Zephirin Disdal, pionnier du parachutisme

Chacun sait que Roubaix a compté un aérostier des plus célèbres en la personne de Jean-Baptiste Glorieux, dont une rue de la ville porte le nom.
 
Un personnage tout aussi aventureux avec lequel d’ailleurs il organisa un bon nombre d’exploits, tel était Zéphirin Disdal, né à Roubaix le 11 février 1852, fils de Louis-Désiré Disdal, ouvrier fileur et de Césarine Marissal, son épouse. Ils habitaient rue de l’Alouette dans la cour Michiels.
Après avoir servi sept ans dans l’armée française en Algérie à la suite d’un engagement qu’il avait souscrit dès que son âge le lui permit, Zéphirin Disdal, rentré à Roubaix, monta un commerce de charbon et s’installa rue du Parc.
Jean-Baptiste Glorieux était alors en pleine gloire et avait coutume d’emmener avec lui un équilibriste qui exécutait des exercices de trapèze accroché à la nacelle du ballon pour augmenter l’attrait du public.
On commençait aussi à tenter des essais de parachutisme en plaçant sous l’aérostat une sorte de toile coupée en forme de corolle retenue par une corde que le « ballonniste » coupait lorsqu’il jugeait la hauteur suffisante. Le Trapéziste utilisait alors cet engin comme un parachute. Après une chute brutale, l’air s’engouffrant dans la toile, freinait la descente.
 
Zéphirin Disdal, que rien n’effrayait et qui s’était lié d’amitié avec Jean-Baptiste Glorieux, devint rapidement l’équilibriste préféré de celui-ci et faisant preuve d’un mépris total du vertige, se porta volontaire pour des essais de parachute.
La première tentative eut lieu le 22 juin 1884 à l’occasion d’un envol de ballon à Lille. Zéphirin fut lâché au-dessus de Thumeries où il atterrit sain et sauf. Le 14 juillet suivant, un envol au départ de Roubaix lui donna l’occasion de renouveler son exploit, il reprit contact avec le sol à la Broche de Fer à Herseaux. Le 19 octobre de la même année, le ballon partant du parc de Monsieur Pierre Catteau près de l’actuelle rue Mimerel, le fit atterrir au Petit Lannoy. A cette occasion, il faillit avoir un accident ayant touché le sol devant une voiture hippomobile qui manqua de l’écraser.
 
Dès lors, le tandem Glorieux-Disdal devint célèbre et multiplia les démonstrations. Le 12 juin 1887, Zéphirin Disdal se produisit devant le Roi des Belges et sauta au-dessus de Mons, capitale du Hainaut, où il atterrit sans dommage.
 
Cependant, avec l’âge, il dut cesser ce sport périlleux et grâce à quelques économies, il reprit un cabaret rue de Blida, puis rue d’Oran.
Sa renommée n’était pas totalement tombée dans l’oubli car lors de la création de la société d’aviation « Les Ailes Roubaisiennes », il fut sollicité pour en être le président honoraire.
Il termina sa vie à l’hospice Blanchemaille, où il s’éteignit le 20 mai 1930 à l’âge de 78 ans.

La gare

 

 

 

C’est en 1842 que la première « station » fut ouverte à Roubaix. Mais la gare, telle qu’on la connaît aujourd’hui, ne fut ouverte que le 10 septembre 1888.

Le chemin de fer est né en Grande-Bretagne, où la première ligne destinée à relier deux grandes villes, Manchester et Liverpool, est inaugurée le 15 septembre 1830. En France, la ligne de Saint-Etienne à Lyon est mise en service le 3 février 1832. Puis les projets se portent autour de la capitale et la première ligne qui part de Paris est inaugurée le 26 août 1837 ; elle relie la gare Saint-Lazare au Pecq.

Chez nos voisins belges, en 1834 est établi un programme de construction de lignes de chemin de fer ayant pour centre Malines. Entre autre, une ligne se dirige vers la frontière française en passant par Bruxelles. Malines-Bruxelles, le premier élément de ce réseau est mis en service le 3 mai 1835. Il n’est donc pas étonnant qu’en 1837, le gouvernement français projette une liaison Paris-Bruxelles. Cette ligne relie Paris à Lille puis repart vers la frontière belge en passant par Roubaix et Tourcoing et se raccorde ensuite au réseau belge.

 

ON L’APPELLE « LA STATION »

S’agissant de l’emplacement de la « station » de Roubaix, la Compagnie des Chemins de Fer de Lille et de Valenciennes à la frontière belge fixe son choix sur « un terrain situé près du chemin de Roubaix à Mouvaux, au lieu-dit « l’Alouette ». La « station » s’étend entre la rue de Mouvaux et la rue du Fresnoy. Les voies passent en viaduc au-dessus de la rue de Mouvaux et traversent la rue du Fresnoy par un passage à niveau. En mars 1842, les travaux du viaduc s’achèvent et d’ailleurs l’entrepreneur se plaint que « des oisifs se rendent sur le viaduc et jettent des pierres et de la terre sur les voitures et les passants ». Quant à la gare, il faut attendre 1843 pour qu’elle soit achevée.

La station comprend trois éléments : d’abord les bâtiments qui s’élèvent du côté de la rue de Mouvaux et qui contiennent les bureaux et salles d’attente ; ensuite, un bâtiment central réservé à la douane et aux salles de visite et, enfin, du côté de la rue du Fresnoy, une station de marchandises. Deux cours de stationnement s’étendent devant ces trois édifices. On y entre latéralement par les rues de Mouvaux et du Fresnoy. Une remise à wagons s’élève derrière la station, de l’autre côté des voies.

Deux ans plus tard, pour faciliter la circulation, on projette l’établissement d’une rue latérale qui s’étend devant la gare. En 1850, la Compagnie des Chemins de fer du Nord annexe un magasin au bâtiment des presses. Cette même année, la municipalité émet le vœu qu’une marquise soit construite sur le quai d’embarquement afin de protéger les voyageurs, ce qui est refusé par la Compagnie.

UNE GARE DES VOYAGEURS INDIGNE !

En 1857, un budget de 300.000 F est voté par la Compagnie pour étendre les installations de la gare ; à la suite de ces travaux, la surface de la gare est presque doublée. Le magasin réservé aux emballeurs du commerce est reconstruit pour être agrandi, les magasins des marchandises sujettes aux droits d’entrée ont été remplacés par une vaste halle, les salles d’attente ont été déplacées et rétablies sur des bases plus larges et, sans doute, pour se conformer au vœu de la mairie, deux marquises sont élevées pour faciliter l’entrée et la sortie des voyageurs.

Le bâtiment des voyageurs est maintenant bâti en face de la rue du Fresnoy qui est déviée et doit contourner la gare. Cinq ans plus tard, en 1862, il est de nouveau question d’agrandissement. La Compagnie désire construire plusieurs halles à marchandises. Cependant, rien n’est prévu pour le bâtiment des voyageurs, ce qui n’est pas du goût de la municipalité qui trouve la gare des voyageurs « insuffisante et indigne d’une ville de l’importance de Roubaix ». Dans le même projet, il est question de supprimer le passage à niveau du Fresnoy et de le remplacer par un passage supérieur reporté 300 mètres plus loin.

En 1885, on construit le pont Saint-Vincent-de-Paul et on prolonge, par la même occasion, les rues de l’Alma et de l’Ouest jusqu’à ce pont. La municipalité s’inquiète de la hauteur insuffisante des garde-corps qui « permettent aux mauvais sujets d’inquiéter les trains et qui préservent insuffisamment les chevaux effrayés par une chute ».

UNE LARGE AVENUE : L’AVENUE DE LA GARE

En 1871, un nouveau crédit de 310.000 F est voté pour la construction de nouveaux hangars. Cependant, la municipalité se préoccupe des difficultés de circulation entre la gare et le centre de la ville. En effet, pour se rendre à la gare, il faut soit passer par la rue Nain puis la rue du Chemin de Fer qui lui fait suite (ancienne rue du Fresnoy) soit emprunter la rue Saint-Georges (actuellement rue du Général Sarrail) puis la rue de l’Hospice et la rue de l’Espérance.

L’idée d’une large avenue reliant la gare au centre ville commence à s’imposer et la mairie désirerait coupler le percement de cette avenue à celle de la reconstruction d’une gare digne de la ville de Roubaix. La rue de la Gare est ouverte en 1883 mais ne débouche que sur le bâtiment de la douane. Pourtant, entre-temps, un accord avait été conclu entre la Compagnie et la mairie qui acceptait de verser une subvention de 340.000 F pour la construction d’une nouvelle gare. Un projet avait même été soumis à la municipalité, mais il avait été rejeté car « mesquin et sans caractère architectural » et les pourparlers avaient été rompus. La situation en reste là jusqu’à l’élection, en 1884, d’un nouveau maire, Monsieur Julien Lagache, qui décide de se rendre à Paris en compagnie de son adjoint délégué aux travaux. Monsieur Pennel-Wattinne pour discuter avec la Compagnie du Nord. Il revient avec un nouveau projet : il s’agit des plans de la gare que nous connaissons et dont la dépense est évaluée à 627.200 F.

 

QUATRE HEURES D’ATTENTE POUR LE PREMIER BILLET

Les travaux démarrent très vite : en 1886, il est procédé à la démolition du bâtiment de la douane et, en mars 1887, les fondations de la nouvelle gare sont creusées et on espère « que le gros œuvre sera terminé pour septembre 1887 ». Enfin, le 29 août 1888, le chef de gare, M. André, écrit au maire de Roubaix : « Notre nouvelle gare sera ouverte au service des voyageurs et des bagages le samedi 1er septembre ».

L’ouverture s’effectuera à 5 heures du matin, un Roubaisien attendra depuis quatre heures pour avoir le premier billet. Quelques semaines plus tard, la presse se fait l’écho de plaintes des voyageurs qui regrettent, entre autres, « qu’il n’y ait pas d’horloge intérieure ».

En décembre 1888, la Compagnie ouvre un crédit de 60.000 F pour la construction d’un hall au-dessus des voies. Enfin, vingt ans plus tard, le 14 septembre 1908 est inaugurée la passerelle qui enjambe les installations de la gare et qui relie la rue du Chemin de Fer et la rue du Fresnoy. En 1914, c’est à la gare qu’a lieu l’embarquement des troupes. La gare sera touchée par le conflit, car l’occupant allemand, avant son départ, fera sauter la halle qui surplombe les voies, la passerelle et le pont Saint-Vincent. La halle ne sera pas reconstruite.

