La société des Rosati

Le 12 juin 1778, un groupe d’amis se réunissait dans un petit village d’Artois du nom de Blangy, près d’Arras. Comme les muses, ils étaient neuf : Louis Joseph Legay, avocat au Conseil d’Artois, accompagné de Caramond, Lenglet, Desprets, Caignez, Bergaigne, Giguet, Berthe et Carré. Animés par une réelle joie de vivre, en bons épicuriens et disciples d’Anacreon, poète grec déjà vénéré par Platon, ils célébraient la poésie, la rose et le bon vin. A l’issue de cette journée du « gai savoir », l’un d’eux, sortant de ses poches des pétales de roses, s’écria : « Amis qu’un si beau jour renaisse tous les ans, et qu’on l’appelle la fête des roses ». Ainsi naquirent les Rosati, dignes descendants des « Puys d’Amour » dont les trouvères avaient fait les beaux jours. Au fil des ans, des personnages connus vinrent agrandir le cercle des créateurs, tels Robespierre, Carnot, Dubois de Fosseux, etc.

Aujourd’hui encore, l’intronisation du futur Rosati se fait toujours selon le rite du « cousin Jacques », pseudonyme de Beffroy de Reigny, journaliste, auteur de comédie et sous les auspices de Jean de La Fontaine, « patron des Rosati». Présenté au public par son parrain, le récipiendaire reçoit de trois ballerines la rose, le vin et le baiser, l’assemblée entonnant la chanson « Ecoute ô mon cœur », écrite par Marcel Legay en 1904 et choisie comme hymne des Rosati en 1929.

En 1904, les Rosati décidèrent de distinguer d’une Rose d’Or les personnalités ayant œuvré pour faire connaître et aimer notre région, dans les domaines des arts et des lettres.

Au fil des ans, des célébrités nationales originaires du Septentrion ou ayant fréquenté cette région furent intronisées. Citons parmi celles-ci, des gens de lettres : Paul Adam, Pierre Mac-Orlan, Jean Richepin, Pierre-Jean Jouve, Germaine Acremant, Maurice Fombeure, Jules Mousseron, André Stil, Jacques Duquesne, Alain Decaux, Jean-Louis Fournier, le chef d’orchestre Jean-Claude Casadessus, le compositeur Henri Dutilleux, le chanteur Julos Beaucarne, l’acteur Ronny Coutteure, le conservateur en chef des Musées Nationaux René Huyghe, les peintres Carolus-Duran, Henri Le Sidaner, Carrier-Belleuse, Lucien Jonas, René Ducourant et parmi les derniers élus, l’humoriste Robert Lassus et le comédien Fred Personne.

Les Rosati se réunissent plusieurs fois par an. Leurs repas et réunions sont animés de joutes poétiques, de débats, d’hommages ou de spectacles. Toutefois, ces gens d’esprit prennent garde de ne pas se prendre trop au sérieux. Le plaisir prévaut toujours sur la vanité et l’humour sur les convictions. C’est dans ce contexte que sont organisées tous les ans Les Joutes Poétiques de la Francophonie.

 

NUIT MALEFIQUE

 Viens ! Le ciel se corrode

Au souffle pestilent

D’un succube qui rôde,

         Lent.

 

Partons ! Qui peut savoir

Pourquoi la seule étoile

Etouffe sous un voile

         Noir ?

 

Entends-tu ? La cadence

D’un piétinement sourd

Agresse le silence

         Lourd.

 

Est-ce la sarabande

Qui rythme le sabbat ?

Fou, le cœur de la lande

         Bat.

 

Et sur la grande hune

Du bateau de la nuit,

L’œil torve de la lune

         Luit

 

Pierre QUERLEU (Roubaix)

 

Les pertinents articles de Pierre Querleu dans la revue « Nord » ont été toujours appréciés des connaisseurs, et ses œuvres poétiques les ont séduits par leurs qualités d’invention jointes à un style agréable, d’un classicisme aujourd’hui rare (Evocation », « La fenêtre ouverte », « La Saison mentale »).

 

TENDRESSE

Chaque soir je sens comme un soleil qui m’inonde,

Quand tu parais ainsi, ma belle épouse blonde,

Le sourire incliné vers ta fille qui dort.

Et chaque soir, mon cœur tressaille plus encore

Lorsque mes doigts émus et tremblants de tendresse

Confondent vos chers yeux dans la même caresse.

 

Viens, allons nous asseoir sur le banc du verger.

Dans l’air tiède, ce soir, flotte un parfum léger,

Et le reflet glacé d’une première étoile

Scintille, en tes cheveux, au tulle bleu du voile.

 

De nos genoux unis faisons un doux berceau

Pour notre enfant blottie ainsi qu’un frêle agneau.

Ses yeux vont se fermer sous leur paupière lasse,

Ecoutons-la dormir en parlant à voix basse ;

La nature, elle aussi, va sommeiller bientôt.

Déjà la nuit descend qui traîne son manteau…

 

Amédée PROUVOST (Roubaix)

 La jeune épouse du poète venait de mettre au monde leur fille, Béatrice.

 

SOUS LE TILLEUL

 Au pied de ce tilleul, sur un vieux banc de pierre

J’aime venir m’asseoir aux beaux jours, et rêver

Quand du soleil ardent est près de s’achever

Dans l’azur qui s’éteint le parcours solitaire.

 

Les oiseaux ont mis fin, nichés dans le feuillage

– las de chanter, sans doute- à leur bruyant concert ;

Et sur l’immense plaine où le regard se perd,

Déjà la brume tend un paisible nuage.

 

Plus près, à travers champs, d’un ruisseau qui serpente

Vont bientôt s’effacer les bords capricieux :

Crépuscule d’été, pâle et mystérieux,

Qui parfois me retient jusqu’à la nuit tombante !

 

De la ville fuyant le tumulte ordinaire,

Ici je redécouvre enfin libre, enfin seul,

L’air pur et le silence au pied de ce tilleul

Qui s’incline, amical, vers mon vieux banc de pierre…

 

Jean-Louis LARCY

Les coulonneux de Roubaix

Parmi les loisirs qui permettaient à nos parents et grands-parents d’échapper à l’atmosphère bruyante des tissages, l’élevage des pigeons était l’un des plus répandus. La colombophilie occupait une place importante à Roubaix où les sociétés d’amateurs étaient nombreuses. Les coulonneux participaient à des expositions et des concours largement dotés de prix et toutes ces associations mettaient dans la ville une animation très appréciée engendrant des retombées économiques qui n’étaient pas négligeables.

