Waldeck-Rousseau à Roubaix (mai 1898)

Au moment où il arrive à Roubaix en mai 1898, Pierre Marie Waldeck-Rousseau n’a pas encore atteint le sommet de sa carrière politique, mais il a déjà une certaine expérience de la vie politique. Né à Nantes en 1846, ce juriste et avocat d’affaires a été député de 1879 à 1889 dans les rangs des républicains opportunistes. Ministre de l’Intérieur sous Gambetta (1882) puis sous Jules Ferry (1883-1886), il a vu son nom attaché à la loi sur les syndicats professionnels (1884). Revenu pour un temps à ses activités d’avocat, il sera le défenseur de Gustave Eiffel dans le procès du scandale de Panama. Son retour en politique fait de lui le sénateur de la Loire, à partir de 1894, et il soutient le cabinet Méline, ce qui fait de lui un républicain centriste, sinon de droite. Son parcours politique jusqu’alors est représentatif de l’évolution des partis républicains face à la montée du radicalisme et du collectivisme.

C’est comme tel qu’il est invité par l’Union Sociale et Patriotique, à l’occasion d’une grande réunion républicaine à l’Hippodrome, qui doit être le point d’orgue de la campagne d’Eugène Motte.

Une foule intense se presse aux trois entrées de l’Hippodrome, et il y a tellement de monde qu’on doit refuser l’entrée à certains électeurs cependant munis de cartes d’invitation. Malgré le contrôle sérieux, parmi les 7000 participants qui ont rempli la salle, quelques perturbateurs ont pris place, qui se signaleront de temps à autre, avant d’être expulsés. On chante l’Internationale et la Marseillaise, simultanément, ce qui donne une idée de l’état d’esprit qui règne pendant cette campagne. Des ampoules d’acide sulfhydrique (boules puantes ?) sont lancées à l’intention de la table de presse, et sur la tribune, où l’une d’elles s’écrasera sur la serviette de M Waldeck-Rousseau, obligeamment apportée par son secrétaire. Une odeur nauséabonde se répand dans la salle. Les sections de l’union sociale et patriotique de Roubaix, Wattrelos, Croix et Wasquehal sont représentées et on remarque la présence du candidat tourquennois Albert Masurel.

Vers 20 h 45, Eugène Motte et Waldeck-Rousseau font leur entrée sur la scène où est dressée la tribune. L’industriel roubaisien prend la parole et doit faire face à l’obstruction systématique de perturbateurs parmi lesquels quelques uns le détrompent : « nous ne sommes pas collectivistes, nous sommes anarchistes… »

Manifestement en fin de campagne, Eugène Motte ne développe plus de programme : « je n’ai pas besoin de faire une profession de foi républicaine, vous me connaissez… », il fait appel à la tradition paternelle, mentionne la loyauté des membres de l’Union Sociale et Patriotique, affirme son respect pour les idées religieuses…

Il fait ensuite l’éloge de M Méline que soutient Waldeck-Rousseau, en se démarquant de lui sur la question du libre échange. Eugène Motte est un homme politique, mais il n’en est pas moins un grand industriel du textile. Il termine en se déclarant fidèle à la politique intérieure du cabinet Méline, du côté des anti-dreyfusards, et en réaffirmant son patriotisme.

Sa conclusion est-elle une introduction brillante à l’exposé de Waldeck-Rousseau ou résume-t-elle son propre engagement ? «  il faut à notre pays des hommes qui savent se consacrer entièrement à son service et non des sectaires qui fomentent la guerre civile et la haine ».

Le Sénateur de la Loire commence alors son discours, qui porte sur son cheval de bataille : la loi sur les syndicats professionnels. Il rappelle d’abord les oppositions à cette loi : ses premiers adversaires estimaient que le travail est une force immense tumultueuse, inhabile à se donner des lois et à les respecter, et qu’il fallait la maintenir dans une impuissance relative. La peur de la grève est citée, perçue comme l’unique but de l’association ouvrière par les tenants de cette opposition.

Une fois la loi votée, d’autres adversaires plus politiciens s’acharnèrent selon lui à dénoncer son succès, puis à privilégier les syndicats rebelles…Il vise le mouvement collectiviste et ses orateurs qu’il taxe de parasites du travail, professionnels de la déclamation révolutionnaire.

