Les Seigneurs de Roubaix

La ville de Roubaix, si universellement connue par son industrie drapière, remonte à une haute antiquité. La première mention du nom de Roubaix se trouve dans la carte de Nicaise Fabius, reproduite par Sandérus dans la Flandria Illustrata. Cette carte remonte au IXème siècle, à 863 et désigne sous le nom de Robacum la localité placée entre Arx Buccensis (Château du Buc – Lille) et Turnacum (Tournai).

Ce n’était point encore une ville importante, pas même un bourg, mais une simple «villa», agglomération de maisons autour d’une métairie. La « villa Robacensis » était une ferme qui comprenait le manoir du propriétaire du domaine avec les dépendances les  » curtes  » et les « mansae  » administrées et régies par des métayers. Il y avait là le premier embryon de ce que devait être le village de la constitution féodale.

A cette époque, vivait parmi les habitants de la « villa Robacensis » une femme d’une d’une grande noblesse rehaussée surtout de dignité et d’une charité qui répondait à sa grandeur d’âme. Elle se nommait Thècle et était aveugle. On a même cru voir en elle l’aïeule du chevalier Robert qui, au commencement du Xème siècle, inaugura la longue série des seigneurs de Roubaix. La vie de la pieuse Thècle fut favorisée de prodiges. Les hagiographes racontent en effet que, durant la nuit du 18 septembre 881, l’évêque de Tournai, saint Eleuthère, lui apparut et lui ordonna de se rendre dans son ancienne ville épiscopale et de faire connaître à son successeur Heydilon que le tombeau renfermant ses reliques se trouvait dans l’église de Blandain. Deux nuits de suite, la même apparition se manifesta. Convaincue, Thècle se fit conduire à Tournai et fit connaître à l’évêque Heydilon le message dont elle était chargée. Le prélat écoutant la voix de l’envoyée, retrouva à Blandain le corps d’Eleuthère. Ce fut l’occasion de nombreux miracles ; en particulier, Thècle recouvra la vue.

Après une vie toute de dévouement et de charité, Thècle mourut dans la « villa Robacensis », après avoir demandé à être enterrée dans l’église de Blandain. Son vœu fut exaucé : son corps inhumé d’abord dans l’église, fut ensuite placé dans une chapelle de cette même église. Près de son tombeau jaillit même une source dont les eaux procuraient de merveilleuses guérisons. Ainsi finit l’histoire de Thècle de Roubaix. Mais le nom de sa villa devait revivre avec le premier seigneur de Roubaix, le chevalier Robert, sorti d’une souche inconnue.

On sait peu de choses de la vie et des œuvres de ce seigneur. Une charte de mai 1047 nous apprend cependant qu’il assista à la fête de Sainte Rictrude, fille des seigneurs de Mons et qu’il apposa son sceau comme témoin d’une donation. Cette charte est en effet un acte par lequel Bauduin, comte de Flandre, fils de Bauduin le Barbu et d’Ogive de Luxembourg, donnait à l’abbaye de Marchienne tout ce qu’il possédait dans le pays situé entre l’Escaut et la Scarpe. Le chevalier Robert de Roubaix inaugurait brillamment la série des seigneurs qui allaient régir la ville et sa seigneurie jusqu’à la Révolution. C’était le premier anneau de la chaîne qui avec Isabeau et Pierre, allait aboutir aux Melun, aux Rohan et aux Soubise.

Guillaume de Bretagne, fils d’Alain et de Mathilde de Gand en allait être le second. Nommé seigneur de Roubaix par Robert le Frison, il allait diriger la nouvelle seigneurie de 1072 à 1083. L’hermine de Bretagne allait passer ainsi dans les armoiries de Roubaix (chef de gueules au champ d’hermine). C’est le souvenir le plus durable du second seigneur de Roubaix.

Thècle, Robert et Guillaume méritent d’être connus : ils furent les premiers maîtres de la petite seigneurie qui devait être le berceau de la grande ville de Roubaix.

