédait une belle clientèle commerciale.* Puis en 1846, Jean Reboux obtient le brevet de son beau frère Charles Hennion, démissionnaire. Le voici donc imprimeur lithographe et libraire… Cela fait de lui le second imprimeur de Roubaix, après Madame Veuve Béghin.

 

Jean Reboux, passeur d’hommes

Le coup d’état du 2 décembre 1851 amène le rétablissement de l’Empire, ce qui entraîne l’exil d’un grand nombre des membres des comités républicains, parmi lesquels Victor Hugo. Toutes les stations frontières sont étroitement surveillées par la police qui dispose de nombreux signalements et exige des passeports. On sait à Paris les opinions indépendantes de la famille Reboux et il est fait appel au dévouement du fils des vieux légitimistes lillois.

Il est alors convenu que les citoyens à qui on veut faire gagner la Belgique, viendront de Paris à Douai par le chemin de fer, qu’ils iront jusqu’à Roubaix à pied, et que munis d’une feuille portant un signe convenu, ils se présenteront chez Monsieur Jean Reboux, qui les guidera jusqu’au delà de la frontière. A la fin de décembre 1851, et pendant les premiers mois de 1852, presque chaque soir, des suspects se présenteront munis du signe convenu, et le royaliste quittait sa maison, ses affaires, et risquait sa liberté et son avenir pour sauver de Cayenne ou de Lambessa ces républicains, ces socialistes qui sont reçus et hébergés à Mouscron, chez sa mère, Madame Veuve Reboux Leroy, chez la femme de celui dont les « libéraux » en 1832 ont pillé la maison et exilé le fils, et de là gagnent Bruxelles et l’Angleterre. La police impériale finit par se douter de quelque chose. Jean Reboux est surveillé de près et pendant toute la durée du régime, il est lui aussi un suspect. ***

Jean Reboux, le journaliste

La profession d’imprimeur est très surveillée, à tel point qu’à l’obtention de leur brevet, ils devaient prêter serment. C’est dans ce climat que pendant dix ans, Jean Reboux sollicitera l’autorisation de publier un journal d’expression politique. Après un refus suite à sa demande du 20 juillet 1854, il est autorisé en Mars 1856 à faire paraître une feuille littéraire et d’annonces, Le Journal de Roubaix. C’est donc au n°20 de la rue Neuve **** que vint au monde ce journal, qui n’était à l’époque qu’une feuille modeste imprimée très claire paraissant deux fois la semaine, le mercredi et le samedi. Il avait un tirage de trois cents exemplaires et l’abonnement annuel coûtait 25 francs, y compris le timbre de 0,03 centimes dont chaque journal était taxé par l’Etat.

Le contenu reflète la prudence de son propriétaire : le journal contient une partie officielle, avec les nominations dans la magistrature, ou aux diverses fonctions de l’Etat ; il y a une chronique locale assez sommaire et non typiquement roubaisienne, un feuilleton, la correspondance particulière constituée d’échanges d’informations très administratives. On peut y trouver également des faits divers d’un peu partout, extraits d’autres journaux (Courrier de l’Isère, Messager du Midi, Pilote du Calvados, Moniteur Algérien…), des petites annonces et de la publicité.

Ce n’est qu’en 1861 que Jean Reboux obtient l’autorisation de publier un journal d’expression politique, grâce à d’anciennes amitiés de son frère Charles, dont le Ministre de l’Intérieur, Monsieur de Persigny. Le cautionnement s’élevait à 7500 francs qui seront versés le 29 février 1863. Jean Reboux restera cependant indépendant durant toute la période impériale. Grand ami de Monsieur Delfosse-Motte alors Président de la Chambre de Commerce de Roubaix, il sera avec lui un grand défenseur de la fabrique roubaisienne. Profondément attaché à la foi catholique, il se dévoua lors de l’épidémie de choléra de 1866.  Il prend sa retraite en 1872 et se retire à Mons en Baroeul où il décèdera en juillet 1894.