La gare traverse le siècle jusqu’en 1977, année pendant laquelle la S.N.C.F. fait état de la dégradation du bâtiment : « les pierres sont très altérées et l’ossature de métal est particulièrement oxydée ». La S.N.C.F. désirerait démolir et reconstruire une gare plus petite. La municipalité s’y oppose car elle craint entre autres qu’on « reconstruise une gare semblable à toutes les gares de banlieue ».

Le 20 octobre 1984, a lieu l’inauguration de la gare restaurée, la gare grise et sombre est devenue claire et colorée. En 1993, les halles à marchandises situées en face de la rue du Chemin de Fer sont démolies pour laisser la place à un parking gardé. Au mois d’août de cette année, ce sont les bâtiments situés le long de la rue de l’Ouest qui sont abattus et remplacés par un verdissement en attendant la construction de l’école AFOBAT.

L’ARCHITECTURE « METALLIQUE FLAMBOYANT »

L’architecture de la gare de Roubaix est de Sydney DUNNET. Né à Calais en 1837, il fera toute sa carrière à la compagnie du Nord et terminera comme chef de service des bâtiments. La gare présente un corps central avec un comble métallique surmonté, en acrotère, d’une tour à horloge. Le pignon de verre est soutenu par quatre piles appareillées, les deux piles de façades portèrent, à l’origine, chacune un pot à feu, qui disparurent dans les années soixante.

De chaque côté s’élèvent deux pavillons en maçonnerie de style régional qui utilisent la pierre et la brique comme matériau. Ces pavillons se prolongent par des ailes basses à simple rez-de-chaussée où la brique prédomine. L’architecture de la gare est de style rationaliste, c’est-à-dire que la fonction du bâtiment est reflétée par sa forme. La vaste halle métallique accueille les voyageurs, les deux pavillons servent au logement du directeur et du sous-directeur de la gare. La halle métallique est à remarquer.

La gare appartient à ce que l’on a appelé le courant « métallique flamboyant », le métal devient apparent, c’est l’époque où la France se couvre de marchés couverts métalliques.

L’architecture de la gare de Roubaix s’apparente à celle d’autres gares de la région du Nord : celle d’Arras (1877, détruite), celle d’Amiens Saint-Roch (1875, détruite), celle de Saint-Omer (1902) et celle de Tourcoing (1905) inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1984.

Xavier Lepoutre

Vice-Président de la Société d’Emulation de Roubaix

 

 

L’eau à Roubaix

Cette étude désire répondre à une question souvent posée mais jamais traitée : comment l’industrie textile a-t-elle pu se développer à Roubaix malgré le manque de voies de communication, le manque de matières premières sur place et surtout celle qui retiendra notre attention, le manque d’eau si nécessaire à toute entreprise industrielle ?
 
DE L’ARTISANAT A L’INDUSTRIE
La formation de Roubaix est un phénomène particulièrement artificiel. Elle provient d’une cellule de vie pratiquement négligeable, ayant vécu du travail de la terre et du labeur artisanal, lequel s’est trouvé favorisé, dans la suite des temps par la proximité du centre marchand de Lille.
Puis vient une époque pendant laquelle Roubaix, à la suite de luttes répétées dont la trace se trouve dans notre histoire locale, a réussi à se libérer de Lille pour travailler d’une manière indépendante. Elle a tiré parti elle-même de la matière première (coton et laine), qu’elle avait appris à connaître et à façonner. Mais pour passer de la production artisanale à la production industrielle, il a fallu toute la volonté et le courage des Roubaisiens.
Parmi les difficultés de l’expansion, il y eut d’abord les moyens de communication. Sans nous attarder, signalons que c’est en traçant eux-mêmes des routes vers Lille, Tourcoing et la Belgique, en favorisant le chemin de fer (première gare en 1842) que les Roubaisiens ont pu sortir de leur isolement. Du point de vue routier, au départ de Lille (auquel notre passé se rattache), les routes s’éparpillent dans toutes les directions : Tournai, Courtrai, le Littoral, en ignorant Roubaix. C’est tellement vrai qu’à la fin des deux guerres, les troupes libératrices atteignant Lille par le sud, ont continué leur progression vers Tournai, vers Courtrai et le littoral sans passer par Roubaix qui est à chaque fois resté une dizaine de jours dans un angle mort, ignoré des libérations !
 
CARTOGRAPHIE HYDROLOGIQUE ROUBAISIENNE
La deuxième cause défavorable à tout décollage industriel fut le manque endémique d’eau si nécessaire pour passer du stade de la manufacture à celui de l’usine. Le manque d’eau ne signifie pas absence complète d’eau, car la ville de Roubaix est bâtie sur une hauteur séparant la vallée de la Deûle, de la vallée de l’Escaut. Elle occupe le versant de l’Escaut sur 1 200 hectares et le versant de la Deûle sur 58 hectares. La presque totalité des eaux pluviales et résiduaires est donc envoyée dans l’Escaut par l’intermédiaire de l’Espierre.
Ce ruisseau prend sa source sur le territoire de Mouvaux, reçoit le riez Saint-Joseph situé tout entier sur Roubaix et par un parcours sinueux, se dirige vers la frontière belge. Il reçoit le ruisseau de Barckem puis le courant des Piats venant de Tourcoing, descend vers le sud et à 400 mètres de l’écluse du Sartel, reçoit le Trichon, principal émissaire des déjections industrielles de Roubaix, suit les canaux de Roubaix et de l’Espierre et au village d’Espierre, se jette dans l’Escaut.
 
Avec le riez de l’Espierre, nous avons :
– au nord le riez Saint Joseph
– au sud, le courant des Trois Ponts et le courant de Maufait
– à l’est, le courant de Cohem,
– au milieu de la ville, de l’ouest à l’est, nous avons le Trichon qui a été le berceau de Roubaix.
 
Le parcours du Trichon 
L’étymologie de Roubaix n’est-elle pas : Ross-Bach, le ruisseau aux roseaux ou aux chevaux ! Etant donné son importance dans l’histoire de Roubaix, il est bon de s’attarder sur le Trichon.
 
Il prend sa source près d’une ferme disparue, sur le territoire de Mouvaux. Il passe à la limite de la propriété Vaissier (le fameux roi du savon du Congo), puis sous le canal dans un siphon ensuite rue Carpeaux à Wasquehal, rue du Riez à Tourcoing et rue de la Mackellerie à Roubaix. Il passe sous l’usine Lemaire et Dillies, rue Boucher de Perthes, traverse la rue du Luxembourg, passe sous l’usine des anciens établissements Cordonnier, traverse le chemin de fer à 50 mètres du pont des Arts, coupe la rue de la Digue et la rue du Vivier (étang alimenté par le Trichon), arrive rue de l’Epeule à l’ancien abreuvoir, passe sous l’ancienne usine Ernoult-Bayart, coupe le square Pierre Catteau, la rue Mimerel et passe sous l’usine Prouvost-Scrépel et celle de Georges Masurel et sous la teinturerie Auguste et Jean Dubar. Il passe ensuite sous l’usine Deschepper, longe l’usine Delattre et coupe la rue Neuve près du siège de l’Automobile Club.
 
En 1727, il passait sous un pont à péage avant d’alimenter les fossés du château. Il tourne à angle droit par la rue de la Poste, passe sous l’école de la Sagesse, sous les anciennes halles, rue Pierre Motte, derrière les maisons du boulevard Leclerc et arrive place de la Liberté à 50 mètres du boulevard. Il la traverse en biais, longe la Banque de France. Il y avait autrefois, à sa gauche, un affluent, le ruisseau amenant les eaux de la Fosse aux Chênes, au lieu-dit Fourquencroix ainsi nommé parce qu’à cet endroit se trouvait la chaussée de Tourcoing à Lannoy par l’Hommelet qui traversait le chemin de Roubaix à Wattrelos formant ainsi une croix.
 
Continuant son parcours, le Trichon passe sous l’immeuble du CIL du Galon d’Eau, où se trouvait jadis le peignage Allard, arrive quai de Lorient et traverse le canal dans un siphon à gauche de la porte de l’écluse. Avant de traverser le canal, il était encore à découvert, vers 1900, derrière une maison du quai de Lorient.
Il donnait l’occasion à certains de pratiquer un métier que l’on retrouve aussi sur l’Espierre près de la rue de l’Union à Wattrelos. Des gens ingénieux avaient planté dans le cours d’eau des broches de fer en quinconce. La laine échappée des peignages avec les eaux de lavage, s’accrochait à ces broches et la récolte de la laine donnait une honnête aisance à ces pêcheurs d’un genre spécial.
 
Après le canal, le Trichon passe sous l’usine Carissimo, coupe la rue des Soies, passe sous le peignage Alfred Motte puis sous le chemin de fer et finalement va se jeter dans l’Espierre.
Nous avons là une explication certaine de la présence de tous ceux qui avaient besoin d’eau : les blanchisseurs, les apprêteurs, les teinturiers et par la suite ceux qui montèrent des machines à vapeur comme les filateurs.
 
L’EAU ET L’INDUSTRIALISATION
La première phase de l’industrialisation de la filature de coton commence en 1804 chez Grimonprez Père et Fils qui procédèrent à la première installation à Roubaix du système mule-Jenny. Mais l’installation était rudimentaire. Les métiers fonctionnaient au moyen d’une roue que le fileur faisait tourner lui-même. Les préparations étaient mises en mouvement par une grande roue qu’un homme faisait tourner. Dans les grands ateliers, le seul moteur était un manège à chevaux.
La progression de la filature changera du tout au tout quand les premières machines à vapeur ou pompes à feu, comme on le disait au début, furent introduites à Roubaix vers 1820.
De 1825 à 1830, le nombre passa à 30 unités. Les fabricants utilisaient pour la construction de leurs ateliers le fond de terrain derrière leur maison. Beaucoup s’installèrent, comme on l’a vu, dans la rue du Grand chemin, côté sud, car ils pouvaient utiliser l’eau du ruisseau du Trichon. Mais la multiplicité des machines à vapeur aboutit très rapidement à un certain assèchement des ruisseaux et des puits.
 
TROUVER DE L’EAU !
A partir de cette époque, la hantise de l’eau commença alors chez les Roubaisiens. Ce n’est pas le moindre sujet d’étonnement pour l’observation que le fait pour notre ville de Roubaix de s’être lancée dans l’industrie sans cet élément indispensable : l’eau.
Certains projets timides avaient proposé, au début du siècle dernier de recueillir les eaux des ruisseaux dans un étang artificiel, creusé dans « Le Pré de la Brasserie » (emplacement actuel de Roubaix 2000). Le projet n’eut jamais de suite. D’autres, sans faire de projets donnèrent leurs observations.
 