ALARD DE ROUBAIX

Au IXème siècle, le nom de la ville de Roubaix était acquis à l’histoire. Les premiers seigneurs, Thècle, Robert et Guillaume, sont les premiers bienfaiteurs de la petite seigneurie qui devait être le berceau de la grande cité industrielle. Mais bientôt le nom de la ville et de ses seigneurs est davantage connu. Le premier châtelain important est Jean de Roubaix (1270 – 1285) qui, dans la seconde moitié du XIIIème siècle, fait rayonner le nom de son « castrum ». C’était alors le temps où les bonnes comtesses, Jeanne et sa sœur Marguerite, régnaient sur le comté de Flandre et portaient le nom de notre province au faîte de sa puissance et de sa renommée.

Jean eut comme fils Alard de Roubaix qui devait gouverner la seigneurie de 1285 à 1310. Les archives nous ont laissé des traces de son administration et ont témoigné de son activité. En 1270, il aide son père dans le procès de réhabilitation de Jean de la Vigne, accusé d’avoir fait payer plus qu’il ne fallait une terre vendue à sa nièce ; en 1282 et en février 1285, le comte de Flandre, Guy de Dampierre, qui avait succédé à sa mère Marguerite de Constantinople, cite son féal seigneur, Alard de Roubaix, dans plusieurs de ses lettres. Alard devait, à partir du 3 décembre 1292, ne plus quitter le comte de Flandre et siéger avec lui à la cour de Lille. La puissance du Comte de Flandre, le plus redoutable feudataire de la couronne se dressait devant le roi de France comme un sérieux obstacle.

Guy de Dampierre avait alors gravement indisposé contre sa personne en voulant toucher à leurs privilèges, les communes de Gand, Ypres et Bruges ; Philippe le Bel en profita pour soutenir ces trois villes ou par des promesses flatteuses, il réussit à se créer des partisans que le peuple désigna sous le nom de « partisans du Lys ».

Parmi les « hommes de Monseigneur de Flandres », Alard de Roubaix resta fidèlement, luttant contre ceux qui « furent de le parti Roy, en tant de were ». La campagne engagée par Philippe le Bel devait avoir un dénouement désastreux. «Abandonné comme un agneau au milieu des loups » selon l’expression de l’historien flamand Jacques de Meyère, trahi de tous côtés, séduit peut-être par quelque conseiller dont il ne soupçonnait pas la perfidie, Guy de Dampierre prit le parti d’aller avec ses fils, Robert et Guillaume, en compagnie de cinquante chevaliers flamands, se mettre à la discrétion du roi de France.

Au nombre de ces braves, se trouvait Alard de Roubaix, en compagnie de Jean de Bondues, Yves de Werwick, Guy de Thourout, Amel d’Audenarde, Gauthier de Nivelle. Le seigneur de Roubaix fut enfermé au château de Falaise, tandis que Guy était jeté dans un cachot du donjon de Compiègne.

Les terres de Flandre et des seigneurs fidèles furent confisquées et distribuées par Raoul de Clermont, connétable de France, à divers chevaliers, comme indemnité que le roi leur avait promis d’assigner sur les biens du comté. Mais les Flamands ne se soumirent point facilement au roi Philippe ; un parti, celui des Clauwarts ou hommes de la griffe, c’est à dire attachés au vieux Lion de Flandre, les appela à la révolte au cri de « Vlaenderen den Leeuw » (Flandre au Lion).

Après les sanglantes Matines de Bruges, ce fut la victoire flamande de Courtrai ou bataille des éperons d’or (1302), suivie bientôt de la bataille de Mons-en-Pévèle, avant laquelle les Flamands s’arrêtèrent à Roubaix, menaçant le camp des Français.