 

* Gaspard Burlinchon, originaire de Rochetaille (Loire) a obtenu son brevet d’imprimeur lithographe le 25 juillet 1841, et celui de libraire le 12 février 184

** Hippolyte Béghin publie à partir de 1829 la Feuille de Roubaix, affiches, annonces et avis divers. Ce pharmacien avait sollicité un brevet de libraire, qu’il obtiendra par sa femme née Hyacinthe Deffrenne.

*** D’après le journal de Roubaix du 13 juillet 1894.

**** Numérotation de l’époque. Les n°17 et 19 seront évoqués un peu plus tard, sans doute à l’occasion d’un changement de numérotation de la rue…

Jean-Baptiste Reboux-Leroy, journaliste d’opposition

Né à Lille le 1er février 1780, Jean Baptiste Reboux Leroy était marchand sur la place de Lille avant d’entrer dans le monde du journalisme. En 1819, l’adoption des trois lois de Serre sur la presse montre la volonté du régime de Louis XVIII de libéraliser la société. La censure et l’autorisation préalable sont supprimées et cette mesure permet la multiplication des journaux d’opinion. En 1820, Reboux Leroy devient propriétaire du Journal du Département du Nord fondé par l’imprimeur Marlier le 28 décembre 1811. « Son journal servit avec indépendance le gouvernement de la Restauration, mais il fut de ceux qui déplorèrent la politique des ordonnances ». (1)

Les tentatives de libéralisme ont bientôt laissé la place aux ultras et aux absolutistes, en la personne de Charles X qui succède en 1824 à son défunt frère Louis XVIII. Parmi les quatre ordonnances du 25 juillet 1830 qu’évoque la citation, et qui conduiront à l’insurrection des Trois Glorieuses, la première suspendait la liberté de la presse et rétablissait censure et autorisation préalable.

Après 1830, le Journal du Département du Nord devient la Boussole et reste légitimiste, malgré l’arrivée au pouvoir de Louis Philippe. Après avoir vu ses locaux pillés et incendiés lors des émeutes de 1832, le journal subira les poursuites des tribunaux de Louis Philippe, occupés à réprimer le mouvement légitimiste. A cette époque, Charles Reboux, fils de Reboux Leroy, est le rédacteur en chef de la Boussole, et il doit s’exiler en Belgique pour éviter la prison. Il se réfugie à Bruxelles et ne rentrera en France qu’à la fin du règne de Louis Philippe.

Reboux Leroy suspend alors la publication de son journal, et engage Jean Baptiste, son plus jeune fils, à s’adonner à l’art de la lithographie, dont le développement commençait en France. Ce dernier à peine âgé de seize ans, se perfectionnera donc dans l’art lithographique en Belgique, en Hollande, et en Allemagne, et deviendra un graveur et un dessinateur de talent. Il vient s’installer en 1835 à Roubaix où l’un de ses beaux frères, Charles Hennion (2), a ouvert le premier atelier de lithographie de la ville. Lui même, alors clerc de notaire, sollicite un brevet d’imprimeur lithographe le 5 mai 1835.

(1)   d’après le Journal de Roubaix le 13 juillet 1894

(2)   Charles Hennion est l’époux de Mathilde Henriette Marie Reboux, fille de Jean Baptiste Henri Joseph Reboux imprimeur libraire à Lille. Marchand papetier, il a obtenu son brevet d’imprimeur lithographe le 18 août 1836.

Alfred Reboux et le Journal de Roubaix

LE SUCCESSEUR

Alfred Reboux est né à Lille le 13 Mars 1848, et son destin est très vite lié à celui du Journal de Roubaix. L’anecdote veut qu’il ait été associé très jeune au lancement du Journal à sa création, le 18 juin 1856 [1]: le premier journal fut tiré par Alfred Reboux, alors qu’il n’avait que huit ans. Lorsque tout fut prêt, au moment décisif, on amena l’enfant à l’atelier, un ouvrier le prit dans ses bras, et lui fit tirer le levier, après quoi, il retira lui même la feuille imprimée et la remit à son père.