Ainsi un rapport de 1838, note que le riez du château (qui n’est qu’une dérivation du Trichon ) contenait : « de temps immémorial une eau claire et limpide » qui semble avoir perdu cette qualité.
 
Dans le même sens, huit ans plus tard, un rapport adressé au Maire, émanant de propriétaires de la rue du Grand Chemin, expose que : « Les eaux du riez du Trichon qui traverse leurs propriétés, eaux autrefois claires, limpides et potables même, sont devenues aujourd’hui bourbeuses et malsaines ». Une commission nommée pour juger du bien-fondé de cette réclamation, conclut, non sans raison, que      « c’est une conséquence inévitable du développement de la ville ! ». La multiplicité des manufactures naissantes avait d’abord presque vidé les ruisseaux, puis les avait transformé en égouts, mais la ténacité des Roubaisiens à trouver de l’eau leur en a fait chercher partout où cela était possible.
 
Le manufacturier Mimerel, venant d’Amiens, avait fondé vers 1820 sa filature à l’emplacement actuel du cinéma Casino, entre la Grande Rue et la place de la Liberté. Il voulait ainsi profiter des eaux du Trichon qui passe près des fondations. Désirant passer du manège de chevaux comme énergie motrice à la machine à vapeur, il se heurta comme beaucoup au manque de débit pour alimenter une machine grande consommatrice d’eau. Il fut un des premiers à faire un forage et fut très content de signaler à tous sa réussite. Il avait atteint la nappe aquifère des sables d’Ostricourt à une trentaine de mètres de profondeur. Mais, comme il avait fait des sondages avec des buses de bois, qui se sont détruites sous l’effet du temps, il dut recommencer en sondant plus profond dans le calcaire carbonifère.
 
LE CANAL DE ROUBAIX
Pendant que certains creusaient le sol, d’autres concevaient dès 1813 un canal qui traverserait le territoire reliant la Deûle à l’Escaut. Il fut livré à la navigation en quatre parties :
– la première entre Croix et la Deûle par la Marque en 1832,
– la deuxième entre Roubaix et la frontière belge en 1843,
– la troisième devant relier les deux premières,
– la quatrième partie fut la branche de Tourcoing en 1892.
 
La troisième partie connut de multiples avatars. Son tracé traversait Roubaix et devait rejoindre le tronçon numéro 1 à travers « La Montagne de Croix » (le boulevard de Paris actuellement) en un parcours souterrain. Des éboulements multiples firent abandonner les travaux. Par la suite la partie déjà exécutée fut comblée et donna le boulevard Leclerc et le boulevard Gambetta. Le reste du chantier fut converti en parc public : le Parc Barbieux.
 
Avant d’être comblée, cette partie du canal fit s’installer nombre de fabriques. Motte-Bossut avait choisi la rue de l’Union pour installer sa « filature monstre ». Il avait le Trichon à ses pieds et le canal devant sa chaufferie alimentant ainsi ses chaudières avec du charbon venant de Belgique. Quand plusieurs incendies (1845-1859) la détruisirent, il passa de l’autre côté du canal et à partir de 1853 construisit l’usine actuelle.
D’autres fabricants l’imitèrent et s’établirent le long du canal : Huet Tissage, Toulemonde-Destombes Filature, Allart Peignage de laine, Motte-Porisse Filature de laine, Motte-Meillassoux Peignage à l’entrée de la rue des Longues Haies. Il n’y avait pas de maisons à cette époque entre la fabrique et le canal.
Au départ, toutes ces firmes avaient tenté de prendre l’eau du canal pour alimenter leurs chaudières. Il fallut « mettre le holà », car le canal était pour la navigation des pondéreux et non pour l’alimentation en eaux industrielles.
 
L’utilisation de la machine à vapeur posait des problèmes d’installation, sans que soit résolu pour autant le problème de l’alimentation en eau.
 
EXTRAIT D’UNE LETTRE DE LOUIS MOTTE-BOSSUT A SA FEMME EN 1851
« Ne maudis pas nos machines à vapeur qui me font danser depuis longtemps. Elles sont sages et promettent de l’être de plus en plus, mais elles n’ont plus d’eau. Elles ont soif et souffrent de cette disette, elles marchent moins bien. Bref, depuis huit jours, je passe mon temps à faire faire des rigoles dans le fond du canal. Nous faisons couler les eaux d’un côté ; nous les rappelons de l’autre. La nuit détruit les travaux édifiés le jour, et, nous devons les recommencer le lendemain. Mais à l’heure qu’il est, cela marche et j’espère que cela va continuer à bien marcher ».
 
AUTRE LETTRE DE LOUIS MOTTE-BOSSUT A SA FEMME EN 1854
« … si j’ai le bonheur d’avoir de l’eau dans le canal pour marcher sans arrêt, je ferais tout ce que je pourrais pour passer huit jours à Blankenberghe avec toi… ».
 
ROUBAIX MANQUE D’EAU !
Alimenter en eau la machine à vapeur est une chose, rejeter les eaux usées en est une autre. Quand plusieurs filateurs demandent au Maire l’autorisation d’installer une machine à vapeur, le Maire leur envoie l’accord à condition de ne pas laisser écouler sur la rue les eaux provenant des dites machines. Mais à la suite des réclamations devant cette interdiction, le Préfet intervient le 2 juillet 1832 en écrivant au maire :
 
« Le Conseil, dans l’intérêt général, abandonne sa première opinion, se fondant sur ce que les fabricants ne pourraient être privés du droit commun de faire écouler leurs eaux sur la voie publique que dans le cas où cela présenterait des inconvénients soit pour la salubrité soit pour la propreté ; que les fontaines d’eau chaude que fournissent les pompes à feu rendront les plus grands services à la ville de Roubaix qui a besoin d’eau et qui dans l’été fait de grandes dépenses pour en faire chercher au loin , que ces fontaines donneront à la classe indigente un moyen commode de lessiver son linge, qu’elles offriront au voisinage de l’eau chaude pour des bains et assureront des secours en cas d’incendie, que ce serait nuire aux intérêts de tous et particulièrement des pauvres que de renoncer à un avantage aussi évident, qu’à la vérité ces eaux nuisent aux pavés pendant les grandes gelées mais qu’il est faux de remédier à cet inconvénient en imposant aux pétitionnaires l’obligation de faire réparer les dégradations que les eaux provenant de leurs machines auront occasionnés aux pavés ».
 
Cette suggestion de fontaine d’eau chaude resta lettre morte, par contre, vingt cinq ans plus tard, l’eau étant toujours à l’ordre du jour, la Chambre consultative de Roubaix revint sur le projet du canal en écrivant au ministre de l’Agriculture le 15 décembre 1857.
 
« … L’achèvement du canal… nous donnerait surtout l’eau que nous refuse notre sol asséché par des forages trop multipliés et que nous attendons seulement du niveau supérieur de la Deûle. La ville … attend avec anxiété que l’Etat, réalisant ses promesses, commence les travaux du souterrain. C’est à dessein, Monsieur le Ministre, que nous employons le mot anxiété, la position intolérable que nous subissons ne le justifie que trop. Nous touchons à la mi-décembre et l’eau nous manque à ce point que, soit pour les moteurs, soit pour les teinturiers et les lavages de laines, soit même our les usages domestiques, nos rues sont incessamment sillonnées par des charrois d’eau : l’eau est devenue une véritable marchandise dont la valeur influe sur le prix de revient des objets manufacturés… »
 
En 1858, un fermier a payé son fermage en vendant de l’eau provenant des fossés bourbeux de sa ferme !
 
LES EAUX DE LA LYS ET D’ANCHIN
Les années passent. Pas de succès du côté du canal et toujours trop peu d’eau pour alimenter les machines à vapeur. Le Maire de Roubaix s’oriente alors dans une autre direction : aller chercher l’eau dans un fleuve à grand débit. Le moyen le plus rapide et le plus sûr fut de s’adresser à une compagnie qui se chargea de puiser l’eau dans la Lys et de s’entendre avec Tourcoing qui avait la même préoccupation. La question fut mise à l’étude. Elle n’aboutira que six ans plus tard. Elle donna lieu, en 1863, à une cérémonie d’inauguration qui se déroula dans un enthousiasme bien compréhensible.
 
Pourtant, ce n’était là qu’une demi-mesure, car cette eau qui amenait à Roubaix les odeurs de rouissage du lin, était impropre à la consommation ménagère. Elle satisfaisait toutefois les besoins de l’industrie. Celle-ci trouva un appoint dans la continuation de percement de forages nombreux qui allaient chercher à des profondeurs toujours plus grandes pour les épuiser, les nappes souterraines de la région. La tradition nous dit que, lorsque les usines de Roubaix sont en grève, l’eau remonte dans les puits à Tournai !
 
Pour avoir enfin de l’eau potable, on se décida à creuser un forage à Anchin, et il y eut alors à Roubaix de l’eau industrielle venant de la Lys et de l’eau potable venait de Pecquencourt (1896).
 
Quand le problème de l’eau fut enfin résolu, il y eut, avant la guerre de 1914, un changement d’énergie. Ce fut l’électricité qui entraîna la disparition lente mais sûre de la machine à vapeur au profit du moteur électrique pour chaque métier, pour des raisons d’économies et d’autonomie.
Seules les grandes entreprises de lavage de la laine, de blanchisseries, de teintures et d’apprêt continuèrent à avoir certains problèmes avec l’eau. Beaucoup d’usines préfèrent actuellement avoir leurs propres forages plutôt que l’eau courante qui est de plus en plus onéreuse.
 
En conclusion, nous pouvons louer la ténacité des Roubaisiens qui surent répondre à un besoin aussi essentiel que l’eau ; ils utilisèrent les riez naturels qui parcouraient la ville, particulièrement le Trichon, creusèrent des forages de plus en plus profonds, insistèrent pour avoir un canal sur lequel les manufacturiers avaient fondé beaucoup d’espoir et qui leur apporta finalement beaucoup de déceptions. Ils sont ensuite allés chercher l’eau de la Lys pour l’usage industriel, puis l’eau artésienne à Pecquencourt pour l’eau potable.
 
Bibliographie :
Pierre BRUYELLE « Les Grandes Villes Françaises, Lille-Roubaix-Tourcoing » in La Documentation Française n° 3206 3 juillet 1965.
Félix DELATTRE « Le Riez du Trichon » in Mémoires de la Société d’Emulation de Roubaix, Tome 35, 1961.
Gaston MOTTE, « Roubaix à Travers les Ages », 1946
Gaston MOTTE « Motte-Bossut, une époque 1817-1883 », lettres de familles
Théodore LEURIDAN « Histoire d’Archives de l’ancienne Chambre Consultative des Arts et Manufactures de Roubaix 1805-1872 » Reboux 1879.
 