Après une longue démonstration économique sur l’intérêt des associations ouvrières, notamment dans le monde agricole, il évoque leurs activités : caisses d’assurance en cas d’accident, secours mutuels, coopératives de consommation et de production, bibliothèques, caisse de retraite, bureaux de placement, cours d’instruction professionnelle…, écorchant au passage les expériences collectivistes comme celle de la verrerie de Jean Jaurès à Albi.

Puis il attire l’attention de l’auditoire sur trois faits marquants de l’évolution du mouvement économique : tout d’abord, la nécessité de produire à bon marché a développé l’importance des entreprises et la fortune d’un seul ne suffit plus à les soutenir (paradoxal devant l’une des plus grosses fortunes de France !). Il en appelle à l’épargne individuelle. Ensuite, il mentionne l’abaissement progressif du taux d’intérêt de l’argent, pour terminer en toute logique économique, sur la puissance d’épargne du travail. En gros, il souhaite intégrer le syndicalisme à la logique capitaliste pour réaliser l’harmonie des forces sociales.

« Ce n’est pas du socialisme, c’est du progrès social »

Et de conclure en associant Eugène Motte comme champion de ce programme, dans lequel il voit le triomphe prochain de la raison, du progrès et de la liberté.

Une longue ovation suit ces derniers propos et M. Pécher, vice président de l’Union sociale et Patriotique fait approuver par acclamations l’ordre du jour qui récapitule les propos qui viennent d’être tenus et les consignes pour le vote du 8 mai prochain. Les participants entonnent la Marseillaise, il est dix heures et demie, la séance est levée.

La sortie s’effectue sans heurts, bien que quelques centaines de patriotes croisent d’autres centaines de socialistes qui avaient assisté à la réunion du Théâtre Deschamps rue Archimède, où Jules Guesde, Emile Moreau et Henri Carrette ont tour à tour pris la parole.

Soutenu théoriquement et politiquement par Waldeck-Rousseau, Eugène Motte, qui devait remporter ces élections, dut un rien frémir, quand son intervenant d’un soir devint Président du Conseil le 22 juin 1899, à la tête d’un gouvernement de défense et d’union républicaine, et que ses décisions entraînèrent rien moins que la révision du procès Dreyfus et la fin de l’agitation nationaliste. De plus, si son intention était de surveiller les congrégations et d’enlever l’enseignement aux jésuites, c’est bien Waldeck-Rousseau qui favorisera l’adoption de la loi sur les associations de 1901. Anti-waldeckiste à cette époque, Eugène Motte devra trouver d’autres soutiens pour les élections de 1902.

Philippe Waret

Jacques Brel au Casino

Par Francine Declercq et Laurence Mourette. Photos tirées d’un article de Nord Eclair.

Jacques Brel fait ses adieux à la scène au casino de Roubaix

Le 16 mai 1967, c’est l’effervescence à Roubaix. Jacques Brel, un des chanteurs les plus marquants des années 1960, y donne son dernier concert public. Lassé par des tournées interminables et par la solitude des hôtels anonymes, épuisé à force de donner toujours le meilleur de lui-même lors de ses concerts, Jacques Brel a déclaré lors de son dernier spectacle à l’Olympia de Paris « qu’il ne veut pas baisser » et qu’il arrête définitivement la scène.

Et c’est précisément à Roubaix que Georges Olivier, le directeur de sa tournée, décide qu’il y donnera son dernier concert. Dès l’ouverture des caisses de location du Casino et en quelques heures, les 2.000 places que contient l’immense salle sont vendues. Les fans viennent de toute la France, aussi bien d’Aix en Provence, de Belgique et que de Londres en Angleterre pour ovationner une dernière fois ce talentueux chanteur.

Quelques heures avant le spectacle, les journalistes et photographes de grands hebdomadaires et quotidiens français et étrangers, de la télévision et de la radio nationales convergent vers la Grand’Rue. Le mot d’ordre est passé : « Cette fois c’est la dernière ! » et personne ne veut manquer cet événement.

Devant une salle comble et survoltée, le public, ému jusqu’aux larmes écoute ses chansons qui s’enchainent les unes après les autres dans un rythme affolant. Jacques Brel a atteint la maturité des grandes vedettes. Quand il chante, personne ne reste indifférent. Chacune de ses chansons décrit ses semblables avec beaucoup de tendresse, parfois avec férocité mais  toujours avec une grande lucidité.

