L’Eglise et le couvent des Récollets

Au XIXe siècle, l’immigration des ouvriers belges d’origine flamande accroît prodigieusement la population de Roubaix. Devant ces faits, Monseigneur Régnier, archevêque de Cambrai, sollicite les Pères Récollets de Belgique afin qu’ils viennent s’implanter dans notre ville.

A Pâques 1857, les frères Mineurs Récollets de Gand arrivent à Roubaix. Les Bons Pères, ainsi surnommés par les Roubaisiens, s’installent provisoirement dans la chapelle des Carmélites, rue du Collège pour se fixer ensuite rue St Antoine. Le 7 octobre 1857, ils font l’acquisition d’un vaste terrain en plein champ, au lieu dit «  Basse Masure », appartenant à M. Louis Dujardin, fabricant à Mouscron. Le 21 novembre, la première pierre du couvent Saint-Joseph est posée et sera scellée par Monseigneur Régnier le 15 mai 1859, en présence de plusieurs membres du Conseil municipal.

Les fondations de l’église, ouvertes dès le 21 avril 1858, se poursuivent. Les plans dressés par l’architecte départemental M. Dewarlez, respectent la ligne ogivale, comme le veut la tradition de cet ordre religieux. La façade s’étend sur plus de 30 mètres et le bâtiment mesure 52 mètres de long sur 23 de large. Le coût en est de 80 000 francs, dont 21 000 francs de subvention accordés le 27 mai 1859 par le Conseil municipal.

Avant même l’achèvement des travaux, l’église est placée sous l’invocation de Saint Joseph, patron de la province gallo-belge . Bénie le 23 juin 1860, elle sera consacrée le 8 septembre 1873. Les offices religieux y sont célébrés en langue flamande. Serait-ce là l’origine du nom de la rue de Flandre ? …

Les difficultés commencent …

Entre-temps, en juin 1859 et jusque fin avril 1861, les Pères Récollets s’installent dans le couvent. Le 6 novembre 1880, les 15 religieux sont frappés d’un arrêt d’expulsion et reconduits à la frontière par le commissaire « Broyer ». L’immeuble reste cependant gardé par un frère d’origine française.

Les frères franciscains y reviennent quelques années, mais la congrégation se trouve à nouveau expulsée le 10 avril 1903, en application de la loi Waldeck-Rousseau. L’église est alors mise sous scellés, le mobilier est vendu aux enchères et le monastère placé sous séquestre.

En 1907, la société coopérative de boulangerie  « L’Union » rachète les locaux pour en faire un dépôt de pain. L’association de gymnastique  «  L’Avant-Garde » s’y installe également. Pendant la guerre 14-18, le couvent est occupé par les Germains et une petite école d’apprentissage. Le 8 mai 1921, le Père Cyprien Eloy y revient à la tête des religieux.

L’année 1973 marque le départ définitif des Pères. Les bâtiments sont vendus au CAL-PACT et ont depuis été transformés en résidence.

Thierry DELATTRE

Administrateur de la Société d’Emulation de Roubaix

Conservateur des Archives Municipales de Roubaix

L’Eglise Saint-Joseph

CLASSEE MONUMENT HISTORIQUE

REPERES CHRONOLOGIQUES

1878 – Consécration de l’église

1889 – Vitrail du Rosaire – Médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris

1993 – L’église est classée Monument Historique

2003 – Création de l’association de sauvegarde

2004 – Premier festival musical du 1er mai

2006 – Première saison musicale des Joséphonies

2008 – 3ème saison vocale autour des musiques du monde

 

HISTOIRE DE L’EGLISE

Construite dans le quartier ouvrier du Fontenoy, l’église Saint-Joseph, par son style architectural, s’inscrit comme témoin de la pensée de l’église catholique à la fin du XIXe siècle. Elle est édifiée de 1876 à 1878 sur les plans du Baron Béthune (1821-1894), architecte flamand et principal animateur en Belgique du mouvement néogothique de l’Europe du Nord-Ouest.

Sa silhouette élancée se distingue dans le paysage par son élégant clocher qui culmine à 50 mètres à la croisée du transept. On y retrouve l’influence néogothique anglaise mais aussi l’atmosphère particulière des couvents de Bruges.

A l’intérieur, l’église Saint-Joseph présente un chef d’œuvre des arts décoratifs de la fin du 19e siècle. La peinture, la sculpture, le vitrail forment un tout cohérent et ordonné, propice au recueillement. La première pierre est posée le 6 août 1876. L’église est consacrée le 10 novembre 1878. Elle est complétée par la suite d’une chapelle à gauche de l’entrée et de fonts baptismaux à droite, puis entourée d’un presbytère, de la maison vicariale, de la salle de catéchisme, des écoles, et dans le quartier, des cercles catholiques, des patronages. Cela forme un ensemble d’animations spirituelles, sociales et éducatives qui rayonnera dans tout le quartier.

Malgré de nombreuses destructions, on peut encore aujourd’hui admirer de ce qu’il reste de l’ensemble architectural : l’église Saint-Joseph, son presbytère et l’école Sainte Lucie toute proche.

 

LE BARON JEAN-BAPTISTE BETHUNE (1821-1894), architecte de l’église Saint Joseph

Le Baron Béthune est né en 1821 à Courtrai et mort à Marck-les-Courtrai en 1894. Il fait des études de droit puis voyage en Grande-Bretagne entre 1842 et 1843.

Il y rencontre l’architecte anglais Pugin qui l’initie à l’architecture néogothique dont il devient le promoteur le plus important en Belgique. C’est aussi en Angleterre, dans les ateliers de Hardman que le Baron Béthune se perfectionne comme maître verrier.

En 1851, il fonde la Société Saint Vincent de Paul à Bruges avec Guido Gezelle. Comme co-fondateur de l’école Saint Luc de Gand en 1862, il veut subvenir à une formation solide en architecture et en arts et métiers dans le style du Moyen Age ce qui déterminera dans une large mesure, le développement ultérieur du néo-gothique.

Infatigable et entreprenant, il crée la guilde Saint Thomas et Saint Luc pour former des artisans à l’art religieux. Il contribuera largement à l’identité culturelle de la jeune nation belge instaurée en 1831 en développant en Belgique un haut niveau artistique. Il a réalisé de nombreux projets d’architecture, des ensembles d’intérieur et des vitraux, comme à l’abbaye de Maredsous. Il fait de préférence exécuter ses œuvres par une équipe limitée d’artistes qu’il a lui-même initiés aux techniques médiévales et dirige personnellement un atelier de verriers.

Son travail s’apprécie tout particulièrement dans des œuvres d’art total comme le château Van Caloen à Loppem près de Bruges ou l’ensemble architectural de Vijvekapelle près de Damme avec église, presbytère, cloître et école. Il y montre une conception globale où se marient l’influence de Pugin et la tradition brugeoise. Il est aussi l’auteur à Roubaix du Carmel de l’Epeule.

QUELQUES ELEMENTS DU MOBILIER INSCRIT A L’INVENTAIRE DES MONUMENTS HISTORIQUES

Les trois autels majeurs

Reprenant la grande tradition du moyen âge, ce sont des architectes qui dressent une étude précise sur papier des trois autels que le sculpteur Peeters d’Anvers va ensuite exécuter dans les moindres détails et le peintre Guillaume Deumens de St Odilienberg va assurer la polychromie et la dorure à la feuille.

• Le maître autel dédié à Saint Joseph

Rare des trois mystères de Saint Joseph, de gauche à droit, on peut voir :

Les fiançailles de St Joseph, Patron des familles chrétiennes.

La mort de St Joseph, patron de la bonne mort.

L’atelier de St Joseph, patron des ouvriers.

• L’autel de Sainte Anne

A gauche : Présentation de Marie au Temple

A droite : La mort de Sainte Anne

Au centre : Rare représentation de Ste Anne portant Marie portant l’enfant nouveau-né.

• L’autel du Sacré Cœur

A gauche : Consécration d’une famille au Sacré Cœur.

A droite : Le curé de la paroisse présente l’église.

Au centre : Représentation de la Trinité.

La table de communion est une magnifique composition de vigne et de lys entrelacés, on y remarque, dans les médaillons finement ciselés, des figures de l’Eucharistie. Œuvre sortie des ateliers Dehin Frères de Liège.

La tribune et le buffet d’orgue (1885) En bois polychrome Offerts à l’abbé Lesage en 1903. C’est un chef d’œuvre de l’art néogothique avec ses lignes gracieuses, ses ogives, sa balustrade et ses chanfreins éclairés de filets d’or.

La chaire de vérité est en chêne sculpté, les panneaux sont en bronze et représentent Jésus au milieu des enfants, au milieu des docteurs, et le sermon sur la montagne. Adossés au pied, Moïse et Elie représentent l’Ancien Testament.

Les stalles du cœur sont remarquables. Elles sont en chêne avec dosserets traités en cuir et ornées de blasons avec fleurs de lis et les initiales de St Joseph. Des statues représentant les fondateurs d’ordre forment les séparations.

 

LES PEINTURES MURALES

Commencées en 1891 par l’artiste Guillaume Deumens, elles nous donnent une captivante leçon de catéchisme et d’histoire sainte avec, situés dans le chœur, les 4 grands prophètes et les 4 évangélistes puis l’arc de Triomphe où trône le Christ en majesté du Jugement Dernier. Dans la partie haute de la nef, s’avance la multitude des saints, des martyrs et des élus. Sur les murs, la peinture au pochoir reprend des symboles religieux sur de lourdes tentures en trompe l’œil rappelant les magnifiques pièces de tissus réalisées dans les usines du quartier.

LES VITRAUX

• Dans le chœur (de gauche à droite)

Ils proviennent des ateliers parisiens de Claudius Lavergne Fils et représentent la Sainte Famille.

St Joachim ; La vierge écrasant le serpent.

Jésus Sauveur du monde tenant le globe terrestre.

St Joseph, père de Jésus, Ste Anne, mère de Marie.

• Dans la partie inférieure  : Le songe de St Joseph – La Nativité – L’atelier de Nazareth – Présentation au temple – Fuite en Egypte

• Dans le haut du transept au-dessus des arcades : Une reproduction des pères de l’Eglise.

• Au dessus de l’autel de gauche  : médaille d’or Exposition Universelle de Paris, le vitrail du Rosaire des ateliers Stalins-Janssens d’Anvers.

• En bas, les trois mystères joyeux : L’annonciation – La Nativité – Jésus avec les Docteurs

Dans le milieu, les trois mystères douloureux : La mise au tombeau – La descente de Croix – Le chemin de Croix.

En couronnement du vitrail : Un mystère glorieux, l’Assomption de la Vierge.

• Au dessus de l’autel de droite 

Le vitrail de la Passion. Notez les couleurs choisies pour l’Eucharistie, les tonalités qui varient selon l’intensité de l’éclairage (Manteau bleu de la vierge Marie ou rouge du Christ ).