Une trêve fut signée le 20 décembre 1303 entre les princes flamands et Philippe le Bel ; et tandis que Guy de Dampierre mourait à Compiègne, son fils, Robert de Béthune, signait le traité de paix. Alard de Roubaix revint alors dans sa seigneurie, fidèle toujours à son suzerain, réorganisant ses terres dévastées par les ravages de la guerre. En 1310, il assista, en compagnie de 69 chevaliers, au tournoi donné à Mons par Guillaume, comte de Hainaut. Ce fut le dernier acte officiel du seigneur de Roubaix qui, bientôt après, s’éteignit dans son château. Alard est le premier qui porta les armes de la terre de Roubaix ; à ce titre, son souvenir mérite d’être conservé.

JEAN DE ROUBAIX (1401 – 1449)

Parmi les plus célèbres seigneurs de Roubaix, il faut citer Jean de Roubaix qui, de 1401 à 1449, tint sous sa tutelle, la ville naissante. Jean de Roubaix naquit vers 1369, Son père était un des plus grands seigneurs de la Cour de Bourgogne. On croit communément que c’était Robert, seigneur d’Escaudoeuvres, époux de la fille de Rasse de Herzelles. Jean accompagna son père à la fameuse bataille de Roosebeke, en 1382, bataille qui marqua le triomphe de la noblesse sur les communes et pendant laquelle Van Artevelde et dix mille des siens tombèrent sous l’effort irrésistible de la cavalerie française.

En 1390, Jean de Roubaix participa à la croisade commandée par le duc de Bourbon, oncle du roi, organisée pour secourir les Génois, victimes des Sarrasins qui, venant des côtes d’Afrique, pillaient le territoire de la République de Gênes. Cette croisade fut marquée par quelques faits saillants : arrivée des croisés à Gênes vers la fin juin, débarquement sur la côte d’Afrique le 22 juillet puis siège de Carthage. Ce siège dura deux mois ; malgré quatre assauts et une bataille, le siège dut être levé sans résultat et l’armée revint en Europe.

L’humeur aventureuse de Jean de Roubaix n’était pas satisfaite car après des voyages à Jérusalem, au Mont Sinaï, à Rome, il fit partie, en 1396, de l’armée du comte de Nevers, Jean sans Peur, envoyée par Charles VI au secours du roi de Hongrie, menacé par Bajazet, conquérant de la Valachie et de la Bulgarie.

Seigneur de Roubaix en 1401 après la mort de son père, Jean de Roubaix fit faire le dénombrement de son fief le 4 novembre et donna à la bourgade le nom de ville.

En 1406, Jean devint conseiller et chambellan du duc de Bourgogne ; il reçut de son souverain la seigneurie d’Herzelles, sans le comté d’Alost, confisqué à messire Sobier de Herzelles qui avait conspiré contre le comte Louis de Maele et le duc Philippe le Hardi, en prenant le parti des Gantois et de Jacques Van Artevelde.

Lorsque Jean sans Peur alla à Paris assister au Conseil de Régence organisé pendant la folie de Charles VI, Jean de Roubaix fit partie des huit cents chevaliers de Bourgogne et de Flandres qui entouraient leur souverain ; il accompagna ensuite le duc dans son expédition contre les Liégeois qui ne voulaient point recevoir Jean de Bavière comme évêque ; enfin, aidé par les sires de Helly et d’Uterque, il arrêta Montaigu, principal appui des Armagnacs, qui eut la tête tranchée et le corps pendu au gibet de Montfaucon.

Les missions de confiance accordées ensuite à Jean de Roubaix furent de plus en plus nombreuses : il fut envoyé en ambassade auprès du roi d’Angleterre, Henri V, malheureusement sans succès puis il fut nommé, avec le baron de la Viefville, gouverneur du jeune comte de Charolais qui devait devenir Philippe Le Bon. Aussi, il obtint de Jean sans Peur l’autorisation de créer, sur la terre de Roubaix, sept échevins en remplacement des juges cottiers, comme le porte l’acte de Gand, conservé dans le septième registre de l’ancienne Chambre des Comptes de Lille.