L’élevage du pigeon voyageurs remonte à la plus haute Antiquité. Utilisé à toutes les époques pour la transmission des messages par les armées et les autorités civiles ou militaires, le pigeon a fait l’objet d’une reproduction très organisée assortie d’une surveillance de la part des législateurs qui entendaient la contrôler jalousement. Groupés en associations, les coulonneux du XIXe siècle procédaient à des sélections répétées de manière à produire des sujets présentant des qualités d’endurance et de vitesse en vue des concours qui se multiplièrent à partir de 1950.

La première société colombophile aurait été créée à Roubaix en 1949 sous le nom de « Cercle de Roubaix » (Pierre Pierrard dans « La Vie Quotidienne dans le Nord au XIXe siècle ».) Nous disposons d’un relevé de sociétés de coulonneux ayant siégé à Roubaix, liste qui comprend plus de 200 noms d’associations dont beaucoup n’eurent qu’une vie éphémère. Peu à peu elle se regroupèrent.

Activité traditionnelle régionale, la colombophilie à Roubaix.

Au début du 19e siècle, la Loi française interdit formellement d’entretenir un colombier de pigeons voyageurs s’il n’est français et muni d’une autorisation préfectorale. A Roubaix, des démarches ont été faites en vue de faire accorder l’autorisation aux étrangers domiciliés à Roubaix, mais le Gouvernement, par souci de Défense nationale, n’a pas cru pouvoir donner une suite favorable à ces démarches.

Le recensement du 1er janvier 1907 a accusé, pour Roubaix, le nombre de 19.455 pigeons voyageurs appartenant à 1.102 amateurs ou éleveurs colombophiles.

Edmond DERREUMAUX
Président de la Société d’Émulation de Roubaix de 1993 à 1996

 

Les adieux de Brel au Casino

Le 16 mai 1967, c’est l’effervescence à Roubaix : Jacques Brel, un des chanteurs les plus marquants des années 1960, y donne son dernier concert public. Lassé par des tournées interminables et par la solitude des hôtels anonymes, épuisé à force de donner toujours le meilleur de lui-même lors de ses concerts, Jacques Brel a déclaré lors de son dernier spectacle à l’Olympia de Paris « qu’il ne veut pas baisser » et qu’il arrête définitivement la scène.

Et c’est précisément à Roubaix que Georges Olivier, le directeur de sa tournée, décide qu’il y donnera son dernier concert. Dès l’ouverture des caisses de location du Casino et en quelques heures, les 2.000 places que contient l’immense salle sont vendues. Les fans viennent de toute la France, aussi bien d’Aix en Provence, de Belgique et que de Londres en Angleterre pour ovationner une dernière fois ce talentueux chanteur.

Quelques heures avant le spectacle, les journalistes et photographes de grands hebdomadaires et quotidiens français et étrangers, de la télévision et de la radio nationales convergent vers la Grand’Rue. Le mot d’ordre est passé : « Cette fois c’est la dernière ! » et personne ne veut manquer cet événement.

Devant une salle comble et survoltée, le public, ému jusqu’aux larmes écoute ses chansons qui s’enchaînent les unes après les autres dans un rythme affolant. Jacques Brel a atteint la maturité des grandes vedettes. Quand il chante, personne ne reste indifférent. Chacune de ses chansons décrit ses semblables avec beaucoup de tendresse, parfois avec férocité mais  toujours avec une grande lucidité.

En bas de la scène, les flashs crépitent, les photographes se bousculent et mitraillent avec deux parfois trois appareils photos. Au pied de la rampe, des dizaines de boîtes de pellicules vides jonchent le sol. Quand  Jacques Brel entame sa dernière chanson « Madeleine », le public sait que le spectacle s’achève. Malgré les rappels, les cris et les sifflets, il ne revient pas sur scène et personne ne réalise encore vraiment qu’il n’y remontera plus.

Pendant ce temps, dans les coulisses toute la grande famille du music hall est là pour l’entourer. Comme Eddie Barclay, venu spécialement de Cannes et Bruno Coquatrix qui a abandonné l’Olympia pour être présent ce soir-là à Roubaix, mais aussi Georges Olivier, Gérard Jouannest, les Delta Rythm Boys… Tous se réunissent avec les musiciens et les amis, les journalistes et les ouvreuses pour entonner en chœur et avec beaucoup d’émotion la chanson « Ce n’est qu’un au revoir ».

Francine Declercq et Laurence Mourette

Photo Nord Éclair

35 ans de cinéma

Paul Maes est né à Roubaix le 3 avril 1930. Après des études à l’Institution Notre-Dame des Victoires, il obtient une licence de Lettres à la Faculté. Il se destine alors au journalisme mais passionné par le cinéma il bifurque vers ce domaine. Il rédige des publicités cinématographiques et anime un ciné-club rue de l’Alma. En 1955, à l’âge de 25 ans, il devient l’adjoint de M. Geldhof qui vient de reprendre le Casino ainsi que le plus important circuit du Nord Pas-de-Calais avec 43 salles. Paul Maes est chargé de la programmation de ce circuit.

A cette époque la ville de Roubaix ne compte pas moins de 15 salles de cinéma : Le Colisée, le Casino, un circuit dit « de seconde exclusivité » : le Cinéma Noël rue Jouffroy, le Royal rue de l’Alma, le Radio Ciné rue du Général Sarrail, un troisième circuit dit « des loisirs familiaux » qui compte plusieurs salles sur Tourcoing et le Rex Place Chaptal, enfin à ces salles s’ajoutent dans les quartiers : l’Alcazar rue de Tourcoing, le Familia rue David d’Angers, le Roxy rue Decrême, l’Universel rue des Longues Haies, le Royal Lacroix rue Lacroix, le Tramway boulevard de Strasbourg, l’Etoile d’Or rue de l’Epeule, le Renaissance rue Pierre de Roubaix, le Fresnoy.

Toutes ces salles connurent leur heure de gloire pendant les années de guerre où le cinéma était la seule et unique distraction des Roubaisiens mais concurrencées par la télévision un certain nombre d’entre elles commencèrent à fermer dès les années soixante. Une des premières à fermer est le Radio Ciné, victime d’un incendie, cette salle avait ouvert en 1938 avec la projection de Blanche Neige et les sept nains.

En 1951, le Colisée transforme sa salle qui devient une des plus belles salles de France, elle compte 2250 places. Celle du Casino compte 1800 places Il va sans dire que le Colisée et le Casino se livrent une concurrence effrénée. En plus des films, les deux salles accueillent des tournées de music-hall, des vedettes de la chanson, des tournées théâtrales. Claude François, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Henri Salvador… se produisent sur la scène du Casino. En 1972, la salle accueille Les Compagnons de la Chanson. Pour tous ces spectacles, les places sont louées en une demi-journée. La seule vedette à ne pas se produire au Casino est Gilbert Bécaud ami personnel de M. Deconninck et qui réserve ses passages au Colisée.