• Dans la nef centrale 

En partie haute, les saints de France ;

En partie basse,  les douze apôtres.

Plus d’informations encore dans le magazine Gens & Pierres de Roubaix n° 17.

 

Le boulevard de Metz

J’aimerais apporter ma contribution pour évoquer « Ma Rue », le boulevard de Metz. Je n’ai pas consulté le cadastre de 1850, je ne connais pas son origine, c’était la route vers Tourcoing, Mouscron ou y venant. C’est maintenant la voie urbaine très fréquentée toujours vers ou de Gand, la voie rapide Lille-Paris.
Je peux évoquer son histoire par les nombreux souvenirs car j’y vis depuis ma naissance et une arrière-grand-mère maternelle, mes grands-parents maternels et paternels, mes parents y ont vécu au numéro 5 (j’y suis née en 1915) au numéro 16 (cabaret) au numéro 26 (cour), et au numéro 94 (cabaret du Tap’au Tour).
 
En 1882, il y avait de nombreuses maisons à « bass’toture » ou à « 4 otils », de vieilles courées et un ruisseau (le courant Saint Joseph ou des Préaux) se jetait dans le Trichon par le boulevard de Strasbourg au Galon d’Eau, actuellement au niveau de l’immeuble C.I.L. rue Nadaud-Grande Rue. Cette rue Nadaud possédait un peignage Allard et le déversement des eaux de lavage rendait le « riez » nauséabond, même lorsque l’on créa les égouts. Nous l’appelions la « Rue Puante ».
Mes grands-parents Decottignies-Dubled habitaient le cabaret « Au Dernier Sou ». Mon grand-père travaillait comme rentreur à l’usine textile Toulemonde, il travaillait « aux pièces », vif, courageux, il gagnait bien sa vie car il exploitait avec sa femme (fille du cabaret au Tap’au Tour au numéro 94) un cabaret au 16, boulevard de Metz. En rentrant de l’usine, il mettait son petit tablier bleu et servait la bière aux ouvriers, jouaient aux cartes avec eux et le matin, avant le départ à l’usine, c’était le café et le genièvre. Ma grand-mère faisait les dîners pour la halte de midi, et en saison, tôt le matin, le dimanche, c’était les concours de chants de pinsons. Les filles n’avaient pas le droit d’aller au comptoir, elles aidaient leur mère et travaillaient à domicile, piquaient des tiges de chaussures (chamarreuses). Les fils étaient cordonniers dans les maisons voisines, aux numéros 12 et 14.
Avec ses économies, mon grand-père eut sa courée vers 1895, au moment où se construisaient de nombreuses maisons et de très nombreuses courées avec le cabaret à côté ou au coin des rues. Je me souviens des numéros 1 – 13 – 29 – 33 – 41 – 45, cabarets où l’on chantait tard le soir et dans la nuit le samedi. Du 91 au 103, c’était les usines Toulemonde et Tournoys avec leurs chaudières monstres et leurs cheminées géantes. Entre le 47 et le 85, c’était la ferme Deldalle avec des prairies (pâtures), les vaches traversaient la rue pour aller pâturer de l’autre côté du boulevard, du 46 à l’angle de la rue Daubenton jusqu’au canal et nous aimions passer sous les barbelés pour jouer dans l’herbe ou en cueillir pour « nos lapins ». Cabarets et courées étaient aussi nombreux du côté pair au 2 – 16 bis (la cour Decottignies : 5 maisons) 20 – 26 – 36 – 40, puis au-delà de la rue Daubenton, vers le tir à perche vers le 110.
Souvenirs ! La Reine des reines, Flore Barloy habitait une maison vétuste et sale où l’on a construit, après démolition, la cour Decottignies, parallèle à la rue (ce qui était rare disait Monsieur Jacques Prouvost). Cette Flore Barloy avait un teint lumineux, « un port de reine », disait ma mère née comme elle en 1884. On voit la cérémonie sur le recueil de cartes postales (introuvable), c’était lors des fêtes d’une exposition à thème colonial vers 1904, je crois, avec Eugène Motte, maire de 1902 à 1912, remplacé par Jean-Baptiste Lebas.
Marguerite BERGERET-HAUDEGE
Décembre 1993

La rue de la Vigne

Combien reste-t-il d’ « anciens » pour se souvenir, avec moi, des jours heureux du Roubaix d’autrefois ?

 A cette époque, chaque quartier était comme une petite communauté comprenant une rue principale où se rassemblaient les magasins et quelques petites rues, impasses ou larges courées appelées « forts », convergeant, en général, vers une usine, où travaillaient la plupart des habitants.

Chaque quartier avait son nom. Le mien, c’était le JEAN GUILAIN, appellation dont je ne connais pas l’origine et qui englobait la rue de l’Hommelet, la rue Lacroix, la place de la Nation, quelques rues adjacentes et surtout, bien sûr, la rue de la Vigne.

Une usine s’était installée sur l’un des trottoirs, occupant une place importante dans cette rue, relativement courte. Ce fut d’abord l’usine DUBAR (tissage), puis TOULEMONDE qui y adjoignit un piqûrage. La main d’œuvre était nombreuse et, dès 1910, les commerces ont commencé à fleurir tout le long de la rue. C’est au numéro 46, juste en face de l’usine qu’un de mes oncles ouvrit un magasin de chaussures. Artisan-cordonnier comme mon père, ils travaillaient avec quelques ouvriers, fabriquant en même temps des « chaussures sur mesure ». Les clients étaient nombreux et en 1924, mes parents ont repris l’affaire, tandis que l’oncle s’est installé quelques mètres plus loin, au numéro 18, un atelier de cordonnerie. C’est de cette époque (je suis née après la Grande Guerre) que datent mes souvenirs.

Roubaix était alors en plein essor économique et la renommée de notre rue ne cessait de grandir. Il faut dire que les commerces s’y côtoyaient, serrés les uns contre les autres, à peine séparés, de loin en loin, par quelques courées et quelques « maisons bourgeoises » comme on disait alors. Cette artère est très vite devenue le pôle d’attraction du quartier. Au temps où, enfant, j’avais peur de traverser le grand boulevard de Metz, encore bordé d’un côté de terrains vagues où j’imaginais tous les dangers, dans ces coins sombres où « l’allumeur de réverbères » ne s’aventurait pas, j’étais heureuse de trouver au tournant de la rue, l’animation et l’éclairage (électrique déjà !) des magasins illuminés.

Les commerçants étaient fiers de leur rue, et peu à peu, purent obtenir le droit de constituer l’Union des Commerçants et l’autorisation, en 1933, de préparer une « braderie », ces fameuses braderies qui consacraient la célébrité d’une rue et nous hissaient, de ce fait, au niveau des « plus grands ». La Braderie de la Rue de la Vigne… Aucun Roubaisien ne pouvait l’ignorer et, chaque 15 août, pendant des décennies, elle a été une des manifestations commerciales les plus fréquentées de Roubaix. A la mort de mon père, en 1935, j’ai aidé Maman à tenir le magasin et ce fut le début d’une période faste. Les congés payés rendaient les gens heureux, les ouvriers gagnaient bien leur vie et les affaires marchaient bon train !

Nous organisions des Expositions de Printemps et d’Automne, chacun s’ingéniait à rendre sa vitrine attrayante. Les magasins se modernisaient et nous étions en plein développement quand la Seconde Guerre mondiale fut déclarée en 1939 ! Ce fut alors une éclipse de cinq longues années mais nous gardions l’espoir et dès 1945, nous reprîmes notre ascension dans une euphorie totale. Tout était prétexte à faire la fête. Les concours et surtout les Elections de la « Reine d’un jour » et les « radio-crochets », mis à la mode par la T.S.F., amenaient une foule exaltée et joyeuse. La jeune fille élue était comblée de cadeaux offerts par les commerçants… mais rien ne valait ces chanteurs-amateurs qui égrenaient leurs couplets, accompagnés par l’accordéon d’Edmond DUVINAGE.

Je me souviens de Monsieur LARIVIERE, ce vétéran, ancien « appariteur » à la Mairie de Roubaix qui chantait « Le temps des cerises » d’une voix « du temps où les chanteurs avaient de la voix » et tout le monde reprenait en chœur, au refrain, tandis que les plus jeunes s’essayaient à des chansons modernes : « Le complet gris » de Line RENAUD et même la Samba avec « Joseph au Brésil » et autres couplets des années 50.

Cette période heureuse a duré bien longtemps et tous ceux qui s’en souviennent vous diront que l’on venait à pied, de Wattrelos et d’ailleurs, en promenade, le dimanche après-midi, pour admirer les étalages et l’on revenait en semaine, pour faire les courses. Les uns s’habillaient de la tête aux pieds, les autres achetaient de quoi repeindre et tapisser toute leur maison. Du sac à main à la cravate, du bouton de culotte au poste de T.S.F. et même plus tard, de télévision, nous avons été  à même d’offrir tout cela à nos clients pendant plus de 50 ans, rien que dans notre rue ! Avec cet accueil chaleureux, cette ambiance familiale, ce côté bon enfant des relations vendeur-acheteur, cette sympathie spontanée qui finissait, avec le temps, par faire de nos clients de vrais amis. 

Puis la crise est arrivée et les commerçants vieillissant n’ont plus trouvé d’acquéreur pour leur fonds de commerce et les magasins se sont fermés l’un après l’autre, les façades ont été transformées et la rue a perdu son attrait.

J’ai été l’une des dernières à rester mais l’âge m’a obligée à prendre ma retraite et, la mort dans l’âme, j’ai dû abandonner ma maison que je ne pouvais plus entretenir. Je l’ai vendue, il y a deux ans, elle est maintenant vouée à l’anonymat, comme les autres, quand on aura démoli la devanture, mais pour le moment, les vitrines sont encore intactes et elle arbore toujours son enseigne « CHAUSSURES HAUGEDE » qui a fait son succès et la fierté de toute ma vie.

C’est toujours avec nostalgie que j’évoque ce passé heureux et quand je passe encore par là, le cœur serré, les larmes aux yeux, je salue le courage et la volonté de mes jeunes amis qui ont accepté de reprendre le flambeau et qui se battent encore farouchement pour que, malgré tout, vive la rue de la Vigne !

Marguerite BERGERET-HAUGEDE

 Décembre 1993

Le boulevard Beaurepaire

Cette importante artère qui mesure 1 250 mètres de longueur sur une largeur de 20 mètres part de la place Faidherbe pour aboutir au Pont du Sartel. Elle fut classée en 1871 et porte le nom d’une seigneurie citée dès le XIIIe siècle dont Gillebiers de Beaurepaire, noble homme, qui était homme de fief du seigneur de Roubaix. Il s’y trouvait une « cense » qui disparut au XIXe siècle et dont le dernier fermier Pierre Delannoy, fut conseiller municipal en 1834. Il est l’un de ceux qui avaient milité sans succès pour la division de Roubaix en deux communes : Roubaix-Ville et Roubaix-Campagne. Les fermiers qui défendaient cette thèse s’élevaient en particulier contre les droits qui frappaient toutes leurs récoltes ramassées sur leurs terres extérieures à Roubaix. Depuis 1802, en effet un octroi taxait toutes les entrées de marchandises en ville, un bureau de l’octroi se trouvait à l’entrée du boulevard de Beaurepaire.