 

Les moulins à vent

Des moulins à vent (soit à farine, soit à huile), il y en a eu à Roubaix, bien que, de nos jours, il n’en reste plus aucun vestige. Détrônés par la machine à vapeur puis par l’électricité, ils disparurent comme les terres agricoles sur lesquelles ils se dressaient, terres agricoles qui furent inexorablement absorbées par le prodigieux développement de l’industrie textile au cours du XIXe siècle.
La connaissance de l’histoire des moulins à vent de Roubaix est très fragmentaire. Jacques Prouvost, regretté président de la Société d’Emulation de Roubaix et Jean Bruggeman, président de l’ARAM, ont, en leur temps, réalisé une étude sur ce sujet. Je me suis inspiré de leurs travaux pour cet article.
 
Les Archives départementales du Nord conservent des registres « d’octroi de moulins » c’est à dire des permissions de construire. Ces registres mentionnent, sur Roubaix, au XVIe siècle, l’octroi d’un moulin à huile à Jehan Farvacques, en 1534, celui d’un autre moulin à huile à Michel Casteel et en 1603 d’un moulin à blé à Philippe Destombes.
 
En 1635, Sanderus fait figurer sur sa gravure deux moulins dans le lointain
 
Le moulin à vent le plus ancien et le plus connu de Roubaix est le moulin seigneurial mais dont on ne sait à quelle époque il avait été construit et qui se situait en haut de la rue Jean Moulin actuelle. Jean IV de Roubaix en percevait la dîme féodale tandis que la dîme ecclésiastique allait au Chapitre de la cathédrale de Tournai. En 1649, le meunier qui occupait la cense et le moulin se dénommait Mathias Jonville. En 1828, le meunier était un nommé Durot (décédé en 1848) tandis que le propriétaire était M. Mimerel Delaoutre. En 1853, le moulin fut acquis par le meunier Louis Mullier Bayart (décédé en 1883) et il construisit, en 1856, une maison puis, en 1858, un moulin à vapeur, le tout fut démoli en 1869. On reconstruisit le moulin, une tour maçonnée, en 1870, rue de Barbieux. Ce moulin cessa son activité en 1882, transformé en « tour féodale » par l’adjonction d’un couronnement de créneaux et de mâchicoulis, il servit d’ornement au parc de M. Masurel sur lequel fut tracée, dans les années trente, la rue Anatole France. Le  « moulin »  subsista jusque dans les années soixante où il fut démoli lors de la construction de l’école Anatole France. Le moulin seigneurial avait donné son nom au chemin puis à la rue qui y menait : « rue du Haut Moulin » jusqu’en 1867 puis « rue du Moulin », appellation qui a été modifiée, en 1966, en « rue Jean Moulin » !
 
D’autres moulins à vent se dressèrent sur Roubaix, au XIXe siècle, car la Révolution en supprimant les privilèges en avait rendu la construction libre. Le plan de la commune de Roubaix du 25 vendémiaire de l’an XIII (17 octobre 1804) fait figurer six moulins. Le premier était le moulin seigneurial que nous venons d’évoquer.
 
Deux autres moulins se situaient à droite de la « route du Fresnoy » sur la hauteur près de la gare actuelle. En 1812, ils sont mentionnés dans le tableau indicatif des moulins : l’un à 18 mètres de l’axe de la route, l’autre à 12 mètres. Ils appartiennent alors tous les deux à M. Fremaux Benjamin, rentier à Tourcoing. Le moulin à blé disparut peu après cette date, tandis que le second, destiné à la fabrication d’huile, appartenait en 1828 à Louis Fremaux, cultivateur à Tourcoing. L’occupant était M. Farvacques Fremaux dont la veuve acquit le moulin en 1829. Ce moulin fut démoli en 1840, peut être à la suite des travaux de construction des voies de chemin de fer et de la gare de Roubaix (1842).
 
Le quatrième moulin à vent, à farine, était édifié à la ferme des Hauts-Champs, à la limite de Hem. En 1828, il appartenait à Mme Veuve Jean Baptiste Jonville. Lorsqu’il cessa son activité, le moulin était la propriété de Louis Agache.
 
Le cinquième moulin s’élevait près de la ferme de Beaurewaert, non loin de la rue de Beaurewaert et de la rue de Lannoy. Ce moulin à farine sur pivot appartenait à la famille meunière Fournier. On lui adjoignit, en 1851, un moulin à vapeur qui sera démoli en 1878 tandis que le moulin à vent avait disparu en 1864.
 
• Enfin, le sixième moulin avait été édifié non loin de la Caisse d’Allocations familiales actuelle, il était destiné à broyer les écorces de chênes destinées aux tanneries et appartint à M. Bernard Duthoit, marchand de charbon. Il brûla dans les années 1850. Ce moulin avait donné son nom à la rue : « rue du Moulin Bernard » puis « rue du Moulin brûlé ». En 1871, cette rue prit le nom de « rue Bernard ». Le souvenir du moulin fut aussi, un temps, conservé par MM. C. et J. Bernard, épiciers en gros, rue de Lannoy, qui avait donné comme enseigne à leur commerce : « Au Moulin Bernard ». Tout cela disparut dans les années soixante lors de la démolition du secteur de la rue des Longues Haies.
Docteur Xavier Lepoutre
Vice-Président de la Société d’Emulation de Roubaix
Membre de la Commission Historique du Nord
                                    
 
Bibliographie :
Leuridan Théodore, Les rues de Roubaix, Mémoires de la Société d’Emulation de Roubaix, Cinquième série, tome II
Prouvost Jacques, Jean Bruggeman, A propos des Moulins de Roubaix, Rencontre avec les Moulins à vent de Roubaix, bibliothèque municipale de Roubaix, n°8 septembre 1983.  
  

Les réservoirs d’eau

Quand l’activité textile roubaisienne est passée, au début du XIXe siècle, du stade artisanal au stade industriel, le problème des besoins en eau s’est très vite posé. En effet, sur le territoire de Roubaix ne coulaient que quelques ruisseaux dont, en particulier, le Trichon qui naissait à Mouvaux et aller se jeter dans l’Espierre à la limite de Wattrelos. Résumé de façon très grossière, son tracé suivait, sur Roubaix, la rue du Grand Chemin puis le boulevard Gambetta.

 L’EAU A ROUBAIX

Au moment où les premières machines à vapeur arrivèrent à Roubaix, vers 1820, un certain nombre de filateurs s’installèrent le long du Trichon mais cela entraîna son assèchement et sa transformation en ce que l’on appellerait aujourd’hui : « un égout à ciel ouvert ».

L’industriel d’origine amiénoise, Auguste Mimerel, confronté au manque d’eau, fut l’un des premiers à avoir l’idée de réaliser un forage. Son expérience fut fructueuse et il fut imité par un certain nombre de manufacturiers.

Alors que certains allaient chercher l’eau en profondeur, d’autres l’amenèrent en surface en créant un canal qui devait relier la Deûle à l’Escaut. Un premier tronçon fut ouvert, en 1832, entre la Deûle et Croix ; un second, en 1843, entre la frontière belge et Roubaix. Ces deux tronçons devaient se rejoindre par un tunnel creusé «  sous la montagne de Croix » ( le boulevard du Général de Gaulle actuel ) mais la friabilité du terrain et les éboulements qui s’en suivirent firent renoncer à ce projet. Le canal s’arrêta, sur Roubaix, au niveau de l’emplacement actuel du Monument aux Morts.

En 1861, un décret impérial décida de faire passer le canal sur des terrains plus propices au Nord de Roubaix. Ce tracé qui assurait la jonction fut ouvert en 1877. Le bras mort, entre le pont Nyckes et le bas du boulevard du Général de Gaulle fut comblé progressivement à partir de 1880 et transformé en nos boulevards Gambetta et Leclerc actuels. Mais, auparavant, un certain nombre d’usines s’étaient installées le long du canal : le Peignage Allart, la filature Motte-Bossut, l’usine Motte – Porisse … Cependant l’eau du canal devait servir au transport des pondéreux et non à alimenter les chaudières à vapeur. En temps de pénurie, l’eau était apportée par charroi.

En 1857, le Maire de Roubaix s’orienta dans une autre direction : aller chercher de l’eau dans un fleuve à grand débit. On choisit la Lys. Le Maire de Roubaix associa à son projet celui de Tourcoing. L’eau de la Lys arriva à Roubaix et Tourcoing le 15 août 1863, jour de la fête de l’Empereur. L’inauguration eut lieu « en grande pompe ». Cette eau était impropre à la consommation ménagère mais satisfaisait aux besoins de l’industrie. Quelques jours plus tard, fut inauguré à Tourcoing, le service des Eaux de Roubaix-Tourcoing sous la direction de l’ingénieur qui avait suivi les travaux jusque là : M. Varennes. Cette Société eut pour tâche de construire les réservoirs destinés à stocker cette eau qui devait servir à l’industrie.

LES RESERVOIRS D’EAU SUR ROUBAIX

 • Le réservoir du Fontenoy

Le premier réservoir d’eau industrielle de Roubaix fut construit, en 1863, par M. Varennes dans le quartier du Fontenoy entre les rues de la Lys et de Cassel. Ce réservoir est contemporain de ceux des Francs, à Tourcoing, et leur ressemble quelque peu. Il est de type «  tour cylindrique maçonnée » avec une cuve en fonte à fond concave de 1600 m3. Les arcs du soubassement sont en plein-cintre et un travail de brique surmonte la maçonnerie.

Un deuxième réservoir fut construit en 1878, à peu près du même type mais plus bas, il fut démoli plus tard en raison d’une mauvaise étanchéité des joints des plaques de la cuve.

 

Les réservoirs de Huchon

Situés sur le point le plus haut de Roubaix, à proximité du Lycée Baudelaire actuel et de l’hospice de Barbieux, les quatre réservoirs à eau du Huchon sont alignés, semblables deux à deux, le long du boulevard Lacordaire. La cohérence actuelle masque une histoire mouvementée où se succédèrent constructions, démolitions et même effondrement. Auguste Binet, ingénieur directeur du Service des Eaux de Roubaix-Tourcoing, fit construire dans un premier temps, en 1887, le réservoir Est ( le second à partir de la gauche). Il réalisa ensuite, de part et d’autre, deux châteaux d’eau à l’allure très proche de nos châteaux d’eau modernes en « champignon » mais avec une cuve métallique. Le soubassement était sans aucune ornementation. En 1893, lors de la mise en eau, l’un des deux réservoirs s’effondra inondant le chantier de l’hospice de Barbieux à la grande surprise des entrepreneurs qui s’attendaient peu à une inondation sur le point culminant de Roubaix.