En 1416, Jean de Roubaix assista au Grand Conseil de Valenciennes (le 13 novembre) ; en 1418, il fut chargé de la garde du château de Lille et des gens des comptes.

En récompense de ses bons et loyaux services, Jean de Roubaix fut comblé de faveurs. Le 1er juin 1420, Philippe, devenu duc de Bourgogne, accorda à son « amé et féal conseiller, la haute justice et échevinage sur tous les fiefs et arrières fiefs de la terre de Roubaix » ; « Et avec ce, ledit seigneur aura au lieu de tous les juges cottiers qu’il avait auparavant, sept échevins qu’il créera et renouvellera ou fera créer et renouveler par son bailli ou son lieutenant une fois l’an. Lesquels échevins, au conjurement dudit bailli, auront connaissance de toute justice haute, moyenne et basse sur le gros dudit fief de Roubaix et sur toutes les terres renteuses et cottières tenues dudit seigneur de Roubaix ».

En 1423, nouvelle faveur : l’hôtel que Jean avait acheté à Lille, rue Basse, fut rattaché par lettres patentes du 22 juillet 1423, au fief de Roubaix et en prit le nom. En 1424, Jean de Roubaix fut nommé premier chambellan du duc et reçut le fief du Fontenoit détaché de la Salle de Lille et les seigneuries de Leuvillers et de Dourier ; de plus, une pension de 300 francs d’or lui fut accordée sur les revenus de la terre de Ninove, une autre de 500 francs sur les revenus de Blaton et de Feignies, et il eut le droit de recevoir 2 000 faisceaux de bois de la forêt de Nieppe. Outre ses gages de gouverneur, une somme de trois francs par jour lui fut attribuée pour l’entretien de ses gens et de ses chevaux.

Après avoir participé à l’expédition organisée pour défendre le roi de Chypre et le grand maître de Rhodes contre les Sarrasins, Jean de Roubaix fut chargé de négocier le mariage de Philippe avec Elisabeth de Portugal. Il s’embarqua le 19 octobre 1428 à l’Ecluse et réussit pleinement sa mission. Le 24 juillet 1429, Jean de Roubaix signa le contrat de mariage au nom de son maître et le 25, le mariage par procuration. Sur la route du retour, Jean tomba malade et fut soigné en Galice, à Ribadeo. Rapidement guéri, il débarqua à l’Ecluse le 6 décembre, précédant de quelques jours la nouvelle duchesse. Il assista au mariage solennel célébré le 7 janvier 1430 à l’Ecluse, par l’évêque de Tournai.

En récompense de l’heureux succès de sa mission, Jean de Roubaix fut nommé Chevalier de la Toison d’Or. Il fut le troisième des vingt-quatre chevaliers de ce nouvel ordre.

Après une intervention dans le différend entre les villes de Gand et de Bruges, au sujet de la préséance, Jean de Roubaix reçut, en 1432, de Jacqueline de Bavière, la terre, la forteresse et la seigneurie d’Escaudain ; en 1433, du Magistrat de Lille, un terrain au-delà de la Deûle, derrière l’hôtel de Roubaix ainsi que le pont appelé pont de Roubaix.

Le 7 juin 1449, à l’âge de 80 ans, Jean de Roubaix mourut ; il fut enterré dans la chapelle saint Jean Baptiste de l’église Saint Martin, laissant un fils, Pierre, héritier de sa valeur et de ses charges.

MICHEL DE ROUBAIX

Grammairien du treizième siècle

La ville de Roubaix si manufacturière, entièrement consacrée à l’industrie et au commerce, n’a point été cependant rebelle aux lettres et aux arts. Dès le XIIIème siècle, elle donna naissance à un grammairien qui devint célèbre : Michel de Roubaix.

On ne connaît aucun détail sur la vie de ce personnage ; mais on connaît une de ses œuvres : De modo significandi, traité de grammaire latine très complet pour l’époque et indispensable pour l’enseignement des écoles de ce temps. Cet ouvrage nous a été conservé dans deux manuscrits de la fin du XIIIème siècle, conservé à la bibliothèque Nationale.