Près de la ferme, une modeste chapelle érigée vers 1815, était dédiée à Notre-Dame des Grâces en vertu d’un voeu des fermiers pour la guérison de leur fils infirme. Cette chapelle fut démolie en 1904. Lors des processions des Rogations (qui se déroulaient chaque année durant trois jours précédant l’Ascension pour implorer la protection du ciel sur les récoltes), le cortège religieux qui quittait l’église Saint-Martin, seule paroisse à Roubaix jusqu’en 1846, se rendant à cette chapelle. Le développement industriel de Roubaix devait modifier complètement l’aspect du boulevard de Beaurepaire.

Les terrains disponibles permirent l’implantation d’entreprises importantes, telles que la Brasserie Dazin Frères (au n°25), dans laquelle un incendie s’était déclaré il y a juste un siècle le 26 avril 1893, devenue vers 1910 la société Delcourt et Salembier, puis après 1920 la brasserie de Beaurepaire. C’était l’une des plus importantes de Roubaix. Quelques pas plus loin, au n°35, se trouvait la minoterie Courouble Frères, et juste à côté, au n°37, l’entreprise G. Lehoucq, bois et scieries, toujours présente à la même adresse, ce qui en fait une des maisons centenaires de Roubaix puisqu’elle est citée au même endroit dès 1892 … Au n°209, le Peignage de Beaurepaire.

Du côté pair, le « Conditionnement public » de la Chambre de Commerce de Roubaix, voisin des bâtiments de l’usine Motte et Blanchot, rue de Babylone. Au n° 108, un fabricant de chicorée du nom de Lucas n’eut qu’une présence éphémère et au n° 288 bis, le bureau de l’Octroi de Roubaix mettait le point final.

Cette forte présence de l’industrie et du commerce s’était accompagnée d’un développement des constructions à usage d’habitation et surtout de cabarets nombreux dans cette rue dont les enseignes témoignent de la clientèle à laquelle ils aspiraient : au Repos des Charbonniers, au Boeuf Gras, au Bon Coin, à la Brasserie de Beaurepaire, à la Petite Hirondelle, A la Descente des Forgerons, A la Citerne de Beaurepaire, à la Réunion des Fileurs, A l’Arrivée de Leers, au Franc Coqueleur, A l’Hidalgo. Cinq courées s’inséraient dans cette vaste artère : les cours Bonnet, Fauvarque, Duquesnoy, Raux et Spriet.

Pour assurer les communications avec le centre ville, courait une ligne de tramways, en deux tronçons (ligne H et ligne n°6) qui fusionneront en 1936 sous le vocable H lorsque pourra enfin cesser le transbordement en gare du Pile pour les voyageurs se rendant à Leers ou en venant. Le tramway sera remplacé en 1953 par des autobus.

De nos jours, le boulevard de Beaurepaire est toujours une importante voie du réseau de communication entre Roubaix et Leers ou Wattrelos. Deux rangées d’arbres, dont la plantation était prévue en 1914, lui donnent durant la belle saison un semblant de verdure.

Le premier « Conditionnement public » de Roubaix fut autorisé par un décret du 31 août 1858. Dans sa réunion du 11 avril 1857, le Conseil municipal avait souhaité cette création. Il fut installé dans les bâtiments précédemment à usage de teinturerie appartenant à la famille Duforest et que la ville avait acquis à la suite d’une déclaration d’utilité publique prononcée par le Tribunal Civil de Lille le 4 mars 1854. Cet achat avait été fait en provision de l’établissement d’un marché couvert, mais cette idée ayant été abandonnée, l’immeuble fut affecté au conditionnement.

En 1880, les installations se révélant insuffisantes, on décide d’acquérir différents terrains totalisant 7 056 mètres carrés entre le boulevard d’Halluin et la rue de la Chaussée. Sur ce terrain, on construira un établissement adapté au volume de l’activité roubaisienne. Il sera ouvert en 1883. Les bâtiments de la rue du Château libérés  par ce transfert sont alors affectés à différents services municipaux.

En 1894, la Municipalité, en raison du développement de l’activité économique, envisage de créer un second établissement de conditionnement. Dans ce but, elle décide l’achat à Madame Veuve Motte-Grimonprez d’un terrain de 9 197 mètres carrés entre la place Faidherbe, le Boulevard de Beaurepaire et la rue Monge. Cette décision provoque un litige avec la Chambre de Commerce qui souhaitait créer elle-même ce nouveau conditionnement alors que la Municipalité avait les mêmes prétentions.

Il s’ensuit une succession de discussions qui retarderont l’exécution du projet, lequel prend corps le 27 octobre 1899, date à laquelle un décret préfectoral autorise la Chambre de Commerce de Roubaix à créer boulevard de Beaurepaire une « succursale du Conditionnement public ». Le 23 avril 1909, le Conseil municipal décide de fusionner les deux Conditionnements sous la direction unique de la Chambre de Commerce de Roubaix.

Enfin, par un décret du 11 décembre 1928, la Chambre de Commerce est autorisée à résilier le contrat de gestion passé en 1909 avec la ville, à acquérir le Conditionnement du boulevard d’Halluin (propriété de la ville jusqu’alors) et le bureau de Mesurage public. Ce dernier service comprenait avant 1914 quatre bureaux (rue des Sept Ponts, rue Lacroix, rue Nain et rue de l’Alma). Après la guerre de 1914-1918, seul le bureau de la rue de l’Alma fut rouvert jusqu’en 1929, date à laquelle il fut fermé et les opérations transférées au Conditionnement.

La récession économique qui a réduit la production textile roubaisienne a amené la cessation de l’activité du Conditionnement du boulevard de Beaurepaire dont les bâtiments accueillent aujourd’hui des activités et des animations culturelles sous l’enseigne de « La Condition Publique ».

Ce texte figure dans le tome 1 de l’histoire des rues de Roubaix, paru en 1999-2000. Les flâneurs, auteurs de ces chroniques, n’ayant jamais prétendu être exhaustifs, tout complément est le bien venu, en citant les sources, bien entendu. D’avance merci !

Philippe Waret

La rue des Arts

Cet axe, long de 950 mètres, débute rue de Lille ; après le pont des Arts, il se poursuit sous le nom de rue Boucher-de-Perthes. La rue fut créée par délibération municipale des 20 novembre 1863 et 27 juillet 1864, approuvée par Arrêté préfectoral du 28 juillet 1865  pour le classement comme voie publique. Elle est parallèle à la rue de l’Industrie, comme si les arts et l’industrie devaient être indissociables pour le bonheur des citoyens Des habitations modestes alternent avec des hôtels d’allure bourgeoise et des établissements cultuels ou administratifs.

Au n°14 ont résidé, au moins entre 1910 et 1914, le chanoine Th. Leuridan et sa soeur. Le chanoine fut le fondateur, en 1899, de la Société d’études de la Province de Cambrai et en 1868 de la Société d’émulation de Roubaix. Il avait habité aussi 12, rue Dammartin. On sait qu’il mourut en 1933.

Au n°16, s’est trouvé l’institut populaire de Roubaix, rassemblant trois groupes d’oeuvres à caractère social. Il avait été précédé en ces lieux par la confiserie «Le Progrès», puis par la Société anonyme des Mécaniques Verdeulle ; mais en 1938, c’est à nouveau un confiseur qui occupe la maison : son voisin , M. Bastien, fait exécuter des transformations au n°14 par un architecte de Wattrelos, M. Gontier.

Le n°19 fut occupé par l’architecte roubaisien bien connu, Dupire-Rozan, dès 1894. Est-il à l’origine du remarquable escalier et du vitrail qui décorent l’édifice ? Lui succéderont l’industriel Emile Pollet-Rasson et, plus près de nous, l’homme de lettres, H.L. Dubly.

Au n°23, un estaminet affichait «Au bataillon scolaire»,  tandis qu’au 26 on trouvait le «Tape-Autour». Les 27, 29 et 31 correspondent au temple de l’église réformée, à la maison du Pasteur et aux salles annexes. Ce temple fait suite à celui de la rue Emile-Moreau qui fut jugé trop vétuste en 1864, pour être réparé. Le temple de la rue des Arts fut réalisé à partir des plans de M. Shultess d’Amiens, la direction du chantier fut confiée à M. Dupire, architecte de la ville. Divers avatars retardent les travaux, de sorte que l’inauguration n’a lieu que le 15 août 1871. Encore l’entreprise a-t-elle bénéficié de largesse de MM. Holden-Crothers. L’orgue du temple est connu pour ses remarquables qualités : il vient de subir une profonde restauration, pour la plus grande joie des fidèles et de son titulaire.

Au n°41, décrochements et marquise rompent la monotonie de l’alignement. Le 53 et le 55 n’ont formé qu’une seule habitation à l’origine, la façade régulière est centrée sur un fronton encadré de pilastres, les clefs d’arcs sont fleuries. Au n°65, les claveaux sont vermiculés : les leçons de la grande architecture ne sont pas loin !

Au 105, le Commissariat de police du 2e arrondissement, le bâtiment est quasi centenaire. Il s’orne d’un superbe fronton. Auparavant, nous sommes passés au 83, devant la maison où habita Gilbert Sayet, longtemps Secrétaire général de la mairie. L’angle que la rue des Arts forme avec la rue du Trichon est ponctué par une maison aux couleurs gaies, dont la clématite constitue la seule tache de verdure de cette rue. Le retour sur la rue des Arts est marqué par le relief d’un balcon vigoureux ; tout à côté, un café, au n°108, montre une enseigne vitrée où alternent les verres cathédrale, chenillés, diaprés : un peu d’art et de fantaisie.

Le n°112, fut longtemps aux frères Martel ; en 1943, on y trouve le Commissariat régional au travail des jeunes. L’année suivante, c’est le Centre de jeunes des Arts : pour la sécurité en cas de bombardement, on y aménage une cave-abri. Aux 130 et 132, un vaste terrain de 4000 m2 fut acheté au Bureau de bienfaisance en 1879 et partagé en deux lots qui furent affectés l’un à une école de garçons, l’autre à la Gendarmerie nationale, dont la brigade était auparavant casernée … dans la chapelle du Saint-Sépulcre ! Une belle constance dans la fidélité au quartier, c’est aujourd’hui le n° 138.

Au n° 133, l’estaminet s’est appelé «Aux deux postes». Un peu plus loin, nous voici au 137. Ici habitèrent successivement, de 1894 à 1906, Edouard Roussel, puis Charles Lefebvre-Heyndrickx, un receveur de l’Enregistrement, jusqu’à ce que la maison abrite la Maison de famille religieuses de la Présentation. Puis c’est la  J.O.C.