En 1895, M. Binet remplaça le réservoir effondré par un château d’eau identique au premier qu’il avait édifié en 1886 et qui n’avait, jusque là, posé aucun souci tandis que le second nouveau réservoir ne servira que partiellement rempli. Le réservoir reconstruit ne sera achevé qu’en 1902 soit deux ans après la mort de M. Binet.

Les réservoirs de 1886 et de 1895 sont d’une architecture très soignée : des pilastres colossaux scandent des travées percées de baies sur deux étages. La baie du rez-de-chaussée possède un linteau métallique orné de rosaces, les baies du premier étage sont en plein cintre. Une bande lombarde court en corniche. Le matériau employé en majorité est la brique, matériau régional, mais on lui a adjoint la pierre de Soignies et des briques vernissées ce qui donne aux bâtiments un joli aspect polychrome.

En 1930, M. Nourtier, ingénieur-directeur, fit démolir le réservoir déficient restant, construit par son prédécesseur, et édifia deux nouveaux réservoirs placés aux extrémités. Ces deux réservoirs furent construits en béton armé. Les cuves de 1700 m3, couvertes, reposent sur des poteaux et des poutres en béton. Toute cette structure est cachée derrière des façades non porteuses scandées également de pilastres colossaux. Les très hautes baies sont coupées au niveau du passage du rez-de-chaussée au premier étage par un bandeau décoré du blason des Villes de Roubaix et Tourcoing.

En 1968, la Communauté urbaine de Lille a repris le service des Eaux de Roubaix-Tourcoing et depuis 1986, la Société des Eaux du Nord est concessionnaire de la distribution des eaux. Cette Société qui a en charge le patrimoine, a réalisé entre 1990 et 1993 une rénovation très soignée des réservoirs du Huchon. Enfin, en août 1998, en raison de leur grand intérêt architectural, les quatre réservoirs ont été inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.

De nos jours, l’eau ne vient plus de la Lys mais de la nappe phréatique et l’industrie est beaucoup moins « gourmande »  en eau qu’autrefois : la consommation est passée de 26 000 m3 en 1926 à 5000 m3 en 2002.

                                                                           

Bibliographie

Jacques Prouvost : L’industrie textile de Roubaix face au manque d’eau, Société d’Emulation de Roubaix, septième série, Tome I, Tome XXXVIII de la collection

Béatrice Auxent : Les réservoirs d’eau de la métropole lilloise 1860 – 1930 Nord

Itinéraires du Patrimoine n° 102

Théodore Leuridan : Les rues de Roubaix, Mémoires de la Société d’Emulation de Roubaix – Cinquième série, tome II ( tome XXX de la collection )

 

Les églises roubaisiennes en 1893

En 1893, Roubaix compte 8 églises qui accueillent, lors des célébrations, un nombre important de fidèles. Les offices sont nombreux ; outre les messes dominicales auxquelles se rendent les Roubaisiens endimanchés, on y célèbre, l’après-midi, les vêpres et le salut. Les funérailles donnent lieu à d’importantes cérémonies au cours desquelles le corbillard, accompagné du prêtre et des enfants de chœur tout de noir vêtus, traverse la ville partant de la demeure du défunt, que l’on a décoré de tentures noires, pour se rendre à l’église suivi des parents, amis et voisins en un cortège recueilli. Le décorum est en relation avec la personnalité du mort et la messe qui comprend plusieurs catégories (première classe et autres) revêt un caractère prestigieux.

Les mariages sont aussi une occasion de cérémonies grandioses avec cortèges importants de garçons  et de demoiselles d’honneur où l’on rivalise de somptuosité dans les toilettes. Les baptêmes ne sont pas en retrait dans ces manifestations extérieures, de même que les communions solennelles où, au luxe des robes virginales, s’ajoute la rivalité du cierge le plus imposant.

Cependant, à côté de cet étalage qui fait partie de la vie de cette époque, une partie de la population ne peut se hisser à ce niveau et se contente de suivre modestement ces « modes » tandis que les « indigents » ne bénéficient que de la charité d’un service minimum gratuit. Tout ceci se déroule avec plus ou moins d’apparat, selon les paroisses et la richesse du quartier qu’elles desservent, dans les églises de Roubaix à propos desquelles nous vous donnons ci-après quelques indications sur leur situation en 1893.

Huit églises auxquelles allaient s’en ajouter plus tard six autres

Saint-Martin : C’est l’église du Bourg. Elle sera la seule jusqu’en 1849. En 1893, la paroisse est sous l’autorité du doyen curé Berteaux, chanoine honoraire de la cathédrale de Cambrai, aidé de trois vicaires : MM. Lefebvre, Rafin et Declerck, d’un prêtre auxiliaire, M. Talbroux, d’un prêtre sacristain, M. Brame. Participe aussi la vie de la paroisse, M. Vassart, aumônier des Sœurs de la Sainte Union. Les paroissiens sont au nombre d’environ 15 000.

Notre-Dame : construite de 1842 à 1845, sous la direction de M. Dewarlez, architecte, la paroisse a été érigée par l’autorité ecclésiastique début 1849 et définitivement fixée par décret du 28 octobre 1852. Son doyen curé est M. Auguste Evrard, chanoine honoraire de la Cathédrale de Toulouse et de Cambrai. Il est aidé de 5 vicaires, MM. Delporte, Chavatte, Rolliez, Thomassin et Maufroid. Les paroissiens de Notre-Dame sont d’environ 29 000.

Sainte-Elisabeth : Erigée par décret du 6 août 1863, cette paroisse compte 22 000 paroissiens. L’église a été construite de 1860 à 1863 par M. Lepers, architecte. Le curé est M. Julien Tilmant, quatre vicaires contribuent à son fonctionnement : MM. Constant Deboudt, Paul Vaillant, Emile Hostelart et Jules Clais. Sur le territoire de la paroisse se trouve l’établissement des Petites Sœurs des Pauvres dont l’aumônier est M. Testelin.

Sacré Cœur : Cette paroisse fut érigée par décret du 10 novembre 1875. Sa population en 1893 est de 14 000 paroissiens environ. Elle est dirigée par M. Aimé Emmanuel Coude qui est entouré de trois vicaires : MM. Augustin Delhoute, Joseph Loones et Louis Delacourt. Le couvent de la Visitation très proche a pour aumônier M. Descat.

Saint-Sépulcre : Elle est considérée comme succursale et a été érigée par décret du 19 juillet 1877. Sur son territoire, on compte 12 500 paroissiens. Son curé est M. Louis Debaecker qui est aidé de trois vicaires : MM. Samsoen, Gardyn et Hust. Le couvent des Clarisses de la rue de l’Epeule a pour aumônier M. Defasque. Un prêtre en retraite participe aux activités de la paroisse.

Saint-Joseph : C’est aussi une succursale érigée par décret du 16 mai 1881 dont la population est de 16 000 paroissiens. Le curé en est M.Lesage avec quatre vicaires : MM. Charles Coeman, Léonide Cartigny, François L’Hermitte et Henri Wulleputte.

Saint-Rédempteur : Sa construction a commencé le 3 juillet 1881, date de la bénédiction de la première pierre, elle a été achevée et ouverte au culte le 17 février 1884. Elle était en 1893 considérée comme une chapelle de secours destinée à desservir le quartier du Pile. Elle avait comme curé M. Léon Cattelin avec deux vicaires : MM. Coussemaecker et Vandieronck.

Saint-Jean-Baptiste : C’est aussi une chapelle de secours destinée à desservir le quartier du Raverdi. Dans ce quartier en développement, la population paroissiale en 1893 n’était que de 3 500 habitants. Le sol sur lequel elle avait été bâtie avait été donné à la ville le 27 mai 1890. La construction avait été commencée le 12 novembre 1887 et achevée le 15 décembre 1890. L’ouverture avait eu lieu le 5 janvier 1891.

Par la suite, la structure catholique de Roubaix sera complétée par 6 églises supplémentaires :

  • Saint-Antoine, en 1900
  • Saint François d’Assise en 1907
  • Saint-Michel, en 1911
  • Saint-Vincent de Paul, en 1919
  • Notre-Dame de Lourdes en 1932
  • Sainte-Bernadette en 1933.

Temples et synagogue

En dehors de ces églises catholiques, les Roubaisiens d’autres confessions disposaient également d’un temple protestant érigé rue des Arts ; installé en cet endroit depuis août 1871, dirigé en 1893 par le pasteur Ernest Monod qui avait remplacé en cours de l’année le pasteur Victor Leplat, démissionnaire, nommé pasteur honoraire. Un pasteur auxiliaire, Paul Perrelet, participait aux activités de la communauté protestante.

Avant l’édification du temple de la rue des Arts, les cérémonies protestantes se déroulaient dans le temple de la rue de la Redoute qui avait été conservé et affecté aux protestants flamands assez nombreux à Roubaix en raison du grand nombre de familles originaires de Belgique, venues travailler à Roubaix. Les deux temples protestants étaient placés sous le patronage de l’Eglise réformée de Roubaix.

Enfin, citons l’existence du temple israélite, situé rue des Champs depuis 1878. Il était placé sous l’autorité d’une commission administrative présidée par Isidore Weill, aidé de Jacques Marx, ministre officiant.

Telle était la physionomie religieuse de Roubaix il y a juste 100 ans. Une présence importante renforcée par des œuvres intégrées très nombreuses (patronages pour enfants et jeunes gens, cercles pour adultes, œuvre de bienfaisance, mutuelles) sans parler des écoles privées, très fréquentées.

Ce texte a paru le 28 août 1993, suite à l’évocation du passé de la ville par Edmond Derreumaux,

Président de la Société d’Emulation (1993-1996)

Le temple protestant

C’est grâce au parrainage de l’Industriel Isaac Holden (1807-1897), anglais d’origine et installé à Croix, que l’édification du nouveau temple protestant de Roubaix fut possible. L’implantation des différentes usines textiles de cette firme, à Croix comme à Reims, avait entraîné une forte augmentation de la présence anglaise et, partant, du culte protestant. Industriel modèle, Isaac Holden finança en premier lieu le temple de Croix, aujourd’hui disparu, de même que celui de Reims en 1867.