Mais le fait le plus marquant sont les adieux à la scène de Jacques Brel en mai 1967 (toutes les places sont louées en une demie heure de la France entière).

Sur le plan théâtral, en 1960, André Reybaz y présente le Centre dramatique du Nord. Le Casino organise aussi des spectacles pour les personnes âgées, des arbres de Noël pour les entreprises : Caulliez Delaoutre, EDF … Enfin, une revue sur glace « Paris sur glace » est présentée, une partie des sièges étant démontés pour accueillir la piste. Mais l’activité principale reste la programmation des films.

« Dans les années soixante, raconte Paul Maes, la séance de 17 heures 30 du dimanche était complète. Il y avait des abonnés, on louait des places numérotées. L’ambiance était conviviale, les gens arrivaient une demi-heure avant et bavardaient ensemble. Avant le film, on passait les actualités cinématographiques, puis l’entracte durait vingt minutes. La séance se terminait vers 20 heures 15, les gens rentraient alors chez eux, le cinéma était une fête ». 

Pour assurer la programmation des différentes salles du circuit, Paul Maes se rend chaque semaine auprès des agences de distribution de Lille, celles ci sont au nombre de 26 en 1955. Mais elles ferment progressivement et Paul Maes est obligé alors de se rendre à Paris chaque semaine pendant 2 ou 3 jours.

En 1972, le Casino ouvre une petite salle de 250 places : « le Club » tandis que le Colisée ouvre les Colisée 1 et 2 à Roubaix 2000. Cette même année Paul Maes succède en tant que directeur à M. Geldof qui vient de décéder. M. Desrousseaux, neveu de M. Deconninck, devient son adjoint. 

En 1978 se crée un groupement d’intérêt entre le Colisée et le Casino pour lutter contre Lille. C’est l’époque des multiplex : sept petites salles sont ouvertes à la place de la grande salle. Ce complexe prend le nom de Club 7. La fréquentation reste importante jusque dans les années 1980, elle commence à fléchir en 1985 et s’effondre en 1987.  En même temps ferment les dernières salles de quartier. Tout le circuit est alors vendu à un groupe parisien. Paul Maes continue à s’occuper de cinéma sur Paris puis prend officiellement sa retraite en 1990. Le Club 7, sous le nom des Arcades, continue à fonctionner pendant quelques années puis ferme ses portes. En 1999, la Communauté urbaine rachète les bâtiments.

Désormais M. Maes est en retraite à Roubaix avec son épouse. Ses enfants ne travaillent pas dans le cinéma et ont quitté la région. Si vous le croisez au Parc de Barbieux où il se promène régulièrement, n’hésitez pas à le saluer, cela lui fera plaisir. Comme il dit :  » Moi, je ne reconnais pas les gens, ils étaient si nombreux à venir au Casino. Mais eux me reconnaissent et m’interpellent : vous ne seriez pas M. Maes l’ancien directeur du Casino ? ». 

Le Discobolos

UNE STATUE AU COEUR DE ROUBAIX

L’art contemporain s’installe à Roubaix

Subversif, c’est l’étiquette que l’on colle généralement à l’artiste belge de renommée internationale Wim Delvoye, connu entre autres pour avoir tatoué des porcs. Aussi, les interrogations étaient grandes quant à l’arrivée prochaine de l’une de ses œuvres dans le square de la Résidence Latine, à l’angle de la rue Saint Antoine et de l’avenue des Nations Unies. 

Cette initiative des habitants du quartier, représentés par leur Comité, s’est faite en collaboration avec Art Connexion, association créée il y a une quinzaine d’années dans le but de soutenir, diffuser et rendre accessible l’art contemporain au plus grand nombre et qui a servi d’intermédiaire entre artiste et commanditaire. Quant à l’étude de projet et à la réalisation de l’œuvre, la Fondation de France les a financées dans le cadre de l’action des « Nouveaux commanditaires » (un programme initié par la Fondation de France, qui permet aux citoyens de passer commande d’une œuvre à des artistes, par le biais d’un médiateur culturel). La mairie, quant à elle, était partie prenante du projet et s’y est associée en procédant au réaménagement complet du square en vue de l’installation de l’œuvre.

Déchaînant les passions et générant parfois la plus vive opposition, le projet aura mis cinq ans pour voir le jour. Inaugurée le 5 juin 2010 en présence de l’artiste, de représentants municipaux et de nombreux habitants, Discobolos a mis tout le monde d’accord, dissipant immédiatement inquiétudes et malentendus.

le discobolos, dans le petit square, rue saint Antoine © EG

Une œuvre classique ?

Le Discobolos dont s’inspire l’œuvre de Delvoye est l’une des icônes de l’art de la Grèce antique. On la doit à Myron, sculpteur athénien du Ve siècle avant J.-C, réputé pour ses représentations d’athlètes. C’est dire à quel point l’artiste a recherché, si ce n’est le consensus, du moins un symbole classique et rassembleur. Delvoye s’est approprié cet emblème de l’olympisme et l’a réinterprété pour nous en proposer la vision d’un artiste de son temps, sa vision. Chez Delvoye, l’athlète lanceur de disque, en pleine action jusqu’à s’enrouler sur lui-même dans une sorte d’anamorphose qui inspire le mouvement et l’élévation. Issu de la série des « Twisted bronze », littéralement les bronzes tordus, notre sculpture s’approprie un symbole fort mais infiniment moins sujet à polémique au regard des christs tordus sur eux-mêmes que l’artiste a récemment fait voisiner aux côtés de deux petites études pour Discobolos en début d’année au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, le MAMAC de Nice, lors de l’exposition consacrée aux « dessins et maquettes » de l’artiste belge. Il s’agissait d’évoquer, grâce au thème fédérateur du sport, la cohésion entre différentes communautés et mettre en valeur cet espace convivial au cœur d’un quartier multiculturel tout en symbolisant dialogue et partage.

Ce projet, assez inédit dans son cheminement, montre à quel point la ville de Roubaix et ses habitants sont capables du meilleur. Le Discobolos de Delvoye sera un symbole de plus de l’engagement et de l’ambition culturelle de Roubaix en même qu’une nouvelle icône pour la ville. Elle participe de fait au renouveau de son image, initié par le Musée La Piscine. A Roubaix, l’art semble faire des émules et il faut espérer que d’autres initiatives de ce genre verront le jour.

