Barbieux et les Huchons

Ce nom était porté par une ancienne famille de laboureurs dont  Ghilbert des Barbieurs  était Lieutenant de Roubaix en 1428 et est cité comme l’un des plus riches de Roubaix. Le nom de  » Barbieux «  apparaît à la fin du XVIIe siècle.

Le hameau des «  Huchons «  serait lié à la famille Prouvost. En 1474, Jean Prevost, dit des  » Huçons «   était échevin de Roubaix. Toujours selon Leuridan, la ferme Prouvost était la ferme Lepers, située à peu près au niveau du carrefour actuel boulevard du Général de Gaulle et du boulevard de Douai. Cette ferme qui appartenait à la Révolution au sieur Vander Cruisse fut rachetée par le censier Lepers dans le but de la rendre à son maître, ce qu’il fit. La famille Vander Cruisse, reconnaissante, abandonna au censier Lepers la ferme avec son verger, ne gardant que les terres.

De nos jours, l’appellation  » Barbieux «  a supplanté celle des  » Huchons  » qui n’apparaît plus que dans la dénomination des réservoirs d’eau des Huchons. Le quartier de Barbieux s’étend entre les quartiers de l’Epeule, du Moulin et de Beaumont, il est limité au sud par la commune de Croix.

Au début du XIXe siècle, c’était une étendue de terres agricoles traversées par le chemin des Loups et celui de Barbieux. Entre 1828 et 1830 des travaux préparatoires à l’établissement d’un tunnel pour le passage du canal de Roubaix furent entrepris mais ceux ci durent être interrompus étant donné le caractère friable du terrain. En lieu et place du canal fut établi, en 1866, une promenade qui fut ensuite lotie et portera le nom de « boulevard de l’Impératrice », puis « de Paris ». Le long de ce boulevard, les industriels roubaisiens firent construire leurs hôtels particuliers.

Dix ans plus tard, les terrains situés dans le prolongement du boulevard servirent à créer le Parc de Barbieux en deux tranches : 1879-1886 puis 1903-1906. Le boulevard de Cambrai fut tracé en 1882 et celui de Douai en 1888. Ces deux boulevards faisaient partie du projet de boulevard de ceinture voté en 1867. Le long du boulevard de Cambrai fut construit, en 1894, la Maternité Boucicaut tandis qu’à l’extrémité du boulevard de Douai fut édifié, entre 1890 et 1894, l’Hospice de Barbieux.

En 1896, les Sœurs de la Congrégation dominicaine du Rosaire firent construire par l’architecte E. Thibeau leur institution qui comportait un pensionnat et un externat. Les réservoirs à eau des Huchons furent, quant à eux, bâtis à partir de 1885. La construction du premier réservoir fut suivie en 1892 par celle de deux autres dont l’un s’effondra en 1893, inondant le chantier de l’Hospice de Barbieux, à la grande surprise des entrepreneurs peu préparés à l’éventualité d’une inondation sur le point culminant de Roubaix.

Xavier Lepoutre

Mon vieux Fontenoy

Il y a quelques années que je suis passé dans le Fontenoy, mon quartier de jeunesse. Il n’y avait encore aucune maison abattue, mais il n’y avait plus, non plus aucune âme dans cette partie de rue située entre la rue de l’Alma et la rue de la Lys. Les fenêtres et les portes étaient bouchées par des parpaings pour empêcher toute « réoccupation », toute violation. La mort déjà planait sur ce quartier autrefois si vivant.

J’apprends à présent par mes vieux amis que tout a disparu et que des ensembles s’élèvent maintenant là où nous jouions dans le passé. Que l’on me pardonne d’évoquer cette période de ma jeunesse, mais si, comme je l’espère, nombreux sont encore ceux qui l’ont connue, ils ne pourront que sécher furtivement une larme au coin de l’œil en retrouvant vie, habitudes et habitants de cette époque à présent effacée.

Pour nous, le Fontenoy avait des limites assez nettes. Si l’on prend les axes rue de l’Alma, rue de Fontenoy, formant ainsi une croix, il s’étendait de la rue Saint-Vincent de Paul à la rue Henri Carette dans un sens et de la rue Blanchemaille au château Wibaux de l’autre. Ces limites englobaient des rues secondaires comme la rue Archimède au moins là où elle touchait la rue de l’Alma avec, sur l’un des coins, la crémerie Broutin, sur l’autre l’herboristerie Gras. C’était une rue assez calme, marquée pour moi par deux points remarquables : vers le bas l’école Archimède où j’ai fait mes classes primaires (mon père l’avait fréquentée du temps de Monsieur Lerat, Directeur). En passant, je rappelle que les enfants du quartier se partageaient entre cette école, celle de la rue Saint-Vincent (Directeur Monsieur Vaneste) et celle du boulevard d’Halluin. Le second point, vers le haut, le café « Au Mogador » où nous sommes allés mes camarades et moi, une fois adolescents, jouer bien des parties de billard. Non loin de ce café aboutissait la rue de la Lys bien peuplée jusqu’à sa jonction avec la rue de Fontenoy. Il devait y habiter, si ma mémoire ne me trompe pas, un marchand de charbon bien connu du nom de Boutteville et un chanteur des chœurs du théâtre, Monsieur Lodewick, qu’on remarquait sur la scène à cause de son pied bot. Je me souviens l’avoir vu dans le « Grand Mongol », joué au Casino Grand’rue. L’autre partie de cette rue arrivait à la rue Saint-Vincent de Paul. Si l’un des trottoirs n’offrait que quelques maisons habitées dont celle de Monsieur Thérin, adjoint au maire, qui avait marié mes parents et de nombreux Roubaisiens, l’autre longeait la fabrique Lepoutre et les entrepôts de bois de l’entreprise de menuiserie Derville (mon père y travailla) qui s’ouvrait côté rue de l’Alma face à la rue de la Redoute (actuellement rue Emile Moreau). Les murs de ces entrepôts n’étaient pas pleins, mais les briques, pour faciliter le séchage du bois, laissaient entre elles des intervalles, ce qui nous permettait de faire de l’escalade ou encore d’y cacher des petits billets dont le contenu plus ou moins bien écrit, ne comportait rien de bien compromettant.

Un peu au-dessus de cette rue, et en parallèle venait la rue de Cassel qui, de la rue Saint-Vincent à la rue de Fontenoy, ne comportait que des maisons de maître, mais voyait s’ouvrir face à cette dernière rue, le parc du château Wibaux avec son dispensaire, autre lieu d’ébats pour les enfants du quartier. Ce parc, bordé d’un long mur, descendait jusqu’à la rue Stéphenson, prolongement de la rue Archimède, nous paraissait, à nous les petits, immense. Son gardien Baptiste, homme à la jambe de bois, à la forte moustache, nous effrayait toujours quand il apparaissait, nous chassant impitoyablement de toute pelouse. Quant au jardinier de la ville, Georges, appelé à assurer son entretien, avec le recul du temps, je lui tire mon chapeau quand je pense qu’il tondait toutes les surfaces avec une tondeuse à bras, sans moteur. Quelquefois, le comité des fêtes du quartier y donnait des kermesses. Les loteries, les manèges s’installaient et alors nous ne savions plus nous décrocher de ce lieu paradisiaque sauf pour aller réclamer quelques sous à la maman pour jouer au tirlibibi.

De l’autre côté de cette partie de rue avaient été construits les immenses entrepôts du conditionnement où s’entassaient d’énormes balles de fibres textiles laine ou coton. Toutes ces rues étaient pavées de lourds grès de granit que des ouvriers alors vêtus d’un ample pantalon de velours se resserrant à la cheville, les reins ceinturés d’une bonne flanelle, venaient assez souvent remettre en place.

Après les avoir enlevés, on remettait une couche de sable bien jaune, puis à l’aide d’un outil, sorte d’herminette ou de pioche réduite à la fois marteau d’un côté et pic aplati de l’autre, les ouvriers les replaçaient après avoir enlevé un peu de sable avec la face plate de l’outil et les martelaient de l’autre pour les égaliser. Constamment courbés ou à genoux, ces hommes faisaient inlassablement, sans grands arrêts, ce travail particulièrement pénible. Il n’y avait alors aucune main d’œuvre étrangère si l’on veut bien compter comme Français la plupart des habitants qui étaient venus de Belgique lors de la poussée industrielle textile de Roubaix.

Le Fontenoy était comme un grand village, même si les églises en étaient assez éloignées. Les plus proches étaient Saint-Joseph où je fis ma communion en 1925 et Notre-Dame plus près de la place Chevreul. Chaque printemps voyait les façades être repeintes d’une couche de badigeon fait de chaux plus ou moins teintée, délayée dans l’eau, comme cela se fait encore beaucoup en Belgique. Le soubassement était passé au goudron de houille, noir, luisant, que nous allions acheter à l’usine à gaz dont les énormes réservoirs trônaient dans la rue de Tourcoing.

Dans chaque partie de rue, les habitants se connaissaient bien. Les voisines se rendant facilement visite pour prendre une tasse de café. Ainsi, j’habitais au 146 de la rue de Fontenoy. Je suis né en 1914 à l’Hôpital de la Fraternité, ma mère habitait alors, jeune mariée (mon père était au front), une petite maison cour Decock, rue de l’Alma. Après avoir, comme beaucoup de Roubaisiens évacué en Haute Marne en passant par la Suisse et par la Haute Savoie, j’étais revenu retrouver en 1920 ma grand-mère qui habitait une de ces courées aux petites maisons de deux pièces au rez-de-chaussée et de deux chambres exigües à l’étage, cour Delestrez, rue de Fontenoy. Mes parents avaient loué une maison presque face à cette cour pour y tenir un petit commerce de parapluie et de maroquinerie. Coïncidence, cette maison avait été occupée autrefois par mon grand-père paternel Camille Vandeputte, dit « le Marbré », qui y tenait café. Un jour que mes parents décidèrent d’en changer les deux fenêtres servant de vitrines d’exposition pour une nouvelle vitrine plus large et plus moderne et qu’ils changeaient alors le plancher de bois, vieux, ponctué de trous, on retrouva, là où était le comptoir du débit, des petites pièces d’argent qui s’y étaient perdues…

Quittant cette maison désormais nôtre, mon grand-père s’était installé sur l’angle de rue, en face, et tout le quartier connaissait le café de Camille que fréquentaient les menuisiers de chez Derville et où, aux moments de joie collective, les chaises servant de monture, prenaient de rudes chocs, lorsque les cavaliers, tournant autour de la salle, les menaient au rythme de la « Marche des Forgerons ».

Revenons donc aux voisins de qui je vais évoquer les noms et que bien des anciens, lisant ce journal, reconnaîtront. Nous partons vers la rue de la Lys. Sur l’angle de la rue de l’Alma, c’était le café de Jojo Lemarchand. Ce dernier y avait monté un caf’con’ où chaque dimanche des chanteurs venaient se produire. Venait ensuite la maison de la famille Bray avec Julie, la maman, Emile, le garçon devenu je crois coiffeur, et Luce, une de nos bonnes camarades de jeux. Puis, c’était le magasin de parapluies de ma mère qui n’abandonnera jamais ce quartier où tout le monde la connaissait sous le nom de « Marie Paraplu ».

Il y avait ensuite une petite courée où nous devions aller prendre notre eau à la pompe et qui comportait trois maisons : celle d’Arthur Joye, ex-marchand de charbon. Devant sa maison se dressait le hangar où il rangeait sa voiture et dont la porte cochère, à la grande colère d’Arthur, nous servait d’énorme tableau. La maison du milieu abritait la famille Mervaille. Le papa Camille était menuisier chez Derville. La maman Philomène s’occupait de ses deux garçons : Julien et Fernand. Julien l’aîné, était un de nos camarades. Continuons, après la porte cochère tableau, on trouvait une autre porte cochère : celle d’Henri Frites. Je ne lui ai connu que ce surnom que lui donnaient mes parents tout simplement parce qu’il vendait des frites à la porte du cinéma Leleu. Ses proches voisins étaient les Moutier. Ils avaient un grand garçon trop vieux déjà pour être des nôtres, par contre sa sœur Clotilde est venue jouer au Basket avec nous rue d’Alsace. On rencontrait ensuite la maison plus bourgeoise pour l’époque de Madame Lecomte. Y habitaient aussi Albert, un grand jeune homme étudiant et Yvonne, elle aussi compagne de jeu. On y voyait parfois un parent, professeur d’art, Monsieur Bayens, qui fit un jour un tableau peint de la rue. Puis c’était la famille Vandecaveye, ami d’enfance de mon père et voisine, la famille Monié. Le papa travaillait aussi chez Derville. Il y avait plusieurs garçons dont Albert et Georges un de mes très bons camarades ainsi que plusieurs filles dont Rachel. Leurs voisins, les Dehainin étaient forains. Alors venait la maison de Florine, la mère de mon ami Doyennette, presque mon frère tant il m’a guidé étant jeune. C’était la maison du bon accueil. Je m’y rendais presque chaque jour. C’était le lieu de réunion des amis : Julien, Charlot Georges, André, Roger, moi-même. La famille Dambrine se présentait alors avec sa fille Jeanne que, comme toutes les filles du lieu, nous remarquions naturellement.

Ainsi, voyez-vous, chaque maison était connue, comme si les habitants étaient de la même famille. Il m’est arrivé d’habiter d’autres endroits au hasard de ma profession d’instituteur. Mon dernier poste, à Lille, près de la mairie, m’a permis de connaître, parce qu’elles habitaient le même immeuble que moi, mes collègues directrices des écoles maternelle et de filles, le cafetier voisin parce que je devais y aller téléphoner et c’est tout. Je ne connaissais personne d’autre.

Pour finir et arriver à la rue de la Lys, je pourrais encore rappeler la mémoire d’un ménage dont la femme s’appelait Romanie et le garçon Maurice. Les Horquin, la famille Codron avec notre ami Pierre et la famille Bonte dont le garçon Julien faisait partie de notre groupe de sortie. La famille Mention avec notre ami Charlot habitait une courée située entre la rue de la Lys et les entrepôts de la rue Cassel.

En revenant sur nos pas, l’autre côté de la rue était occupé par l’usine Lepoutre, avec près du coin, sa chaufferie qui déchargeait à même la rue, ses cendres, ses scories, ses grouaches comme on disait et on voyait plus d’une personne venir les trier pour en retirer les morceaux de charbon imparfaitement consumés. Preuve que toutes nos familles n’étaient pas riches et que toute économie était bonne à faire. Au bout de l’usine, on remarquait le café du « Brassard Rouge » qui faisait à manger pour les ouvriers. Cette appellation vient de la guerre 14-18 durant laquelle des déportés je crois, arboraient au bras un brassard de cette couleur. Entre café et usine, il y avait pourtant le long couloir d’une courée où l’on dénombrait Charles Delmotte travaillant au Service des Eaux installé rue de la Lys, Helène Tempermann, amie de jeunesse de mon père, son mari et ses enfants, l’oncle Cyrille qui faisait encore des livraisons avec sa voiture à chevaux. Tout près était l’échoppe du cordonnier Lecomte parent de la dame qui habitait en face. Ensuite venait un ménage dont j’ai oublié le nom, ayant un seul garçon, Marcel. S’ouvrait alors le couloir de la cour Delestrez où logeait ma grand-mère maternelle Joséphine ayant comme voisins : Les Hochedez, Arthur et Mary, Henri, Jacques chez qui venaient parfois ses nièces, dont Irène qu’on lorgnait tous, ma foi. La première maison de la cour faisait partie du café voisin tenu par un homme âgé, très gros, au crâne couvert de cheveux ras : Joseph Dhondt, marié à Zulma et ayant avec lui son fils Edouard et son petit fils Raymond Wadin. C’était un personnage très connu du tout Roubaix, ex-agent de l’Antverpia, une compagnie d’assurance et je le crois aussi si mes souvenirs sont bons, chansonnier patoisant à ses heures.

Enfin venait la maison de Clémence, Madeleine et Blanche et leurs frères, toutes très droites, très douces. Puis la famille Ghesquière aux nombreux enfants dont Aurélie mariée à Monsieur Courcel et Rachèle. La dernière famille avant le coin était celle de Madame Bataille et de ses deux filles Lucienne et Rosa. Le fils Maurice qui y venait parfois a eu, sans trop le savoir, assez d’influences sur moi. Il avait fait l’Ecole Normale de Douai. Je ne sais s’il a enseigné mais il a certainement écrit et participé à des revues. C’est le premier intellectuel que j’ai rencontré. Il m’a donné des vieux cahiers d’Ecole Normale que j’ai longtemps conservés, des livres, j’ai encore celui où l’on trouve l’histoire du Comte Job, des revues reliées dans lesquelles j’ai lu l’Histoire de l’Auberge de la Croix Noire. Il m’a donc entraîné à lire alors que nous n’avions pas de livres à la maison. D’autre part, il possédait aussi un grand sabre de cavalerie qu’il me montrait volontiers et qui m’émerveillait. « Objets inanimés avez-vous donc une âme ? » Ca doit être de ce moment que commença à naître mon goût pour tout objet ayant une histoire et mes envies de collectionner.