Le premier provient du fonds latin de l’abbaye de Saint Germain des Près (N° 1465). C’est un recueil in-4° sur parchemin dont les gardes sont couvertes de pièces datées de la période entre 1328 et 1339. Le traité de Michel de Roubaix est suivi de plusieurs fragments anonymes sur la grammaire d’après le grand ouvrage de Priscien et surtout d’après ceux d’Evrard de Béthune et d’Alexandre de Villedieu. A la suite de ces fragments, il y a des gloses assez étendues sur les hymnes de l’Eglise, dont le texte accompagne partout le commentaire.

Le second manuscrit est un recueil provenant de l’ancienne Sorbonne (côte 940) ; c’est un grand in-folio sur parchemin. L’ouvrage de Michel de Roubaix suit le traité Summa Modorum significandi, de Siger de Courtrai, professeur aux écoles de la rue du Fouarre. Mais cet exemplaire est incomplet ; il lui manque un des feuillets du premier manuscrit ; de plus, il y a quelques différences dans les règles et les exemples.

Le traité commence par ce vers placé en épigraphe : Ne scriban vanum, due, pia Virgo, manum. (Pour que je n’écrive aucun mot vain, dirige ma main, pieuse Vierge.) Vient ensuite un préambule, dans lequel l’auteur annonce son projet : Il veut, dit-il, faire un petit ouvrage sur les parties du discours et sur leurs divers modes, en recueillant presque partout les leçons des autres, en essayant quelquefois de les expliquer ; « ad praesens minimum oposculum faciens, circa hujus partes orationis cum suis modis significandi… vestigia aliorum in plerisque imitando, et in aliquibus eccrum obscuritates explanando… » Son but est d’exposer toutes les questions de grammaire avec leurs modes essentiels et accidentels, car cette étude doit précéder celle des sciences philosophiques, le plus vif et le plus sincère plaisir de tout vie ; « essentiales et accidentales modos significandi, in quibus consistit melior et major pars grammatice philosophicarum disciplinarum studia praetermittendo in quibus in hac vita sincerissima summaque consistit delectatio. »

La grammaire proprement dite suit ce préambule. Après, la définition des mots « vox », « dictio », « oratio », Michel de Roubaix prend la marche habituelle de tous les traités de grammaire ; il donne les règles du nom, du pronom, du verbe, de l’adverbe, de la conjonction, de la préposition et de l’interjection.

A la fin du traité se lit, dans le premier manuscrit, au bas de la seconde colonne du trente-huitième feuillet, cette finale habituelle aux ouvrages de l’époque : «Expliciunt Modi sifinificandi compositia Magistro Michaele de Robasio». Ainsi se termine la grammaire composée par le maître Michel de Roubaix.

Que penser de cette œuvre de notre savant compatriote ?

Sans doute n’a-t-elle qu’un mérite tout ordinaire, la forme en trop souvent sèche et monotone ; elle est parfois peu originale, imitant de près le traité de Donat. Mais Michel de Roubaix, par ses nombreuses transitions et ses fréquentes incidentes, a inauguré une sorte de grammaire philosophique ; il a fait la philosophie de la grammaire. Fidèle disciple d’Aristote dont l’ « Organon » était alors universellement connu, il use d’une subtilité particulière dans la dialectique.

Michel de Roubaix, dans ce domaine spécial de la grammaire, participe ainsi au brillant renouveau littéraire du XIIIème siècle, l’âge d’or de la scolastique. Dans son enthousiasme pour la philosophie du maître, il a appliqué les principes d’un sage péripatétisme à une nouvelle branche du savoir humain. Il l’a fait selon des règles d’une orthodoxie irréprochable.

Ce n’est pas un petit honneur pour Roubaix d’avoir donné le jour à un grammairien éminent, à un philosophe éclairé qui, dans les écoles si renommées de la rue du Fouarre, près de l’antique Sorbonne, a révélé et fait glorifier le nom de sa petite patrie, de sa ville natale.