Germain HIRSELJ

Les ducasses à pierrots

Au début du XXe siècle, avec l’arrivée des interminables hivers et de leurs longues soirées, reviennent les ducasses à pierrots. C’est une vieille coutume, bien locale, que l’on retrouve à Lille et aux environs. A Roubaix, en tout cas, son origine se perd dans la nuit des temps. C’est une coutume très populaire qui sert de prétexte, dans une saison maussade où l’on ne sait que faire des ses soirées, « à de gaies réunions et à d’honnestes beuveries ».

Pour annoncer la ducasse à pierrots, le cabaretier accroche à son enseigne une branche de sapin ou de verdure quelconque à laquelle il attache une lanterne vénitienne allumée et un morceau de charcuterie… en carton qui ressemble autant à du boudin qu’à de la saucisse ! Là n’est pas l’important. Le passant sait qu’il trouvera ici le réconfort d’un accueil chaleureux, la ducasse à Pierrots.

Dans la salle de l’estaminet, une grande table d’hôte accueillante est dressée, ou bien, ce qui est plus fréquent, toutes les petites tables du débit ont été garnies de couverts. La nappe est un luxe qu’on ne rencontre pas souvent et donne un petit air de fête. Peu à peu, les amateurs arrivent et la salle se remplit de monde. Il n’est pas rare de voir, ainsi réunies trente, quarante, cinquante personnes et plus qui viennent se payer, à peu de frais, le plaisir d’un frugal repas en nombreuse et joyeuse compagnie.

Les convives, à peine installés à table, se voient apporter une portion fumante et appétissante composée invariablement de haricots mariés à une saucisse qui est l’élément indispensable des ducasses à pierrots. Le pierrot, c’est un bout de saucisse d’une dizaine de centimètres de longueur, un peu plus grosse que celle débitée à la livre chez le charcutier du coin. Elle est toujours accompagnée de haricots bien chauds et fort souvent, aussi, de pommes de terre. La portion, y compris un morceau de pain et une chope de bière coûte de 10 à 12 sous. Le menu, bien évidemment, varie selon les maisons. Accompagnant le pierrot et la saucisse, on vous servira parfois de l’andouillette, du pied de porc, du boudin, et même du lapin, mais c’est surtout la cochonnaille qui est, avec le haricot, la reine de la fête. Le tout étant fort assaisonné, on boit des chopes et encore des chopes, et c’est un appréciable bénéfice pour le cabaretier qui a organisé la ducasse à pierrots.

Chaque estaminet a son tour, ou plutôt, une série de jours où le pierrot cuit en permanence avec les haricots comme garde d’honneur. C’est le samedi, le dimanche et le lundi. Souvent même, le cabaretier annonce à ses clients que le jeudi suivant on mangera « la grosse ». Pour les remercier de leur visite, il leur offre un morceau de plus grosse saucisse. Ne voulant pas être en reste de politesse, les consommateurs se font servir des chopes, le café et le pousse-café. C’est encore et toujours l’occasion d’une nouvelle fête…

La vogue de la ducasse à pierrots est restée de longues années un divertissement simple et peu coûteux très apprécié par les Roubaisiens.

Le jeu de la bourle

La pratique du jeu de bourle est très ancienne. Déjà, le 4 août 1382, un extrait des bans échevinaux de Lille interdit la pratique du jeu de bourle sur la voie publique sous peine d’une « amende de 60 sols » ou de « castagne de verge ».

Lieux de convivialité et de socialisation, les bourloires étaient pourtant nombreuses autrefois à Roubaix, on parle d’une centaine de ces lieux où l’on se retrouvait entre bons amis. Avec l’arrivée de la télévision dans les foyers, les loisirs extérieurs ont perdu leur attrait et aujourd’hui, une seule bourloire est encore en activité. Le terme bourler signifie tituber et tomber. La bourle est une « tronche » de bois cylindrique, c’est-à-dire qu’elle est découpée dans un tronc d’arbre. Sa matière, son poids, son diamètre et sa largeur bombée peuvent avoir des normes différentes suivant les villes où elle est pratiquée. Par contre, les bourles ont toutes un côté faible et un côté fort (ou chargé). Ceci permet de modifier sa trajectoire lorsqu’elle est lancée.

Son poids peut varier de 1,5 à 8 kg. Différents bois sont utilisés pour sa fabrication comme le noyer, le gaïac, le quebracho ou l’orme suivant les régions où elle est pratiquée. De nos jours, la bourle peut être fabriquée en résine de synthèse, le canévasite qui lui assure une plus grande longévité.

La bourle se joue dans une bourloire. La piste, construite spécialement pour sa pratique, se trouve le plus souvent à l’arrière d’un café, d’un cercle associatif ou d’un patronage. Autrefois en plein air, elles sont pratiquement toutes couvertes à ce jour. La piste fait toujours plus ou moins vingt mètres de long. Elle est incurvée, c’est à dire concave sur leur largeur de trois mètres environ. La piste est bordée de deux rives. Les plus anciennes sont faites de terre avec ajout d’argile, de bouse de vache, de sable, de sel, de bière… ou recouverte d’un revêtement synthétique pour les plus récentes. La bourloire est terminée aux extrémités par un fossé appelé « tchu » ou fosse qui permet de recueillir les bourles mises hors jeu. A environ 1,5 mètre de chaque côté de la piste se trouve l’étaque, pièce métallique enfoncée au raz du sol servant pour ainsi dire de cochonnet fixe.

La bourle se pratique par équipe de deux à dix personnes selon les rencontres. Chaque équipe a un commandant de jeu, des pointeurs et des frappeurs. La technique pour l’équipe plaçant le jeu après tirage au sort est d’approcher l’étaque au plus près par les pointeux (pointeurs). Les bourles sont alors roulées délicatement. Les coéquipiers essayeront ensuite de placer d’autres bourles tout au long de la bourloire afin de constituer des hellis (des obstacles) pour leurs adversaires. Ceux-ci à leur tour essayeront de faire JO (prendre le point) en faisant louvoyer leurs bourles grâce aux rives (pentes) de la piste et du fort de la bourle afin de contourner les obstacles et de se rapprocher au plus près de l’étaque. Si cette dernière est encombrée, les butcheux (frappeurs) en force essayeront d’enlever les bourles gênantes.

Un point sera attribué à chacune des bourles de la même équipe se trouvant le plus près de cette étaque.

 

JARGON DE LA BOURLE

La bourloire : Lieu où se pratique la bourle

L’étaque : Pièce métallique enfoncée à chaque extrémité de la bourloire et servant pour ainsi dire de cochonnet fixe.