Le café du coin ex-café Camille Vandeputte, était devenu le café Vammarck. Le père Vammarck avait plusieurs filles, l’une d’elles épousa Francis Versavel qui remplaça son beau-père, une autre Sylvie épousa le demi-frère de mon père Auguste Castelain et je devins ainsi plus ou moins son parent. Francis et mon oncle Auguste faisaient partie d’une chorale : « La Coecilia roubaisienne » dont les sorties étaient toujours remarquables. Roubaix, Tourcoing connaissaient encore d’autres chorales à cette époque : les Cric-Sik (je ne garantis pas l’orthographe), les Quarante et je crois qu’il y avait aussi le coin de la rue de la Lys et d’Archimède : Les Maboules.

Tous ces gens se côtoyaient, se fréquentaient sans aucune retenue, sans gêne : on s’interpelait dans la rue, on y bavardait longuement, on allait boire le café, on allait entre voisins ensevelir les morts, on faisait à leur intention une quête en portant de maison à maison les mortuaires, on rendait une dernière visite au gisant sur le lit de mort. Ainsi suis-je allé, tout jeune, avec maman, « voir » François, « chaux » comme on disait, Ghesquière. C’était la première fois que je voyais un cadavre.

Les dimanches de carnaval, ou le mardi gras, je pouvais rester de deux heures à six heures au « grillage de la rue de l’Alma », une courée près du café Cordule où mes parents m’envoyaient acheter un litre de bière à la fois, sans cesser de voir passer les travestis. Il se constituait aussi souvent, par quartier, des groupes costumés qui se rendaient au Fresnoy pour concourir. L’un de ceux créés au Fontenoy fut celui des « Diables Rouges ». Il y eut aussi « Les Nourrices » et « Les Poupons ».

Les soirs d’été, le dimanche, tous venaient s’assoir sur le seuil des maisons trop petites et trop chaudes, seuil en pierre bleu qui devait provenir de Tournai, et la rue entière offrait ce spectacle de voisins assis côte à côte bavardant, se reposant avant de reprendre le travail du lundi à l’appel des sirènes d’usines que chacun savait identifier : « Tiens ! Voilà Vanoutryve ! Ah ! C’est Lepoutre ».

La rue offrait encore le spectacle des marchands ambulants. Il y avait chaque jour le laitier Marcel, gros et rouge de visage, qui venait de Bondues dans la campagne proche, avec une voiture légère attelée d’un cheval ; il puisait de sa mesure réglementaire en fer blanc le lait à même le bidon. Nous ne connaissions guère le lait en bouteille ou en brique. Il ne m’a jamais empoisonné ce lait, bien qu’il lui arrivât les jours d’orage, de tourner à peine sur la cuisinière à charbon.

On remarquait aussi le lourd chariot transportant un gros tonneau plein de lait battu. Ma mère en achetait et nous mangions alors, ce soir-là, une espèce de soupe dans laquelle entrait du riz et parfois des morceaux de pomme : le goût en était un peu aigre mais je crois que tout ce monde aimait le lait battu, denrée de prix modique.

Témoignage de J.N. VANDEPUTTE
Septembre 1993

Edouard Duquenne et les sociétés mutuelles

A 25 ans, en 1890, il entre dans une Société de Secours Mutuels. A ce moment, Edouard Duquenne, qui avait connu une enfance et une adolescence laborieuses et avait été le témoin des misères qu’entraînent la maladie, le décès prématuré, le chômage, prend conscience du rôle essentiel des Secours Mutuels. Dorénavant il n’aura de cesse de promouvoir ce mode de secours. En 1894, il fonde avec un petit nombre d’amis, qui deviendront ses collaborateurs, la Société de retraite des «Prévoyants de l’Industrie et du Commerce Roubaisiens».
 
Le 23 septembre 1896, il épouse à Roubaix, Clémence, Coralie Krabansky, sœur de l’artiste peintre roubaisien Gustave Krabansky, qui lui donnera huit enfants. Edouard Duquenne est à l’initiative de la création d’un grand nombre de Sociétés mutuelles à Roubaix : plus de soixante-cinq en 1913. Parmi celles-ci, on peut citer : La Mutualité Maternelle Roubaisienne, La Mutuelle Nadaud, La Société de Secours Mutuels Saint Joseph, La Société « L’Employé »…
 
Son action ne se limite pas à Roubaix, par plus de 600 conférences, de déplacements, de consultations, d’articles, il fait éclore de nombreuses Sociétés Mutuelles dans la région mais aussi dans la France entière et même à l’étranger. Son action le fait nommer à des postes importants de la Mutualité, il devient Président de l’Union Départementale des Sociétés de Secours Mutuels du Nord, vice-président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française, membre du Conseil Supérieur de la Mutualité…
 
Son dévouement lui vaut aussi de se voir décerner un certain nombre de distinctions : en 1904, il reçoit la médaille d’Or de la Mutualité, en 1920, il est élevé au grade de chevalier puis en 1924, d’officier de la Légion d’honneur.
 
L’Union : La plus grande boulangerie de France
 
Sur le plan professionnel, tout en se dévouant pour les autres, son travail le hisse au rang d’industriel : il devient président-directeur de la coopérative « L’Union », la plus grande boulangerie de France dont il fait, au point de vue social, un établissement modèle. Il est également directeur propriétaire du journal « Nord Mutualiste ».
Edouard Duquenne décède le 23 septembre 1927 à son domicile, 478 rue de Lannoy à Roubaix, à l’âge de 62 ans. Ses funérailles ont lieu en l’église provisoire Saint Michel, avenue Linné, en présence d’une foule considérable.
Les coins du poêle sont tenus entre autres par MM. Duvivier, commissaire général de l’Union Départementale des Sociétés de Secours du Nord, Eugène Motte, ancien Député Maire de Roubaix, Joseph Wibaux, Président de la Mutualité Maternelle, Eugène Ernoult, Administrateur de l’Union… Dans l’assistance, on remarque MM. Gustave Dron, Sénateur Maire de Tourcoing, Georges Petit, Maire de Lambersart et Président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française.
Dès le lendemain du décès d’Edouard Duquenne, le Journal de Roubaix, avec l’accord des instances de la Mutualité Française, lance une souscription pour l’érection d’un buste à sa mémoire. Cette souscription recueille en quelques jours plus de 16.000 francs. Ce buste, œuvre du sculpteur lillois Soubricas, est inauguré sur sa tombe au cimetière de Roubaix le 4 novembre 1928. Un second est érigé au square Pierre Catteau.

Louise Delmasure et « l’aide aux mères »

(NB, mai 2019 : voir également le n°19 de Gens et Pierres de Roubaix)

LOUISE DELMASURE FONDATRICE DE L’ASSOCIATION « L’AIDE AUX MÈRES DE FAMILLE DE ROUBAIX »

Mariés en avril 1913, le couple habite 33, rue Daubenton et leur première fille, Lisette (Mr et Mme Pierre Catrice) naît en 1914. La première guerre mondiale sépare les époux, elle part à Paris puis se réfugie à Arcachon. 

A la fin de la guerre, elle retourne à Roubaix et s’installe 150 bis, rue du Collège, dans une maison contigüe à l’entreprise « Delmasure Fils », négoce de laine. Sa vie est alors une suite de naissances et de soins aux enfants : de 1914 à 1934, elle met au monde 12 enfants dont 10 filles et 2 garçons.
Toutes les maladies y passent et le décès douloureux d’un petit Bernard âgé de 2 ans d’une broncho-pneumonie la touche profondément. « Ce qui fit ma santé, disait-t-elle, c’est le mois de repos que je m’impose après chaque naissance et l’aide dévouée de personnes fidèles » à qui elle prodiguait amitié et affection.
 
Malgré sa charge familiale, elle se rend chaque jour à pied de la rue du Collège à la rue Sébastopol soigner sa mère paralysée à la suite d’une congestion cérébrale. Femme de devoir, son sens pédagogique était net : « Il faut, il ne faut pas », « ne pas rester inoccupée… », « On fait ce que l’on doit faire »… Elle apprenait à lire à ses enfants avant la scolarisation (7 ans).
Vers 1928, elle réalise la nécessité de se faire aider car elle a 8 enfants en bas âge et la difficulté d’y parvenir. Elle pense aux mamans fatiguées et songe aux jeunes filles disposant d’un peu de temps qui pourraient rendre d’appréciables services, tout en acquérant des connaissances ménagères.
C’est ainsi que s’organisent des activités telles que les promenades du jeudi, le service du raccommodage, les garderies d’enfants dans des jardins, l’aide aux courses, les bourses aux livres de classes et de vêtements…
Tout cela se fit dans un échange bénévole de services qu’on appelait « l’œuvre d’entraide » et « le secours aux mamans ». Avec la participation de mesdemoiselles Delerue et Despré au dévouement total, progressivement, une petite indemnité intervint.
Monsieur Delmasure, militant familial, perçoit qu’il faut assurer la continuité dans l’action en mettant en place une structure permanente. Dès 1930, il apprend qu’à Paris l’idée a fait son chemin autour de madame Violet en 1920 et plus tard à Versailles, Lyon ou Marseille. Roubaix fait école à Lille et Tourcoing. L’association pour l’aide aux mères de famille est créée. Elle a son siège au 2 rue de la Sagesse et en expansion, au 49, boulevard Gambetta, au 6, rue Sébastopol et à ce jour 48, rue du Maréchal Foch.
Dans la période entre les deux guerres Mme Delmasure permit à son mari l’action sociale militante qu’il eut dans la région du Nord. Réciproquement, il l’a aidée, conseillée, épaulée lors de la Fondation de « L’Association de l’Aide aux Mères ».
La guerre de 1940 amène la famille à La Réole en Gironde, en zone non occupée. Des trésors d’économies et d’ingéniosité sont débloqués pour nourrir quinze à vingt personnes : enfants, parentée, des jeunes démilitarisés, des juives en transit vers l’Espagne, tout ce monde que, là-bas, on appelait « les boches du Nord ».
Cette deuxième guerre lui occasionne l’angoisse de la séparation d’avec son mari, délégué régional à la Famille à Marseille. Pendant quatre années, elle a transcrit sur des cahiers la vie au jour le jour de cette période.
A Roubaix, en 1943 Annette Delmasure, sa fille, prend le relais de Mlle Despré et organise suivant les directives de Madame Violet à Paris et Mlle Isnard à Lyon, un foyer pour loger, la semaine, les jeunes filles sorties des écoles ménagères du Pas-de-Calais, en recherche de travail. Cette formule durera 30 années et permit une excellente formation d’avenir pour les jeunes filles, en même temps qu’une parfaite disponibilité aux appels des familles.
L’indemnité du début devient salaire, une profession était née. La « Travailleuse Familiale » succède à « L’Aide aux Mères ». Le financement régulier par la Caisse d’Allocation Familiale se substitua aux subventions. La Direction départementale d’Action Sociale, la Caisse d’Assurance Maladie interviennent devant le prix horaire qui s’élève, les familles ne participant qu’en fonction de leurs ressources.
 
Vers 1950, d’autres organismes se créent avec des objectifs spécifiques. 120 associations se regroupent en une Fédération Nationale reconnue d’Utilité Publique. Après le décès de son mari en 1978, Madame Delmasure, invalide et dépendante décède chez sa fille le 22 avril 1986 au 6, rue Sébastopol.
Elle fut baptisée, confirmée, mariée, inhumée en l’église Saint Martin de Roubaix et décorée de la Médaille d’Or de la Famille Française. En 1957, elle est faite Chevalier de la Santé Publique.
 
En 1996, l’Aide aux Mères de famille a répondu à l’appel de 456 familles de Roubaix, Tourcoing et environs. Cette association se nomme aujourd’hui AMFD (Aide aux Mères et Familles à Domicile) et son siège social se situe maintenant Résidence Flandre, entrée 19 – avenue de Flandre 59170 Croix.
  
 Les Veilleurs
 

Léon Marlot, jeune résistant de la Première Guerre mondiale

Léon Marlot, jeune résistant roubaisien

Pendant la Première Guerre mondiale

Dossier de Monsieur Jean-Pierre Delahotte,

Secrétaire de l’association Espace du Souvenir de Roubaix

Documents pour une biographie, Juillet 2013

Stèle de Léon Marlot au sein du carré militaire du cimetière de Roubaix

Photo Jean-Pierre Delahotte

Pour qui voudrait mieux connaître Léon Marlot, voici ci-dessous la transcription de deux documents dont les originaux sont consultables en Médiathèque de Roubaix. Le premier de ces documents a été offert par le Journal de Roubaix à l’occasion de l’inauguration du monument élevé à la mémoire de Léon Marlot, le dimanche 29 mars 1925.

Il s’intitule :

« L’Histoire d’un Héros de dix-sept ans fusillé par les Allemands :

Léon Marlot, Chevalier de la Légion d’Honneur »

(Cote Médiathèque RES BR 4/1346)

Ce texte a déjà connu une première mise en valeur dans la plaquette de l’association Espace du Souvenir de Roubaix (Numéro 4. Tome 1 – Janvier 2011 – Spécial Résistance 1914-1918). En effet, la sépulture de Léon Marlot se trouve dans le carré militaire du cimetière de Roubaix, cimetière que cherche à faire connaître l’association Espace du Souvenir. C’est un membre de l’association, par ailleurs adjoint au Maire de Roubaix, Monsieur Henri Planckaert, qui a retrouvé cette sépulture.

Le second de ces documents est la transcription d’une chanson honorant Léon Marlot, dont les paroles et la musique ont été composées par Henri Palanchier.

Cette chanson est intitulée « Hommage à Léon Marlot : jeune héros roubaisien fusillé par les Allemands à Tournai le 23 Juillet 1918 ». Selon une mention portée sur la partition pour le chant seul, elle aurait été vendue au profit des aveugles de guerre (Cote Médiathèque RES (BR) 4/1123).

Ces documents sont intéressants au titre des informations d’ordre biographique qu’ils présentent. Ainsi, le document diffusé par le Journal de Roubaix contient le texte de la dernière lettre du jeune homme à sa famille. Par ailleurs, article et chanson reflètent, dans le vocabulaire et les valeurs mises en avant, le type d’hommage rendu aux soldats et, comme ici, aux résistants de la Première Guerre mondiale encore plusieurs années après le conflit.

Aujourd’hui, la figure de Léon Marlot est toujours honorée à Roubaix, à l’occasion par exemple du centenaire de son certificat d’étude, fêté en 2013 dans l’école qui porte son nom, avenue Linné.

 

La publication du Journal de Roubaix

Première page du document offert par le Journal de Roubaix.

Médiathèque et Archives de Roubaix. Cote RES BR 4/1346

Un douloureux et glorieux épisode de l’occupation à Roubaix

Parmi les pages les plus glorieuses et les plus douloureuses à la fois que la guerre et l’occupation ont ajoutées à notre histoire nationale, il en est une que les Roubaisiens doivent connaître particulièrement. Et cette page est, d’autant plus belle et plus émouvante qu’elle fut écrite en lettres de sang par un enfant de notre cité : Léon Marlot.

A dix-sept ans, verser volontairement son sang, offrir sa jeunesse et sa vie pour servir son pays, n’est-ce point le plus sublime des sacrifices ? Et, lorsqu’on y songe, on est porté à se demander comment, à cet âge, le cœur peut contenir tant de noble fierté, de si viriles résolutions, tant d’abnégation et d’énergie à les mettre en pratique, malgré tous les dangers. C’est que Léon Marlot avait une double passion : l’amour de la France et la haine du Boche. Cette passion en fit un héros, un émule des Bara et des Viala. La légende n’a point ici de place : la réalité historique est plus belle que toutes les légendes. Combien nous regrettons cependant, de n’en point connaître à fond les épisodes tragiques, de ne pouvoir retracer par le menu les hauts faits qui méritèrent à Léon Marlot, cette belle citation posthume, signée du maréchal Pétain :

Le maréchal de France, commandant en chef les armées du Nord et de l’Est, cite à l’ordre de l’armée :

« Marlot Léon, de Roubaix, jeune Français âgé de 17 ans. Alors que les Allemands voulaient le forcer à travailler à leurs lignes de la région de Lens, a tenté de s’évader vers les lignes alliées, emportant le plan de nombreux dépôts de munitions ennemis qu’il avait relevé. Pris au cours de sa tentative d’évasion, jugé par un tribunal militaire, a été fusillé à Tournai, le 23 Juillet 1918. A refusé d’avoir les yeux bandés et est tombé en criant : « Vive la France ! »

POUR SERVIR LA FRANCE

Le laconisme de ce style militaire résume trop brièvement les actions de Léon Marlot et, malheureusement, les renseignements sont peu nombreux que nous avons pu recueillir sur lui, sa famille ayant quitté Roubaix depuis plusieurs années. Nous les devons, d’ailleurs, au zèle et à l’affectueuse sollicitude de son ancien instituteur de l’école de l’avenue Linné, M. Bonnet.