Au 139, les Tissages François Roussel Père et Fils sont présents dès 1894 ; la façade sur la rue a été renouvelée en 1928 avec l’architecte tourquennois, P.G. Forest : un coup d’oeil par la porte cochère permet d’entrevoir la noblesse de l’architecture du XIXe siècle.

Le quartier a bien changé : au voisinage de la rue de l’Epeule, des bâtiments neufs succèdent au parking du Colisée. On trouvait là des estaminets aux noms évocateurs : «Au retour des pompiers», «A la providence», « A la fontaine d’or» …. Plus loin encore, c’étaient «Au passage des Arts», et «Au pont des Arts». Nous sommes arrivés au terme de notre promenade. Les rues parallèles butent contre le talus du chemin de fer, mais en 1887, le conseil municipal avait voté une somme de 100 000 F, les propriétaires riverains une somme de 25 000 F, pour permettre la liaison des quartiers Fresnoy, Mackellerie et Epeule-Alouette ; les travaux furent réalisés par la Compagnie des Chemins de Fer du Nord et achevés en 1891 : le pont des Arts marque la fin de la rue des Arts et le début de la rue Boucher de Perthes. Mais là, c’est une autre histoire …*

* Ce texte figure dans le tome 1 de l’histoire des rues de Roubaix paru en 1999-2000. Les flâneurs, auteurs de ces chroniques, n’ont jamais prétendu être exhaustifs, aussi tout complément est le bienvenu, en citant les sources, bien entendu. D’avance merci !

Philippe Waret

Les premières écoles primaires

Les méthodes pédagogiques

Il semble qu’avec la loi Guizot (loi du 28 juin 1833) la cause des instituteurs latinisants l’ait emporté. En effet, au nom de la liberté de l’enseignement, il fut mis fin au monopole de l’Université et le droit de créer des écoles primaires « libres », c’est-à-dire dégagées de la tutelle de l’Etat, fut reconnu.

La loi Guizot précise toutefois les obligations faites aux communes. Elles doivent  entretenir une école primaire (art.9) et  assurer la gratuité de l’enseignement pour les enfants pauvres (art.14). Elle met également en place le comité local de surveillance composé du Maire, du curé ou pasteur et d’un ou plusieurs habitants, notables désignés par le comité d’arrondissement (art.17). Le sort des instituteurs ambulants, que dénonce le Chevalier, n’est toutefois pas réglé. L’administration hésite toujours à sévir et se contente de demander aux curés d’exercer le contrôle de ces écoles.

En 1830, véritablement harcelée par le Préfet, la municipalité de Roubaix décide enfin de construire un établissement scolaire sur la plaine des Saxons (rue des Lignes). Cette école, dont la création avait été décidée dix ans plus tôt, coûte 10.400 francs (le salaire annuel d’un instituteur est d’environ 400 francs). Pour la diriger, on fit appel à l’institution des frères de la Doctrine chrétienne. Dès son ouverture, en mai 1830, l’école accueille gratuitement 255 garçons et 600 à la rentrée d’octobre. Les élèves les plus pauvres étaient même dispensés de payer le papier et les plumes (budget 1832 : 200F pour fournitures aux indigents).

Un mois plus tard, le 20 juillet 1830, s’ouvrit l’école des filles, rue Saint-Antoine, dans un bâtiment offert par le fabricant Louis Lepoutre-Decottegnies. L’école, confiée à 12 sœurs de Sainte-Thérèse de l’ordre des Carmélites, reçut 300 filles à la rentrée suivante. Les Frères étaient à peine installés que la municipalité reçut des plaintes de la part des instituteurs des écoles privées (payantes) dont les classes se vidèrent. Mais quand, en 1833, en vertu de l’article 14 de la loi Guizot, la municipalité crut pouvoir imposer une rétribution mensuelle aux élèves non indigents, les Frères opposèrent l’article premier de leur règle : « les frères de la Doctrine chrétienne n’acceptent d’établissement qu’autant que ces écoles sont parfaitement gratuites, sans que les enfants ou les parents y contribuent en rien ». Un conflit s’en suivit, passa dans le domaine public et divisa la ville, le conseil municipal et l’administration à un point tel, que l’existence de l’école chrétienne fut un instant menacée. Le 8 octobre 1833, le conseil municipal transigea. Il décida que l’instruction chez les Frères serait entièrement gratuite mais précisa que seuls les enfants pauvres continueraient à y être admis.

Toutefois cette solution ne pouvait satisfaire certaines familles qui, parce qu’elles avaient quelques moyens, voyaient à regret leurs enfants privés d’une instruction de qualité. Elles formèrent donc, entre elles, une association aux frais de laquelle une école particulière de Frères de la Doctrine chrétienne fut fondée le 15 mars 1834. On admettait dans ces nouvelles classes, tous les élèves qui se présentaient, en réclamant seulement de ceux qui pouvaient payer une légère rétribution. Cette œuvre continua jusqu’en 1844, date à laquelle les administrateurs, contraints par des difficultés financières, proposèrent à la ville de reprendre à sa charge l’école, offrant de faire l’abandon du mobilier et du trousseau des Frères, ce qui fut accepté.

Ces écoles s’ouvraient, il faut le noter, contre le vœu du comité d’instruction. Ce comité de sept personnes, fondé par décision du Ministre de l’instruction publique, le 25 avril 1831, en vertu d’une ordonnance royale du 16 octobre 1830, avait pourtant pour mission d’assurer le développement de l’enseignement primaire à Roubaix.

Animé par le puissant filateur Auguste Mimerel (maire de 1834 à 1836), le comité prétendait connaître « la répugnance des ouvriers à faire apprendre quoi que ce fut à leurs enfants », assertion démentie par ce même comité, trois ans plus tard : «toutes les classes sont pleines (…), la population ouvrière demande instamment à jouir pour ses enfants, du bénéfice de l’instruction gratuite ». Il est vrai qu’entre temps, Auguste Mimerel était devenu maire. Mais si les parents semblent convaincus de l’utilité de l’école, il n’en demeure pas moins que l’enfant représente avant tout, un salaire d’appoint ou une aide au travail pour des parents tisserands.

Paul Delsalle dans son étude sur le milieu du textile cite, à ce propos, deux lettres. L’une du maire de Tourcoing, écrite en 1837, atteste que la plupart des parents ne voient que le présent précisant qu’ils préfèrent un rapport de 1,50 à 3 francs par semaine, à l’instruction.

L’autre, du président de la Chambre Consultative des Arts et Manufactures de Roubaix, affirme, en 1840, que les pères, les mères et les chefs d’atelier chercheraient à s’affranchir des obligations contraignantes d’une loi sur la restriction du travail des enfants dans les manufactures et ce d’autant plus que les fileurs ne pourraient travailler sans leurs rattacheurs qui étaient presque toujours des enfants. C’est dans ce contexte que deux nouvelles écoles ouvrent leurs portes en 1833. Une école primaire supérieure, sur initiative privée (Van Eerdewegh) rue Neuve (actuelle rue Maréchal Foch) et une école communale d’enseignement mutuel (sous la direction de Commere).

L’école primaire supérieure privée accueillit entre 70 et 100 élèves (dont 6 à 27 gratuits) jusqu’en 1852, année de sa fermeture.

L’école mutuelle, installée d’abord dans une dépendance de la mairie, fut victime de la disgrâce nationale de cette méthode d’enseignement. Elle devint simultanée à la fin de la monarchie de Juillet, tout en conservant son nom d’école mutuelle (jusqu’en 1870). Elle déménagea ensuite au Trichon (rue du Bois) en 1864. Destinée à pratiquer une méthode d’urgence, en traitant de gros bataillons à moindres frais (1500 francs pour la ville la 1ère année), elle enregistra 200 inscriptions à son ouverture et 300 l’année suivante.

Le 29 novembre 1839, le comité d’instruction adresse son rapport à l’administration communale. Il donne les effectifs pour les écoles communales et privées.

Etat de l’instruction primaire à Roubaix en 1839

école de : Écoles primaires communales Écoles primaires privées
 

 

 

effectifs  

 

 

effectifs
garçons

 

 

école des Frères

école mutuelle

école supérieure

300

180

100

3 écoles :

1 congréganiste et 2 laïques

268
 

 

filles

 

 

 

 

école des Carmélites

 

 

 

 

 

268

 

 

 

 

5 écoles laïques

 

 

 

 

305

total 1.095 total

 

573

 

Le nombre d’enfants scolarisés est donc de 1.668 pour un nombre d’enfants de 5 à 14 ans d’environ 5.000, soit un taux de scolarisation de 33 % (contre 51 % pour le département).

Les inspecteurs primaires du département furent impuissants à enrayer la baisse du taux de scolarisation entre 1837 et 1843, baisse imputable, au malaise économique qui frappe cette région en plein développement industriel, malaise économique dont une des premières conséquences est de conduire des enfants qui pourraient être scolarisés à aller s’employer pour gagner les quelques sous qui permettront à leurs familles de subsister. L’absence de mesure coercitive mise au service des inspecteurs primaires, (l’obligation scolaire ne sera décrétée qu’en 1882), et les besoins croissants des manufactures en main-d’œuvre enfantine, font que le département du Nord est le département de France qui connaît la plus faible progression (celui du Pas-de-Calais étant le seul à enregistrer une diminution) de son rapport du nombre des élèves à la population entre 1830 et 1842, année de la mise en application de la loi de mars 1841 réglementant le travail des enfants.

 Autre constat, propre à renforcer la démonstration de l’impuissance des inspecteurs primaires du département à améliorer le taux de fréquentation scolaire, le rapport des élèves à la population, supérieur dans le Nord de près de 50 % à la moyenne nationale en 1831 (897 élèves pour 10.000 habitants dans le Nord et 608 pour 10.000 en France), est presque égal à ce dernier en 1842. Passant sous ce rapport du 20e au 40e rang (sur un classement de 86 départements) le Nord a donc perdu, en une dizaine d’années, sa position privilégiée sur le plan de la scolarisation, position acquise et maintenue durant toute la Restauration.

Les causes de la non-fréquentation scolaire

Impuissants à conduire les enfants dans les écoles publiques qui se généralisent pourtant dans toutes les communes du département, les inspecteurs primaires du Nord eurent à réfléchir sur les causes de cette non-fréquentation.

Pour Carlier, il ne faisait pas de doute que la pauvreté tenait de nombreux enfants éloignés des écoles publiques car, constate-t-il au cours d’une inspection dans l’arrondissement de Cambrai, dans les familles indigentes « à peine les enfants des deux sexes sont-ils âgés de sept ans, qu’on les occupe à broder le tulle, ce qui leur rapporte 40 à 50 centimes, par jour ». Malgré sa modicité (moins du quart du salaire d’un adulte), ce salaire représentait, selon l’inspecteur, « une somme bien supérieure à ce qui peut leur revenir des distributions de bienfaisance », rendant de ce fait inopérante la mesure adoptée par certains maires affligés de cette situation, mesure qui consistait à priver des secours ordinaires, des familles indigentes dont les enfants ne fréquenteraient pas les écoles.