En bas de la scène, les flashs crépitent, les photographes se bousculent et mitraillent avec deux parfois trois appareils photos. Au pied de la rampe, des dizaines de boîtes de pellicules vides jonchent le sol.

Quand  Jacques Brel entame sa dernière chanson « Madeleine », le public sait que le spectacle s’achève. Malgré les rappels, les cris et les sifflets, il ne revient pas sur scène et personne ne réalise encore vraiment qu’il n’y remontera plus.

Pendant ce temps, dans les coulisses toute la grande famille du music hall est là pour l’entourer. Comme Eddie Barclay, venu spécialement de Cannes et Bruno Coquatrix qui a abandonné l’Olympia pour être présent ce soir-là à Roubaix, mais aussi Georges Olivier, Gérard Jouannest, les Delta Rythm Boys… Tous se réunissent avec les musiciens et les amis, les journalistes et les ouvreuses pour entonner en chœur et avec beaucoup d’émotion la chanson « Ce n’est qu’un au revoir ».

Les fondateurs de la grande industrie

(NB : D’après les travaux de recherche de Georges Teneul, Président de la Société d’Emulation de Roubaix, Histoire économique de Roubaix – Réflexions sur notre temps, 1962)

DYNAMISME ET EQUILIBRE

La liberté commerciale absolue, reconnue intangible, ouvrait la voie aux individualités fortes bien décidées à utiliser toutes les chances qui leur étaient offertes par la législation nouvelle. Ne s’attardant pas à observer les faits, les fondateurs de la Grande Industrie, hommes d’action avant tout, s’engageront avec ardeur dans le système économique libéral dont ils feront le succès. En examinant la liste des Egards et des Maîtres drapiers de l’Ancien Régime, on relève peu de leurs héritiers parmi les notabilités industrielles du XIXe siècle. Rarement, en effet, la conjoncture a été plus favorable aux empiristes dégagés des souvenirs anciens ; ils forcent le destin, alors que les attardés, timides, supputent leur chance et la laissent passer.

Les figures marquantes du XIXe siècle industriel à Roubaix seront celles de chefs de file, bâtissant leurs entreprises au jour le jour, prêts à saisir toutes les occasions heureuses. A la manière des découvreurs de terres inconnues, ces pionniers adoptent la machine à vapeur, les métiers mécaniques à filer et à tisser, entreprennent des voyages de prospection et appliquent dans leurs usines les moyens de production nouveaux. C’est l’époque où les héros de Balzac jonglent avec les lettres de change que l’extension du crédit fait circuler à travers les grandes villes de commerce. Et Daumier nous livre avec Robert Macaire, flanqué de Bertrand, la caricature de ce monde d’affaires.

Mais à Roubaix, les chances de la fortune sont exploitées avec plus de modération et de sagesse et souvent avec mesure. Les créateurs de la Grande Industrie, possédaient non seulement du talent, mais cette sorte de génie divinatoire, apanage des hommes neufs aux muscles solides et à la tête froide.

 

L’APPORT DES RURAUX

Autour du cœur de la cité, la campagne toute proche a fourni à la Manufacture les bras courageux et les cerveaux clairs dont elle avait besoin. La promotion nouvelle avait préparé son ascension dans le calme du sillon et la patience d’un labeur séculaire tenace et fécond. Ainsi, les cadets de l’Ancienne France retournaient à la charrue et, après ce contact avec la terre tutélaire, leurs ascendants réapparaissaient au premier plan. La création de la Grande Industrie fut une œuvre de force et de santé. La relève, fournie avant tout par le monde rural, possédait une confiance à toute épreuve

L’historique des censes de Roubaix est évocateur à cet égard. Les Spriet, Mulliez, Lecomte, Leuridan, Pollet, Dubar-Delespaul, Lefebvre, Prouvost, sont tous descendants de cultivateurs. Les ruraux, autant que les ouvriers de qualité ont fondé la grande industrie. Certaines usines importantes ont été construites au cours du XIXe siècle, sur l’emplacement ou à proximité des terres que cultivait, la veille encore, l’ancêtre immédiat ou le nouveau manufacturier. « Si nous nous penchons sur l’origine de la plupart des hommes qui, de nos jours, se sont distingués, nous découvrons derrière eux, une longue ascension et une longue patience. » Ainsi s’exprimait, très justement, Jacques Bainville, dans son discours de réception à l’Académie Française. La claire vision des nécessités de l’heure animait la race des bâtisseurs de nos usines. Les cheminées que, successivement, ils élèveront dans le ciel de la cité, constitueront autant d’actes de foi dans la pérennité de leurs fondations. Ces hommes ne connaissaient pas la crainte des lendemains. Dans ces heures de plénitudes, une race est forte, elle ne cherche pas à maintenir, mais à créer et à poursuivre, en la développant, la tâche entreprise. Qui ne vise qu’à durer, porte déjà dans ses flancs, les traces de la destruction. Par là, la vie opère des coupes sombres ; elle porta des coups mortels aux entreprises de l’Ancien Régime et la sélection continue.