Lorsqu’en août 1914, la grande guerre commença de tout bouleverser, Léon Marlot venait de quitter l’école. Il avait obtenu le certificat d’études primaires, et le souvenir qu’il laissait à ses camarades et à son maître était celui d’un bon élève, courageux et tenace. Sitôt la mobilisation, quoique bien jeune encore, il se révèle un fervent patriote. Se passionnant aux évènements, il lit avec avidité tout ce qui a trait aux opérations militaires et met tout son espoir dans la victoire de la France.

Vient l’occupation ; Léon Marlot refuse de travailler pour les Allemands. Il n’en est pas moins envoyé, en avril 1916, casser des cailloux sur les routes des Ardennes. Mais bientôt, à cause de son jeune âge, il est renvoyé à Roubaix. Sans cesse hanté par l’idée de servir sa Patrie, il va rôder dans les remparts de Lille, autour des mitrailleuses et des installations allemandes, dans l’espoir de recueillir des renseignements utiles pour nos troupes. Suspecté d’espionnage, il est arrêté et envoyé au camp d’aviation de Noyelles.

De nouveau obligé à travailler pour l’ennemi, il n’a plus qu’un but : se libérer de ce pénible esclavage. L’occasion tant attendue se présente un jour. Un aviateur allemand ayant abandonné son appareil à proximité de l’endroit où il travaille, Léon Marlot bondit dans l’avion. Il manœuvre les leviers… Pas assez vite cependant. Des soldats allemands l’ont aperçu. Ils se précipitent sur le jeune évadé, l’arrachent de la carlingue et, pour assouvir leur rage, ils le rouent de coups jusqu’à le laisser pour mort sur le terrain.

Léon Marlot se rétablit cependant et, quelque temps après, il est prêt pour une nouvelle tentative d’évasion. Nous ne pouvons mieux faire que lui céder la parole et l’écouter raconter lui-même les péripéties de son arrestation, dans une lettre qu’il adressa plus tard à ses parents.

« Je songeai à rejoindre les Anglais dont j’étais si près. Le 5 avril 1918, après avoir rassemblé le plus de renseignements susceptibles de rendre service aux nôtres, je partis de Noyelles-Godault et me dirigeai vers Lens, éloignée de huit kilomètres. Il était nuit. Après avoir évité les postes et soldats échelonnés le long du trajet et passé, non sans peine, quelques lignes de fils de fer barbelés, j’arrivai aux tranchées du front allemand. Au milieu des ruines de Lens, je me reposai sur une large pierre qui devait avoir servi de soutien à une statue, d’après les débris que je voyais autour de moi ; puis je repris ma route à travers les fils barbelés, les ruines, les tranchées, les trous d’obus.

De temps en temps, les mitrailleuses crépitaient, les obus sifflaient dans l’espace. Après avoir rampé pendant au moins une heure et demie et m’être caché dans les trous, j’arrivai vers la deuxième ligne d’infanterie allemande, lorsque je dus essuyer le feu d’une mitrailleuse ennemie, dont les servants m’avaient aperçu. Par trois fois, elle essaya de m’atteindre. Je rampai bien vite dans un entonnoir d’au moins trois mètres de profondeur et j’y restai blotti pendant une demi-heure.

Quand tout fut calmé, je repris ma route, car je voyais que l’horizon blanchissait. Malheureusement, je pris un boyau de tranchée qui se trouvait sur ma droite. Je fus arrêté rudement par des soldats occupés à arranger les parois. Ils me remirent à leur lieutenant, qui me fit conduire dans la grande tranchée du front où se trouvent les bureaux. J’y fus fouillé, puis dirigé vers l’arrière.

A la kommandantur de Courrières, deux agents de la police secrète me firent déshabiller et visitèrent de fond en comble mes vêtements. Après cet examen, ils me firent monter en auto et me conduisirent à Tournai. Un commissaire allemand m’y fit écrouer vers 11 heures, après m’avoir interrogé sur le plan d’un dépôt de munitions dont j’avais été trouvé porteur.

Le mercredi 15 mai, je fus jugé et reconnu coupable du crime de trahison, d’espionnage pour l’ennemi. Condamné à la peine de mort, avec circonstances atténuantes, je crois, d’après le sergent de la prison, que je partirai plutôt en Allemagne… »

LA MORT D’UN BRAVE

Mais, n’était-ce point un pieux mensonge que cette ultime espérance qu’il voulait laisser aux siens ? Et bien souvent, sans doute, dans l’obscur et douloureux silence de sa froide cellule, le petit détenu songeait à sa famille… Il savait qu’il ne la reverrait plus, que sa destinée à lui c’était la mort. Et cette mort, il l’accepta sans une larme, sans un regret apparent, trop fier pour laisser voir au Boche odieux, que son cœur d’enfant saignait d’une cruelle blessure…

Elle vint, le 23 Juillet 1918. Tandis que nos troupes commençaient leur offensive victorieuse, crânement, sans forfanterie, en vaillant Français, offrant sa jeune poitrine aux balles ennemies, après avoir refusé qu’on lui bandât les yeux, Léon Marlot tomba en poussant ce cri qui fut tout son idéal : « Vive la France ! »

LA DERNIÈRE LETTRE DE LÉON MARLOT

Avant de mourir, Léon Marlot avait envoyé à ses parents, par les bons soins de son aumônier, cette lettre sublime :

Tournai, le 23 Juillet 1918.

Très cher Papa, très chère Maman,

Chers Frères et chères Sœurs.

Vous dire la douleur horrible qui trouble mon âme en ce moment, m’est impossible ; mon être entier frémit et frissonne ! Oh ! Très chère maman, console-toi, tant d’hommes meurent en ce moment ; console-toi de la mienne, oh ! bien chère maman, oui, vois-tu, je vais mourir ; ce soir à 8 heures, je ne serai plus de ce monde ; oui, j’aurai quitté cette terre de larmes et de gémissements pour Lui rendre compte de ma vie, hélas ! Si courte. Oh ! Maman, pardonne-moi les peines que je t’ai causées par mes inconduites et mon indocilité ; je vous demande aussi pardon, chers frères et sœurs du mal que j’ai pu vous faire et du mauvais exemple que j’ai pu vous montrer.

Soyez toujours bons, généreux, pieux et vertueux surtout, car la vie ici-bas n’est qu’un passage, vous le voyez par moi-même ; aussi soyez toujours chrétiens. Remettez-vous entièrement de votre vie entre les mains de Dieu, faites sa sainte volonté ; soumettez-vous-y et vous gagnerez le ciel.

Soyez certains que je prierai beaucoup pour vous là-haut, particulièrement pour toi, chère mère et aussi pour papa ; dites-lui que je lui demande pardon aussi pour les fautes et les peines que je lui ai causées, dites-lui que j’étais décidé à mener une vie toute autre que je n’avais menée jusqu’ici ; je m’aurais consacré entièrement à votre bonheur terrestre et surtout éternel.

Oh ! Maman, je te prie de redoubler d’affection pour mes chers frères que je n’ai pu, hélas ! Revoir une dernière fois. J’ai pensé à toute la famille, et notamment à mon cher père qui s’est exposé pour la patrie : en retour, priez souvent pour le repos de mon âme.

Je meurs content, victime de mon dévouement patriotique et réconforté d’ailleurs par la Sainte Communion.

Votre très affectionné fils et frère,

Signé : MARLOT Léon,

Caserne rue de la Citadelle,

Tournai, le 23 Juillet 1918. – 4 ½ (soir)

POUR SA MÉMOIRE

La glorieuse dépouille du jeune héros, reposa, durant près de quatre ans, dans un cimetière de Tournai. Exhumé en Juin 1922, il dort maintenant son dernier sommeil dans la nécropole de sa ville natale, aux côtés de ceux qui tombèrent sur le champ de bataille, ses frères des tranchées. Une stèle pareille à celle de nos soldats s’élève sur le tertre de sa tombe, que des mains amies viennent fleurir pieusement.

En décembre dernier, la Croix de la Légion d’Honneur fut attribuée à la mémoire du vaillant petit Roubaisien.

L’admiration, la vénération vouée à Léon Marlot, nous devions la graver dans la pierre.

Un monument Léon Marlot ! Quelle belle manière d’exalter la mémoire de celui qui incarna, durant l’occupation, les plus hautes aspirations de nos cœurs, de celui qui restera le plus pur et le grandiose symbole de nos douleurs et de nos souffrances ! Notre ville se devait d’élever un monument, qui dira aux jeunes Roubaisiens des futures générations, qu’un de leurs aînés, à peine sorti des bancs de l’école, ayant voué une sainte et implacable haine à l’envahisseur, résista à ses ordres barbares, et qu’ayant donné tout son cœur à sa Patrie, il voulut, lui aussi, la défendre comme les poilus sur les champs de bataille, et versa généreusement son sang pour la servir…

Ce monument, dû à l’initiative des Combattants Roubaisiens, est inauguré aujourd’hui, dimanche 29 mars, à 11 heures 15, à l’école de l’avenue Linné. En assistant à cette cérémonie, nos concitoyens accompliront leur devoir de reconnaissance et d’admiration envers cet enfant du peuple qui incarnait les plus belles vertus de la race française, envers ce héros parfait, qui a sa place parmi les plus pures figures de notre France, envers les maîtres qui ont forgé son âme, envers la famille, qui a formé et fortifié son cœur.

 

LA CHANSON-HOMMAGE

Première page de la partition

Médiathèque et Archives de Roubaix.

Cote RES (BR) 4/1123

Hommage à Léon MARLOT

Paroles et Musique d’Henri PALANCHIER

1.

Parmi les braves guerriers

De la terrible guerre,

Un Roubaisien, jeune ouvrier,

Pour la patrie quitta sa mère ;

Ce petit gars, ce grand héros

Donna sa vie pour nous sauver,

Aussi son nom : « Léon Marlot »

Dans tous nos cœurs sera gravé.

REFRAIN

En bonne santé, marchant de bon cœur,

Gaiement, il luttait sans trêve et sans peur.

Pour son Pays donna sa vie

Et pour toujours s’est endormi,

S’est endormi pour la Patrie.

2.

Ce n’est qu’un adolescent

Et, malgré son jeune âge,

Suit ses aînés combattant

Sans peur il brave le carnage,

A travers champs, villes et hameaux,

Vigilant, déjoue l’ennemi,

Notant les plans de leurs travaux

Pour son Pays et ses amis.

(Au refrain)

3.

Mais l’implacable ennemi

Un jour a mis entrave :

Entre ses mains, ce cher ami,

Prisonnier il tombe en brave

Et, sans remord, près du tombeau

Confiant, gardant l’espérance,

Meurt crânement face aux bourreaux,

Criant : « Vive la  France » !

(Au refrain)

4.

A nos enfants nous dirons

Ton émouvante histoire :

A l’avenir ils marcheront

Comme toi à la Victoire.

Adieu, Marlot, repose en paix :

Triomphants, les Poilus de France

Sous leurs drapeaux pleins de vaillance

Ont reconquis ton cher Roubaix.

(Au refrain)

5.

Dans la coquette cité,

A l’ombre d’un bocage

Un monument sera monté

Souvenir de ton courage

Et quand, par-là, nous passerons

En priant, l’âme attristée,

Et pieusement nous saluerons,

Remémorant ton épopée.

(Au refrain)

Joseph Dubar, résistant

JOSEPH DUBAR
HISTOIRE D’UN GRAND RESISTANT ROUBAISIEN
DIT JEAN DE ROUBAIX OU JEAN DU NORD
DURANT LA GUERRE 1939-1944

Souvenirs de son frère Georges Dubar

Le dimanche 6 novembre 1960, le journal Le Soir à Bruxelles, annonce le décès de Joseph Dubar et titre « Jean du Nord, héros de la résistance franco-belge, est mort à Roubaix. Un français à qui la Belgique doit beaucoup ».

« Modeste artisan, fils de tisserand, il joua un rôle de premier plan dans la guerre clandestine. Son patriotisme ardent, son amitié pour notre pays, son audace et son talent d’organisateur, en firent la cheville ouvrière des réseaux franco-belges de renseignements, d’action et d’évasion ».

« Il termina la guerre 1939-45 avec le grade de lieutenant-colonel des Forces Françaises Combattantes et la rosette de la Légion d’Honneur, ses brillants états de service à la tête du réseau « Ali-France » qu’il avait fondé et qui appartenait aux réseaux belges de France lui valurent le grade major A.R.A. de l’armée belge et le Prince Régent lui décerna la commanderie de l’Ordre de la Couronne. Le roi Georges VI lui conféra l’une des plus hautes distinctions militaires britanniques, le D.S.O. (Distinguished Service Order). »  

Joseph Dubar est né dans une courée, 40 rue La Fontaine à Roubaix le 30 décembre 1899. Comme beaucoup de roubaisiens à cette époque, il a des origines flamandes du côté maternel. De ses parents, il acquiert une conscience droite et le respect des convictions qui l’amèneront à devenir une figure légendaire de la Résistance, un patriote intransigeant, ayant des qualités d’animateur et de chef.

Dès ses études primaires, il est remarqué pour son inventivité et ses dons en dessin. En 1914, cet adolescent, doué pour la chimie et l’électricité qu’il étudie seul à l’aide de livres appropriés, se révolte contre l’occupation allemande. Avec beaucoup de courage et d’ingéniosité, il fabrique, seul, en cachette, dans le grenier de ses grands parents, des explosifs avec de la potasse qu’il arrive encore à se procurer dans une droguerie de la rue de Lannoy.

Son frère se souvient qu’à cette époque, pour gagner de l’argent, il fabriquait et vendait des lacets en récupérant, dans les usines textiles fermées de Roubaix, de la corde à broche qu’il teignait et munissait d’embouts de fer récupérés sur de vieilles boîtes de conserve.

Un jour, il réussit à faire sauter un grand pylône supportant les liaisons téléphoniques d’un PC allemand situé en haut de l’avenue du Général de Gaulle.  Une autre fois, il injecte de l’acide avec une seringue dans le trou d’une serrure d’un important relais téléphonique réservé à l’occupant. Situé rue du Manège (aujourd’hui rue De Lattre de Tassigny) il occasionne de graves dégâts sur les câbles électriques.

Bloqué par l’occupation allemande, il décide de s’engager dans l’armée Française. En 1917, il part en sabots avec une bêche sur l’épaule pour ressembler à un paysan. Après avoir traversé à pieds toute la Belgique dans l’intention de gagner la France non occupée et l’armée française, il échoue à la frontière hollandaise, très bien surveillée. Sa mère le voit revenir à Roubaix en piteux état, les pieds ensanglantés.

La guerre finie, il effectue son service militaire (classe 19) et se marie en 1924 avec Laure Hennion, nièce de Jean Lebas, maire socialiste de Roubaix. Il s’installe à son compte en 1936 avec son épouse spécialisée en bonneterie et ouvre un petit atelier de confection qui fonctionne jusqu’à sa mobilisation, en janvier 1940, au 3ème Génie à Arras. Il est alors âgé de 41 ans. Affecté aux ponts fluviaux de Croix et de Wasquehal, il participe à leur destruction en mai 1940 pendant la bataille de France. Le 28 mai 1940, encerclé à Lille avec son unité, il refuse de se rendre et échappe à la captivité en se démobilisant lui-même, rentre chez lui, reprend la vie civile et débute aussitôt son activité de « résistant clandestin ».  

Il rencontre Paul Joly, petit industriel Roubaisien né comme lui en 1899, fait prisonnier à Dunkerque et évadé. Bien qu’ils soient d’opinions politiques différentes, Joseph Dubar est militant socialiste tandis que Paul Joly est plutôt de sensibilité de droite, ils s’accordent pour joindre leurs efforts dans la lutte contre l’ennemi. Avec l’aide de Marcel Guislain, médecin à Roubaix, ils commencent à évacuer les soldats alliés.

Joseph Dubar expose ses vues à Jean Lebas qui lui accorde sans réserve son soutien et le met en rapport avec des personnes sûres dans toute la France. Le jour de l’appel du Général de Gaulle, le 18 juin 1940, ils ont regroupé autour d’eux des hommes et des femmes qui refusent d’abandonner le combat. Le réseau, encore embryonnaire, porte le nom de leur mot de passe « Caviar » et s’occupe de tous travaux de résistance. Parmi les compagnons de la première heure, Joseph Dubar cite Paul Joly, Jean Lebas et son fils Raymond, Georges Marc, douanier à Toufflers, Marcel Delcroix entrepreneur à Wattrelos, Marius et Millette Berrodier, fleuristes rue de la Gare à Roubaix, tous sont d’opinions différentes mais animés du même idéal.