La même année a lieu à Lille un concours pour l’édification du nouveau temple, auquel participe le jeune architecte Auguste Dupire-Deschamps (1848-1916), frère d’Edouard Dupire-Rozan (1842-1901), alors architecte attitré de la famille Holden. C’est par cette connexion que lui échoit, sans doute sous l’autorité de son frère, la direction des travaux de construction du nouveau temple roubaisien.

La conception du bâtiment revient en effet à un architecte amiénois, un certain J.J. Schulthers, commandité certainement par la communauté protestante*, indépendante des Holden qui ne furent ici que des donateurs. (Les plans sont bien signés de Schulthers et sont conservés dans les très importantes archives communautaires, qui restent à exploiter plus précisément.)

Véritable centre communautaire, le temple comporte trois édifices distincts nettement articulés dans l’espace de la rue des Arts. Au logis du pasteur font face les salles de réunions, encadrant ainsi une cour de rassemblement que domine le temple lui-même. Cette disposition est en soi une originalité qui signale l’habileté de l’architecte à placer subtilement son programme sur une parcelle difficile.

Construit en brique ordinaire, à peine souligné de quelques éléments décoratifs en pierre (encadrements des baies, chaînages d’angles…),  l’édifice s’apparente aux nouvelles églises construites dans les quartiers populaires de Roubaix à la même période, comme Sainte-Elisabeth (1863), œuvre de Théodore Lepers, oncle des frères Dupire.

L’intérieur, aussi sobre que les façades, présente un espace de prière étonnant d’ampleur, magistral exercice de composition. Si la tribune est une figure obligée de l’espace protestant, l’architecte en fait une ceinture ininterrompue de panneaux de chêne, unifiant tout l’espace. La tribune établit un contraste entre les parties haute et basse, que le concepteur exploite en donnant à cette dernière une grande hauteur sous voûte.

Les grandes verrières, inespérées dans un intérieur d’îlot, apportent une généreuse lumière qui amplifie les dimensions de la nef. Tout comme le fait la voûte en plein-cintre, très probablement en pin, d’un dessin et d’une proportion augmentant ce dispositif.

Les matériaux utilisés sont aussi simples que possible. Un enduit recouvre les maçonneries, tandis que des boiseries simplement cirées sont posées en lambris ou habillent le chœur. Les colonnes en fonte, baguées, qui supportent la tribune donnent une touche rationaliste au bâtiment : on ne masque pas la construction par des décorations superflues.

Complétant l’architecture, le mobilier est également original. En chêne, d’un dessin solide, il contribue à l’unité spatiale.

Fidèle aux idéaux de rigueur et de modestie de l’éthique protestante, le temple de Roubaix est pourtant une œuvre architecturale qui dépasse ces contraintes. L’économie matérielle est parfaitement maîtrisée et sert à créer un espace adéquat et représentatif de son époque.

Gilles MAURY, Président de la Société d’Emulation de Roubaix

Le Couvent des Clarisses

Les Tournaisiens Henri Desclée ( 1802 –1873 ) et son frère François ( 1802 – 1842 ) s’associent et deviennent les pionniers de la fabrication et de la distribution de gaz d’éclairage. Ils édifient une usine à gaz à Roubaix en 1837.

En 1857, un incendie se déclare dans cette usine de Roubaix. Le feu risque d’atteindre les réservoirs, on craint une explosion et l’anéantissement du quartier. Henri Desclée fait alors le vœu , si la catastrophe est évitée, d’appeler une communauté de religieuses contemplatives à Roubaix. Le vent tourne et l’incendie est maîtrisé sans dommages humains. Quelques mois avant son décès, Henri Desclée décide de réaliser sa promesse. Il demande à l’architecte belge, le baron Jean-Baptiste Béthune    (1821 – 1894 ) d’établir les plans d’un couvent pour Roubaix. Après sa mort, ses fils Henri et Jules poursuivront son œuvre.

La première pierre du couvent est posée le 1er mars 1874 dans le quartier populaire de l’Epeule sur des terrains appartenant à la famille Desclée. La construction est financée par l’héritage de la fille de M. Henri Desclée, Pauline, entrée chez les Clarisses de Tournai sous le nom de sœur Françoise, par M. de Roisin, Me Cottigny ancien notaire à Roubaix et les actionnaires de la Compagnie du gaz. Une école est adjointe au couvent selon la volonté de M. Constantin Descat, Maire de Roubaix, car le quartier n’en possède pas.

Le 3 juillet 1876, neuf sœurs Clarisses ( six sœurs cloîtrées et trois sœurs externes ) arrivent du Couvent de Tournai. L’école gratuite de filles tenues par les sœurs externes ouvre le 2 octobre 1877 et accueille 200 élèves dès la première année.

En 1880, les sœurs sont menacées, une première fois, d’expulsion mais les Roubaisiens refusent de les voir partir. Une pétition est envoyée au Président de la République. Une nuit, 1500 personnes se massent devant le monastère. Finalement les Clarisses ne seront pas expulsées.

Il n’en est pas de même vingt ans plus tard. A la suite du vote de la Chambre des Députés du 26 juin 1903, la communauté doit fermer avant le 1er octobre. Les Clarisses quittent Roubaix le 15 octobre pour la ville de Renaix en Belgique. Cependant, à la demande de l’abbé Debacker, curé de la paroisse, deux sœurs externes qui se sécularisent restent pour continuer l’action auprès des enfants du quartier : catéchisme et patronage.

Malgré les protestations de la famille Desclée  qui se déclare propriétaire des lieux, un liquidateur est nommé et le couvent mis en vente. Il sera racheté par un industriel roubaisien, M. Jules Masurel, en 1906 pour la somme de 72 028 francs. Le monastère est transformé en Maison d’œuvres, une école technique y est créée et l’école Sainte Claire réouverte.

Une partie des Clarisses de Renaix reviennent à Roubaix en octobre 1923. Douze ans plus tard, huit d’entre elles partent pour Vinh au Nord Vietnam pour y fonder une nouvelle communauté. Elles seront rappelées à Roubaix en 1950 en raison des troubles qui sévissent dans le pays.

En juin 1976, les Clarisses fêtent le centenaire de leur fondation, un nouvel autel est consacré par l’évêque de Lille. En 1996, la communauté accueille les sœurs du couvent de Cambrai qui ferme. En juillet 2003, une jeune sœur d’origine cambodgienne, présente depuis six ans, prononce ses vœux perpétuels. La Mère Abbesse fête son jubilé de cinquante ans de vie religieuse en juillet 2007. Mais au décès de celle-ci, l’année suivante, la communauté doit fermer. Les quatre religieuses qui restent partent pour le couvent de Nancy tandis que l’école Sainte-Claire ferme définitivement en juin 2008. Cependant, une messe continue à être célébrée dans la chapelle pendant un an.

Le 30 décembre 2010, le couvent et l’école sont inscrits en totalité à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Actuellement, le sort des bâtiments est incertain, si un projet de transformation de l’école en crèche est prévu, le couvent en lui même reste, pour le moment, sans affectation.

Docteur Xavier Lepoutre

Président de l’Association des Amis du Couvent des Clarisses

Vice-Président de la Société d’Emulation de Roubaix

Le collège Notre-Dame des Victoires

C’est en 1845 que l’Abbé Lecomte, supérieur du collège de Tourcoing crée l’Institution Notre-Dame des Victoires dans la ville voisine de Roubaix. Celle-ci est une agglomération importante de plus de trente mille habitants, chiffre qu’elle dépassera avec près de 120.000 peu avant la Première Guerre mondiale. Tourcoing, autre grande ville du textile, connaît la même évolution démographique.
En 1843, la famille Destombes y élève une chapelle privée dédiée à Notre-Dame des Victoires. Rappelons la date de 1838 qui voit la création de l’« Archiconfrérie du Très Saint et Immaculé cœur de Marie » au sein de l’église Notre-Dame des Victoires à Paris. En 1841, François Libermann fonde à Amiens la congrégation du Sacré-Cœur de Marie en liaison avec l’archiconfrérie de Paris. Quatre ans plus tard, c’est donc le tour de Roubaix. Son établissement scolaire (avec sa confrérie) est le seul à être placé sous ce vocable au sein de l’Académie de Douai (qui sera plus tard celle de Lille). Par ailleurs, dans la région de Lille, vers le sud est, on recense, à partir de 1850, plusieurs chapelles et églises dédiées à Notre-Dame des Victoires, pour la plupart construites ex nihilo.
  
Le collège de Roubaix
Cet établissement scolaire est installé à la limite de la ville, au lieu dit « La Fosse aux Chênes ». Le biographe de son fondateur n’explique pas pourquoi la dénomination à Notre-Dame des Victoires fut choisie mais précise quand même que des propositions furent faites pour «Notre-Dame des Champs». Mais le prêtre fondateur tint bon et en 1850 renouvelle ses recommandations en faveur du patronage du Sacré Cœur de Marie, refuge des pécheurs.  Comment connaissait-il la confrérie de Paris ? La consultation des titres des livres des cabinets de lecture de la ville de Roubaix est stérile, aucune trace d’ouvrages traitant du culte marial. Nous ne connaissons pas non plus la bibliothèque de l’abbé Lecomte, mais nous savons, toujours par la même source, que celui-ci fréquentait deux éminentes personnalités parisiennes, Rousselle et Geoffroy Saint-Hilaire qui l’ont peut-être informé sur la naissance de ce nouveau culte marial. En tout cas, les dates coïncident parfaitement.
 
L’établissement scolaire occupe une ancienne filature et, en 1868, subit d’importantes modifications architecturales. Une nouvelle chapelle y est édifiée, heureusement préservée lors des travaux récents (en 2000) effectués lors de la rénovation du Lycée Turgot qui s’est installé en ces lieux. En effet, le collège avait déménagé pour de nouveaux bâtiments ouverts en 1893. C’est l’époque des conflits avec la municipalité propriétaire des lieux. Une livraison complète des « Mémoires de la Société d’Émulation de Roubaix » (t. VI, 1890) est consacrée à cette Histoire de l’Institution Notre-Dame des Victoires de Roubaix par l’abbé Théodore Leuridan. L’acquisition de terrains, la collecte des capitaux sont réalisées en 1892, date où les socialistes avec le « guesdiste » Carette emportent la municipalité.
 