DE QUELQUES-UNS D’ENTRE EUX

Alexandre Decrême (1) qui, en précurseur, entreprit après 1789 la fabrication des tissus de coton, était fils d’ouvrier et la génération suivante, ses descendants, s’allieront aux familles les plus notables. En 1819, un modeste artisan fonda la firme Hannart Frères, l’une des maisons d’apprêts des étoffes qui comptait à la fin du XIXe siècle parmi les plus importantes du monde entier. Emile Roussel débuta à 14 ans dans l’industrie. En 1865, il aida sa mère à créer une petite teinture et fonda une firme de grande renommée. La firme Wibaux-Florin, qui connut son apogée au XIXe siècle, fut fondée en 1810 par un cultivateur aisé. Né le 16 février 1787, à la ferme de la Mousserie, Hippolyte-Joseph Wibaux épousa Félicité Florin, fille de Pierre-Constantin Florin, premier maire de Roubaix et sa descendance figure parmi les dynasties industrielles du XIXe siècle. Cette firme se spécialise dans les tissus de chaîne coton et de trame de laine peignée et son effacement par la suite doit être attribué à un changement de mode. Ce sont les créations nouvelles qui poussent au zénith les maisons modestes ; mais ce sont elles aussi qui, plus tard, les écartent du succès.

La famille Prouvost est originaire de Wasquehal. Elle occupait une situation rurale de premier plan avant la Révolution. Le Chanoine C. Lecigne écrivit une biographie du poète Amédée Prouvost, dans laquelle il peint en traits brillants, le grand-père de l’écrivain. « Il aimait voyager. Un beau jour, il monta à cheval, il parcourut la France, s’extasiant devant les paysages, s’arrêtant à la porte des usines, mêlant dans ses carnets des impressions d’artistes et des notes d’affaires, exemplaire inédit du Roubaisien à la fois aventureux et positif… Il crée le peignage mécanique de la laine, il lutte dix ans contre les préjugés populaires, les obstinations intéressées et la concurrence étrangère. A force de raison, de calme bon sens, d’efforts continus, il développe l’industrie nouvelle, groupe deux mille ouvriers autour d’elle et dote Roubaix du plus grand établissement de peignage de France. C’est un grand citoyen en même temps qu’un grand industriel. » (2)

Louis-Joseph Brédart épousa en 1754, Anne-Marie Lepers, issue d’une famille rurale très considérée dès le XVIe siècle. De ce mariage naquit, entre autres enfants, Louis-Antoine-Joseph, lequel continua la descendance. L’un de ses enfants, une fille, Pauline, épousa Jean-Baptiste Motte, d’une famille urbaine de Tourcoing, et dont la profession de marchand laisse supposer une profession de négociant en laines. La postérité de la famille Motte-Brédart prend un rôle de premier plan dans la création de la grande industrie de Roubaix. L’aîné Louis Motte-Bossut fonde la filature de coton la plus considérable pour l’époque et fait preuve, au cours de sa carrière industrielle, d’un esprit d’entreprise exceptionnel qui s’est perpétué dans sa descendance. Son cadet, Alfred Motte, se destinait tout d’abord au notariat. En secondes noces, il avait épousé Léonie Grimonprez, fille de Eugène Grimonprez, le promoteur à Roubaix de la filature de la laine peignée et l’un des hommes les plus actifs de la nouvelle promotion industrielle. Après un premier échec, il construit un véritable complexe industriel textile englobant tous les stades de la fabrication, du peignage au tissage. Il fit participer à son succès de multiples associés. Sa formation juridique favorisa sa réussite et après quelques entreprises hasardeuses, il prit soin de limiter ses risques par une clause résolutoire.