Autre fait aggravant cette situation, la fabrication du textile, qui connaît durant cette période une forte industrialisation, nécessite la présence de nombreux enfants pour des travaux sur les métiers à tisser rendus impossibles à l’adulte par l’étroitesse d’accès ou la minutie du travail. Quinze ans après l’inspecteur Carlier, l’un de ses successeurs, Hilaire (futur directeur de l’Ecole normale de Douai fera le même constat : « Les enfants sont des machines qu’on exploite sitôt qu’ils peuvent rapporter le plus léger gain à la maison. Cette classe (la classe ouvrière) qui forme peut-être les 3/4 de la population totale de l’arrondissement ne comprend nullement le besoin de s’instruire et se soucie peu des avantages que procure une instruction bien donnée ».

Mais si la pauvreté est (le salaire désigné par les inspecteurs du Nord comme le motif de non-fréquentation de l’école pour près d’un enfant sur cinq (18 %), celui-ci se situe néanmoins très loin de ce critère évoqué dans les deux tiers des cas : l’indifférence des parents. Triste constat donc pour les inspecteurs primaires imprégnés de l’esprit de la loi du 28 juin 1833 et qui en viennent à regretter, à l’instar de l’inspecteur Hilaire, que Guizot n’ait pas inscrit dans son texte des mesures plus radicales : « En présence d’une si grande indifférence, d’un oubli si profond des devoirs de la paternité, on est quelquefois annuel d’un instituteur est d’et pas mise à la disposition de l’autorité des moyens coercitifs pour arracher ces pauvres petits êtres à l’ignorance, à la cupidité de leurs parents ».

Impuissants à faire évoluer de manière significative le rapport des parents à l’instruction, les inspecteurs peuvent néanmoins se réjouir du fait que, dans ce département, l’exiguïté de l’école n’apparaît plus comme un motif pouvant en justifier la non-fréquentation, à la notable exception de l’arrondissement de Douai, pourtant siège de l’Académie.

Autre constat, relevant uniquement de l’urbanisation de ce département, c’est dans les arrondissements flamands de Dunkerque et Hazebrouck, au nombre de communes peu important (59 et 53) et aux nombreuses fermes dispersées, les « hofstedes », que le motif de l’éloignement de l’école est le plus évoqué. Dans le reste du département, cette justification n’est presque jamais mentionnée, ce qui traduit un réseau d’école assez dense pour être toujours relativement proche des élèves.

La pratique pédagogique

L’année de cette enquête sur les causes de la non-fréquentation scolaire, Julien Lagache établit le classement des matières étudiées dans les écoles primaires de Roubaix. De cet aperçu, il ressort essentiellement que si près des trois-quarts des enfants (garçons et filles) lisent, moins de la moitié seulement savent écrire. C’est un des traits marquants de la pédagogie de cette époque qui veut que l’apprentissage de l’écriture succède à celui de la lecture et ne soit pas, comme actuellement, concomitant.

Deux ans plus tard, les 28 et 29 octobre 1842, Laurent Dantec, inspecteur des écoles primaires (corps créé en février 1835 par François Guizot) visite les écoles communales et privées de Roubaix. Son rapport nous renseigne sur le type d’enseignement proposé, les ressources des écoles, la qualité de l’enseignement et les effectifs. En mai 1845, la commission chargée de mettre en place ces écoles spéciales, expose la situation : « 120 garçons fréquentent l’école chrétienne et 130 filles l’école des Carmélites. Dans peu de jours ce nombre aura doublé (…)., l’ouverture de ces écoles a été accueillie par les sympathies générales ».

Une nouvelle visite de l’inspecteur primaire dans les écoles publiques et privées roubaisiennes du 9 avril au 9 mai 1846 tempère cet engouement. Il note que les cours du midi s’adressent à 150 garçons et 184 filles, mais constate que ce chiffre est de beaucoup inférieur à celui qui devrait être si la loi était appliquée. D’autre part, il déplore que le peu d’instruction que ces enfants reçoivent, soit toujours une instruction plus religieuse que scolaire.

À cette date, les 4 écoles primaires et la salle d’asile communales accueillent 2.162 enfants (sans compter le cours d’adultes) alors que les 11 écoles primaires et les 14 salles d’asile privées reçoivent 964 enfants. On peut à ces chiffres, ajouter 459 enfants dans les écoles de catéchisme, bien que l’enseignement qui y est donné soit exclusivement religieux.

Roubaix face à ses obligations

À la suite du rapport de 1846, le Préfet invite la municipalité par une lettre datée du 1er juillet 1847, à étudier un projet de création d’une nouvelle salle d’asile et l’agrandissement de l’école mutuelle, encore florissante à cette date. Une statistique de novembre 1847 établit qu’il y avait à Roubaix 5.110 enfants de 7 à 15 ans (2.651 garçons et 2.459 filles) pour seulement 2.573 (soit 50 %, contre 53 % pour le département) qui reçoivent l’instruction primaire (écoles communales et privées).

Dans sa réponse du 11 novembre 1847, le maire, Bulteau, s’étonne que la commission d’inspection ait pu signaler qu’il y avait insuffisance d’établissement pour recevoir tous les jeunes des fabriques car il existe une classe à l’école chrétienne pour accueillir les garçons et une autre à l’école des Carmélites pour les filles.

Sur l’état de l’instruction, il signale, pour les garçons, la présence d’une vaste école tenue par 12 frères de la Doctrine chrétienne ainsi qu’une école mutuelle (Narcisse Commerre, 36 ans) et une école primaire supérieure (Jean-Louis Eerdewegh, 41 ans) auxquelles on peut ajouter deux écoles académiques de dessin et de musique. Pour les filles, il existe une école tenue par une dizaine de Carmélites et, enfin une salle d’asile tenue par trois Sœurs de la Sagesse. Le maire prie le Préfet de croire « que tout a été fait et que cette partie essentielle du service ne laisse plus rien à désirer ».

Il n’ignore pas que le nombre de ceux qui fréquentent les écoles n’est pas proportionné à l’importance de la ville mais «pour satisfaire à tous les besoins, pour donner toutes améliorations utiles, ce ne peut être l’œuvre de quelques années» et surtout, affirme-t-il, il faut des ressources plus importantes que celles que reçoit la ville. Ainsi, en 1848, le budget des dépenses est de 640.000 francs (dont 30.000F pour l’instruction primaire soit 4,7 %) alors que les recettes prévues sont de 300.000 francs.

En conclusion, le maire sollicite l’autorisation d’augmenter le tarif d’octroi. N’ayant pas reçu de réponse favorable à cette demande, l’administration communale décide par un arrêté du 2 septembre 1848, que les admissions aux écoles communales seront prononcées par le comité communal d’instruction afin d’éviter que les enfants des familles aisées fréquentent ces écoles qui sont gratuites. Cet arrêté établit également que les enfants de plus de 16 ans ne seront plus acceptés dans les écoles élémentaires et qu’ils devront aller à l’école primaire supérieure.

L’enseignement primaire (2)

La loi Duruy du 10 avril 1867, ne touche aux lois Guizot et Falloux que sur deux points : la limitation des privilèges accordés aux congréganistes et le développement de l’instruction publique dans les milieux où il restait médiocre, par l’extension de la gratuité et par la création d’école pour les filles. Cette politique de l’Empire libéral s’inscrit dans un mouvement d’ensemble de l’opinion publique, notamment de la bourgeoisie libérale et des associations ouvrières :

– pour les enfants pauvres : les communes sont autorisées à voter une imposition de 4 centimes extraordinaires pour assurer la gratuité de l’enseignement dans leurs écoles. Elles reçoivent alors éventuellement une aide de l’Etat (art.8).

– pour les adultes : les instituteurs ou institutrices qui assureront les cours du soir pour les adultes recevront une indemnité (art.7).

Toutes les conditions semblent dès lors mises en place pour une meilleure instruction. Le compte-rendu de la séance du 27 août 1868 du Conseil général du Nord est à ce sujet éloquent. Le rapporteur note : « l’instruction primaire a pris dans le département du Nord un développement et une importance qui méritent toute l’attention du Conseil général. Les progrès constatés se sont surtout manifestés dans les écoles spéciales aux filles et dans les cours d’adultes spéciaux aux femmes ; c’est là un des bienfaits de la loi du 10 avril 1868 ».

En ajoutant aux écoles primaires, les cours d’adultes, les classes d’apprentis, les réunions dominicales, les orphelinats et ouvroirs spéciaux, le rapporteur arrive à une population scolaire de 300.000 âmes pour 1771 établissements (dont 1.213 écoles publiques, 346 écoles libres et 212 salles d’asile). Toutefois l’enthousiasme de ce rapporteur se trouve fortement atténué par le rapport du Conseil départemental de l’instruction publique devant ce même Conseil général dans la séance du 1er juillet 1868. S’intéressant à l’école publique (1.213 écoles primaires), le Conseil chiffre à 166.000 (86.000 garçons et 80.000 filles) les enfants bénéficiant de cette instruction. Sur ce total, 99.500 (60 %) sont admis gratuitement.

Mais, selon les rapports d’inspection, les enfants encore privés d’instruction, sont plus de 10.500. Le Conseil conclut : « Le mal est certain, quel remède ? Multiplier les écoles dans les grandes villes industrielles où sévit surtout ce fléau de l’ignorance et de l’incurie, combattre l’indifférence à l’égard de l’instruction et l’âpreté au gain de la plupart des familles d’ouvriers, étendre la gratuité, recommandation presque superflue, veiller à une exécution plus consciencieuse et plus sévère de la loi sur le travail des enfants dans les manufactures, loi que tous les gens de cœur voudraient voir remise à l’étude, fonder comme l’ont fait de riches et généreux industriels, des écoles spéciales auprès des fabriques. Le conseil départemental appelle de tous ses vœux une amélioration sur ce point« .

Une correspondance entre le Recteur de l’académie de Douai, le Préfet du Nord, le Ministre de l’instruction publique et le maire de Roubaix, nous renseigne sur la situation des écoles à cette époque. La ville de Roubaix, sommée de pourvoir à la construction de nouvelles écoles, confie à la Commission de l’Instruction publique le soin de rédiger un rapport établissant les besoins. Ce rapport, établi sur les effectifs des années 1862 à 1866 et sur les locaux disponibles, estime qu’il reste à bâtir pour 1870 :

– des salles d’asiles pour 2955 enfants,

– des écoles de filles pour 2856 filles,

– des écoles de garçons pour 1796 garçons,

soit, précise le rapport, 11 écoles pour 7607 enfants.