D’après les travaux de recherche de H. J. DUMEZ

LE TERROIR – Bulletin du Cercle Littéraire Amédée Prouvost – 1925

Fonds d’Archives La Muse de Nadaud

Jean De Lannoy

En l’an de grâce 1459, sous le règne de Charles VII, fils infortuné, père plus malheureux encore, qui ne sembla monter sur le trône que pour en éprouver les désagréments, règne néanmoins illustré par les exploits de Dunois, le dévouement de Jeanne d’Arc, fille célèbre qui sût ranimer le courage abattu des Français et valut à son roi le surnom de Victorieux, messire Jean, Seigneur de Lannoy, les Rumes, Sébourg et Bossu sur l’Escaut, chevalier de la Toison d’Or, obtint du duc de Bourgogne, investi du comté de Flandre, le gouvernement de la ville de Lille.

Blason de la famille de Lannoy Domaine public

C’était un vaillant capitaine que messire Jean, issu de l’illustre maison de Croy, un noble et généreux seigneur ; il avait entouré la ville de Lannoy de murailles et de fossés, relevé son église, augmenté et fortifié son château dont les tours au somptueux crénelage planaient fièrement sur les champs d’alentour, érigé dans ce château du consentement de l’évêque de Tournay et de l’abbaye de Cysoing, une chapelle où il se proposait d’établir des chanoines, et fondé dans la ville un couvent de chanoines réguliers de Sainte Croix, dits CROISES.

Ce fut donc le 20 Juin 1459 que le nouveau gouverneur de Lille alla prendre possession de son gouvernement ; reçu à l’entrée de la ville par les Rewart, Mayeur, Echevins, Conseillers et voir Jurés, preud’hommes et Appaiseurs, c’est au milieu d’une double haie de soldats, au bruit des acclamations du peuple, des tambours, des fanfares, au son de toutes les cloches, qu’il se rendit en la salle des Etats, somptueusement décorée, pour y prêter le serment de maintenir et garder les franchises et privilèges des bourgeois et manants, puis conduit processionnellement en l’église collégiale de Saint Pierre pour y assister au Te Deum qui devait se célébrer en actions de grâces. Jean ne devait pas jouir longtemps du gouvernement, noble récompense de ses services.

Jean de Lannoy tiré du Trésor de la Toison d’Or folio63v

Louis XI, de qui l’on a dit avec raison, qu’il n’était ni bon fils, ni bon père, ni bon mari, ni bon frère, ni bon ami, ni bon allié, succéda en 1461 à Charles VII, et la troisième année de son règne d’astuces et d’intrigues devait être fatale au seigneur de Lannoy. Jean ayant donné au Duc de Bourgogne le conseil de rendre à Louis XI les villes qu’il tenait sur la Somme, se fit un ennemi puissant du comte de Charolois, qui résolut de se venger et le poursuivre de son implacable haine ; forcé de quitter son gouvernement, il courut s’enfermer dans son château de Lannoy, espérant pouvoir y braver la colère du comte. Dans la première semaine de mars 1464, de Charolois donna l’ordre au seigneur de Roubaix d’aller, avec force gens de guerre, s’emparer de la ville de Lannoy, de son château et de saisir et appréhender Jean ; mais jean, averti à temps des forces considérables qu’on dirigeait contre lui trop faible pour leur résister, se retira à Tournay avec sa femme et ses enfants, emportant avec lui son or, son argent et ses meilleurs biens.