Faire jo : Marquer le point

Les hellis : Bourles servant d’obstacles pour l’adversaire

Le commandant : Personne qui dirige la stratégie de jeu de l’équipe

Les pointeux : Les pointeurs

Les hellicheux : Les joueurs mettant les hellis

Les butcheux ou tapeux : Les frappeurs

Le tchu : Fossé en bout de piste où sont recueillies les bourles mises hors jeu

Mettre le fort au mur ou fort au jour : Mettre le fort de la bourle d’un côté ou de l’autre

Jouer en rive : Utiliser les pentes de la piste

Le poussage : Force nécessaire donnée à la bourle suivant l’ordre de jeu indiqué par le Commandant.

 

Renseignements aimablement fournis par :

FEDERATION DE BOURLES DU NORD

27, rue de Strasbourg 59200 TOURCOING 03 20 26 61 59

FEDERATION DE BOURLES DE WATTRELOS

41, rue Saint Joseph 59150 Wattrelos 03 20 75 14 95.

FEDERATION DE BOURLES DE TOURCOING

27, rue de Strasbourg 59200 Tourcoing 03 20 26 61 59

Les marionnettes

Le thème d’étude de notre 31e Congrès présente au regard de Roubaix un point d’histoire intéressant : il s’agit des théâtres de marionnettes qui furent nombreux et dont la spécificité, la vie, et maintenant le renouveau, en firent un sujet qui mérite notre attention.

Il y eut des théâtres de marionnettes à Amiens et à Lille mais leur implantation à Roubaix et leur développement furent particulièrement importants. Le plus ancien connu serait celui qui était exploité dans le quartier du Moulin vers 1828 par un nommé Flamencourt, associé à Joseph Couvreur.

PIERRE-JOSEPH COUVREUR

Pierre-Joseph Couvreur, né à Hérinnes près de Tournai le 8 février 1808, était venu à Roubaix à l’âge de 9 ans. D’abord bâcleur, il passa rattacheur puis fileur. Un de ses camarades, Henri Flamencourt, un belge aussi, né à Hollain, était fileur comme lui. Pendant leurs loisirs, ils taillaient, au couteau, dans le bois, des têtes de marionnettes qu’on appelait alors « marmousets » et que leurs épouses habillaient grossièrement. Les deux vedettes de leur théâtre étaient Jacques et Cousin. Pierre-Joseph Couvreur les mettait en scène dans des pièces de sa composition : drames et vaudevilles.

La première eut lieu dans la rue du Moulin. Plus tard, le théâtre sera installé dans le Fort Bayart, rue Saint Antoine. Le Fort, à Roubaix, était un ensemble important de maisons disposées en carré ou en triangle, laissant un grand espace central. Ensuite, installation dans un grenier de la rue du Temple (maintenant rue Emile Moreau). En 1848, Couvreur sacrifie ses économies et emprunte pour fonder un vrai théâtre, rue du Fontenoy dans un hangar du Fort Wattel, derrière l’estaminet « Au Réveil du Jour ». Cet établissement sera connu sous le nom de théâtr’Roian (de roitelet, petit roi, sobriquet que Couvreur devait à sa petite taille). Avec le temps, ce spectacle va dépérir et Couvreur se consacrera au théâtre d’acteurs.

LES BELGES ET LE THEATRE DE MARIONNETTES

A partir de 1850, les théâtres de marionnettes se succédèrent sans interruption. On en a recensé plus de cinquante jusqu’en 1910, avec des fortunes diverses, dans les vieux quartiers ouvriers du Cul de Four et du Fontenoy, où habitait la plus grande partie de la population belge. C’est là qu’il faut trouver l’origine des marionnettes roubaisiennes.

L’afflux des ouvriers belges se fit à partir de 1820 à Roubaix. Les nombreuses demandes d’ouverture de ces petits théâtres, que l’on trouve aux Archives municipales, portent invariablement le nom des nouveaux immigrants wallons ou flamands. Il s’agit pour eux de compléter un salaire médiocre, ou de pouvoir subvenir à l’entretien de leur famille, étant malade ou handicapé.

Ainsi Henri Gisverdale avait été accidenté aux yeux, et se trouvait sans travail. Henri Genterdaele, ancien ouvrier menuisier, atteint d’une grave affection de la vue, était sans travail depuis 7 ans. Polydore Vandenbosche, ancien tisserand, était incapable de travailler avec une femme phtisique.

LE THEATRE DE MARIONNETTES A ROUBAIX

Nous empruntons tous les détails de la description de ce que fut le théâtre de marionnettes à Roubaix, à un manuscrit inédit de Charles Bodart-Timal intitulé « Le Théâtre Populaire à Roubaix et Tourcoing ».

Les théâtres de marionnettes avaient pour cadre soit une baraque rudimentaire au fond d’une cour ou d’une impasse, soit un grenier, mais, le plus souvent, les propriétaires utilisaient pour leurs représentations ce qu’on est convenu d’appeler chez nous « la pièce du devant ».

Les spectateurs s’y trouvaient assis sur des bancs de bois à peine équarris, disposés en gradins dans une atmosphère lourde et poussiéreuse, sans aucun confort ; la population ouvrière s’y donnait rendez-vous. On a pu recueillir quelques-uns des refrains que chantaient, lors des entractes, les spectateurs dans ces différents théâtres. C’est ainsi qu’au théâtre Desmettre où un portier faisait la police, on disait à son adresse :

Et au théâtre Desmettre

J’ai un nouveau porti

Avec que s’longu’badjette

Y vous tue à monti.

Au théâtre Lecocq, rue des Longues Haies, appelé encore « le Théâtre des enfants du Nord », on chantait, sans doute en raison de ce qu’on y vendait :

Tchi qui veut des moules                                  

Et des marmoulettes ?                          

Des penn’terre à l’p’lure

Et des saurets sans tête.

Traduction :

Qu’est-ce qui veut des moules ?

(des grosses de Hollande)

Et des petites moules

(celles de Wimereux)

Des pommes-de-terre à la pelure

Et des harengs sans tête.

Au théâtre Louis, comme partout ailleurs, on répétait en chœur avant la bamboche (petite pièce comique jouée avec des personnages d’expression patoisante), qui devait clôturer la séance, sur l’air du Clair de la Lune :

Acore in boboche

Et in s’in ira

Mets tes sous dins t’poche

Et in arven’ra !

Ces théâtres de marionnettes disparurent un à un à partir de 1900 ; l’avant-dernier, le théâtre Eugène Mahieu, rue Ma Campagne, ferma ses portes en 1910. Un seul résista à la débâcle, le théâtre Louis qui, malgré une certaine désaffection due à l’apparition du cinéma, put encore donner des séances régulières jusqu’au mois de mai 1940.