En conclusion de ce rapport, la commission de l’instruction publique affirme que la municipalité ne peut avoir : « la prétention d’exécuter simultanément ces divers travaux, malgré les justes et incessantes réclamations de Monsieur le Ministre de l’Instruction publique ».

Elle regrette cependant l’attitude de l’un des premiers corps de l’Etat (le ministère de l’intérieur) qui s’est « récrié contre notre demande d’une augmentation de taxe sur quelques articles de l’octroi, qui pourrait nous procurer annuellement une recette supplémentaire de 100.000 francs ». La commission estime dès lors qu’il est impossible à la municipalité d’envisager cette dépense pour généraliser, ainsi que le gouvernement le désire, « l’Instruction publique et gratuite ».

Alexandre Faidherbe, directeur de l’école de la rue du Bois (ancienne école mutuelle), fondateur, en 1866, avec Théodore Leuridan, de la Société d’Emulation de Roubaix, tout en défendant la politique scolaire de la ville, explique les difficultés auxquelles elle doit faire face : « Roubaix est d’hier, et pour satisfaire au besoin résultant d’un accroissement de population sans exemple, il a fallu, en quelque sorte, y improviser instantanément des organisations et datations de service qui dans toutes les autres villes ont été l’œuvre du temps. Les dépenses considérables faites annuellement par la ville prouvent que la municipalité, autant sinon qu’en aucune autre cité en France, attache une grande importance à l’instruction primaire et l’on peut dire encore ici, sous ce rapport, que le passé répond de l’avenir.

Il importe d’ailleurs de remarquer qu’une partie notable de la population de Roubaix n’est pas née et n’a pas été élevée dans cette ville, que les ouvriers flamands y viennent résider et s’y marient en grand nombre et que nos écoles sont et doivent demeurer exclusivement françaises. (…) Toutefois la nécessité de mettre résolument et d’urgence la main à l’œuvre pour la création de nouvelles écoles et salles d’asile est généralement admise à Roubaix.

Il y a là un intérêt moral, car les hommes dont l’esprit et la raison sont éclairés par les lumières de l’instruction sont ceux dont la conduite privée est la moins reprochable ; un intérêt matériel, car les ouvriers instruits sont évidemment les plus habiles ; un intérêt social, car les délinquants, et les criminels se recrutent surtout parmi les hommes qui n’ont reçu aucune instruction

L’urgence est telle que, pour éviter les longs délais que nécessiteront des constructions d’écoles, je voudrais que des maisons, des fabriques vacantes puissent être achetées ou louées pour être appropriées à ce service. Je suis convaincu que de grands édifices architecturaux ne sont nullement nécessaires ».

Nous ne sommes donc pas étonnés lorsqu’au début de l’année 1869, le conseiller d’Etat, chargé de l’administration du département du Nord écrit au maire de Roubaix que le recteur a signalé au ministre de l’instruction « l’état d’abandon dans lequel se trouvent un grand nombre d’enfants de la population ouvrière de Roubaix par suite de l’insuffisance de locaux affectés au service de l’enseignement ».

Le recteur Fleury aurait en outre signalé que la ville avait peu de ressources et qu’il serait opportun que l’état lui prêtât son concours. Poursuivant, le conseiller d’Etat ajoute que le ministre est disposé à seconder les efforts personnels faits par le maire de Roubaix en venant en aide à la ville dans la mesure la plus large mais, précise-t-il, il est indispensable que l’autorité locale prépare des projets de construction ou d’appropriation.

En avril, le conseiller d’Etat sollicite à nouveau la municipalité de Roubaix : « je vous serai obligé, Monsieur le Maire, de me faire savoir si le Conseil municipal s’est occupé de cette affaire ». Quelques jours auparavant, le recteur de l’académie de Douai s’est adressé au ministre de l’instruction publique, pour plaider la cause de Roubaix. Il commence par une description très sombre de la situation :

«Je n’ai jamais cessé un seul instant d’appeler l’attention de la municipalité Roubaisienne sur les trop nombreux enfants qui, à l’entrée de chaque hiver, viennent frapper à la porte des asiles et des écoles, mais en sont refoulés souvent plusieurs années de suite, à cause du manque de place. J’ai compté moi-même, dans une seule classe, 190 enfants avec un seul maître. Sans doute, ceux-là sont à l’abri des intempéries, mais au point de vue du développement de leur intelligence, il est vraiment permis de se demander s’ils sont beaucoup mieux partagés que leurs petits camarades restés dans la rue ».

Le recteur demande donc au ministre de l’instruction d’intervenir auprès de son collègue de l’intérieur afin que la municipalité obtienne une modification de son tarif d’octroi. Usant de l’argument de la loi, il précise : « Si M. le ministre de l’Intérieur repousse la demande de la ville de Roubaix, ce n’est point exagéré de dire que 1.200 à 1.500 enfants vont encore, pendant des années entières, se voir fermer des Asiles et des Ecoles qui en vertu de la loi devraient toujours s’ouvrir dès la première demande des parents ».

Pour conclure, le recteur Fleury use d’un argument propre à convaincre un ministre de l’intérieur : « Votre excellence, qui a visité Elle-même Roubaix et qui connaît en outre les dernières émeutes qui ont affligé cette ville, n’a pas besoin que j’insiste auprès d’Elle sur la gravité toute spéciale des questions scolaires dans la banlieue de Lille notamment à Roubaix ».

Les dégâts causés par les émeutes qu’évoque le recteur sont une des charges qui pèsent sur les finances communales et pour lesquels la municipalité envisage un impôt supplémentaire (déjà plusieurs fois évoqué et ajourné car impopulaire). On comprend mieux l’administration communale lorsqu’elle demande, pour « compléter ses écoles gratuites, à être autorisée à mettre une surtaxe sur cinq articles d’octroi pour les mettre à peu près au niveau de ceux de Lille et Tourcoing ». La démarche du Recteur Fleury n’a pas été vaine. En effet, le 12 juin, Victor Duruy, écrit au Maire de Roubaix dans une de ses dernières lettres de Ministre de l’instruction publique (il sera remplacé par Baudeau le 13 juillet) qu’il se déclare attaché au succès de la demande formée par la ville afin d’obtenir des modifications de son tarif d’octroi. Il informe néanmoins le Maire que les plans et devis fournis par la ville ont été renvoyés pour être soumis à une nouvelle étude.

Le 14 octobre, le Préfet envoie un rapport au nouveau Ministre de l’Instruction rendant compte des possibilités de financement de la ville. Il nous apprend que l’administration communale est sur le point de faire construire 3 écoles de garçons, 5 écoles de filles et 5 salles d’asile pour un coût prévisible de 562.000 francs, financés par un emprunt de 400.000 francs (remboursable à l’aide du produit résultant de l’augmentation de certaines taxes d’octroi) et un secours espéré de l’Etat d’un montant de 150.000 francs. Le Ministre de l’intérieur invite son collègue de l’instruction, dans une lettre datée du 26 décembre, à répondre favorablement à cette demande de secours.

En mai 1870, le Maire peut enfin se féliciter de la conclusion donnée à cette affaire. L’Etat accorde un secours de 80.000 francs aussitôt complété par une aide du département. D’autre part, un décret impérial autorise la municipalité à percevoir des suppléments de droits sur “les vins, les alcools et les bières de l’intérieur et les charbons”. Seule l’augmentation sur les bières venant du dehors a été refusée.

La municipalité charge immédiatement la Commission des Ecoles de s’occuper du choix “de deux emplacements reconnus le plus convenable pour l’exécution de nos projets”.

  • juillet 1870, 4 classes furent ouvertes dans la maison des sœurs de la rue Pellart
  • juin 1872, les écoles privées protestantes de garçons et de filles de la rue de Chanzy deviennent communales
  • octobre 1873, création de quatre classes nouvelles à l’école de garçons du Trichon (rue du Bois)
  • septembre 1876, création de l’école de garçons de la rue Delezenne
  • avril 1877, ouverture d’un asile et d’une école de filles rue des Anges.

Le bilan, en 7 ans, fut donc le suivant :

  • ouverture d’une salle d’asile
  • ouverture ou agrandissement de trois écoles de filles
  • ouverture ou agrandissement de trois écoles de garçons.

On peut donc qu’être réservé sur la réussite du plan municipal, surtout qu’il faut, dans ces créations tenir compte de la simple transformation de deux écoles et de l’ajout de classes pour une autre.

L’Empire n’a donc pas réglé, malgré de multiples injonctions et certains efforts financiers, le grave problème de l’instruction primaire à Roubaix. Qui plus est, Richard Hemeryck montre dans son étude que le climat s’est dégradé entre le gouvernement et le clergé. Sous l’Empire libéral, l’opposition entre l’Eglise et l’Université est devenue de plus en plus vive. Le Recteur Guillemin constate en avril 1865 que « l’hostilité du clergé contre le gouvernement se traduit depuis quelque temps par une recrudescence d’attaque contre l’Université ». Dans ce conflit, la commune de Roubaix, aux mains des conservateurs, se range ouvertement du côté de l’Eglise, ce que le Recteur Fleury vit, en 1866, comme une véritable défaite : « Nous avons été complètement battus à Roubaix. Dix-neuf voix ont repoussé l’Université, douze ont voté pour elle. Il a été décidé qu’une institution libre recevrait des professeurs de l’Archevêché (… ) Le maire accepte des professeurs laïcs, pourvu qu’ils ne soient pas choisis par l’Université ».

Ceci explique en grande partie, la vigueur de la correspondance de 1869, et le peu d’empressement de la municipalité à remplir ses engagements vis-à-vis du gouvernement.

L’enseignement primaire (1)

La Seconde République réorganise par la loi Falloux (15 mars 1850) l’école primaire, les cours d’adultes et d’apprentis. Cette loi a été rédigée par la majorité conservatrice qui, effrayée par le sursaut révolutionnaire de 1848, conçoit l’instruction d’abord comme un moyen d’éducation morale et religieuse, comme une garantie pour le maintien de l’ordre social. Elle conserve globalement les structures mises en place par la loi Guizot, mais en change l’esprit. La distinction publique et libre se met en place. On appelle « école publique » les écoles fondées ou entretenues par les communes, le département ou l’état et « école libre » les écoles fondées ou entretenues par des particuliers ou des associations. L’Ecole primaire publique ne reçoit pas pour mission de procurer la possibilité d’une promotion sociale aux enfants du peuple mais de leurs apprendre à respecter les autorités.

Le soin de former les cadres de la nation est dévolu à l’Ecole privée, aux collèges et aux lycées, établissements qui ne sont pas accessibles aux pauvres. Les instituteurs sont surveillés ; ils peuvent êtres sanctionnés par le préfet en fonction de leurs opinions politiques.