Dès juillet 1940, l’urgence est d’organiser l’évacuation des soldats alliés cachés chez les habitants en leur fournissant nourriture, logement et habillement. Joseph Dubar les accompagne ensuite jusqu’à Marseille à travers deux lignes dangereuses : la Somme pour sortir de la zone interdite particulièrement dangereuse, puis la ligne de démarcation pour sortir de la zone occupée et même parfois également la frontière belge. Il risque sa vie à chacun de ces passages. Il réussit pourtant et recommence inlassablement le même trajet avec d’autres personnes qu’on lui amène de tout côté.

C’est par Marcel Delcroix (alias Mancel), petit entrepreneur de Wattrelos, évadé du camp de Rexpoede et ami de son frère Charles, qu’ils entendent parler du Fort Saint Jean près de Marseille où se trouve une antenne M.I.S., le service britannique qui s’occupe d’évasion. Cécile Hermey, professeur d’anglais à l’Institution Ségur à Roubaix accompagne, pendant les vacances de Noël 1940, deux soldats anglais recueillis à Hem et prend des contacts utiles pour organiser une filière d’évasion. Joseph Dubar utilisera ce « débouché » jusqu’en juillet 1941 et profitera de ces voyages pour transmettre au capitaine anglais Murphy Plommen (alias Murchie), responsable du Seamens House de Marseille, les renseignements rassemblés essentiellement par Georges Marc qui pouvaient s’avérer utiles pour les alliés.  

C’est à partir de janvier 1941 que le réseau s’organise véritablement. En effet, vers la fin 1940, Joseph Dubar est approché par Jules Correntin (alias Léon). Il s’offre immédiatement pour procurer à la résistance belge des moyens de communications avec la zone non occupée. En collaboration avec Paul Joly, il convoie jusque Marseille neuf pilotes de l’aviation belge par la même ligne qu’il avait montée pour les soldats anglais. Parmi eux arrivent à Londres des hommes qui allaient jouer un rôle essentiel dans l’organisation de la résistance belge comme le Colonel Van Dyck, le Major Guillaume, Gazon et d’autres personnes comme le capitaine Pierre Vandermies, qui reviendra en France le 13 juin 1941 afin d’organiser l’évacuation d’un courrier hebdomadaire comprenant tous les renseignements des réseaux belges (mission Dewinde).  

Le réseau se scinde en deux parties au mois de juillet 1943. Paul Joly avec son service Caviar continue le renseignement. Joseph Dubar avec son service Jean du Nord et plus tard Ali continue l’évacuation des hommes et du courrier et travaillera pour les services belges à Londres et dépendra organiquement de la sûreté de l’Etat. Comme d’autres Français, Joseph Dubar, méfiant vis à vis du gouvernement de Vichy, choisit de servir dans ces formations belges qui, sans un soutien efficace, n’auraient pu se développer sur le territoire français et qui étaient indispensables pour les liaisons entre la Belgique et la Grande-Bretagne. Le contact est alors pris avec Fernand Kerkhofs, fondateur du réseau Zéro à Bruxelles.

A la fin de l’année 1941, les principaux mouvements de la résistance belge ont fait du triangle Lille-Roubaix-Tourcoing la plaque tournante d’une formidable clandestinité. Jean de Roubaix « est connu de tous les chefs de la résistance en Belgique comme un ami sûr et un compagnon de lutte ».

Pierre Vandermies demande également à Paul Joly et Joseph Dubar de recevoir et d’aider les agents parachutés dans le nord de la France pour les réseaux belges. Ils leur procurent des faux-papiers, vont rechercher leur matériel, leur font passer la frontière ainsi qu’à leurs bagages qui sont en général remis à la buvette de la gare de Tournai « Chez Louise ».  

Pour cela, Jean du Nord a constitué ce qu’il appelle lui-même un « petit état-major » qui fonctionne dès 1940. Celui-ci se retrouve au Café de l’Univers installé sur la Grande Place de Roubaix, géré par Joseph et Irène Verbert. « Le fait qu’Irène, née allemande, peut opposer à des perquisitions, un accueil dans la langue de l’envahisseur rend le rôle du café de l’Univers capital jusqu’à ce moment de 1942 où il apparaît prudent de faire prendre la clandestinité à ses responsables. »

Le groupe pour lequel Paul Joly est devenu « Caviar » et Dubar « Jean du Nord», « Jean de Roubaix » ou aussi « Jean Ballois » prend très vite un rôle considérable. On en trouve la trace dans le rapport de la Feld Polizei du 5 juin 1941, qui décrit, sur la foi d’aveux d’un soldat anglais pris à la ligne de démarcation, tout ce qu’un « client » pouvait connaître des « gens de l’Univers».

A partir juin 1941, la royal Air Force largue systématiquement tous ses agents au-dessus du nord de la France. Les parachutés, appelés aussi « Jean de la Lune» ont pour consigne de se présenter au Café de l’Univers muni d’un mot de passe et d’un billet portant la signature de Vandermies. Entre octobre 1941 et janvier 1943, pratiquement tous les agents parachutés pour les réseaux de renseignements belges passeront par Roubaix et tous, sauf pour une équipe, seront accueillis soit à l’Univers soit, plus tard, par les fleuristes Marius et Marie Berrodier, rue de la Gare. Munis de faux papiers à Roubaix, Joseph Dubar, Paul Joly ou un de leurs collaborateurs les font franchir la frontière franco-belge ou les acheminent en zone libre. Ils vont également chercher leur matériel que les agents cachent après leur saut et cette recherche les mène parfois dans des endroits curieux (comme des caveaux vides dans les cimetières…)

Ils organisent également le convoyage des courriers des divers services de renseignement regroupés par le réseau Zéro à Bruxelles. S’y ajouteront le courrier d’autres réseaux belges : Bravery et à partir de juin 1942, celui du réseau Boucle. Plus tard, Ali-France transportera aussi le courrier de Zig et pendant quelques semaines, en 1943, celui du réseau Marc. Ainsi chaque semaine à partir d’août 1941, un courrier groupant tous les réseaux belges part de Bruxelles via Tournai, Roubaix, Paris pour Tours et Toulouse ou Lyon, Montpellier et Perpignan en passant la ligne de démarcation à Chalon sur Saône ou à La Haye-Descartes avec l’aide du réseau « Sabot » puis le P.C.B. (Poste Commandement Belge) puis le P.C.C. (Poste Commandement Courrier).

Wilson Churchill a écrit dans ses mémoires que durant la bataille du Radar en 1941, 80 % des renseignements venus des services établis en territoire occupé, furent fournis par les réseaux belges. La majeure partie de ces courriers passèrent entre les mains de Jean de Roubaix, de Léon de Tourcoing et de leurs compagnons.

Parachuté en France la nuit du 22 au 23 juin 1942, le capitaine belge Gérard Kaisin (alias Alex) a la mission de créer un réseau de renseignement dans le Nord de la France. Paul Joly, avec une trentaine de ses collaborateurs comme Joseph Verbert, les Berrodier, Suzanne Derache et Geneviève Liebert, fondent le réseau « Zéro-France » en juillet 1942.

Joseph Dubar continue ses activités et donne le nom d’« Ali-France» à son réseau en souvenir de son ami Georges Marc, alias « Ali 99 ». Sa fille Raymonde, devient son bras droit après son arrestation et le seconde efficacement. Il se consacre essentiellement aux évasions et aux réceptions de parachutistes ainsi qu’au transport des courriers. Appuyé par Victor Provo, maire depuis juillet 1942, il assure la remise des papiers d’identité et des cartes de ravitaillement place de la Gare, héberge les clandestins dans la crèche de la rue de Tourcoing et les achemine vers le sud.

Le réseau « Ali-France » fonctionne jusqu’à la Libération. A son actif, il aura, d’après les contrôles officiels belges, convoyés « 700 hommes militaires ou civils français, belges et britanniques, vers la zone libre ou l’Espagne ». Sur ces 700 évadés officiellement contrôlés, 3 % seulement n’arriveront pas à Londres. De plus, 80 % des hommes parachutés par le gouvernement belge ont été réceptionnés sans incident.

De juillet 1940 à juillet 1943, le nombre des courriers de renseignement pris en charge par « Jean du Nord » est de 104, chaque contenair pesant de 20 à 30 kg. Cela représentait plusieurs milliers de documents, dont un bon nombre ont eu une importance militaire capitale dans le déroulement de la guerre. Le courrier des réseaux belges passe la frontière à La Festingue chez François Vienne où l’épouse de Georges Marc et le dépose à la crèche de la rue de Tourcoing à Roubaix. Entre la fin 1943 et mai 1944, cette ligne fait partie intégrante du système du P.C.C.  

Dès 1941, la police allemande traque « Jean » dont elle a confisqué tous ses biens et mis sa tête à prix 1 million de francs belges. Le 21 mai, elle arrête sa femme, Laure Dubar-Hennion, son oncle Jean Lebas, Député-maire de Roubaix et le fils de celui-ci, Raymond Lebas, ils ne reviendront pas. Le 9 octobre 1941, c’est l’arrestation du roubaisien Marcel Duhayon, douanier, suivie le 11 décembre de son collègue Georges Marc de Toufflers. Le 4 mai 1942, le Docteur Marcel Guislain et Marcel Delcroix tombent aux mains de l’ennemi. Camille Chevalier est arrêté le 12 août 1942 à Chalon-sur-Saône et fusillé le 18 août 1942. Raymonde Marc est arrêtée à Toufflers le 29 avril 1943 puis Mr et Mme Capette avec leur fils le 26 mai 1943, qui servaient de boîte aux lettres. Paul Joly est arrêté le 21 juillet 1943 en même temps que Marius et Millette Berrodier, fleuristes dans l’avenue de la Gare et qui utilisaient des noms de fleurs comme mots de passe. On demandait des Iris bleus, des marguerites blanches ou des roses rouges. Et enfin Mme Lapaire, arrêtée à Tours, le 15 juillet 1944.  

En février 1945, on n’a encore peu de nouvelles de ces agents, à l’exception de Camille Chevalier, fusillé. Conscients du danger pour eux-mêmes et leurs familles, une caisse spéciale de secours aux agents arrêtés et d’aide à leur famille est créée en juillet 1943. Elle est organisée de façon à subsister au cas où le réseau Ali-France viendrait à disparaître et permet son bon fonctionnement. Elle accorde des secours aux familles et aux personnes qui ont recueilli un aviateur abattu et finance intégralement les colis envoyés aux agents prisonniers. Elle fournit également de l’argent de poche aux soldats évadés d’Allemagne pour leur voyage en train et leur nourriture en cours de route. De nombreux français furent également aidés pour gagner l’Angleterre. Joseph Dubar, dans son rapport de février 1945 « souligne l’appui entier obtenu des autorités Belges pour cette œuvre. Jamais les fonds nécessaires n’ayant été discuté ».

Malgré les coups très durs, « Jean du Nord » continue de défier l’ennemi et le danger par une activité prodigieuse et incessante. Son habileté devient légendaire dans les réseaux. Il va, il vient, avec des hommes, des courriers, du matériel parachuté, de Roubaix à la Somme, il force la ligne, de la Somme à La Haye-Descartes où il passe la 2ème ligne de démarcation. Un jour, il est à Tournai ou à Bruxelles, un autre jour, on le retrouve à Paris, à Charleville, à Chalon-sur-Saône, à Lyon ou dans les Pyrénées. Jamais au même endroit, sa mobilité déconcertera ses poursuivants et contribuera à déjouer tous les pièges que les polices, nazie et collaboratrice, lui tendent. Pourtant, il conserve des contacts précis avec certains de ses amis et le travail n’est jamais interrompu.

Il voyage en train, mais fait aussi des raids considérables à vélo lorsqu’il lui faut récupérer du matériel parachuté. Avec ses camarades belges, chefs de réseaux, il participe à l’évacuation de condamnés à mort évadés, d’agents « brûlés » et de personnalités politiques belges qui gagnent le monde libre. C’est lui qui réceptionne presque tous les « Jean de la Lune » c’est à dire les agents belges et leurs matériels parachutés en France. En juillet 1943, il totalise 21 missions de cette sorte dont pas un homme ni un poste émetteur n’a été perdu.

A la demande pressante du commandement belge, Jean du Nord s’envole pour Londres le 17 décembre 1943 afin organiser un service de transmission directe des renseignements depuis le Nord. « Si c’est uniquement pour ma sécurité que vous m’appelez chez vous, j’estime ne pas pouvoir accepter (…) Je ne suis pas inconscient des dangers qui m’entourent » écrit-il à Londres et il n’acceptera que si Londres l’appelle « pour me donner des instructions spéciales et me ramener ensuite ». Londres lui demandera également de surveiller les rampes de V1 et V2 dans la région du Nord.

Durant quatre mois, il subit un entraînement spécial pour apprendre à évacuer les courriers par mail pick-up c’est à dire enlever et débarquer les contenairs de courrier et les « colis » (agents parachutés) par avion Lysander appelés aussi Lizzies. Durant son absence, le réseau continue de fonctionner normalement grâce à son frère Charles, comptable à Wattrelos. Il est de retour en France en mai 1944 où ses camarades ont subi une série de coups très durs et prépare le débarquement allié en montant en Touraine un nouveau service de mail pick-up.

Avec succès, il donne des renseignements internes et externes de la construction de la base de lancement des fameux « V1 » d’Eperlecques qui, du Nord de la France doivent abattre Londres grâce à son chef de secteur, René Fonson, ami d’enfance, qui, pour exécuter sa mission, se fait embaucher comme ouvrier libre sur le chantier. Le réseau reçoit les félicitations de Londres pour ce travail.

Il termine ses exploits en participant activement à la libération de sa ville natale de Roubaix en septembre 1944 où il remonte juste à temps en deux étapes avec son vélo et deux postes émetteurs sur le porte-bagage : Tours-Paris et Paris-Roubaix.

Joseph Dubar a lutté tant qu’il a pu dans cette résistance. Lorsqu’à Londres, selon les us de l’identification, on lui demanda un spécimen de son écriture, il écrit cette phrase qui dépeint le résistant : « L’espérance force le destin ». Sa réussite tient aux deux qualités essentielles qu’il possédait, plus la chance évidemment !

1°) Une très bonne mémoire, surtout visuelle. Il n’a jamais de document compromettant en sa possession lors des contrôles. Il lui suffit de passer une seule fois dans un lieu, pour en repérer les moindres détails et les enregistrer dans sa tête.

2°) Un grand flegme. Il ne montre jamais aucun trouble dans les moments difficiles, lorsqu’il franchit les diverses zones de passage, il ne s’énerve jamais et sait rester passif.

Il lui a fallu également une excellente santé pour supporter, durant quatre années, cette vie clandestine extrêmement mouvementée et dangereuse. La guerre terminée, il reprend son activité de bonnetier. En 1948, il se remarie avec Renée Hodewyck, veuve de Louis Deregnaucourt, mort en déportation et aura un fils, Jean Dubar. Il devient chef de travaux au C.I.L. en 1949 et décède en novembre 1962 après avoir revu ces amis belges.

Distinctions reçues :

–    Grade de Lieutenant-colonel des Forces Françaises Combattantes
–    Grade de Major ARA de l’armée belge
–    Officier de la Légion d’Honneur
–    Croix de Guerre
–    Médaille de la Résistance
–    Médaille de Combattant Volontaire de la Résistance 1939/1945
–    Commandeur de la Couronne de Belgique avec Palme
–    La Médaille Commémorative 1939/1945 avec éclair
–    La Médaille Freedom avec palme
–    Titulaire du « Distinguished Service Order » (D.S.O.)

Ces récompenses bien méritées, il n’aimait pas les exhiber. Il était resté très modeste. A la Libération, il s’est efforcé de témoigner et d’appuyer les demandes d’obtention de ce que l’Etat pouvait accorder à ses collaborateurs. Sinistré, il n’a jamais reçu ses propres dommages de guerre. Il finira le conflit plus pauvre qu’au départ, contrairement à ceux qui en avaient profité durant toute l’Occupation.

Lors de la visite officielle de la reine d’Angleterre le 12 avril 1957, Joseph Dubar accompagne la reine Elisabeth II lors de l’hommage rendu aux Résistants Morts pour la France. Le prince Philip se montra particulièrement intéressé de savoir comment ce grand résistant avait reçu la « Distinguished Service Order », accordée presque uniquement aux officiers anglais.

A force de volonté, cet homme « si simple, si modeste, si effacé » comme le disait à ses funérailles le 7 novembre 1962 son ami Marcel Guislain, a galvanisé les énergies autour de lui. Peu après, la ville de Roubaix baptisera une rue à son nom dans le quartier des Hauts Champs afin de perpétuer sa mémoire.