Eugène Motte-Duthoit, Maire de Roubaix, de 1896 à 1908, est issu de ce mariage. Tandis que la famille Grimonprez s’est effacée, la filiation d’Alfred Motte-Grimonprez occupe présentement encore une importante situation industrielle. Les descendants de Motte-Brédard joignaient à un sens précis des réalités, une activité débordante. Louis Motte-Bossut disait la nécessité « de diriger son affaire personnellement ». « Il faut valoir quelque chose par soi-même, sans chercher trop de distraction en dehors ». Déjà gravement malade en 1882, Alfred Motte-Grimonprez poursuivra sa tâche jusqu’à sa mort, en 1886. Devant une telle ardeur qu’il eût fallut modérer, on constate qu’il est plus dur de rester inactif que d’entreprendre de grandes actions.

Dans ce Roubaix en plein développement économique, le hasard des mariages amena bien des changements de situation. Dans le discours qu’il prononça en 1927, lors de l’anniversaire de la naissance d’Alfred Motte-Grimonprez, son fils, Eugène Motte-Duthoit raconte de quelle façon son aïeul Jean-Baptiste Motte « en prenant à travers champs le chemin le plus court, cueillant pavots et bleuets pour former un bouquet de fiancé pour Pauline Brédart qui habitait Tourcoing, s’arrêtait en chemin à la grande ferme Ducatteau pour parler amicalement avec la fille du fermier. Cette ferme était la première sur le territoire de Roubaix et s’étendait du pont Vanoutryve au Conditionnement et au pont Saint-Vincent-de-Paul. « Marie Rose, vous êtes trop maligne pour rester fermière disait-il à cette jeunesse, vous devriez vous marier avec un fabricant et vous feriez belle carrière ». Et cette prédiction s’accomplit. Elle épousa M. Lefebvre et la Maison Lefebvre-Ducatteau, sous sa direction, devint l’une des premières maisons de la Fabrique de Roubaix. Elle commandita plus tard, en 1852, la Maison Amédée Prouvost, les premiers peigneurs de Roubaix et les plus réputés, et Henri, Jean et Louis Lefebvre ont hérité de l’esprit délié et entreprenant de Marie-Rose ».

En 1820, Louis Dubar épouse Marie-Joseph Delespaul, à la ferme du Hutin et fonde une importante entreprise. La famille Bayart était originaire de la ferme de l’Hornuyère de Wattrelos. Pierre-Joseph Bayart épouse en 1798, Sylvie Lefebvre et le jeune ménage s’installa comme fabricants. Dans leur descendance, on retrouve les Bayart-Cuvelier, Bayart-Lefebvre, Ernoult-Bayart et maintes autres familles qui ont fait carrière brillante dans l’industrie.

En 1853, les frères Dillies installent quelques métiers à tisser. Véritables vulgarisateurs du tissage mécanique à Roubaix, ils seront en 1860, propriétaires de 400 métiers. Simple tisserand, Julien Lagache devient un remarquable fabricant. François Frasez installe des métiers à tisser dans des maisons construites à cet usage (chaque maison recevait quatre métiers) et inaugure ainsi une méthode qui a été reprise avec succès dans d’autres régions. Commentant l’exposition de 1853 et s’arrêtant au nom de MM. Eugène Grimonprez et Cie, Théodore Leuridan dira qu’il a été frappé « du grand nombre de maisons inconnues jusqu’ici ».

A partir de 1850, la plupart des affaires se montent en associations à cause du coût élevé des industries mécanisées. De plus, la direction d’une usine exige la présence à peu près constante des patrons. Pour leur permettre de rester à leurs affaires, des maisons de commissions sont fondées. C’est M. Bossut qui fonda la première maison du genre. Par la suite, la Manufacture s’efforcera de se passer de leurs services.

Les frères Delattre, industriels avisés, Henri qui fut Maire de Roubaix en 1848 et Louis épousèrent respectivement Adèle et Pélagie Libert, filles du fermier de la Potennerie. Fondée en 1827, leur entreprise avait pris rapidement un développement considérable. La veuve Libert épousa en secondes noces Pierre Pollet-Delobel de Sainghin et leur descendance honore de nos jours encore l’industrie roubaisienne. La Maison Toulemonde-Destombes, fondée en 1820 trouve son origine dans un tissage à la campagne et il est fort probable, comme ce fut le cas de plusieurs industriels dont le fondateur mena tout d’abord de pair la culture et le tissage, que la ferme ne fut délaissée qu’après emprise sûre dans la manufacture.