À partir de 1893, le collège est dans ses murs avec une chapelle construite par l’architecte Achille Liagre. On comprend alors, dans ce contexte politique très particulier, le discours de Mgr Baunard, recteur de la jeune et active Université catholique à propos du jubilé de l’Abbé Henri Chabé, supérieur du collège. Citons : « Cette maison, c’est son palais (Notre-Dame des Victoires) palais et citadelle à la fois, puisque nous sommes toujours sur un champ de bataille », et également ces lignes extraites de l’Album souvenir 1845-1900 : « en 1892, les élections furent fatales. Ce grave échec provoqua un admirable élan des catholiques et leur revanche fut la construction de leur collège » (4). Un vitrail de la chapelle signé Vantillard (5) illustre bien la situation sociale des élèves : sous l’œil bienveillant de Notre-Dame des Victoires, des communiants reçoivent leur hostie en compagnie de Saint-Louis de Gonzague. En marge, les noms des donateurs : Motte, Toulemonde, Prouvost, Mulliez, c’est-à-dire ceux des plus riches familles de Roubaix dont les tombes encore majestueuses occupent à présent la grande allée des concessions à perpétuité du cimetière communal. La façade de la chapelle construite au fond d’une cour carrée est ornée d’un porche surmonté d’une grande statue de Notre-Dame des Victoires. Le décor extérieur, les vitraux, les statues entretiennent le souvenir du culte de Notre-Dame. À l’extérieur, derrière de hauts murs fermant la rue, les bâtiments de trois étages portent sur leurs façades à chaque niveau et régulièrement espacés des fers d’ancrages avec les lettres N.D.V.
 
Grâce à la consultation des différentes archives (collège, diocèse et département) et aussi des nombreux bulletins (Bulletins de l’association des anciens de Notre-Dame des Victoires, ou Bulletins produits par le collège lui-même, plaquettes publiées à l’occasion de jubilés ou de voyages) il nous est possible de suivre quelque peu la vie spirituelle du collège. Dans les recommandations pour les prêches, on parle du Cœur immaculé de Marie seulement jusque 1860. Chaque année, un voyage est organisé avec un train spécial pour Namur, Bruxelles et les grands lieux du pèlerinage. Les élèves visitent Paris, se rendent au Sacré-Cœur mais négligent le passage à Notre-Dame des Victoires. Celle-ci est invoquée cependant dans les années trente par un chant dont voici le texte :
 
« Vierge qui défends le monde
Toi qui foules le serpent
Tu vainquis le vice immonde
A nos pieds toujours rampants
Notre Dame sous l’égide de ton bras
Fiers émules de ta gloire
Nous menons de bons combats
Patronne de la France tu la guides de ta main
Par la joie et la souffrance vers son glorieux destin. »
 
Ce chant (6) de l’entre-deux-guerres est inspiré non seulement par la description de la statue elle-même mais s’inscrit dans le droit fil des discours de 1892 : Notre-Dame des Victoires aide les croyants contre les ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur. Nous sommes assez loin du refuge des pécheurs dont le souvenir s’est peu à peu étiolé comme le révèlent les choix des pèlerinages. En 1946, de grandes festivités eurent lieu à Roubaix pour le centenaire du collège sous la présidence du cardinal Liénart, évêque de Lille. À cette occasion, une médaille commémorative fut frappée d’après un dessin du graveur Gustave Muller. L’espace de l’avers est occupé par la Vierge et le Christ au centre, entourés par trois victoires ailées portant des couronnes de lauriers à la main. Des palmes soulignent la bordure inférieure. L’artiste a donc privilégié en accord avec l’esprit du temps et des lieux, la victoire et ses attributs.
  
La répétition d’une telle interprétation surtout après 1918 et 1945 a forgé un esprit de cohésion spirituelle, en accord avec un recrutement social très homogène, d’origine presque exclusivement patronale. Ainsi, une dizaine de troupes se partageaient le district scout de Roubaix. La deuxième Roubaix recrutait des élèves des divers établissements libres et publics de Roubaix, mais une scission eut lieu pour créer une « troisième Roubaix » propre au seul collège de Roubaix. En 1965, a lieu la fusion avec l’Institution Saint-Louis dont les élèves sont issus de classes moyennes. La presse fait allusion à une certaine émotion chez les parents et certains préfèrent inscrire leurs enfants au collège de Marcq, plus conforme à leur milieu social (7). Ceci nous a été plusieurs fois confirmé par les anciens du collège que nous avons contactés par voie de presse : « il y avait un esprit maison » très particulier sous le patronage d’une Vierge triomphante et victorieuse. Bien peu – nous avions reçu une cinquantaine de réponses à notre appel dans les journaux régionaux – voyaient encore le rapport avec la basilique de Paris. Le lien s’était distendu très tôt pour disparaître par la suite.
 
Extrait de « La dévotion mariale de l’an Mil à nos jours »,
Université d’Artois, Arras, 2005
 
 
Deux mémoires de maîtrise nous ont fourni une documentation très utile. Citons Delesalle J.-P., Les établissements libres dans l’Académie de Douai, Lille 1968 ; ouvreur N., Du collège communal de Tourcoing à l’Institut Libre du Sacré-Coeur 1802-1914), Lille 1993.
 
Abbé Leblanc H.-J., Histoire du collège de Tourcoing, Tourcoing 1870, 567 p. en particulier p. 250
Nos remerciements à M. Grelle de la Médiathèque pour la consultation des microfilms relatifs aux titres des ouvrages des cinq cabinets de lecture au XIXe s. Il n’y a pas non plus de confrérie féminine : Bonnie Smith, Les bourgeoises du Nord, Paris 1989, p. 79-101.
 
(4) Bulletin de l’Association amicale des anciens élèves de Notre-Dame des Victoires, 1900, p. 10 ; Album souvenir 1845-1900, Roubaix 1901.
(5) Ensemble de vitraux restés inconnus jusqu’à ce jour, de même que trois grands panneaux du peintre Eugène Leroy.
(6) Nous remercions vivement M. Thieffry, de Marcq-en-Barœul, pour son efficace témoignage.
(7) « La fusion Notre-Dame des Victoires-Saint-Louis, Nord Éclair, éd. Roubaix 8 avril 1965. Certaines scènes du film de E. Chatilliez, « La vie est un long fleuve tranquille », ont été tournées devant ce collège.
 
Les églises Notre-Dame des Victoires dans l’arrondissement de Lille 
Les églises Notre-Dame des Victoires dans l’arrondissement de Lille sont au nombre de deux, trois si nous comptons la chapelle fondée par les pères Montfortains à Tourcoing en 1863-1866. Cet édifice, construit rue du Tilleul par l’architecte Maillard, est à présent détruit (9). Ici, la tradition mariale est tout à fait évidente. Celle de Lille, édifiée par l’architecte Jean Delrue pour l’industriel Thiriez, avec une aide financière de la famille Scrive, de 1935 à 1937, a été baptisée ainsi parce qu’un ménage Scrive s’est marié à Notre-Dame des Victoires de Paris. On y rappelait également le souvenir de la victoire de 1914-1918.
À Marcq-en-Barœul, bourgade située au nord de Lille, une église Notre-Dame des Victoires est construite en 1864 pour être détruite en 1973, laissant place à une église plus moderne. L’édifice primitif a été élevé grâce aux frères Scrive, tous deux industriels. Mais à ce projet, s’oppose une bienfaitrice, Mademoiselle Luiset. Celle-ci veut y édifier une église dédiée à Notre-Dame de la Barrière. Le conflit entre les deux promoteurs, les Scrive voulant à tout prix une dédicace à Notre-Dame des Victoires, s’éternise et l’arbitrage de l’évêque de Cambrai est alors sollicité. La décision ne tarde guère et favorise le parti des industriels (10). Toujours à Marcq-en-Barœul, dans la vieille église du bourg, l’église Saint-Vincent, l’autel dédié à Notre-Dame des Victoires porte les armoiries de la famille noble de Bats de Cugnac.
Au collège de Roubaix, comme dans les églises de Lille et de Marcq-en-Barœul, l’empreinte sociale a marqué la naissance puis le développement de la dévotion à Notre-Dame des Victoires.
  
Les chapelles
En ce qui concerne les chapelles et oratoires, nous disposons d’une remarquable documentation rassemblée par l’A.R.A.R.C.O. (Association régionale pour l’aide à la restauration des chapelles et des oratoires) qui, non seulement, a édité trois importants répertoires des chapelles mais aussi met à jour systématiquement un fichier détaillé dans lequel chaque construction figure avec la date de création et les noms des propriétaires et des promoteurs (11). Nous pouvons ainsi éliminer de notre enquête les dédicaces « patriotiques » à Notre Dame des Victoires élevées après 1920 et ne retenir que celles qui ont trait au culte marial uniquement.
 
La plus ancienne est celle de Guémappe dans le Pas-de-Calais, fondée en 1849. Celle d’Hesmond le fut en 1851 avec une confrérie active et un pèlerinage réputé. À Lestrem, qui possède deux chapelles dédiées à Notre Dame des Victoires, la statue a été bénie par Desgenette en personne. Notons enfin la magnificence de la chapelle de Ruitz, construite par l’architecte de la cathédrale de Genève, Alexandre Grigny pour le vicomte de Rocourt (12). Toutes sont situées dans des zones de forte pratique religieuse. Ainsi dans l’est du département du Nord, dans les régions de Valenciennes et Avesnes, aucune dédicace n’a été relevée (13).
Dans un autre registre, nous n’avons trouvé aucune appellation Notre-Dame des Victoires dans les archives de l’inscription maritime sur tout le littoral de la frontière belge à la Sommets. Sur terre comme sur l’eau, cette dévotion n’existait pas dans les milieux du travail et dans les régions peu pratiquantes.
 
En conclusion, il convient de rappeler l’ambiguïté de la dévotion rendue au très saint et immaculé cœur de Marie par l’archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires de Paris. La dédicace de cette église rappelle la victoire contre les protestants à La Rochelle de Louis XIII qui en posa la première pierre en 1629. Le règlement mis au point par le fondateur de la confrérie demande une habitude de prières, une procession au mois de mai, l’entretien d’une chapelle. Au collège de Roubaix, la dévotion privilégie la statue aux dépens de la confrérie et ce qu’elle représente à l’apogée d’un catholicisme triomphant face aux dangers de l’athéisme et du socialisme municipal. La création de la paroisse de Marcq-en-Barœul est l’œuvre des milieux patronaux et bien des chapelles de campagnes très pratiquantes sont le fruit de la générosité de notables aisés, d’aristocrates ou de prêtres dynamiques. Les dates différent quelque peu de celles proposées par Claude Savart ; la plus grande expansion correspond au Second Empire, avec un net essoufflement après la naissance de la IIIe république. Les dédicaces plus tardives relèvent autant du patriotisme que de la religion. En résumé, nous avons la conviction que le choix de cette dévotion s’est fait en fonction d’un certain environnement conservateur et nostalgique de l’ancien régime, si on en juge par ses promoteurs et ses pratiquants. En 1986, une communauté de religieuses enseignantes a ouvert à Liévin un cours pour jeunes filles, intitulé Notre-Dame des Victoires (14). Ces religieuses, les Dominicaines enseignantes de Saint-Pré, ont fait ce choix sans lien avec l’archiconfrérie de Paris et pratiquent encore selon le rite liturgique traditionaliste de Pie V.
 