Anecdotes recueillies auprès de son frère Georges Dubar et de sa femme :

Premier itinéraire suivi par Joseph Dubar lui-même lors de son voyage à Marseille. Nous suivons le parcours de deux soldats anglais et leur jeune guide, Yves-Jean Henno, fils de militants socialistes Roubaisiens. Les deux anglais sont partis de Bruxelles le 10 janvier 1941 après avoir été hébergés à Flobecq (Hainaut) et à différents endroits dans la capitale belge. Arrivés à Tourcoing, le 10 janvier au soir, ils sont hébergés par Lezaire jusqu’au 14 janvier. A cette date, Lezaire remet un des deux anglais (Wright) à la femme de Joseph Dubar qui l’amène chez son oncle Jean Lebas où il sera hébergé jusqu’au 25 janvier. On attend en effet le retour de Dubar avant d’entreprendre leur évacuation. Le 25, Joseph Dubar remet Wright (que Raymond Lebas a muni d’une fausse carte d’identité au nom de Charles Duroc) à Henno qui a amené le second anglais (Harry Dando) en gare de Roubaix. Henno reçoit de Dubar tous les renseignements nécessaires pour le passage de la Somme et de la ligne de démarcation. La ligne rouge de la Somme est passée la nuit, en barque, en compagnie de deux hommes entre Coquerel sur la rive droite (où Dubar peut compter sur la famille Libraire) et Fontaine-Sur-Somme sur la rive gauche (où il a recruté la famille Rabouille). C’est cette dernière famille qui loge les trois hommes. De là, ils se rendent à Paris où ils sont hébergés par un oncle de Henno et le 27 janvier, le trio va en train jusque Bourges. Là, ils descendent et continuent leur route à pied jusqu’au petit village de Morthomier, près de Saint Florent sur Cher, au sud de Bourges où ils doivent franchir la ligne de démarcation. Pour ce faire, Henno se met en rapport avec Raymond Fortepaule ; cette adresse a été renseignée par Cécile Hermey et Dubar y est passé lors de son premier voyage à Marseille. Fortepaule les dirige vers un café dans lequel la police allemande arrête le 27 au soir, neuf candidats au départ dont Henno et les deux anglais et très probablement Fortepaule. Leurs déclarations et surtout celles de Wright, mèneront, le 21 mai 1941 à l’arrestation de Jean Lebas, de son fils Raymond et de l’épouse de Joseph Dubar. Le passage de Morthomier est abandonné aussitôt mais Dubar trouvera très vite deux autres points de passage sur la ligne de démarcation qui tiendront longtemps à la Haye Descartes (Indre et Loire) et à Chalon sur Saône (Saône et Loire).

A la demande de Londres, le réseau Ali France est chargé de déceler les emplacements des rampes de lancement des fusées  V1 et V2. Jean de Roubaix demande à René Fonson, son ami d’enfance, de se faire embaucher au chantier d’Eperlecques en tant qu’ouvrier libre pour photographier l’intérieur de l’immense blockhaus. Il y reste pendant trois mois, de juin à août 1943. Grâce à ce travail minutieux, alors que les terribles V2 qui doivent selon Hitler détruire Londres, sont presque prêts, le bunker subit le 27 août 1943 un bombardement d’une telle puissance qu’il est en grande partie détruit et rendu inutilisable.

Le réseau Ali-France
Mon frère donnera le nom d’Ali-France  à son réseau en hommage à Georges Marc, alias Ali 99 Germain, qui, arrêté le 11 décembre 1941 est déporté et décède le 19 décembre 1944 au camp de Gross Rosen en Allemagne. Raymonde Marc, sa fille, n’hésitera pas à prendre la relève et devient son bras droit. Avec une grande volonté et un sang froid à toute épreuve, elle affrontera avec courage son arrestation, la torture et sa déportation au camp de Ravensbrück. C’est lui qui, le premier, avait organisé dans la région un service de renseignements.

Jean de Roubaix avait en location à Paris en 1943, je pense, un petit studio qui lui servait surtout de boîte aux lettres. Est-ce par suite d’une dénonciation ? Trois ou quatre membres de la Gestapo investissent son logement et l’occupent durant trois jours. Sans résultat, ils le quittent le quatrième jour et pas une heure après leur départ, la concierge voit arriver mon frère. Toute blême, elle lui fait signe de s’enfuir au plus vite, ne sachant pas si l’un d’eux n’était pas resté sur place. Ne l’écoutant pas, mon frère monte dans l’appartement, celui-ci était vide, l’air irrespirable par l’odeur du tabac et de la bière consommée durant leur séjour.

Une nuit de Novembre 1943, pendant la pleine lune, profitant d’un raid de bombardiers alliés sur Saint Nazaire, un petit avion anglais piloté par une élite de l’aviation, non armé, avait pour mission de venir atterrir sur un terrain proche de Niort. Bien que banalisé par la Résistance, le pilote se pose trop loin du terrain et s’embourbe dans une prairie marécageuse. Devant l’impossibilité de décoller vers l’Angleterre, mon frère s’oriente vers la ferme la plus proche, il réveille le paysan qui accepte, avec l’aide de deux bœufs et d’un câble, de dégager l’appareil. Nouvel échec et il faut se résigner à mettre le feu à l’avion et fuir rapidement car cet incendie risquait de donner l’alarme à l’occupant. Le lendemain, les allemands arrivent au petit matin, arrêtent comme prévu ce brave paysan qui, sur le conseil de mon frère, avait imaginé leur dire que c’est sous la contrainte que deux hommes armés l’avaient forcé à sortir ses bêtes, en pleine nuit, pour sortir l’appareil de ce bourbier. Les traces des sabots sur le sol trempé donnaient une vérité irréfutable de cette version, finalement, ils le lâchèrent quelques jours après. L’alarme était lancée, tout le département des Deux Sèvres consigné. Routes, chemins de fer, la gestapo avait compris qu’il y avait un grand intérêt à arrêter ces « terroristes ». Un mois après, à la pleine lune suivante, un autre avion est venu reprendre dans un autre endroit mon frère et le pilote du premier avion. Mon frère, tant attendu par l’espionnage anglais, allait donc vivre chez eux de décembre 1943 à mai 1944 pour être posé dans la zone ouest par un autre avion, un mois avant le grand débarquement du 6 juin.

Durant les derniers mois de l’occupation, mon frère allait devoir, en vélo, effectuer tous ses déplacements (plus de train, gares démolies). Bruxelles, Toufflers, la Somme, Paris, jusqu’à Orléans et Tours. Un jour qu’il remontait vers le Nord, en passant la Somme par la fameuse côte de Doullens, il aperçut un barrage allemand en bas de cette côte. Fait assez rare, une seule sentinelle était de service, c’était pendant l’heure du repas. L’allemand, assez âgé et sans doute mobilisé de la dernière heure, arrête mon frère, lui demanda ses papiers, faux évidemment, examine le colis posé devant son porte-bagage (c’était un poste émetteur assez mal enveloppé dans une toile de jute trop ajourée d’où l’on devinait la carcasse en aluminium). Mon frère est certain que le soldat avait deviné être en présence d’un terroriste, avec son matériel émetteur. Pourtant, il n’insista pas et le laissa partir. A son âge, il avait sûrement hâte d’en finir avec cette guerre déjà perdue. Mon frère a grimpé cette côte raide à une allure surnaturelle, craignant qu’il ne donne l’alarme à son poste de commandement.

Le Parc Barbieux

Le parc de Barbieux est un des fleurons des parcs du nord de la France, un des grands exemples des jardins de la période florissante industrielle, promenade publique correspondant à une idée d’hygiénisme et accessible à tous. Suite à l’abandon d’un canal, celui de Roubaix, voici l’origine d’un des plus beaux parc urbain de France, aujourd’hui classé au titre national des sites en date du 26 janvier 1994.

L’histoire du canal fantôme…

En juillet 1813, Monsieur de Rézicourt, capitaine de Génie de Lille et Monsieur Roussel-Grimonprez, Maire de Roubaix, décident d’un projet de création d’un canal de la Deûle à l’Escaut.

1827 – Pose de la première pierre au confluent de la Marque. Première écluse construite au niveau de l’abbaye de Marquette sur la Deûle.

1831 – Le canal arrive à Croix jusqu’au pont d’Hem (maintenant rue Holden).

1835 – Concession Brame et ébauche, vers Roubaix, d’une berge relevée, avenue Le Nôtre par établissement d’un bassin de détournement prévu à Croix (Le Nôtre, péniches vides).

1843 à 1846 – Partie creusée à Roubaix vers la Belgique puis le boulevard du Général Leclerc (rue Jean Moulin) vers le Sartel et Leers.

1846 – Plantations de l’avenue Le Nôtre de plantations et en 1850, les quais Holden sont bâtis sur le canal de Croix. L’Escaut est atteint jusqu’aux Cascades de Roubaix.
Cette même année, il faut rappeler qu’un projet initial tendait à un embranchement vers Hem depuis Croix et vers Leers, selon la concession Brame de 1821.

1858 – Rachat du chantier par la ville de Roubaix de la rue Holden au kiosque du bassin Holden.

1859 – Essais du creusement du tunnel de Barbieux vers Roubaix sous l’actuel boulevard du Général de Gaulle. A 5 mètres sous terre, une couche de sable humide empêche les premières voûtes de se maintenir. Elles s’écroulent au bout de 60 mètres. On réussit toutefois péniblement à construire 138 mètres de galeries qui s’écroulent à leur tour.

Cette même année, M. Henri-Léon Lisot, fondateur de la « Fauvette » et poète inspiré, fréquentant le chantier abandonné envahi de végétation sauvage et goûtant la tranquillité du lieu, imagine de construire un grand parc où pourrait vivre ensemble les végétaux et les oiseaux.

Le 4 août 1860 est déposé un projet de promenade publique dans l’emplacement du canal abandonné.

Le 23 novembre de la même année, la commission pour la grande promenade sur les hauteurs de Barbieux se réunit et sollicite l’appui de la ville pour la réalisation du projet ainsi que pour la création d’une avenue bordée d’arbres jusqu’à la hauteur de Barbieux. Ce projet est complété en 1861 par le tracé d’un grand boulevard (actuellement le boulevard du Général de Gaulle).


1861 – Cession de l’Etat qui choisit de contourner la ville au nord en rejoignant la Marque par un nouveau tracé vers Wattrelos, Tourcoing, Wasquehal depuis le pont Nyckès inauguré en 1877 et ouvert dans sa totalité de la Deûle à l’Escaut.
Toujours en 1861, suite à l’abandon de la liaison entre  la Marque et l’Escaut et les déboires du tunnel prévu, acquisition du bassin de retournement, nivellement de la première partie du parc depuis la Montagne de Croix, en haut du boulevard de Paris et projet d’acquisition de 134 hectares de terre sur Croix qui se réduiront à 18 hectares pour le parc et 16 autres avoisinants et de voirie consignées. Bien plus tard, en 1926, Croix vend ces terrains à Roubaix.

1863 – Charles Daudet, Maire de Roubaix, défend ce projet et le fait adopter.

1864 – Le 29 septembre 1864, un rapport de l’administration municipale notifie l’établissement d’un jardin public sur l’ancien lit du canal de Roubaix et le projet est déclaré d’utilité publique par décret présidentiel du 30 juin 1866.

Aménagement du parc de Barbieux, dit « le beau jardin »

Pour élaborer les plans du nouveaux parc, M. Barillet-Deschamps, qui vient de dessiner le jardin Vauban à Lille est sollicité mais, accaparé par l’Exposition universelle, décline l’offre. C’est son adjoint et successeur, Georges Aumont qui se rend à Roubaix et établit les plans datés de 1868. La ville accepte son projet immédiatement et contracte un emprunt pour financer les expropriations et l’aménagement du parc.

1866-1875 – Plans d’eau tracés de l’avenue Le Nôtre, vallonnements et circulations, plantations d’arbres remarquables et ensemencements jusque l’avenue du Peuple Belge (le tout à la pelle et à la brouette). On oublie l’arrosage, d’où l’installation depuis le Huchon (château d’eau) et on réensemence.

1875-1888 – On déborde au-delà de l’avenue du Peuple Belge et on trace l’avenue de Jussieu (sinueuse à souhait). Plantation de platanes.
On prévoit l’arrivée du Mongy (1909) avenue Le Nôtre, terminus Baudelaire actuellement.

1890-1908 – Les travaux sont repris par l’architecte paysagiste parisien Georges Aumont, qui poursuit les terrassements sur l’ancien canal en panne, jusqu’au Cabaret des 1000 colonnes qui est abattu en 1907. C’est l’espace rond au niveau de la Duquenière qui formait le Belvédère sur le plan d’eau tout neuf. Construction de La Laiterie face au kiosque, en 1908 liaison par passerelle (petit pont) depuis le Belvédère ouvert en rocaille qui se poursuivront en 5 niveaux sur le fond du parc, terminé en fer à cheval, d’où le lieu-dit.

1896 – M. Gustave Nadaud a son monument à Jussieu qui était primitivement à l’Esplanade. L’entrée avec une colonnade autour, le Commandant Bossut le rejoindra plus tard.

L’exposition de 1911 s’installe sur les deux parties du parc depuis La Duquenière avec une avenue des Palais tout contre Jussieu jusque Boucicaut (café du Parc). Dès 1921, les terrains laissés vacants sont lotis et bâtis d’immeubles bourgeois dont certains existent toujours. La réalisation finale du parc de Barbieux sera faite grâce aux subsides de M. Paul Destombes.

Nous verrons l’avenue Jean Jaurès en continuité de l’avenue des Palais, l’installation du Mongy en 1925 et la préparation de l’exposition du Progrès social du Nord et de l’Industrie de 1939, ses fêtes nocturnes, ses illuminations, son bloc de marbre, son vase de Sèvres et l’ensemble de ses monuments : Weerts, Destombes, Commandant Bossut, Spriet et Jeanne d’Arc qui termine le cortège.

En 1939, l’Exposition du Progrès Social s’installe àLille et à Roubaix avec ses 14 pavillons. Elle fermera précipitamment ses portes avec l’entrée en guerre de la France.

Après la Seconde Guerre mondiale et jusque 1952, des courses automobiles sont organisées autour du parc de Barbieux avec d’illustres coureurs et notamment le fameux Fangio. Le 5 mai 1950, une célèbre course automobile est organisée par l’Automobile Club du Nord de la France pour les fêtes du Cinquantenaire.

En 1961, le café La Laiterie est démoli.

La reconnaissance…

L’association des Amis du Parc de Barbieux est créée le 4 septembre 1991.

Et en janvier 1994, suite à la demande en 1989 auprès de Michel Barnier, Ministre de l’Environnement, de Jean-Pierre Delahotte, écologiste et environnementaliste, Président du Comité National pour la protection et la sauvegarde de la faune et la flore, le parc est classé. En 2002, le Grand Prix de l’Arbre est décerné à la Ville de Roubaix et en 2010, le Parce de Barbieux obtient le label de Jardin Remarquable.

D’après M. Ernest BLEUSE, historien croisien
Th. Leuridan « Histoire de la Fabrique » 1864

Le canal et le port

LE CANAL

Conçu dès 1813, le canal joint l’ESCAUT à la Deûle par la Marque et met par conséquent en communication les bassins houillers et la mer du Nord.
 Il a été livré à la navigation en quatre parties :
– la première entre Croix et la Deûle par la Marque en 1832 ;
– la deuxième entre Roubaix et la frontière belge en 1843 ;
– la troisième reliant les deux premières et passant entre Roubaix et Tourcoing en 1877 (1) ;
– la quatrième branche de Tourcoing en 1892.
 
(1) Cette partie connut de multiples avatars. Son premier tracé traversait Roubaix et devait aller rejoindre le tronçon numéro 1 à travers la « montagne de Croix » en un parcours souterrain. Des éboulements firent abandonner les travaux. Une partie déjà exécutée fut comblée et donna lieu au boulevard Gambetta, le reste du chantier fut converti en promenade publique et se prêta au percement du Boulevard de Paris (alors boulevard de l’Impératrice) et à l’établissement du Parc de Barbieux.
 Extrait de « Roubaix à travers les âges » de Gaston MOTTE
 
 
L’AVENTURE ET LA METAMORPHOSE DU CANAL FANTÔME
Dès 1813, le décret impérial de la liaison Deûle-Escaut est communiqué aux autorités. En 1832, le canal de Croix est navigable jusqu’au pont de la rue d’Hem (carrefour Le Nôtre – Holden aujourd’hui).
 