Le combat de coqs de Cogghe

Si le nom de Cogghe demeure dans la mémoire septentrionale, c’est en grande partie grâce à son tableau le célèbre «  Combat de coqs en Flandre française  » (1) aujourd’hui conservé au Musée d’art et d’industrie  » La Piscine  » André Diligent.

La saison des combats qui va du premier dimanche de septembre au mardi de la Pentecôte est importante pour Roubaix qui ne compte pas moins de 50 sociétés de coqueleux et une trentaine de parcs à la date de réalisation de ce tableau 1889. « Le coq gaulois », qui ne paraît que pendant cette période, renseigne parieurs et amateurs des horaires et lieux de combats.

Les travaux préparatoires, élaborés pour cette œuvre importante dans une taille restreinte, permettent une mise en place rigoureuse de la composition. Les croquis pris sur le vif à l’habitude de l’artiste, indiquent que dans ce cas le décor a été scrupuleusement respecté, mais qu’il n’en va pas de même pour les personnes représentées. Cogghe fréquentait le  » gallodrome  » de la rue du Vieil Abreuvoir où il louait un atelier. Est-ce le théâtre de cet affrontement des valeureux volatiles ?

 

 

Qui assiste à ce combat ?

Par l’intermédiaire d’une scène anecdotique, Rémy Cogghe va nous brosser les portraits des diverses personnalités roubaisiennes de son entourage. Ce que nous décrit Rémy Cogghe est inspiré de ses amitiés et de ses loisirs.

Un article du Journal de Roubaix de 1909 nous révèle quelques noms de ceux qui assistent à ce combat singulier en un temps où la place tenue par l’argent permettait encore ce mélange du prolétariat et de la bourgeoisie autour des mêmes loisirs… « d’autres figures bien connues des Roubaisiens de l’époque se trouvent sur cette toile : Messieurs Bertin, Georges, Mille, Jules Broux, Emile Vandepeut, Emile Verfaille, Achille Florin. « 

Henri Florin que l’on trouve au premier plan debout, attentif au déroulement du combat, avait son atelier de graveur-lithographe dans cette même rue. Son frère Achille, délégué cantonal de l’instruction primaire, ancien adjoint au maire de Croix, Henri Pluquet, voisin du peintre professeur aux écoles académiques de Roubaix (2). Emile Bouzin assiste aussi un peu plus haut à la bataille acharnée qui se livre plus bas. De part et d’autre d’Henri Florin, Monsieur Seÿs et Monsieur Senelar, que beaucoup confondent avec Victor Hugo. Moïse Farvaque à l’extrême droite, propriétaire du Café des Arcades (qui abritait un gallodrome sous ses combles et dont Cogghe était un assidu), est le voisin de l’ami fidèle de Rémy Cogghe : Abel Letombe, l’homme au chapeau haut de forme, penché en avant.

Notez la variété des couvre-chefs que Cogghe – qui portait bien souvent le chapeau melon – a représentés. Ainsi Paul Crombé (frère cadet de Jules, le fournisseur des artistes déjà installé rue Nain) nous interpelle avec ce canotier qu’il arbore au deuxième rang à la gauche du tableau.

La première société officielle de coqueleux, agréée par la Préfecture en 1859, a son siège rue du Grand Chemin, au Pré catelan, chez M. Delaplace. Alphonse Vaissier (3) fait partie des membres de cette société dès sa création. C’est lui qui rédigera et fera imprimer les règles des combats. A ce titre, sa place dans le tableau n’est que justice. On le reconnaît avec son haut de forme sur la diagonale du tableau qui, passant au milieu des deux coqs furieux, le place juste derrière Henri Florin.

Il ne faut pas oublier que les combats donnent lieu à des paris, ce que Cogghe n’omet pas de nous montrer au plein centre de la foule par cette main anonyme qui se tend vers le haut.

A droite au-dessus de M. Farvaque, Messieurs Vandepeut, Duforest, Verfaillie.

Le coin supérieur gauche du tableau rassemble quelques membres de la famille Letombe : au centre, Celer, le père, professeur de Rémy Cogghe aux écoles académiques de Roubaix. A son côté, Léon, son second fils, appuyé à une poutre ; c’est le demi-frère d’Abel Leblanc. Et de l’autre côté le beau-frère de Celer, M. Mille-Florin. (Monsieur Letombe ayant épousé une Florin, sœur de Madame Mille. Sont-elles sœurs des frères Achille et Henri Florin ?)

Au-delà de l’attention au réel, de la précision des détails, du goût des matières qui retiennent l’œil et traduisent le savoir-faire de l’artiste, l’œuvre de Cogghe montre le caractère sociable et bon du Roubaisien. Les qualités traditionnelles qui ont permis de créer la puissance industrielle de Roubaix, ardeur, énergie, tradition se retrouvent en filigrane dans ces multiples portraits.

Par cette description objective de la société dans laquelle il vivait, Rémy Cogghe essaie de donner l’image la plus précise possible de celle-ci et nous présente le monde dans sa réalité. L’œuvre reste la pièce maîtresse de Cogghe et fera référence pour les critiques artistiques du XIXe, faisant couler beaucoup d’encre lors de son exposition au Salon de Paris. Aujourd’hui encore les journalistes s’y réfèrent lorsqu’ils parlent du peintre.

Dominique VALLIN-PITEUX

administratrice de la Société d’Émulation de Roubaix

 

(1) Legs Selosse

(2) Qui deviendront par la suite ENSAIT

(3) Vaissier frères,  » le savon du Congo « 

Le théâtre Louis Richard

Retracer l’histoire du théâtre Louis, c’est retracer l’histoire de tous ces petits théâtres, en signalant que le théâtre Louis Richard étant un modèle du genre, ne pouvait, en aucune façon, être assimilé aux autres en raison de la valeur artistique de ses pantins de bois incomparables, de son installation rationnelle, de l’esprit qui l’animait, de la qualité de son répertoire toujours renouvelé et de la dextérité de ses manipulateurs.

 Le fondateur du théâtre Louis était Louis Richard. Né à Bruges en 1850, dès son plus jeune âge, il amusait ses compagnons en habillant de « chiquées de dentelle » (sa mère était dentellière) des petites cuillères ou des fourchettes qu’il manœuvrait à la façon de marionnettes. C’était un artiste né.

Fixé à Roubaix en 1863, à l’âge de 13 ans, il fit son apprentissage de tourneur sur métaux et, désireux de s’instruire, apprit à lire et à écrire après son travail. Fréquentant les théâtres de marionnettes de l’époque il eut l’ambition d’en diriger un à son tour et, à 19 ans, en 1869, utilisant des pantins qu’il avait lui-même fabriqués, il fonda un théâtre dans le grenier d’une de ses tantes, rue des Longues Haies. Il obtint à cet effet l’autorisation impériale portant le sceau de Napoléon III.