Lannoy extrait des albums de Croy http://miniatures-de-croy.fr/

Cependant le seigneur de Roubaix s’empara de la ville et du château et fut trouvé dans le châtel par la garnison de Caen, de cent à cent vingt pourceaux salés, et de farines grand planté, avec blé et avoine a grande largesse, et si estait séant un moulin tout neuf à moudre bled. Et tot après le comte de Charolois donna la ville de Lannoy et son chastel à Jacques de Saint Pol, frère du compte de Saint Pol (*) Monstrelet

Jean de Lannoy, le 24e gouverneur de Lille depuis le siège qu’en fit Philippe le Bel en 1296, mourut le 18 mars 1492 ; il fut inhumé à Lannoy, dans l’église des Croisés qu’il avait fondée ; l’épitaphe suivante, qui résume l’histoire de cet homme illustre, se lisait sur une lame de cuivre attachée à la muraille du chœur :

Je fus jadis au monde en grand prospérité,

D’honneur, de biens avoie à très large planté

Car je fus serviteur du Duc Philippe le Bon.

Ce bon seigneur me tint tous tenus de sa Maison

Et l’un des Chevaliers de l’Ordre du Toison

Dont aux Rois et aux Princes fut per et compagnon ;

En Hollande et Zélande me fit son Lieutenant

Pareillement de Frize où je le fus servant

Quinze ans ou environ, puis me fit Gouvernement

De Lille, Douay et Orchies, dont j’eus tant plus d’honneur

Puis me fit Capitaine et aussi Sénéchal

De toute Gorrechom, office espécial.

En plusieurs ambassades lui plut moi envoyer,

Où grans honneurs rechus dont Dieu doit merchier,

Et assez tost après, du voloir et bon gré

De ce bon Duc mon Maistre et Seigneur redoublé,

Je fus bailli d’Amiens de par le Roi commis,

Du dit Amiens aussi fus Capitaine mis

Et tout pareillement de Dourlens et Cité,

Encore voit le Roi, par sa grande bonté

Moi retenir à lui et à sa pension

A deux mille bons francs par an dont j’eus le don.

J’allais en Angleterre de par ses deux seigneurs,

Car seul pouvoir me donnèrent oncques ne vis grigneurs

Car seul pouvoir avois de traiter paix finalle,

Entre les deux royaumes, par grace espécialle.

Le donjon de Lannoy et le chastel aussi,

Avec le chapelle et ceste Eglise-ci,

Je fis en mon tems faire en la ville aisément,

Qui est privilégié moult bien et grandement.

La Chapelle de Lys fis faire à mes despens ;

J’acquis Rume et Sébourg par estre diligens.

Le Chasteau de le Marche et ville de Forchies,

Le Locquon et Courchelles dont j’eus plus seignories.

Deux fois fus marié, dont ma femme première,

Fut Dame de Brimeu seule fille héritière,

Ensemble eumes deux filles, dont l’une fut donnée

Au seigneur de Gaesbeque auquel fut mariée,

Et l’autre trespasse en assez josne eage.

Et ma seconde femme que j’eus en mariage,

De Ligne et Brabenchon elle fut fille ainée

De huit enfans aussi fumes nous assemblée.

Et après par envie fortune massailly

Moy cuidant tout détruire, mais Dieu y pourvoy,

C’est par vraie vertu et Dame vérité

Avec passience d’honneur fut suscité

Et plus que par avant fut par-tout honnouuré.

Dieu par sa grace fasse à mes nuysans pardon,

Et ung chascun réduite à devenir très-bon.

Après moi florissant en honneur et en grace,

Depuis que j’eus vu une bien longue espace

Le plaisir de mon Dieu, mon juge et Créateur

Fut de moi envoyer du monde la doleur ;

C’est la mort qui tout mord sans nulluy épargnier,

Ainsi finis mes jours sans plus pouvoir targier

En l’an nostre Seigneur, mil quatre cens

Et quatre-vingt et douze payant de mort le cens

Chy fisant qu’il leur plaise Dieu pour moi requérir

Afin qu’à leurs prières puisse à grace venir.

Cette épitaphe a été la proie du vandalisme, lors de la démolition du couvent des Croisiers.

Ce texte est paru dans l’Indicateur de Tourcoing le 29 mars 1840, journal qui fut l’un des premiers supports pour les écrits de Théodore LEURIDAN père.