En 1866, un projet de jonction avec la branche de Roubaix du canal (qui s’achève alors rue du Moulin) qui relie l’Escaut, prévoit le percement des hauteurs de Barbieux et un ouvrage souterrain sous celles-ci. Des travaux préliminaires en 1868 sont abandonnés à cause d’éboulements successifs et meurtriers. De ce fait, la liaison est repoussée au Nord vers Wattrelos et Tourcoing, Wasquehal, et rejoint la branche de Croix au lieu dit Plomeux Triest en 1877.
Les travaux de « promenade publique » sont entrepris dès 1878, poursuivis jusqu’en 1886, repris en 1903 pour la partie du territoire de Croix qui, des Calèches actuelles rejoint en diagonale, le secteur de l’église Notre-Dame de Lourdes (l’allée de Jussieu, aujourd’hui).
Il faut ici que nous revenions en arrière et que les terrains envisagés ou optionnés par Roubaix couvraient 235 hectares (la moitié du territoire croisien, Beaumont, Fer à Cheval, Barbieux, Frandres et breucq, le Créchet) furent réduits à 167, 80, 32 puis 14 hectares.
Les plans d’eau et cascades furent terminés en 1908. L’exposition de 1911 s’installe sur la partie esplanade-laiterie et ce n’est qu’en 1916 que sont définitivement fixées les nouvelles limites de territoires en 1919, percement du boulevard et de l’avenue Jaurès. (L’avenue de Jussieu et Le Nôtre existaient depuis 1910).
Les documents définitifs de ces nouvelles percées sont signés en 1925 par les deux municipalités. Dès 1921, les terrains laissés vacants par la démolition des pavillons de l’Exposition internationale furent lotis et bâtis d’immeubles bourgeois dont certains existent toujours.
 
Une petite anecdote pour la partie des secondes cascades actuelles. Cette campagne prolongée attendit jusqu’en 1976 sa configuration actuelle. Jusque là, le Thorein, humble ruisseau, né des ressuyages des terres de Beaumont, s’écoulait à ciel ouvert jusqu’en contrebas de l’avenue Le Nôtre et rejoignait la Marque sous le Fer à Cheval, en souterrain. A l’origine, (1909) le Mongy circulait Avenue Le Nôtre, Avenue Jaurès.
 
Le parc, lui-même, dessiné par Charles Aumont, grand architecte urbaniste parisien, fut agrémenté d’une statuaire importante d’hommes célèbres de Roubaix. La tour du Fer à Cheval, centre désormais la perspective des étangs, au-delà de la passerelle qui desservait un chalet des Mille colonnes, lui aussi disparu.
Jusqu’en 1903, la partie située jusqu’à la Marque (Holden) est tracée, nivelée, plantée. Le vélodrome est en exploitation de 1903 à 1909, les avenues de Jussieu, Le Nôtre sont carrossables (graviers), les « fabriques » de confort installées (les 1000 colonnes disparues font l’objet d’un projet de reconstruction- devenu La Laiterie (1907).
 
Entre 1866 et 1911 (1916 signatures), les terrains envisagés ont dégraissés de 246 ha à 14 ha… acquis par Roubaix. Les rocailles d’eau sont terminées en 1908.
L’exposition de 1911 (Fallières) s’installe depuis l’avenue de Jussieu et dans le quadrilatère compris entre la Duquenière, le Créchet et le Boulevard de Cambrai (Croix) les terrains sont rétrocédés en 1919 (derniers documents en 1925 confirmant la cession des terrains) après le percement de l’avenue Jean Jaurès (1916), et les cadastres modifiés pour la circonstance entre les deux cités Résidences bourgeoises et vers 1960 collectifs privés.
RAPPORT ADMINISTRATIF DE 1906
Comme suite aux vœux émis par le Conseil municipal, à différentes reprises déjà, le Service de la Navigation étudie la construction d’un pont dans le prolongement de la rue des Soies, pour faciliter les communications entre la Gare du pile nouvellement outillée et le Quartier du Laboureur.
L’amélioration du pont placé sur l’écluse du Sartel est également à l’étude. Un siphon a été construit sous le canal en juin 1906, pour déverser dans l’Espierre les eaux d’égout des quartiers en bordure de la route de Leers.
Le Canal de Roubaix est une voie navigable à bief de partage ; sa longueur totale est de 23 km 885 mètres, y compris les branches de Croix et de Tourcoing. Il joint l’Escaut à la Deûle par l’intermédiaire du Canal de l’Espierre ; il est, par conséquent, en communication avec les bassins houillers et les ports de mer du Nord. Les différences de niveau sont rachetées, du côté de la Deûle, par 7 écluses, du côté de l’Escaut, par 6 écluses. (Dont une en Belgique), qui toutes ont 5 m 20 de largeur.
Le canal de Roubaix, traversé par de nombreux ponts, a été livré à la navigation en quatre parties, savoir : La première comprise entre Croix et la Deûle, en 1832 ; la deuxième, entre Roubaix et la frontière, le 10 décembre 1843 ; la troisième, reliant les deux premières branches, le 1er janvier 1877, la quatrième (Branche de Tourcoing), le 1er octobre 1892.
 
Le tirant d’eau à l’étirage est de 2 m 20 ; la largeur du plafond est de 10 m ; la longueur utile des écluses est de 39 m 60. Le canal peut livrer passage aux bâtiments d’un tonnage de 375 tonnes.
Le canal est alimenté par les eaux de la rigole de dessèchement des marais de la Deûle, élevées jusqu’au bief de partage par les machines élévatoires situées à Lille près de l’ancienne écluse de Saint André.
Le mouvement de la navigation a suivi une progression rapidement croissante. La statistique donne les chiffres suivants : En 1877, le tonnage absolu a été de 164.062 tonnes ;
 
1878                             207.017
1890                             459.553
1896                             690.081
1906                             734.322
 
Les principales marchandises transportées 
Année Combustible   Matériaux de Produits          Produits          Divers, engrais, machines
                                   Construction   Industriels      Agricoles        flottage, bois à brûler
 
1898    334.103           111.836           30.794               96.555            30.966
1899    293.932           115.657           31.929             142.832           28.185
1900    295.447             96.956           39.626              77.072            31.810
1901    351.660             89.863           30.614              95.593            31.593
1902    375.550             73.279           26.514              91.206            29.107
1903    397.228           113.935           32.614             116.594           38.057
1904    353.421           123.125           26.563             153.879           57.701
1905    353.145             87.802           36.060             167.572           37.576
1906    362.924           108.664           17.720             192.203           52.811
 
 
LE PORT 
Le tonnage total du trafic du Canal de Roubaix, est supérieur de 52.167 tonnes à celui de 1905. Le tonnage des marchandises chargées ou déchargées dans les ports de Roubaix est inférieur de 59.954 tonnes à celui de l’année 1905. La ville de Roubaix a créé sur le canal, avec le concours de l’Etat, un port public qui rend de très appréciables services. Le mouvement total du port de Roubaix, proprement dit, compris entre le Pont du Blanc Seau et l’Ecluse du Galon d’Eau, a été : en 1898 de 313.913 tonne ; en 1899, de 288.165 tonnes ; en 1900, de 222.209 tonnes ; en 1901, de 259.134 tonnes ; en 1902, de 309.594 tonnes ; en 1903, de 331.752 tonnes ; en 1904, de 351.752 tonnes ; en 1905, de 345.170 tonnes ; en 1906, de 351.674 tonnes. Le tonnage des marchandises manutentionnées dans ces ports représente les 47,8 % de l’ensemble du trafic du canal.
 
Indépendamment du port de Roubaix proprement dit, il s’est créé, depuis quelques années, un mouvement commercial assez important dans le Port du Sartel dont le trafic distinct de celui du Port de Roubaix a été : en 1900, de 88.416 tonnes ; en 1901, de 95.599 tonnes ; en 1902, de 93.068 tonnes ; en 1903, de 85.111 tonnes ; en 1904, de 104.652 tonnes ; en 1905, de 100.406 tonnes ; en 1906, de 153.856 tonnes.
           
Le tonnage des marchandises arrivées dans ce port ou qui en ont été expédiées, représente en 20,9 % de l’ensemble du trafic du canal.
           
L’ensemble du trafic de la voie navigable, sur le territoire de Roubaix, ressort : en 1900, à 310.625 tonnes ; en 1901, à 354.733 tonnes ; en 1902, à 402.662 tonnes ; en 1903, à 416.863 tonnes, en 1904, à 456.623 tonnes ; en 1905, à 445.576 tonnes ; en 1906, à 505.530 tonnes.
           
Le tonnage total du mouvement de la navigation sur le territoire de Roubaix, représente les 68,4 % de l’ensemble du trafic du canal.
POURCENTAGE DU MOUVEMENT DES MARCHANDISES
 
Matières                                  Voie d’eau      Voie ferrée       Voie de terre               Total
Houille                                         34,1                    63,1                 2,8                               100
Matériaux de construction       40,9                    34,3               24,8                               100
Engrais                                      100,0                                                                                100
Bois                                             49,9                    37,5               12,6                                100
Industrie métallurgique            24,7                    71,6                 3,7                                100
Blé                                               93,0                      7,0                                                      100
Farine                                         34,7                     64,3                                                      100
Laine                                            4                        96,0                                                       100
Coton                                           5,2                     94,8                                                       100
Légumes                                                              100,0                                                       100
Fourrages secs                         12,2                    45,0               42,8                                  100
 
Sur les 40 ports les plus importants du réseau des voies navigables du Nord et du Pas de Calais, le Port de Roubaix occupe le 11e rang ; Les dix ports les plus actifs étant en 1906 !
 
1° – Dunkerque (sur le canal de Bourbourg, de Bergues et de Furnes) ; 2° – Béthune, port public ; rivages houillers, de Marles et de Bruay (sur le canal d’Aire) ; 3° – Vendin (sur le canal de la Haute Deûle, 1ère section ; 4° – Harnes (sur le canal de Lens) ; 5° – Denain (sur l’Escaut) ; 6° – Beuvry (sur le canal d’Aire) ; 7° – Violaines (sur le canal d’Aire) ; 8° – Lille ; 9° – Liévin (sur le canal de Lens) ; 10° – Auby (sur le canal de la Haute-Deûle, 1ère section).
 
 
LE CERCLE NAUTIQUE « L’AVIRON »
Créé en 1884, le cercle nautique de l’Aviron fut d’abord installé sur les rives du Blanc Seau, il déménagea en 1924 jusqu’au quai du Grimonpont pour pouvoir s’entraîner sur le bief du canal Sartel-Grimonpont. Les trophées de ce club furent nombreux, et le plus éclatant fut sans doute la victoire aux régates internationales de l’Exposition universelle de Paris en 1900, véritable course olympique avant l’heure.
 
 ECOLE MUNICIPALE DE NATATION
Inaugurée en 1880, l’école municipale de natation fut construite à deux pas du canal, sur un terrain de 13 700 m2. A la fin du siècle, l’administration municipale s’émut du manque de fréquentation de l’établissement qui accueillait 16 000 personnes en moyenne par an. Les installations furent supprimées en 1936.
 
 LA JEUNE CLARA
Les principales marchandises transportées sur le canal de Roubaix sont les combustibles, les matériaux de construction, les produits industriels et agricoles. Il faut, en plus, mentionner les deux bateaux qui font les transports à longue distance, des ordures ménagères provenant du service de l’ébouage de la ville. Un des bateaux affectés à cet usage a eu, jadis, son heure de célébrité. L’histoire, révélée par Monsieur Deschodt, un soir de séance du Conseil municipal, eut alors beaucoup de succès. Elle n’est pas tellement vieille qu’on l’ait oubliée, mais on la lira encore avec plaisir.
L’administration avait fait l’emplette, du temps épique où Monsieur Lepers présidait aux destinées de l’ébouage (ordures ménagères), d’un bateau baptisé la Jeune Clara. Ce bateau était occupé :
« A porter l’feumi d’l’ébouache
Au villache.
Y avot coûté tros mille francs,
C’hétot inn’ belle occasion,
Si y avot été nouveau.
Mais ch’étot du vieux bos ! »
La Jeune Clara fut une cause de grands déboires, à peine en service, on s’aperçut qu’elle ne méritait pas son beau nom,
« Car ell’ étot rempli d’crevasses
Dans s’ carcasse ! »
Il fallut la faire réparer et trois mille francs furent votés pour la remettre en état.
Par Théodore LEURIDAN
MEMOIRES DE LA SOCIETE D’EMULATION DE ROUBAIX
CINQUIEME SERIE, tome II, 1914

Le riez du Trichon

Il y aurait beaucoup d’ironie à appliquer ces vers aux Roubaisiens : le cours d’eau qui arrose leur territoire n’est pas une rivière, encore moins un fleuve et on les voit difficilement s’y désaltérer, mais enfin, ils en ont un et ils peuvent dire : « Mon verre n’est pas grand mais je bois dans mon verre ».

Roubaix tire son nom, si nous en croyons les étymologistes, de deux mots tudesques : Ross : plaine marécageuse et Bach ou Bais : ruisseau. Un mince filet d’eau serpentant au milieu des bois, à travers des prairies qu’il inonde à la mauvaise saison, tel était quand nos premiers ancêtres vinrent s’installer sur ses rives, le cours d’eau dont je vais vous tracer le parcours.

Quantum mutatus ab illo : ces bois où l’on croyait entendre les oréades répondre aux naïades – Ces près fleuris – Ce clair ruisseau où buvaient les colombes et où, au début du siècle dernier, on pêchait encore des écrevisses, si j’en crois les mémoires d’Henri Dubar-Ferrier. Tout cela a disparu, et ce clair ruisseau, serré dans un corset de briques, est devenu sur tout son parcours un égout qu’il serait difficile de poétiser.

Trichon est composé de deux mots : trierss ou tirss et on. « Trie – Tries – Triez » : (je cite Leuridan à qui d’ailleurs j’ai beaucoup emprunté) désigne un certain espace de terrain abandonné par les eaux d’un ruisseau ou formé par ses alluvions ; « on »  signifie eau, ruisseau. Trichon serait une appellation générique à qui l’usage a donné un sens particulier et qui s’est étendue au ruisseau même qui a produit le triez, au bois qui croissait sur ses rives et au hameau qu’il arrosait.

Notre riez est le riez de Favreuilles, qui se prolonge par le riez du Trichon, du Triechon ou Tricson. Il prend sa source près de la ferme Deldouille, située sur le territoire de Mouvaux, entre le chemin des Duriez et le Boulevard Carnot. Vieille ferme qui existait au 18e siècle, sous le nom de Cense Douille et qui garde encore en partie ses toits de chaume et son fossé mais qui disparaîtra bientôt car ses terres sont de plus en plus envahies par les constructions.

Il reçoit les eaux des fossés qui sillonnent d’une par les versants sud de la petite éminence sur laquelle est bâtie Mouveaux et de la butte qui supporte le réservoir des Bonnets et, d’autre part celles des fossés qui bordent le chemin des Duriez et la rue Lamartine jusqu’au Grand Cottignies.

On serait peut-être tenté de croire que le Riez a donné son nom au chemin des Duriez ou Ouriez. Il n’en est rien, car ce chemin aboutit à un lieu dit « Duriez » situé entre le boulevard de la Marne et la propriété de M. César Pollet où se trouvait au début du 18e siècle une cense du nom de Dury.

Le riez longe la rue des Lilas ; à cet endroit, il est encore bien modeste, car il ne représente qu’un fossé passant sous un trottoir. Il continue le long de l’avenue Gustave Grau dans les jardins compris entre cette avenue et la rue du Congo. Il forme la limite de la propriété actuellement lotie de M. Victor Vaissier, autrefois campagne de M. Bulteau-Lenglet et aboutit au canal. Quelques pans de murs indiquent encore l’emplacement du château de M. Bulteau au bord de la rue de Wasquehal en face de l’usine Noblet. M. Vaissier, qui était un grand amateur de chevaux, en avait fait de belles écuries.

Le Trichon traverse le canal dans un siphon : après sa résurgence, il circulait récemment encore à ciel ouvert sur un terrain qui longe le canal entre celui-ci et la rue Carpeaux à Wasquehal. Il fut recouvert il y a quelques années quand la maison Carette-Duburcq acheta le terrain pour servir de décharge. Il traverse la rue Carpeaux, puis la rue Lafontaine et arrive à la rue du Riez à qui il a donné son nom d’une façon certaine cette fois.

Autrefois, depuis la rue de Wasquehal à Mouvaux jusqu’à la rue de la Mackellerie, c’est à dire jusqu’à son entrée sur le territoire de Roubaix, il servait de ligne de démarcation entre Tourcoing d’un côté et les trois communes de Mouvaux, Wasquehal et Croix de l’autre. Cela n’est plus très exact car il a été canalisé et d’une façon malheureuse : le rétrécissement de son lit amène, par les grandes pluies, l’inondation du quartier. Il sert successivement d’aqueduc à la rue du Riez à une partie de la rue du Croix et à la rue des Trois-Villes.