Un exemple nous est donné par la ville de Roubaix, lorsqu’en septembre 1850, Courmont, ex-instituteur communal à Esquermes (Lille Sud), se présente comme sous maître à l’école mutuelle. Henri Delattre (maire de 1848 à 1855) s’adresse au Préfet pour demander des renseignements “confidentiels » sur cet homme. Il croit en effet se souvenir que cet instituteur a donné de graves sujets de plaintes au comité local de Wazemmes et que « s’il n’a pas été révoqué, il a été en quelque sorte obligé de se retirer, parce qu’il avait perdu la confiance de l’administration. Il précise que si tel était le cas, il se garderait « de le recevoir dans notre école ».

 Le Préfet s’adresse à l’inspecteur primaire qui lui confirme que cet « instituteur, depuis longtemps demeuré personnellement en dehors de toute agitation politique, a laissé tenir, en 1848, dans la salle d’école des réunions qui avaient un caractère politique, auxquelles il assistait et qui ont été assez tumultueuses ». Si cela, ajoute l’inspecteur, ne paraît pas très grave en égard aux temps « le plus grand mal, c’est que l’autorité religieuse ait crû devoir se séparer de lui et ne plus paraître à l’école ». De plus, indique-t-il, «Courmont a un fils, âgé de 21 ans qui conserve, assure-t-on, des relations avec des démagogues et il est fâcheux que M. Courmont n’ait pas assez d’empire sur ce jeune homme pour le tenir à l’écart».

L’inspecteur primaire conclut en estimant que cet instituteur n’est peut-être pas à sa place dans une grande commune, aux portes de Lille et que dans son intérêt et celui de la commune, « il serait à propos » de lui assigner « un poste moins pénible ». Un rapport sur le personnel de l’instruction primaire, rédigé en 1853 à la demande du gouvernement, nous apprend que les instituteurs de la ville de Roubaix, Commere (école de la rue du Bois, ancienne école mutuelle), Labonne et les vingt Frères (école des Frères) sont perçus comme « attachés au gouvernement », « très considérés et influents», « d’une très bonne conduite » et « convenables sous tous les rapports ».

Sur la qualité de l’enseignement, les rapports de l’inspecteur Bernot sont plus nuancés. En 1850, il constate qu’à Roubaix et Tourcoing : « Les chiffres des élèves avancés pourraient être plus notables. Ces instituteurs (les Frères) avouent difficilement qu’il est utile d’habituer dès le plus jeune âge, les enfants au calcul verbal, de les entretenir familièrement, comme on fait dans les salles d’asile, de notions élémentaires aux matières diverses qu’ils auront à apprendre subséquemment. Ils trouvent plus simple ou plus facile d’enseigner exclusivement la lecture d’abord, l’écriture ensuite, etc … Or, dans cette quantité d’élèves, on en compte par centaines qui, venus tard en classe ou ayant peu d’aptitude pour la lecture courante, atteignent l’âge de douze ou treize ans, et quittent l’école avant d’avoir entendu une leçon de calcul et même de savoir signer leur nom» .

En décembre 1851, l’Empire succède à la République. S’appuyant sur la loi Falloux, le ministère de l’instruction publique commence par épurer le corps enseignant des instituteurs suspects de socialisme et laisse le clergé accentuer son influence sur l’Ecole primaire. Le mouvement s’inversera après 1863, lorsque Victor Duruy deviendra Ministre de l’Instruction Publique.

Ce dernier, s’appuyant sur la statistique de l’instruction primaire de 1861, constate que 600.000 enfants sont encore privés d’instruction et que la plupart d’entre eux appartiennent à des familles hors d’état de payer le mois d’école. Il adresse donc une circulaire aux préfets, rappelant qu’ils ont le devoir de maintenir le principe énoncé par la loi du 15 mars 1850 (loi Falloux), article 24 : « l’enseignement primaire est donné gratuitement à tous les enfants dont les familles sont hors d’état de le payer ». Certes l’article 45 de cette même loi confiait au maire, de concert avec les ministres des différents cultes, le soin de dresser la liste des enfants devant être admis gratuitement dans les écoles publiques, mais un règlement du 31 décembre 1853 (art.13) était venu le modifier, en donnant au préfet le devoir de fixer le nombre d’enfants pouvant être admis gracieusement.

Or la rétribution scolaire dans le département du Nord était en moyenne de 1.50 franc par mois, ce qui représentait une charge assez lourde pour les plus pauvres de la commune qui n’étaient plus admis sur les listes de gratuité. Les conséquences ne se sont pas fait attendre comme le souligne un rapport de l’Inspecteur Grimon : « Par suite de la restriction des listes de gratuité, le nombre d’élèves va sensiblement diminuer et je crains d’avoir à la fin de l’année à signaler une notable diminution dans le personnel écolier des communes environnant Roubaix, Tourcoing, Lille, Lannoy ».

De 1837 à 1845 : l’intérêt très relatif de l’inspecteur et des sous-inspecteurs du Nord pour les salles d’asile À compter de la fin de l’année 1837, les inspecteurs du département du Nord vont effectivement inclure ces établissements dans leurs tournées d’inspection et régulièrement dresser les tableaux statistiques propres à cet enseignement. Cependant, l’intérêt de l’inspecteur Carlier et des sous-inspecteurs Dantec et Joly pour les salles d’asile semble être demeuré très relatif puisque de 1837 à 1845, hormis quelques lignes dans les rapports annuels de l’inspecteur Carlier, rendant compte de l’augmentation du nombre de ces institutions, nous n’avons retrouvé aucun rapport d’inspection concernant les salles d’asile du département. Le nombre relativement restreint de ces établissements (8 en 1837, 34 en 1845) pouvant justifier un nombre peu élevé de rapports mais aucunement leur inexistence, nous pensons que les inspecteurs, peu enclins de par leur formation à comprendre la petite enfance, se contentèrent d’honorer périodiquement de leur visite ces institutions et laissèrent, durant toute cette période, aux Dames inspectrices, l’inspection réelle de ces établissements.

Pour la bourgeoisie d’affaire et financière, soucieuse de rétablir la paix sociale après la Révolution de Juillet, et pour un patronat industriel dont les besoins en main d’œuvre ouvrière ne cessaient de croître dans les grands centres manufacturiers, notamment du Nord et de l’Est, les salles d’asile apportaient une réponse à une nécessité économique et une solution à un fait social. En effet, ces institutions pouvaient permettre aux mères des jeunes enfants de travailler, mais elles avaient également le mérite de remédier au problème posé par l’errance des enfants d’âge préélémentaire en leur fournissant un lieu de garde (tenu par des surveillantes). La bourgeoisie de Juillet, sous le couvert d’une œuvre indiscutablement charitable, a donc, pour des raisons économiques, sociales et sanitaires, promu et, dans une large mesure, financé ces établissements. Cette position est parfaitement résumée par Ambroise Rendu, haut fonctionnaire au ministère de l’instruction publique qui présida la Commission supérieure des salles d’asile, établie par Salvandy ; une commission dont la plupart des membres appartenaient à cette bourgeoisie : « (grâce aux salles d’asile) les pères et mères de ces pauvres enfants ont toute la liberté de se livrer aux occupations et aux labeurs qui assurent leur existence. Ils continueront sans doute de manger leur pain à la sueur de leur front ; mais du moins, tranquilles pour ce qu’ils ont de plus cher au monde, ils se soumettront sans trouble et sans murmure à cette grande loi du travail qui leur deviendra tout à la fois plus facile et plus fructueuse. (…) On ne peut trop le redire, le contentement du pauvre est le bonheur du riche »

Cette prise de conscience, par la bourgeoisie et le patronat, de l’utilité des salles d’asile s’est traduite très concrètement, dans le département du Nord et à Roubaix en particulier, par une prise en charge croissante des dépenses d’investissement et de fonctionnement de ces établissements par les communes. De fait, si la première salle d’asile ouverte dans le Nord (celle de Dunkerque en 1835) le fut grâce à des fonds privés, nous constatons que dix ans plus tard, alors qu’aucun texte législatif ne leur imposait, les communes (16 sur 18 communes de plus de 6.000 habitants) subviennent à l’entretien de la moitié des salles d’asile du département et à l’accueil des trois quarts des enfants scolarisés dans ces établissements. A cet effet, elles ont alloué à ces institutions, l’année de ce relevé, une somme totale de 32.538 francs qui représente environ le tiers des sommes allouées, par les communes, aux écoles de filles (91.076 francs) et un peu moins du dixième de celles qui sont allouées aux écoles de garçons (397.272 francs).

Conscient de la dimension sociale et pédagogique de ces institutions préélémentaires, le clergé et le parti clérical en général, cherchant également à contrer l’offensive universitaire, ne restèrent pas insensibles au développement des salles d’asile. Dénonçant, dans les derniers temps de la Restauration et au début de la monarchie de Juillet, l’emprise protestante sur ces institutions, ils décidèrent d’ouvrir leurs propres salles d’asile, arguant du caractère essentiellement charitable de ces institutions. À l’instar de ce qu’ils firent pour les écoles privées de filles, ils réunirent des fonds pour permettre l’ouverture d’établissements privés dont ils confièrent la direction à des congrégations religieuses et usèrent de toute leur influence pour que les municipalités confient également à des Sœurs la tenue des salles d’asile communales.

Cette volonté de faire coexister l’école primaire de filles et la salle d’asile, idée dont le principe sera généralisé sous la IIIe République, suite à la loi du 16 juin 1881 donnant une existence légale aux « écoles maternelles », apparaît dans ce texte de 1846 très novatrice. Nous l’avons toutefois trouvé exprimée pour la première fois dans un texte, rédigé par un sous-inspecteur du département de l’Yonne, antérieur de cinq ans à cette instruction pastorale de l’archevêque de Cambrai. En l’occurrence, ce sous-inspecteur proposait, pour réduire les frais engendrés par la nécessité de développer les salles d’asile, d’accoler de façon systématique ces établissements aux écoles primaires : l’instituteur se chargerait de la classe élémentaire et sa femme de la salle d’asile. Il proposait, de plus, d’établir une sorte de bulletin scolaire qui suivrait l’enfant de la salle d’asile à l’école primaire

Cette politique de congréganisation des salles d’asile va conduire les inspecteurs primaires de ce département à considérer avec plus d’intérêts le développement de ces établissements. En effet, la publication de l’instruction pastorale sur les salles d’asile de l’archevêque de Cambrai n’est certainement pas étrangère avec, la même année, une vaste campagne d’inspection et la publication du premier rapport spécifique à ces établissements, auxquelles sont associés, chacun dans son arrondissement, l’inspecteur Carlier et les quatre sous-inspecteurs du Nord. Dans l’introduction de ce rapport, le sous-inspecteur Debruyne, qui confirme par ce fait le relatif désintérêt des inspecteurs primaires pour les salles d’asile dans la période antérieure à cette date, écrit que « depuis deux ans (1844) les inspecteurs, dans le cours de leurs tournées, travaillent à découvrir ces asiles, les visitent et donnent quelques conseils aux directrices ». Tout en reconnaissant le caractère fastidieux de l’inspection des salles d’asile, il établit un constat qui démontre un décalage de quelques années entre la diffusion des instructions ministérielles et son application dans ce département : « L’humble enfance aussi demande l’appui, l’expérience de l’inspecteur. La visite des petites salles d’asile, des écoles gardiennes, travail fastidieux si l’on veut, est une mission de civilisation réelle, mission procurant bien être physique et moral à de jeunes êtres qui réclament des soins encore incompris par la plupart des femmes qui les donnent».