Le Journal de Roubaix a multiplié ses éditions et paraît désormais quotidiennement depuis 1869. Les bureaux et le matériel ont été transportés au n°1 de la rue Nain. Alfred Reboux écrit son premier article dans le Journal de Roubaix à l’âge de 18 ans. Lorsqu’il succède à son père, il a 24 ans et c’est lui qui va progressivement transformer la modeste imprimerie paternelle, en une entreprise industrielle.

Alfred Reboux, patron de presse

Alfred Reboux fonde à Lille le journal La Dépêche (1879) et  le Nouvelliste du Nord Pas de Calais (1882). Il fusionne dans ces journaux l’ancien Mémorial de Lille, et l’ancien Propagateur, dont il s’était rendu propriétaire. Puis ces journaux passeront à une société lilloise en 1886. Il est propriétaire directeur du Journal de Roubaix, mais également du Courrier de Tourcoing et de la Gazette d’Armentières. Sa seconde femme qui lui succédera évoque ses projets et ses réalisations dans une conférence [2]: il avait rêvé de doter notre région d’organes destinés à défendre les idées de liberté et d’égalité qui étaient les siennes.(…) C’est chez lui que s’initient des fondateurs de journaux comme l’abbé Trochu, directeur de l’Ouest Eclair. Il conçoit une vaste Agence de Presse réalisée après lui…

La profession lui rendra hommage en faisant de lui le Président d’Honneur de l’Association professionnelle des journalistes du Nord, lors de la création de cet organisme. Alfred Reboux a donc passé la vitesse supérieure : le publiciste se fait journaliste, voire reporter. Le directeur de journal devient un patron de presse.

Esprit pratique et éclairé, il avait compris l’importance de la grande presse populaire à bon marché, et le premier en France, il fit paraître son journal à six et à huit pages, ne reculant pour lui devant aucun sacrifice [3].

Le formidable développement du Journal de Roubaix s’appuie sur des éléments bien précis : la modernisation de ses équipements, un grand réseau de distribution, une bonne agence de presse, une conception forte des devoirs du journaliste, et une forte imprégnation de la vie publique et politique. A ce dernier point, Alfred Reboux consacra huit ans de sa vie.

Alfred Reboux en politique

La politique l’accapare bientôt : il se présente comme catholique, libéral et démocrate. Il est candidat au Conseil d’Arrondissement en 1880, et il échoue de peu. A l’occasion des élections complémentaires des 16 et 23 Avril 1882, il est élu avec un frère des Ecoles Chrétiennes, et il entre au Conseil Municipal sous la mandature de Léon Allart. La majorité est aux républicains radicaux, et l’heure est aux grandes lois laïques. Ses joutes oratoires avec Emile Moreau resteront célèbres et dépasseront largement cette époque. L’hommage d’Alfred Reboux à son vieil adversaire en 1889 montre assez le caractère du directeur du Journal de Roubaix :

« Si les partis politiques avaient le sentiment de la reconnaissance, il y a dix ans que Monsieur Emile Moreau serait député de Roubaix ».

En 1884, il est réélu, cette fois-ci dans un Conseil Municipal majoritairement conservateur, sous la mandature de Julien Lagache. Il est omniprésent et participe à un grand nombre de commissions, sans toutefois cesser de s’occuper de son journal, pour lequel il est au cœur des débats, et par lequel il influe parfois sur ces mêmes débats. Le journaliste n’a pas longtemps hésité à utiliser les informations de première main que lui fournissait l’homme politique. Les élections générales des 6 et 13 mai 1888 voient la fin de sa carrière politique, mais il poursuit le débat en se consacrant désormais à la direction de son journal.

[1] Anecdote rapportée par l’Echo du Nord cité par le Journal de Roubaix du 13 Avril 1908.

[2] Conférence donnée par Madame Reboux Hottiaux à l’école de journalisme de l’Université Catholique en mars 1930

[3] Extrait de l’éditorial de la Rédaction du Journal de Roubaix du 12 avril 1908.