Il pénètre sur notre territoire au carrefour de la rue de Constantine à Tourcoing, de la rue Boucher-de-Perthes à Roubaix et de la rue de la Mackellerie qui sépare les deux communes, passe sous l’usine Lemaire et Dillies, autrefois Richard Desrousseaux, à travers l’emplacement de l’ancienne usine Gaydet, traverse la rue du Luxembourg, passe sous l’usine des Anciens Etablissements Cordonnier, traverse le chemin de fer à cinquante mètres environ du pont des Arts, coupe la rue de la Digue et la rue du Vivier. Ces deux noms sont significatifs : le dernier volume de l’histoire des rues de Leuridan nous renseignera sans doute sur l’étang alimenté par le Riez à cet endroit.

Celui-ci arrive à l’ancien abreuvoir. J’ai dit que le riez avait failli être barré par le cadavre d’un baudet qui s’y était noyé, histoire qui a quelque analogie avec celle de la sardine bouchant le port de Marseille et qui me rappelle la triste fin d’un autre Martin. Il existe au n° 18 de la rue de Mouvaux, une maison basse, sans étage, qui est l’ancien « cabaret de l’Ane rouge » ainsi dénommé pour rappeler le sort d’un malheureux animal que son maître, sur le conseil d’un mauvais plaisant, enduisit de pétrole et grilla pour n’avoir plus la peine de le tondre.

Après sa traversée de la rue de l’Epeule, le riez passe sous l’ancienne usine Ernoult-Bayart, coupe le square Pierre Catteau presque le long du Tribunal de commerce, franchit la rue Mimerel en son milieu, passe à travers l’emplacement de l’usine Prouvost-Screpel, puis Georges Masurel, sous la teinturerie Auguste et Jean Dubar et rejoint la rue des Fabricants sous l’ancienne Ecole qui fait l’angle de cette rue avec la place du Trichon.

Autrefois, il arrosait à cet endroit « Le hamel », carrefour et amas de maisons appelé le Tricson qui faisait partie de la seigneurie de Favreuil et qui lui a donné son nom. Il serpentait à travers le bois du Trichon qui, vers le nord, arrivait jusqu’aux clôtures du cimetière de la chapelle Saint-Georges et des maisons bâties le long de la rue de ce nom. Ce bois, dont il y a cent ans, il existait encore des vestiges, contenait 2 bonniers, soit 2 hectares et demi (le bonnier est une mesure agraire de la Flandre Française qui, suivant les localités, valait de 122 à 142 ares). Ce bois a disparu depuis longtemps ; en 1649 il était déjà converti en labours. A cette époque, un sentier descendait de la Chapelle Saint-Georges et allait rejoindre, au hameau, le cabaret du Croque Chuque en passant le riez sur une simple planche.

Le long du riez, entre le Trichon et la rue Neuve, s’étendait encore en 1826 le Curoir, établissement où les ménagères du bourg faisaient curer leur linge moyennant finance et qui consistait en un pré sillonné de fossés desservis par le riez. Son souvenir est resté dans le nom de la rue du Curoir.

Ne quittons pas ce quartier sans signaler que lorsqu’il s’est agi de tailler un domaine à la seconde paroisse de Roubaix (à l’église Notre-Dame), le côté gauche du riez depuis la rue de la Mackellerie jusqu’à la rue du Bois en fixa la limite.

On se demande pourquoi, puisqu’il n’existait alors que deux paroisses, on n’a pas étendu la ligne de démarcation sur la rive droite : c’est qu’il n’existait encore en 1840, sur cette rive, que des fermes et quelques hameaux : Favreuil – Le Trichon – Le Pile – Les Trois Ponts. Jusqu’à la Révolution, tout le développement de Roubaix s’est fait sur la rive gauche. A cette époque, le riez constituait la limite de l’agglomération, depuis la place de la Liberté jusqu’à la rue de l’Epeule.

Le riez passe sous l’usine Deschepper, coupe la rue du Nord au n° 10, traverse la rue du Curoir près de la porte du Nord-Tourisme et arrive à la rue du Maréchal Foch en face de l’Automobile Club, à un endroit où une double plaque d’égout de chaque côté de la rue indique son passage et l’emplacement du second pont.

Il traversait autrefois la rue Neuve (rue Maréchal Foch actuelle) un peu plus haut, en face de la rue des Fabricants. Il y eut à cet endroit un premier pont qui fut remplacé par un autre, sans doute plus large et mieux adapté à la circulation. Je cite : « en 1727, on construisit un nouveau pont en remplacement du vieil pont sortant du Bourg allant vers le moulin ».

La déviation du Riez eut pour conséquence d’agrandir le jardin de l’hôpital sans déplacer toutefois l’arrivée des eaux dans les fossés du château. Le nouveau pont avait 45 pieds de longueur, soit environ 15 mètres. On pourra s’étonner d’une pareille importance, mais il faut supposer que le riez avait un débit très variable, puisque, mince filet d’eau parfois, il inondait à l’occasion les près de la grande brasserie et la plaine jusqu’à Wattrelos.

Certaines dénominations de lieu, comme autrefois la Digue du Pré et actuellement encore, la rue de la Digue, rappellent qu’il fallait parfois contenir ses eaux. Il n’a pas changé d’ailleurs et surtout depuis que son bassin est presque complètement couvert de pavés et de toitures : il ne peut y avoir de grandes pluies sans que les caves des riverains ne soient inondées.

En 1693, d’après un « cueilloir » d’impôts, le château comprenait dans son enclos « puy, beffroi, donjon, basse court, amasse de granges, écuries, estables, ponts  » et plusieurs autres édifices entourés d’eau, jardin de plaisance et pour la cuisine, le tout repris pour 2 bonniers.

D’après le plan qui nous a été laissé par Sanderus, l’ensemble formait un vaste rectangle aux coins arrondis, ayant approximativement 200 mètres de long sur 100 mètres de large. Le château se trouvait très probablement dans la rue du Château, prolongement de l’ancienne avenue du Château à l’endroit où la chaussée présente un léger renflement en face de l’ancienne maison de Mr Delannoy-Leroux, au n° 9. Le château était bâti sur une motte un peu élevée. Le domaine comprenait deux enceintes de fossés, une pour le château et l’autre englobant les jardins et la basse-cour qui se trouvait devant le château du côté de l’église. Le fossé extérieur dont nous nous occupons seulement était donc constitué par quatre parties droites. L’une le long de l’actuelle rue de la Poste, deux autres qu’on peut situer d’un côté, entre la rue du Château et la rue Jeanne d’Arc, parallèlement à ces rues, et enfin une quatrième au niveau de la façade du bâtiment de la chambre de Commerce sur la Grande Place.

Le Riez débouchait dans ce fossé à l’angle du quadrilatère après avoir contourné en remontant un peu vers Saint-Martin, le fond du jardin de l’hôpital.

Il s’échappait par l’angle diamétralement opposé qui se trouvait à l’endroit où les bâtiments de l’institution de la Sagesse donnent sur la rue de la Poste. Mais tout cela est de l’histoire ancienne, car du château et de ses fossés, il ne reste plus rien.

A partir de l’endroit du pont de 1727, il a été depuis dévié et transformé en aqueduc. Il tourne à angle droit, suit la rue du Maréchal Foch jusqu’à la rue de la Poste (ancienne rue de l’Union) fait encore un angle droit pour suivre celle-ci sur l’emplacement de l’ancien fossé jusqu’à l’institution de la Sagesse où il retrouve son cours à l’endroit où il servait autrefois de décharge aux fossés du château.

Il passe sous cet établissement, dessine un arc de cercle en passant dans l’ancien jardin de M. Léon Motte où il contournait à dix mètres environ du coin, le pavillon circulaire qui se trouvait autrefois à l’angle de la rue de la Sagesse et de la rue Jeanne d’Arc, traverse celle-ci en biais, passe sous les Halles, coupe la rue des Halles, traverse le pâté de maisons qui fait l’angle de la rue Pierre Motte et de celle-ci, traverse la rue Pierre Motte, passe derrière les maisons qui font face au boulevard Gambetta et arrive place de la Liberté à 50 mètres environ du boulevard. Il la traverse en biais, il longe la Banque de France.

Autrefois, il longeait un bois, le bois de Ribobus, qui allait des fossés du Château jusqu’au Saint-Sépulcre. Ce bois appartenait à la Chapelle du Saint-Sépulcre et à l’Hôpital Sainte-Elisabeth. En 1688, l’hôpital nomme un expert pour l’arpentage et la délimitation de la partie appartenant à chacun.

Quand on considère l’aspect du territoire de Roubaix à cette époque, on est frappé de l’importance de la partie boisée. Le bourg est entouré de bois qui devaient lui donner un aspect charmant : le bois du Trichon, le bois de Ribobus, le bois de l’Ommelet, le bois qui séparait le bourg du fief du Fontenoit, le Fresnoy, le Quesnoy.

L’Hommelet était un bois d’ormes, car l’Hommelet qui doit s’écrire sans h, en un seul mot, vient du latin olmus, orme, qui a donné olme puis lomme et lommelet, comme aulnoye, lieu planté d’aulnes a donné Lannoy.

Il y avait encore, en 1783, soit à la veille de la Révolution sur Roubaix, 70 ares 80 ca, soit environ 8 000 m² de bois, taillis, plus en arbres épars : 631 chênes, 25 414 ormes, 1 406 frênes, 2 132 bois blancs, 518 peupliers et 19 arbres divers, soit environ 30 000 arbres.

J’ai dit que le Riez traversait en biais la place de la Liberté. A cet endroit, après avoir franchi la rue de la grande brasserie, il limitait autrefois, à gauche le jardin du Saint-Sépulcre, et à droite, les près de la grande brasserie. En ce temps là, naturellement, la place de la Liberté n’existait pas. Quand on venait de Saint-Martin, on avait à droite, la rue de la Grande Brasserie, plus tard rue du Saint-Sépulcre qui était le prolongement de la rue Pauvrée. Cette rue était bordée à gauche par la chapelle du Saint-Sépulcre et par les bâtiments adjoints et, plus loin, par les jardins qui allaient jusqu’au Riez. La chapelle était située le long de la Grande Rue.

Quand le Saint-Sépulcre disparut, on créa à son emplacement la place du marché au charbon, et plus loin, vers le boulevard Gambetta, on bâtit une gendarmerie que ceux de mon âge ont connue. Le marché au charbon était ainsi appelé parce qu’au début du siècle dernier, le chemin de fer n’existait pas, les honorables commerçants de cette profession allaient aux mines d’Anzin. Les seules qui existaient alors, avec des tombereaux, ramenaient le charbon sur la place du marché, près de la chapelle du Saint-Sépulcre, mettaient le tombereau sur tréteaux, et attendaient le chaland. L’affaire conclue, on rattelait, et en route pour l’usine !

Le Riez recevait à sa gauche un affluent, le ruisseau amenant les eaux de la fosse-aux-chênes qui formait l’extrémité de la rue Pellart séparant ainsi Roubaix de son faubourg Saint-Antoine, passait derrière les maisons de la rue Pauvrée, traversait sous un pont la Grand’Rue qui prenait à cet endroit le nom de rue de Fourquencroix ou du Galon d’Eau, et longeait le domaine du Saint-Sépulcre du côté opposé à la rue de la Grande Brasserie. Le pont s’appelait Pont de Fourquencroix.

Le Seigneur de Roubaix percevait sur ce ponchel, comme sur le ponchel de la cauchie de la chaussé (rue Neuve), un droit de péage à charge d’entretien des dits ponts. Ce droit de péage, viage ou ponténage, consistait en deux liards par chariot étranger passant sur l’un des deux ponts.

Je ne sais à quelle époque ces ponts ont disparu, celui de Fourquencroix n’existait déjà plus en 1727, puisqu’à cette date, je cite : « on établit une nouvelle et plus grande buise pour la décharge des eaux venant de la fosse aux chênes à travers le parc de Fourquencroix ».

La Fosse aux chênes tire son nom d’un étang. Divers actes constatent aux cours du 17e siècle, des levées de corps noyés dans la fosse vulgairement appelée fosse-aux-chênes. Un hameau dit « près de l’Etang » existait à côté de ceux de la Basse-Masure, de l’Hommelet aux bois et de la Longue chemise. La rue des Sept-Ponts qui va de la place de la fosse-aux-Chênes à la rue de l’Hommelet, rue tortueuse comme toutes les anciennes chaussées, est un souvenir du petit cours d’eau qui amenait à la Fosse-aux-chênes les eaux du bois de l’Hommelet.

Reprenons le cours du riez. Après avoir reçu le ruisseau de la Fosse-aux-Chênes, il arrosait le domaine de Fourquencroix ainsi nommé parce qu’il se trouvait à l’endroit où la chaussée de Tourcoing à Lannoy par l’Hommelet traversait le chemin de Wattrelos, formant avec celui-ci une croix.

Il arrosait ensuite les fiefs de Beaurewart, de Beaurepaire, longeait la digue du Prêt. Actuellement, en quittant la place de la Liberté, il traverse les pâtés de maisons qui se trouvent entre la Grand’rue et le boulevard Gambetta, coupant ainsi dans leur milieu les rues Louis Catrice, Pierre de Roubaix, des 15 ballots et Nadaud, traverse l’emplacement du peignage Allard, passe sous l’ancienne usine Mulliez-Eloy, et atteint le canal ; il arrive au quai de Lorient où il traverse le canal dans un siphon à gauche de la porte de l’écluse.

Avant de traverser le canal il était encore à découvert il y a une quarantaine d’années, derrière une maison du quai de Lorient. Il donnait lieu à un métier qui se pratiquait aussi sur l’Espierre, près de la rue de l’Union à Wattrelos. Des gens ingénieux plantaient dans le cours d’eau des broches de fer en quinconce, la laine échappée des peignages avec les eaux de lavage s’accrochait à ces broches et la récolte donnait une honnête aisance à ces pêcheurs d’un genre particulier.

Un nommé Wallerand qui pratiquait ce métier quai de Lorient, faillit un jour d’orage, être entraîné sous le canal par une crue subite.

Après le canal, le riez circule à découvert, puis passe sous l’usine Carissimo, coupe la rue des Soies, passe sous le peignage Alfred Motte puis sous le chemin de fer, et finalement, après avoir encore circulé à découvert, va se jeter dans l’Espierre, à la limite du territoire derrière l’usine des alcools et levures de grains, anciennement Charles Droulers.

Les autres cours d’eau de Roubaix

Je ne veux pas terminer ce petit travail sans dire un mot des autres petits cours d’eau qui autrefois arrosaient le territoire de Roubaix et qui, maintenant, comme le Trichon, reçoivent beaucoup plus qu’ils ne donnent.

Le fief du Fontenoy avait son siège à l’endroit où fut bâti le château de M. Achille Wibaux. Ce sont les terres dépendant immédiatement de ce fief qui ont formé le parc autrefois considérable de ce château comme les terres du fief du Fresnoy ont constitué le parc immense (il avait bien une vingtaine d’hectares) du château de Mme Descat.

A la limite du fief du Fontenoy du côté de Tourcoing, coulait un ruisseau qui prenait sa source sur le versant nord de la butte de Mouvaux, derrière la propriété de M. Vanoutryve. La percée du canal de Tourcoing a diminué son domaine ; il ne reçoit plus que les eaux qui tombent dans l’angle formé par le canal de Roubaix et celui de Tourcoing. L’usine Mathon-Dubrulle est probablement son plus important fournisseur. Ce ruisseau traverse le boulevard, le chemin de fer, longe le canal et va se jeter dans l’Espierre près du boulevard des Couteaux. Il est encore à certains endroits découvert. Il y avait autrefois, à droite de l’ancien chemin de Roubaix à Tourcoing, sur le riez du Fontenoit, une chapelle : celle-ci, confiée aux soins de la confrérie de Saint-Joseph, prit le nom de chapelle de Saint-Joseph du Fontenoit.

Le nom de cette chapelle aujourd’hui disparue et qui a été remplacée par l’église Saint-Joseph, s’est insensiblement substituée à celui du Fontenoy et s’applique actuellement au quartier et au Riez.

Le Riez des Trois Ponts qui prend sa source sur le territoire d’Hem au bout de la rue Carpeaux, passait près de la « Petite Vigne », derrière la Potennerie ou plutôt Pontennerie, qui tient peut-être son nom d’un pont qui le traversait à cet endroit, alimentait les fossés de la ferme de Courcelles, traversait les hameaux du Pile et des Trois Ponts, et se jetait dans l’Espierre au Sartel.

Comme son territoire n’a été bâti qu’à une époque récente, où les idées de voirie, d’urbanisation étaient beaucoup plus développées que du temps de nos Pères, il a été dévié, rectifié, canalisé et n’est plus qu’un égout bien discipliné qui suit la rue Carpeaux, le boulevard de Reims, le boulevard de Mulhouse, fait un détour par les rues Victor Hugo, Alfred de Musset, des Trois Ponts et d’Anzin, puis traverse la gare de Roubaix-Wattrelos et se jette dans l’Espierre près du pont du Sartel après avoir passé sous le canal.