Pour établir ce rapport, les inspecteurs déclarent avoir visité toutes les salles d’asile et les écoles gardiennes du département. Ils ont ensuite établi une classification en trois ordres, selon la tenue de l’établissement. Ainsi, ils font une réelle distinction entre les trente-trois salles d’asile dont les directrices sont munies d’un brevet, et les écoles gardiennes tenues par des femmes qui en sont dépourvues. Les premières, divisées en deux ordres, sont, selon les inspecteurs, en général toutes tenues d’une manière satisfaisante : les directrices y ont toutes de l’ordre, de la propreté et de l’affection mais certaines, dont les asiles sont classés dans le 2e ordre, manquent encore de méthodes. Par contre, les inspecteurs se disent consternés par la tenue des écoles gardiennes (asiles de 3e ordre). Ils ont en effet constaté que dans un grand nombre de ces établissements, dont beaucoup de « surveillantes » embrassent cette carrière parce qu’elles sont incapables de toutes autres choses, «les enfants restent assis toute la journée sur une petite chaise ». Sincèrement révolté, le sous-inspecteur Debruyne écrit que son service doit tout faire pour que la première éducation des 10.000 enfants de ces salles d’asile de 3e ordre (pour 4.300 dans les asiles de 1er et 2e ordre) ne soit pas abandonnée «au caprice, au hasard, à l’inexpérience ou à l’ignorance de la première venue ».

L’intérêt manifeste de l’inspection primaire de ce département pour les salles d’asile et les écoles gardiennes de son ressort sera cependant de courte durée. En effet, l’année qui suivit ce rapport, le conseil général, en refusant de renouveler les crédits votés depuis 1843 pour subvenir aux traitements de deux sous-inspecteurs, a contraint le bureau de l’inspection primaire de ce département à recentrer ses activités sur les écoles primaires. Durant trois ans, de 1847 à 1850, les salles d’asile n’ont plus reçu la visite des inspecteurs primaires, de nombreux changements dans le personnel de l’inspection ayant prolongé, durant toute la Deuxième République, la situation engendrée par le désistement financier du conseil général. De fait, les inspecteurs primaires ne pourront que constater, quatre ans après la révolution de Février 1848, une congréganisation accrue des salles d’asile du département. En effet, dans un rapport établi sur les trois arrondissements d’Avesnes, Cambrai et Valenciennes, les inspecteurs notent que 35 des 78 salles d’asile (soit 45 %) sont dirigées par des Sœurs (contre 5 % en 1846). Pourtant, à l’inverse des écoles primaires dont l’organisation et la surveillance avaient été fortement modifiées par la loi du 15 mars 1850, aucune loi n’était venue supprimer ou compléter, entre février 1848 et le début du Second Empire, l’ordonnance du 22 décembre 1837 relative aux salles d’asile. Seule une disposition de l’arrêté du 28 avril 1848, portant création du Cours pratique, prévoyait que les salles d’asile, improprement qualifiées d’établissements charitables par l’ordonnance du 22 décembre 1837, étaient des établissements d’instruction publique, et qu’elles prendraient désormais le nom d’écoles maternelles. Mais cette prescription resta lettre morte, tout comme la disposition du projet de loi du 15 décembre de la même année qui spécifiait que « toute commune au-dessus de 2.000 âmes serait tenue d’avoir une salle d’asile au moins ».

La gratuité dans les écoles primaires : une situation contrastée

En ce qui concerne la gratuité dans les écoles primaires publiques et libres du Nord, avancée sociale certaine encouragée par chaque ministre en poste, la situation varie considérablement d’un arrondissement à l’autre. Pour l’ensemble du département, la gratuité de l’enseignement est pratiquement acquise, dès 1850, dans près de la moitié des écoles primaires. Cette donnée masque toutefois de grosses disparités entre les arrondissements, comme le démontre cette enquête de 1860.

• La gratuité dans les écoles publiques et libres en 1860 par arrondissement

Avesnes                                  29 %

Cambrai                                  38 %

Douai                                       48 %

Dunkerque                              55 %

Hazebrouck                             57 %

Valenciennes                          43 %

Lille                                          66 %

Nord                                        49 %

• par effectifs :                       payants           gratuits                      total

Arrondissement  de Lille          8.773             16.673 (65 %)            25.446

Département du Nord             45.249            44.028 (49 %)           89.273

La même année, le Ministre fait recueillir et imprimer plusieurs statistiques sur les différents ordres d’enseignements et sur les cours d’adultes : « ce que je veux connaître avant tout, c’est la véritable situation du pays ». Il espère ainsi montrer à l’Empereur et au pays « tout ce qui a été fait jusqu’à ce jour et par conséquent, ce qui reste à faire pour l’éducation de la jeunesse française ». Nous n’avons, malheureusement, pas pu retrouver de documents pour la décennie 1850-1859 à Roubaix. Nous pouvons néanmoins supposer que la situation scolaire ne s’est guère améliorée malgré l’ouverture de deux écoles de garçons (en 1851 et 1857) confiées aux frères de la Doctrine chrétienne, d’une école de filles et d’un nouvel asile dans le quartier du Tilleul.

En effet, plusieurs lettres du Préfet du Nord (avril 1855, juin 1857, octobre 1857) signalent l’exiguïté des locaux affectés à l’enseignement dans la commune de Roubaix, ainsi que l’insuffisance de personnel.

L’école de la rue du Moulin

« Je suis propriétaire d’un immeuble  au 32/34 rue Jean Moulin à ROUBAIX (anciennement rue du Moulin) qui fut une ancienne école créée par une congrégation religieuse en 1866 (pour votre information, les bâtiments ont été transformés en résidence étudiante en 1988)…
 
Nous avons entrepris des restaurations de qualité visant à redonner à ce lieu, le plus possible, son aspect d’origine. Ce bâtiment a une âme. Chaque pierre semble avoir une histoire à raconter.
Alors qu’il se dit traditionnellement qu’il s’agit d’une ancienne école des « Frères des écoles chrétiennes », mes recherches aux archives de la ville ne m’ont pourtant pas permis de déterminer avec précision de quelle congrégation il s’agissait. J’ai en ma possession l’appel d’offre qui fait référence aux « Frères de la Doctrine Chrétienne » :
 
« Démolition des anciens bâtiments de l’hôpital et construction d’une maison d’habitation pour les Frères de la Doctrine chrétienne et de six salles d’écoles sur l’emplacement dudit hôpital« 
Dépense évaluée à 65.500 F, signé de Ernoult Bayart, Maire de la Ville de Roubaix, Chevalier de l’Ordre Impérial de la Légion d’Honneur, le 8 mars 1866.
Elle a du être inaugurée en 1867 puisqu’un second appel d’offre du même signataire, daté du 26 mars 1867, a pour intitulé « ameublement de l’école des Frères, rue du Moulin » (devis de 2.976 F).
Un troisième appel d’offre porte sur « Ecole de Garçons de la rue du Moulin l’installation de deux cours de l’Ecole Nationale des Arts Industriels », signé du nouveau Maire Julien Lagache, le 16 février 1887.
Malheureusement, Frère Jean-Claude de la Congrégation des Frères de la Doctrine chrétienne m’a répondu par mail qu’il ne pouvait s’agir d’une école des Frères de la Doctrine chrétienne  :
 
« Cher Monsieur
J’ai reçu votre courrier, mais je dois vous dire tout de suite que notre congrégation  bien qu’elle s’appelle Frères de la Doctrine chrétienne  n’a pas de lien avec celle que vous décrivez . Nous avons été fondé en Alsace en 1845 et nous y sommes restés pendant longtemps.  Après 1870, lorsque l’Alsace est devenue allemande, il y a bien quelques frères qui sont allés en France de »‘l’intérieur  »  comme nous disons. 
J’ai certes déjà eu une ou deux demandes  concernant des frères de la Doctrine chrétienne de ces époques, mais je ne connais pas cette congrégation. Je vais toutefois transférer votre courriel à  M Schuller qui s’occupe de nos archives. Peut-être trouvera-t-il  des éléments pour répondre à votre question.
 Je vous souhaite  de trouver  des éléments pour vos recherches et je vous souhaite bonne réussite.
 Frère Jean-Claude. »
 
Il s’agit donc  bien, très probablement, des Frères des Écoles chrétiennes, souvent désignés « Frères de la Doctrine Chrétienne » par l’Administration. La seule certitude est qu’une congrégation religieuse a bien fait construire cette école et l’a dirigée au moins jusqu’à la fin du XIXe siècle et je pense même qu’il subsiste la trace de religieux jusqu’en 1904 ou 1905.
Féru d’histoire, attiré par la littérature et disposant aujourd’hui d’un peu de temps libre, je procède actuellement à des recherches, en vue peut-être un jour d’en raconter l’histoire…
 
Il est écrit dans l’histoire de ROUBAIX (accessible via internet) qu’il y avait 547 élèves… ce qui me paraît un nombre important… pour seulement 6 salles de classe, même si j’ai lu aux Archives municipales qu’il semblait y avoir 60 élèves par classe… Frère HOURY des archives lasalliennes m’a écrit qu’il pouvait même y avoir jusqu’à 100 élèves par classe…
J’aimerais bien sûr tout connaître de l’histoire de ce lieu : comment s’appelait cette école ? Qui en fut le premier supérieur ? D’où venait-il ? Combien y avait-il de Frères ? D’où venaient-ils ? Où faisaient-ils leur noviciat ? Leur juvénat ? Combien y avait-il de noviciats en France ? Quelle était la fourchette d’âge des élèves ? Comment se passait une journée type de classe ? Y-a-t-il des photos d’époques ? Des textes ? Y-a-t-il un site sur l’histoire de votre congrégation ? Comment ont été vécus sur place les principaux épisodes de la « guerre » entre les congrégations et le gouvernement de l’époque, qui a malheureusement abouti au démantèlement de la plupart des écoles (dont la nôtre) et leur transformation en école communale de garçons (jusqu’en 1945)? A-t-on des écrits ? Des lettres ?
 
On m’a raconté que les Frères de la Rue du Moulin auraient quitté les lieux en 1904/1905 pour créer le collège d’Estaimpuis, juste de l’autre côté de la frontière… Est-ce exact ?
 
Enfin, comme vous pouvez l’imaginez, je suis preneur de tout renseignement, même auquel je ne pense pas actuellement ou de toute piste…
Merci d’avance de votre collaboration.
Cordialement »
Jean-Pierre DEVULDER