P. S. Nous sommes redevables envers MM. les Abbés Beghin et Flipo pour leurs témoignages et leurs documents écrits ainsi qu’à MM. les proviseurs des lycées Saint-Rémi et Turgot et MM. Deboosere et Thieffry.
 
(9) Lottin A. (éd.), Histoire de Tourcoing, Dunkerque 1986, p. 274.
(10) Ansar P. et Ali, Histoire de Marcq-en-Baroeul, Lille 1983, p. 189-193. Archives diocésaines 4 C/224.
(11) Cette association a édité Nos chapelles, 1988 ; Patalas I., Nos chapelles … en parcourant le Pas-de-Calais, Arras 1997. Siège de l’A.R.A.R.C.O. : 23 rue Gosselet, B.P. 318, 59026 Lille Cedex. Pour le proche département de la Somme, citons Guerville A., Chapelles en pays de Somme, 2003, Abbeville. Voir aussi Decherf J.-L., Chapelles en Flandre, Steenwerck, Poperinghe 1993.
(12) Hilaire Y.-M., Une chrétienté au XIXe siècle ?, Lille 1977, 2 t. p. 382.
(13) Tous nos remerciements à Madame Annie Delmotte qui a prospecté ce secteur.
(14) Transféré à Le Hérie-la-Viéville dans le département de l’Aisne en 1995
Tous nos remerciements à M. Patrick Ansar pour ses renseignements et ses vérifications sur place.
L’étude de Christian Borde qui a bien voulu nous confirmer dans ce sens. Voir aussi Boyer G., « L’onomastique des bateaux de pêche >, Sucellus, n° 50, 2000, p. 12-20 ; Pfister C., « La flotte gravelinoise: un essai d’inventaire », Revue d’Histoire de Dunkerque et du Littoral, n° 32, 1998, p. 181-210. Par ailleurs, le fonds des images d’Épinal ne contient aucun document relatif à Notre-Dame des Victoires.
Voir à ce sujet l’article de Cl. Savart, « Pour une sociologie de la ferveur religieuse, l’archiconfrérie de Notre Dame des Victoires », Revue d’histoire ecclésiastique, n° 49, 1964, p. 823-844. Malheureusement les archives de l’archiconfrérie sont pour l’instant inaccessibles.
 

La chapelle Carette

La dévotion à Notre-Dame d’Assistance a pris naissance au seuil du 18e siècle qui voyait en même temps la fin du règne de Louis XIV. Depuis une longue période, les guerres incessantes avaient troublé la sécurité. On subissait les fréquentes incursions de bandits puissants qui avaient établi leur quartier général dans la ville d’Ath en Hainaut et, de là, rançonnaient les fermes et les villes ouvertes. On appelait ces brigands les « Catulas ».

En 1692, ils avaient pillé et réduit en cendres la ferme de la « Grande Vigne », sur les confins de Wattrelos. En 1709, ils avaient ravagé les fiefs du Chemin des Couteaux. Ils revinrent aux alentours de 1713 et, cette fois, pour un plus long « stage ». Toute la population se réfugia au centre, dans l’enceinte militaire gardée.

Certain jour qu’un riche fermier roubaisien, Pierre Delbecque-Jonville s’était risqué dans la campagne, il fut assailli par les Catulas, dépouillé de ses vêtements et garrotté. Allait-on le tuer ou exiger rançon ? Tandis qu’on délibérait sur son sort, le malheureux se tourne vers la Vierge qu’il avait coutume de prier et invoqua son assistance. La réponse fut immédiate. Les bandits, sans motif apparent, s’en allèrent aussitôt, l’abandonnant sur le terrain.

C’est pour reconnaître cette intervention miraculeuse que Pierre Delbecque fit construire, sur un chemin qu’on peut situer aujourd’hui au carrefour des rues d’Archimède et de Blanchemaille, une jolie chapelle en briques, ornée de pierres blanches, qui mesurait de 6 à 7 mètres en longueur sur une largeur de 5. Un beau campanile en ornait la façade ; on y mit une cloche si sonore qu’on l’entendait à six kilomètres à la ronde. On y plaça surtout une très belle statue de la Vierge qu’on invoqua sous le vocable de Notre-Dame d’Assistance. L’Enfant porte le globe du monde surmonté de la croix. Il saisit de la main, le sceptre que soutient sa mère. La Vierge et l’Enfant sont couronnés. L’ensemble figure bien la double royauté du Fils de Dieu et de sa divine Mère sur l’univers tout entier. La chapelle fut confiée aux soins d’un homme pieux et bon, Louis Carette, si bien qu’elle finit par en porter le nom.

Bénie le 2 juillet 1718 pendant la Fête de la Visitation, cette chapelle devint le centre de la dévotion roubaisienne à Marie. On n’y disait pas la Messe, mais tous les samedis de l’année et tous les jours de Carême, quand les chemins étaient praticables, on s’y rassemblait pour chanter les Litanies de la Sainte Vierge, réciter le chapelet ou entendre quelque pieuse lecture.

Soixante-dix ans plus tard éclate la Grande Révolution. Tout ce qui porte un nom chrétien est pourchassé. La chapelle Carette est fermée. Des bandes armées dépouillent Notre-Dame d’Assistance de ses riches ornements, volent les deux couronnes d’argent ainsi que le sceptre marial. Celui-ci est arraché avec tant de violence que la main du Christ en est mutilée. Le gardien de la chapelle, Louis Agache, se dévoua pour emporter la statue dans ses bras, la cacher jusqu’au soir dans une meule de foin et l’emmener la nuit, au péril de sa vie, dans la maison qu’il habitait rue du Pays.

Avec non moins de courage, il sauva la cloche dont le son argentin ne se faisait plus entendre pour l’appel de l’Angélus. Quant à la chapelle, malgré les courageuses interventions, elle fut livrée au pillage des démolisseurs qui creusèrent jusque dans les fondations, persuadés d’y trouver un trésor à côté de la première pierre. Les matériaux vendus à la criée, furent adjugés pour la somme de 2,50 francs. Il ne resta du sanctuaire, qu’un vieux tilleul qui l’abritait de son ombre et en rappelait l’emplacement.

Au sortir de la Révolution, nos pères étaient trop croyants pour ne pas continuer d’invoquer en secret Notre-Dame d’Assistance. La famille Agache, qui avait sauvé la statue, aimait s’agenouiller devant elle, grossie parfois de tous les gens du voisinage. La Vierge fut échue, par voie de succession à Charles Agache qui habitait cette partie de la rue du Fontenoy qu’on nommait alors « la barrière des écorcheurs ».

C’était devenu un dicton dans Roubaix, en cas de maladie ou d’épreuve, qu’il fallait « allumer des chandelles à la maison Charles ». Sur le tilleul qui rappelait le souvenir de la chapelle Carette, la Terreur à peine achevée, on avait fixé dans une niche une statuette de la Vierge.

Mais voici qu’un nouveau miracle vint réveiller le culte public. On était en 1817, juste un siècle après la délivrance miraculeuse de Pierre Delbecque.

En juillet, Louis Delbecque, l’arrière-petit-fils du fondateur, est atteint d’une fièvre mortelle, à l’âge de sept ans. Le médecin de famille a perdu tout espoir, c’est le dénouement fatal pour la nuit même. Le père de l’enfant ne s’y résigne pas. Il se tourna à nouveau vers Notre-Dame d’Assistance et lui promet de restaurer la chapelle s’il a le bonheur de voir survivre l’héritier de son nom. Le vœu à peine formulé est exaucé sans délai. Quand le médecin reviendra, quelques heures après, dans la pensée de constater le décès, il trouvera l’enfant en pleine convalescence.

Le mois d’août suivant, c’est cet enfant qui posa lui-même la première de la nouvelle chapelle. Celle-ci, un peu plus petite que la précédente, abrita une nouvelle cloche et une nouvelle statue, les statue et cloche primitives ayant, par voie de donation ou d’héritage, passé en d’autres mains. On vit refleurir l’antique dévotion à la Vierge de Roubaix. Les passants s’arrêtaient pour prendre de l’eau bénite et réciter une prière devant l’image sacrée. Tous les jours, pendant la belle saison, à la tombée de la nuit, tous les samedis en hiver vers les 9 heures du soir au son de la cloche, on y priait ensemble. Tous les dimanches sans exception, la réunion s’y tenait à l’issue des Vêpres et, en la nuit de Noël, c’est à minuit même que l’on venait de partout s’y associer aux joies de la Maternité de la Sainte Vierge. On appelait cela « chanter les Litanies ».

Au troisième jour des Rogations, le clergé de Saint Martin puis, à partir de 1846, celui de Notre-Dame, après avoir béni les campagnes, s’arrêtait en procession pour chanter à la chapelle Carette le « Régina Coeli ». Quand il y avait procession dans Roubaix aux fêtes du Saint Sacrement, des Saints Pierre et Paul, du Sacré-cœur, de l’Ascension ou de la ducasse, on voyait les porteuses de la statue venir chercher Notre-Dame d’Assistance et la mêler au cortège qui défilait dans la ville ou à travers champs.

C’est l’agrandissement de la cité qui amena, en 1858, la destruction de la chapelle Carette. Bâtie originairement en plein champs, elle se trouva placée dangereusement plus tard à un carrefour de circulation. Le maire de la ville demanda son transfert en quelque autre endroit. Comme l’année suivante, le 15 mai 1859, on posait la première pierre de l’église Saint-François, les religieux Récollets, c’est-à-dire les Franciscains belges qui devaient en être les desservants, furent chargés du culte de Notre-Dame d’Assistance. Une jolie chapelle y fut aménagée et, au cours de l’année 1862, la Vierge de Roubaix y trouvait une demeure, cette fois définitive.

la chapelle dans l’église Saint-François ©EG

En 1877, d’actives recherches heureusement couronnées de succès, acquirent à l’église Saint-François la cloche et la statue primitive de la chapelle Carette.

D’après les archives de la Société d’Emulation de Roubaix

1860-1960 Centenaire de l’église Saint-François d’Assise à Roubaix

Fonds d’archives de Jacques Prouvost