Il reste encore deux autres ruisseaux ; le courant de Maufait et le courant de Cohem qui, coulant parallèlement de chaque côté du boulevard Industriel en venant de la rue de Lannoy près de laquelle ils prennent leur source, se réunissent et se jettent dans l’Espierre à la limite de notre commune. Ces ruisseaux qui sont à découvert sur presque la totalité de leur cours, n’ont que peu de débit et pas du tout d’histoire.

On a dit que Roubaix devait son développement industriel à l’abondance de ses eaux, alors qu’il n’y passe aucune rivière et qu’au moment où l’industrie a commencé à prendre son essor, celle-ci n’avait comme ressource, qu’un faible ruisseau. Un teinturier s’était établi dans les dépendances du château pour en utiliser l’eau des fossés ; d’autres en étaient réduits à aller chercher l’eau dans des tonneaux autour des fermes. On a remédié à cette pénurie par l’adduction des eaux de la Lys moyen insuffisant et trop coûteux. Si Roubaix est peu fourni d’eau à sa surface, il a la chance de se trouver sur une cuvette du crétacé où viennent s’accumuler celles des environs, ce qui explique que chaque usine peut maintenant avoir son forage.

Le grand développement industriel de Roubaix n’aurait pas été possible si le progrès n’avait pas rendu aisé le percement des forages aux environs de cent mètres de profondeur ; sans eux, il n’y aurait pas eu les grands peignages et les grandes teintureries qui sont une des principales forces de Roubaix. Ce fait et celui de trouver sur son sol une excellente terre à brique (l’argile de Roubaix est particulièrement spécifiée dans la géologie de la région) sont peut-être des causes moins indirectes qu’on pourrait le croire, de sa prospérité.

J’ai fini. Il était difficile de vous intéresser avec l’histoire d’un seigneur d’aussi faible importance que notre Riez. Si j’ai réussi à ne pas être trop fastidieux, c’est en employant la fameuse recette de la soupe aux cailloux, c’est à dire en y ajoutant bien des choses. J’espère que vous excuserez mes digressions. Des détails, parfois futiles, m’ont paru avoir quelque intérêt pour notre histoire locale. 

Félix Delattre

Administrateur de la Société d’Emulation de Roubaix
Séance de la Société d’Emulation de Roubaix du 13 avril 1944

L’hôpital Napoléon

C’est à Napoléon III que l’on demanda de poser la première pierre. Ce à quoi l’Empereur fit répondre le 6 juin 1853 : qu’il ne savait à quelle époque il se rendrait dans le Nord de la France et que ne voulant pas retarder les travaux il ne souhaitait pas poser la première pierre de l’hôpital mais qu’il consentait avec plaisir à lui donner son nom. Afin d’honorer les souscripteurs et l’Empereur, la Chambre consultative désirait aussi que les noms des souscripteurs soient gravés sur des tables de marbre qui décoreraient la salle principale de l’hôpital dans laquelle serait placé le buste en marbre de Sa Majesté l’Empereur Napoléon III.

C’est l’hypothèse d’un hôpital hospice qui est d’abord envisagée. La dépense pour la première partie de l’hôpital contenant 160 lits est évaluée à 200 000 francs. Achille Dewarlez est chargé d’en établir les plans. A quel endroit va-t-on construire cet établissement? On projette de l’édifier à la place de l’ancien cimetière de Roubaix situé rue du Fresnoy auquel serait adjointe une parcelle appartenant à Madame Deffrennes. Mais cela est refusé par le Conseil central d’Hygiène et de Salubrité du Département du Nord qui décrète que le terrain du cimetière de Roubaix ne peut être livré au commerce avant 30 ans, à dater de l’époque de sa fermeture (c’est à cet endroit que sera construite en 1885 l’ ENSAIT). Plusieurs autres emplacements sont donc étudiés : un terrain situé à l’ embranchement (rue de Lille actuelle), celui de la rue des Longues Haies, un autre au Galon d’eau enfin un emplacement rue de Blanchemaille situé entre cette rue et la voie de chemin de fer. Le terrain de la rue des Longues Haies est refusé en raison de la proximité de la partie la plus insalubre du canal et c’est l’emplacement de Blanchemaille qui est choisi. C’est un terrain élevé, sec, au nord-ouest de Roubaix, recevant donc très peu de vents passant par la Ville.

Il est près du centre de l’agglomération et des quartiers habités par la plus grande partie des nécessiteux. Un des inconvénients de ce terrain est l’éloignement du cimetière, d’où nécessité pour s’y rendre de traverser toute l’agglomération, sans méconnaître les inconvénients réels de mettre sous les yeux des habitants les nombreux convois funèbres en temps d’épidémies. Et le Conseil central d’Hygiène conclut de la façon suivante : le terrain de Blanchemaille est un point culminant, bien aéré, le sol est sec. Ce terrain est donc celui qui doit être choisi pour y construire l’hôpital. Ce terrain est constitué de deux parcelles dont l’une appartient à M. Louis Ducatteau et l’autre à M. Cannesson.

Le 5 février 1857, M. Tiers Bonte, faisant fonction de Maire, décide de mettre au concours un projet complet d’hôpital communal. Le projet devra être conçu dans les vues d’une grande économie, sans toutefois nuire à la solidité et à la régularité des formes. Point de luxe, mais du confortable au dedans et une élégante simplicité à l’extérieur. Il devra y avoir dans chacun des services, hommes et femmes, une salle de bains avec une division particulière pour les enfants.

La Ville ne prend aucun engagement relativement à la direction des travaux. Si l’architecte dont le projet aura été jugé le meilleur n’est pas chargé d’en diriger l’exécution, il recevra 2000 francs à titre de prime. Une prime de 1000 francs sera aussi accordée à l’architecte dont le projet recevra le second prix. En octobre 1857, les douze projets résultant du Concours sont soumis au jugement du Conseil général des Bâtiments civils. C’est le projet n°5 portant l’épigraphe Saint-Vincent de Paul qui est choisi. Il est l’oeuvre d’un architecte parisien M. Botrel d’Hazeville.

L’architecte s’est inspiré de l’hôpital Lariboisière de Paris. Le plan est de type pavillonnaire ramassé. C’est un vaste quadrilatère auquel viennent se souder quatre ailes principales ou pavillons séparés par des jardins. Le projet classé second dénommé « Probitas et Industria » est l’oeuvre de Théodore Lepers, l’architecte municipal.

A noter, parmi les autres projets : le n° 7 de Charles Maillard architecte de Tourcoing (ce projet est conservé aux Archives municipales). Le n° 9 de Clovis Normand fils, architecte à Hesdin. Si le projet choisi reçoit l’aval du Conseil municipal, l’édifice projeté présente un aspect monumental digne d’une ville comme la nôtre, il essuie de nombreuses critiques de la part de la Commission administrative des Hospices : la ventilation des salles ne semble pas assez prise en compte et les salles de réception des malades, la chapelle et les cellules des Sœurs qui n’offrent que deux mètres sur deux sont trop petites. Théodore Lepers qui est chargé des travaux effectue des rectifications aux plans. 

L’enquête d’utilité publique a lieu du 21 août au 4 septembre 1858. Les travaux sont chiffrés à la somme de 293.257,56 francs tandis que le prix de l’acquisition du terrain s’élève à 98.994,06 francs. Le 12 juin 1860, la construction du nouvel hôpital Napoléon sur le terrain dit de Blanchemaille est déclarée d’utilité publique et à partir du mois de mai 1861 le reste des souscriptions est mis en recouvrement.

La souscription rapporte au total la somme de 93 000 francs. L’adjudication des travaux a ensuite lieu le 15 juillet 1861. La première pierre est posée le 15 août suivant, après un Te Deum solennel à Saint-Martin, par le Maire M. Ernoult Bayart, assisté de MM. Julien Lagache, Constantin Descat et Renaux Lemerre, ses adjoints, en présence du clergé, des membres du Conseil municipal et de la Chambre consultative des Arts et Manufactures et de l’architecte Théodore Lepers. Une plaque de marbre rappelle cette cérémonie.

Le 28 août 1863 il est décidé d’agrandir la chapelle, on fait appel à l’architecte lillois Alavoine. Les travaux de construction de l’hôpital dureront jusqu’en 1865. A la suite d’une visite générale mais sommaire de tous les travaux en date du 17 mars 1865, les conseillers municipaux délégués concluent que : « l’ensemble gagnerait à être habité très prochainement et engagent l’administration hospitalière à prendre immédiatement possession de l’édifice bien qu’il ne soit pas complètement achevé dans tous ses détails ». La bénédiction de la chapelle a lieu le 22 mars 1865.

A la séance du Conseil municipal du 30 mars 1865 est soumis le dessin du haut relief à exécuter sur le fronton de la chapelle. Cette oeuvre est due au statuaire parisien Charles Iguel. Très satisfait de la qualité de l’œuvre, le Conseil municipal décide d’ajouter 2.000 francs au 3.000 francs déjà votés. Un peu plus d’un mois plus tard, la décision est prise de placer ce haut relief non pas sur la façade de la chapelle endroit si peu accessible mais sur la façade même de l’hôpital à laquelle il est décidé d’ajouter un étage afin de recevoir le fronton: nous ne doutons pas que l’exhaussement d’un étage donnera à la façade un caractère beaucoup plus important que celui qu’elle a actuellement.

Les malades prennent possession du nouvel hôpital au cours de l’année 1865. En septembre 1865, un buste de marbre de l’empereur est commandé au sculpteur Iselin pour la somme de 2.000 francs (ce buste se trouve actuellement au musée de Roubaix). En effet sollicité par la Municipalité roubaisienne, le ministre de la Maison de l’Empereur et des Beaux Arts n’avait promis qu’un buste en plâtre de Sa Majesté l’Empereur, les frais d’emballage devant être acquittés par la Ville !

Le 28 août 1867, le Conseil municipal vote une allocation supplémentaire de 1500 francs à Charles Iguel à titre d’indemnité et en gage de satisfaction.

Lors de leur passage à Roubaix le 29 août 1867, l’Empereur et l’Impératrice visitent l’établissement. A ce moment, l’hôpital compte 208 lits : 108 au rez-de-chaussée (27 pour les fiévreux, 56 pour les hommes blessés, 25 pour les femmes blessées) et 100 lits au premier étage (26 pour les femmes fiévreuses, 26 pour les hommes fiévreux et 48 pour les enfants du 1er âge à 15 ans).

Le 18 janvier 1869 a lieu l’adjudication des travaux de construction d’une buanderie à vapeur tandis qu’à la séance du Conseil municipal du 22 mai est décidé d’ajouter un étage aux bâtiments latéraux à la cour de la chapelle afin de donner plus d’espace au logement des religieuses et des personnes attachées à l’établissement. C’est l’architecte Edouard Dupire qui est chargé des travaux, son oncle Théodore Lepers venant de décéder le 2 mai 1869. A la chute de l’Empire, l’Hôpital Napoléon reçoit le nom d’Hôpital civil puis d’Hôtel Dieu.

En 1881, Emile Moreau rédige un rapport sur l’hôpital en évoquant les lacunes de l’établissement: Il ne s’y trouve aucune chambre particulière pour les malades infectieux. Les salles constamment occupées y sont forcément insalubres. On y fait aucune consultation publique. Il n’y a point de maternité. Il prône aussi la laïcisation du personnel de l’Hôtel Dieu : il serait plus juste et plus humain de confier le soin des malades et la direction des différents services de l’hôpital à des veuves d’employés et d’ouvriers de l’industrie roubaisienne qu’à des congréganistes étrangères à la ville.

L’année suivante, il est décidé d’ajouter un étage de chaque côté de la cour centrale pour permettre d’installer un dortoir de 16 lits destinés à recevoir des malades atteints de maladies contagieuses et de l’autre les personnes sans famille qui désirent se faire traiter moyennant finances.

La même année, l’architecte municipal dresse les plans d’un baraquement pour varioleux qu’il est d’abord question de construire sur l’emplacement à Barbieux qui doit servir ultérieurement à la construction d’un hospice pour les vieillards puis sur les terrains des Hauts Champs. En 1884, on décide de construire le pavillon pour varioleux de 30 lits dans l’enceinte de l’hôpital sur la parcelle de terrain restée inoccupée du côté de la rue Isabeau de Roubaix… Deux ans plus tard, on projette de construire une brasserie sur le coin de la rue de l’Alma et de la rue Isabeau de Roubaix.

A ce moment, l’Hôtel Dieu compte 331 lits et 15 berceaux. La réception définitive du pavillon pour varioleux a lieu le 5 octobre 1888. L’année suivante est décidé de construire une aile de deux niveaux entre la rue Saint-Vincent de Paul et le pavillon central, ce qui permet d’ajouter 46 nouveaux lits déjà existants. En 1892 est voté un crédit pour l’établissement d’une étuve à désinfection. Cette étuve à désinfection sera mise à la disposition du public : il en coûtera 2 francs pour la désinfection d’un matelas, 0,50 pour celle d’un drap.

En 1893, l’administration des Hospices signale à la Municipalité l’exiguité de la cave de la brasserie de l’Hôtel Dieu : en effet par suite de l’augmentation de la fabrication de bière résultant des livraisons faites aux cantines scolaires (!) et au nouvel hospice de Barbieux, l’entonnerie de la brasserie est devenue insuffisante. En 1895, on décide de réunir le pavillon des varioleux qui avait été construit de façon isolée, au corps central de l’hôpital. En 1898, il est décidé pour agrandir le pavillon des enfants d’utiliser un baraquement dont la construction avait été commencée lors d’une épidémie de choléra et qui avait été conservé dans les magasins de la Ville.

En 1901, l’hôpital reçoit la visite de l’Inspection générale des services administratifs. Il est de nouveau déploré l’exiguïté de l’hôpital et les risques de contagion qui en découle : comme service de contagieux, il y a seulement trois petites pièces ou salles d’isolement ce qui est tout à fait insuffisant et même dangereux. On place indistinctement chez les fiévreux les typhiques et les malades atteints de la diphtérie. A la séance du 27 juin 1902 est votée, à la suite de la découverte dans les écoles roubaisiennes de 81 enfants atteints de la pelade, de la teigne ou de différentes maladies du cuir chevelu, la construction d’un dispensaire pour le traitement des maladies du cuir chevelu avec cette réserve qu’il serait pris des mesures pour que les visites à ce dispensaire ne coïncident pas avec les entrées et sorties de l’école de la rue Saint-Vincent de Paul et ne permettrait pas le contact des enfants malades avec les enfants qui fréquentent la dite école.

En 1907, à l’ouverture du nouvel hôpital de la Fraternité, les malades quittent l’Hôtel Dieu. Celui-ci accueille les pensionnaires de l’Hospice (situé rue de l’Hospice) qui est démoli, on construira à sa place la salle Watremez. Trois cent cinquante vieillards sont hébergés dans ce qui devient alors l’hospice Blanchemaille. A la même époque, la Commission administrative des Hospices fixe son siège dans l’établissement.

En 1911, à la suite d’une visite de l’hospice, M. et Mme Joseph Pollet Motte offre une somme de 100.000 francs pour construire deux infirmeries supplémentaires. La Commission administrative accueille avec empressement cette proposition et décide de réaliser cet agrandissement en surélevant de deux étages les bâtiments qui entourent la cour d’entrée. C’est l’architecte Ernest Thibeau qui est chargé des travaux. Ceux-ci sont terminés en 1913. En 1911 également, l’aumônier l’abbé Algrain augmente la surface de la chapelle et l’embellit. La chapelle est dégagée des deux salles de bains immenses qui la flanquaient et y répandaient l’humidité et on lui adjoint deux nefs latérales. Le chœur est agrandi et embelli par la restauration de l’autel, du banc de communion et de la chaire.

En novembre et décembre 1977, 163 pensionnaires quittent l’hospice de Blanchemaille pour celui de Barbieux. Enfin, en mars 1978, les 82 derniers pensionnaires quittent l’établissement. L’Hospice de Blanchemaille est démoli en 1981. Quelques années auparavant, l’Evêché avait envisagé d’utiliser la chapelle de l’hospice en remplacement de l’église Notre-Dame démolie.

Ne subsistent des bâtiments que le fronton de Charles Iguel qui est remonté grâce à une souscription et à la Fondation de France sur le square qui jouxte la Caisse d’Allocations familiales ainsi que les plaques des donateurs qui se trouvaient dans le hall et qui ont été reposées dans la galerie gauche de l’hospice de Barbieux.

Xavier Lepoutre
Vice-Président de la Société d’Emulation de Roubaix