 Le succès aidant, il s’installe Grand-rue, dans un autre grenier d’un marchand de légumes au Galon d’Eau. Il revient en 1875 chez sa tante déménage ensuite pour aller rue de Croix et, enfin le résultat de ces divers essais répondant à ses espérances, il s’installe définitivement en 1884 dans une maison qu’il a fait bâtir au 43, rue Pierre de Roubaix où la salle de spectacles, construite spécialement, peut recevoir 400 spectateurs.

 Louis Richard qui possédait les plus belles marionnettes des environs et sans doute de France, les avait sculptées, peintes et habillées lui-même, reconstituant leurs accoutrements avec une scrupuleuse exactitude et un luxe de détails inouïs. Jamais satisfait cependant, tout au long de sa carrière, il ne cessera de les perfectionner. Au début par exemple, les cheveux de ses pantins étaient d’étoupe et les yeux étaient peints. Par la suite, il leur donnera une véritable chevelure et des yeux de verre.

 Son fils Léopold a raconté que, dans les premiers temps, son père avait travaillé les têtes de ses poupées dans du bois d’orme, qui, à cause de sa dureté ne permettait d’exprimer que des figures assez rudimentaires, utilisant par la suite un bois beaucoup plus tendre, le tilleul, avec un art consommé et une technique plus approfondie, il put enfin donner cette expression de vie extraordinaire qu’on leur voit encore aujourd’hui.

 Louis Richard était un artiste et donc un sentimental et il n’est pas sans intérêt d’apprendre que, lorsqu’il eut enfin réalisé de façon parfaite ses nouvelles marionnettes, il se sépara de ses premières, mais d’une manière qui prouve bien qu’il ne les considérait pas comme des jouets quelconques, bons à jeter à la poubelle après usage.

 Il eut une pensée que seul un poète pouvait concevoir : il creusa une tombe sous son théâtre même et il enterra pieusement et sans doute avec tristesse toutes les marionnettes rudimentaires de ses débuts. Son fils devait les exhumer trente ans plus tard avec non moins de piété.

Louis Richard qui, entre temps jusqu’en 1896, pratiqua un autre métier aujourd’hui disparu, celui de cordier pour archers, est l’inventeur de la marionnette aux jambes articulées de l’intérieur. En effet, par un système ingénieux de ficelles qui passent à travers le corps des marionnettes, il pouvait, en les manipulant, donner à ses personnages une apparence de marche réelle avec un certain déhanchement très naturel et qu’on ne trouve pas chez les autres marionnettes.

 Un américain, Réginald Sibbald a fait en 1936 une thèse sur « les marionnettes dans le Nord de la France ». Il avait été frappé de cette particularité qu’il n’avait pas encore rencontré et il exprimait ainsi son avis : « La plupart des autres marionnettes, qu’elles soient de Lille d’Amiens ou d’ailleurs, quand elles marchent, doivent s’incliner légèrement en arrière afin que les ficelles qui sont fixées extérieurement aux jambes ne puissent pas frapper le corps ou se mêler aux vêtements et, comme les ficelles sont habituellement attachées aux jointures des genoux, la poupée marche en levant les genoux, tandis que la partie inférieure de la jambe se balance simplement. Louis Richard est, à ma connaissance, le seul fabricant de marionnette qui a trouvé le moyen de surmonter cette difficulté au moyen d’une méthode secrète. Il passait ses ficelles à travers la tête dans l’intérieur même des jambes. Le résultat est remarquable. Comme les ficelles des jambes sont attachées à un simple balancier au bout de la tige du support, l’opérateur peut faire marcher, rien qu’au moyen d’un léger mouvement de poignet, en le tenant dans la position debout. Avec ce système, la marionnette peut faire de grandes enjambées ou marcher à petits pas. Les marionnettes de Richard, écrivait encore cet américain, sont les seules en Europe et sans doute dans le monde à avoir adopté ce dispositif inconnu totalement ailleurs ».

 Ajoutons que l’amélioration ainsi apportée permettait à Richard de donner sur scène de grandes batailles épiques avec de nombreux personnages sans risque de les emmêler. Les marionnettistes lillois qui n’utilisaient pas ce procédé, étaient toujours dans l’obligation de réaliser de grands combats dans la coulisse, hors de la vue des spectateurs.

 C’est dans les années 1900-1910 que le théâtre Louis connut une popularité extraordinaire. Il y avait parfois 400 à 500 spectateurs par séance. Le prix était modique : 5 sous le dimanche, 3 sous le lundi, 1 sou le jeudi.

 Il était tellement apprécié que Louis Richard, certaines années, en était arrivé à gagner près de 4 000 francs par an (francs or). Sa femme qui fut longtemps sa plus fidèle collaboratrice, interviewée en 1938, raconta qu’à certaines séances durant les entractes, elle avait vendu jusqu’à 18 paquets de 18 gaufres, dix douzaines de gâteaux, du coco à 1 sou le gobelet et 100 kilos de pommes-frites.

 De ses cinq enfants, Louis Richard fit cinq montreurs de marionnettes mais, malheureusement, deux de ses fils furent tués à la guerre 1914-1918. Le théâtre Louis a toujours été le fruit d’une exploitation familiale, Louis Richard eut pour aides en 1893 Alfred Decottignies, son neveu puis Alfred Doutreligne qui imitait les oiseaux et sifflait à ravir ; en 1899, son fils Jules devint le principal manipulateur jusqu’en 1908 ; peu après, ce fut son second fils Maurice qui fit partie de la troupe. Enfin, en 1903, Léon, son troisième fils, prit la direction, gardant dans son esprit et dans son cœur l’idéal légué par son père.

 C’est Léopold Richard qui confiait en 1938 à un journaliste roubaisien comment il concevait son rôle de montreur de marionnettes : « Vivre pour un idéal, disait-il, qui le rapproche du peuple, peuple lui-même le marionnettiste possède ses coutumes, lui parle sa langue et se fait comprendre de lui, bien plus sûrement que les discours les mieux conçus de nos grands orateurs qui ne sont accessibles qu’à ceux qui le comprennent ».

 On ne peut mieux dire, ajoutait le journaliste et Léopold, fils de Louis, est resté dans la stricte tradition des montreurs de marionnettes ; il n’a jamais forcé son talent et il ne peut être de plus fidèle serviteur du théâtre populaire.

 Excepté entre 1914 et 1918, le théâtre Louis n’a jamais cessé de fonctionner. Des représentations furent données tous les dimanches, lundis et jeudis après-midi et aussi le jeudi soir ; le public du jeudi après-midi était composé d’enfants et les adultes assistaient nombreux aux autres séances qui leur étaient consacrées.

 Le fondateur Louis Richard a imaginé ses types de personnages de toutes pièces qui ne doivent absolument rien à Polichinelle de Paris, au Guignol de Lyon, au Lafleur d’Amiens ou au Jacques de Lille. A l’origine, le héros typique dans son théâtre, toujours chargé du rôle principal dans les drames s’appelait le Brave et son jeune acolyte « le petit brave ». Un autre héros s’appelait l’Hercule. Le comique avait nom : « Barpe-à-Poux », mais depuis de nombreuses années, il n’est plus guère connu que sous le nom de « Bibi-Lolo ». ».

 Ce Bibi-Lolo est un personnage humoristique qu’on ne peut comparer avec les autres types comiques traditionnels : Polichinelle est presque toujours commun, vulgaire, quelquefois même obscène. La fleur d’Amiens et Jacques de Lille sont des types de valets qui très souvent, tombent dans la grossièreté. Rien de tel chez Bibi-Lolo ; c’est un humoriste plaisant, raffiné même dans ses plaisanteries ; ce n’est pas le domestique habitué des Comédies de Lille ou d’Amiens. Il remplit tous les rôles et sait se contenter d’un rôle secondaire. Il est l’annonceur officiel de la troupe et son apparition sur scène apporte toujours une diversion qui, pour être assez burlesque, n’en est pas moins toujours décente et de bon aloi.

 Dans les bamboches, ces comédies patoisantes en un acte qui habituellement, terminent toujours le spectacle, le héros principal est toujours le Petit Morveux, marionnette d’une taille plus petite, à l’esprit vif, à la répartie mordante et qui ne s’exprime qu’en patois. Le public enfantin se reconnaît complètement en lui ; il est, en effet, le modèle du titi, du gavroche roubaisien.

 

Le fondateur du théâtre Louis avait créé de ses mains plus de quatre cents marionnettes ; il était devenu tellement habile qu’une journée de travail lui suffisait pour sculpter une tête au moyen de gouges et de couteaux. La figure d’un habitant du quartier lui avait-elle paru pittoresque, il la reproduisait fidèlement de mémoire, en l’accentuant quelque peu pour raisons d’optique théâtrale.

 Les rideaux, les 52 décors, les intérieurs, les extérieurs sont son œuvre, les salons, les palais, les prisons, les paysages, les scènes de pleine mer ainsi que tous les accessoires, et ils sont nombreux, ont été créés par Louis Richard. Tous les petits meubles à la taille des interprètes : fauteuils, chaises, tables canapés, trônes… ont été confectionnés par lui. Les trois cents costumes ont été dessinés par lui et confectionnés avec l’aide de sa femme, habile couturière dans un souci d’exactitude historique qui confond l’imagination. De ses mains sont sortis des squelettes effrayants de vérité, jusqu’aux animaux qui ont été ressuscités sous ses doigts d’artiste : chevaux, chiens, chats, lions, tigres, tout s’y trouve et Louis Richard grâce à son équipement remarquable, était capable de représenter n’importe quelle pièce, même exigeant une figuration spéciale.

 Ainsi, par exemple au bûcher de Jeanne d’Arc, on voyait un homme d’armes mettre réellement le feu avec une torche et le rideau tombait quand le bûcher commençait à flamber. Lors d’une bataille, on peut voir un cavalier dont la tête était emportée par un boulet, tandis que le cheval continuait sa course. Le théâtre Louis était arrivé à reconstituer un combat naval et les spectateurs avaient la nette impression d’apercevoir un navire sombrer dans les flots.

 Dans les batailles rangées, il n’était pas rare de voir s’amonceler sur scène plus de cent cadavres de marionnettes et du dernier carré de Waterloo, par exemple, on a conservé le souvenir d’une scène épique où les morts tombaient drus dans un enchevêtrement de caissons, de canons et de violence d’expression qui nous surprendrait aujourd’hui.

 Quand on jouait Jeanne d’Arc et qu’on chantait sur scène :

« Guerre aux tyrans !

Jamais, jamais en France

Jamais l’anglais ne régnera. »

toute l’assistance debout appuyait cette affirmation de 400 « non ! non ! » retentissants de quoi faire crouler tout l’établissement.

 Contrairement aux autres théâtres où les spectateurs ne se gênaient pas pour créer un certain tumulte et jeter des fruits à la face des marionnettes, le théâtre Louis avait su discipliner ses auditeurs et les séances avaient toujours lieu dans un calme relatif.

 

Une fois par an cependant, le lundi des Parjurés (c’est le lundi qui suit l’Epiphanie. Ce nom vient du manque de foi attribué aux rois mages qui ne rapportèrent pas au roi Hérode, comme ils s’y étaient engagés, des nouvelles de l’Enfant-Jésus). Louis Richard donnait une farce en trois actes intitulée « La perruque de la fermière » et les habitués savaient qu’à cette occasion, ils pouvaient se munir de projectiles et qu’ils seraient autorisés à les jeter sur la scène, à un certain moment. Ce moment était impatiemment attendu et quand la fermière intimait à son garde, Jacques, de faire son travail et d’arrêter quelques petits maraudeurs, Jacques se tournait vers la salle et criait : « Allez feu ! Cha y est ch’ed l’bombardement ! » A ce signal tous les spectateurs inondaient la scène de noix, d’oranges, de carottes, de navets, de pommes de terre tandis que le Petit Morveux surgissait sur scène pour enlever la perruque de la fermière, montrant son crâne à nu, sous les applaudissements frénétiques de toute l’assistance.

 Le répertoire du théâtre Louis fut très important. Environ 500 pièces ont été composées par Louis Richard et ses successeurs, pièces qui parfois comptent 40 actes et certaines mêmes comme « Les mystères de Venise » 120. Il faut ajouter plus de 200 « boboches » écrits dans le plus pur patois roubaisien.

 Mais la grande vogue des théâtres de marionnettes est morte depuis une génération, pratiquement depuis l’avènement du café-concert et du cinéma parlant qui a coupé les ficelles des marionnettes et comme disait Léopold Richard avec émotion : « L’rideau ya tché comme in’brique ».

 Heureusement la tradition a été reprise. Une association pour le renouveau de la marionnette à tringle existe à Roubaix. Les représentations sont nombreuses. La vitalité en est très grande. Nous conclurons en rappelant cette phrase de Paul Claudel : « La marionnette n’est pas un acteur, c’est une parole qui agit ».

Communication présentée par Monsieur Jacques PROUVOST, Président de la Société d’Emulation de Roubaix au Congrès de la Fédération des Sociétés Savantes du Nord de la France en 1990