On pourrait poursuivre des recherches en ce sens. « Il n’y a aucune maisons ayant tenu quelque place à Roubaix qui n’ait eu ses fondements dans une connaissance approfondie de la matière et du métier » écrit M. Gaston Motte dans son Histoire de Roubaix. La grande industrie fut fondée par une promotion nouvelle, artisans parvenant au patronat de souche roubaisienne ou immigrés, mais, le plus souvent, les industriels du XIXe siècle sont d’origine rurale.

Ces hommes nouveaux, ancrés sur la réalité, osent tout risquer et tout entreprendre. Leur tournure neuve de pensée et d’action a édifié la cité moderne. Les hautes cheminées dominaient de véritables fiefs industriels. « Plus riche en outils qu’en fonds d’Etat, l’héritier ne pouvait s’évader », dira Eugène Motte lors de l’inauguration de l’Hôtel de Ville, le 30 avril 1911.

1 Ancienne famille notable qui avait connu un effacement momentané.

2 Chanoine C. Lecigne : « Amédée Prouvost ».

Seigneurs et personnalités de Roubaix au Moyen-âge

(NB : D’après les travaux de recherche de H. J. Dumez
Le Terroir – Bulletin du Cercle Littéraire Amédée Prouvost – 1925
Fonds d’Archives La Muse de Nadaud)

La ville de Roubaix, si universellement connue par son industrie drapière, remonte à une haute antiquité.
 
La première mention du nom de Roubaix se trouve dans la carte de Nicaise Fabius, reproduite par Sandérus dans la Flandria Illustrata. Cette carte remonte au IXème siècle, à 863 et désigne sous le nom de Robacum la localité placée entre Arx Buccensis (Château du Buc – Lille) et Turnacum (Tournai).
 
Ce n’était point encore une ville importante, pas même un bourg, mais une simple « villa », agglomération de maisons autour d’une métairie. La « villa Robacensis » était une ferme qui comprenait le manoir du propriétaire du domaine avec les dépendances les « curtes » et les « mansae » administrées et régies par des métayers. Il y avait là le premier embryon de ce que devait être le village de la constitution féodale.
 
A cette époque, vivait parmi les habitants de la « villa Robacensis » une femme d’une d’une grande noblesse rehaussée surtout de dignité et  d’une charité qui répondait à sa grandeur d’âme. Elle se nommait Thècle et était aveugle. On a même cru voir en elle l’aïeule du chevalier Robert qui, au commencement du Xème siècle, inaugura la longue série des seigneurs de Roubaix.
 
La vie de la pieuse Thècle fut favorisée de prodiges. Les hagiographes racontent en effet que, durant la nuit du 18 septembre 881, l’évêque de Tournai, saint Eleuthère, lui apparut et lui ordonna de se rendre dans son ancienne ville épiscopale et de faire connaître à son successeur Heydilon que le tombeau renfermant ses reliques se trouvait dans l’église de Blandain. Deux nuits de suite, la même apparition se manifesta.
 
Convaincue, thècle, se fit conduire à Tournai et fit connaître à l’évêque Heydilon le message dont elle était chargée. Le prélat écoutant la voix de l’envoyée, retrouva à Blandain le corps d’Eleuthère. Ce fut l’occasion de nombreux miracles ; en particulier, Thècle recouvra la vue.
 
Après une vie toute de dévouement et de charité, Thècle mourut dans la « villa Robacensis », après avoir demandé à être enterrée dans l’église de Blandain. Son vœu fut exaucé : son corps inhumé d’abord dans l’église, fut ensuite placé dans une chapelle de cette même église. Près de son tombeau jaillit même une source dont les eaux procuraient de merveilleuses guérisons.
 
Ainsi finit l’histoire de Thècle de Roubaix.
Mais le nom de sa villa devait revivre avec le premier seigneur de Roubaix, le chevalier Robert, sorti d’une souche inconnue.
 
On sait peu de choses de la vie et des œuvres de ce seigneur. Une charte de mai 1047 nous apprend cependant qu’il assista à la fête de Sainte Rictrude, fille des seigneurs de Mons et qu’il apposa son sceau comme témoin d’une donation. Cette charte est en effet un acte par lequel Bauduin, comte de Flandre, fils de Bauduin le Barbu et d’Ogive de Luxembourg, donnait à l’abbaye de Marchienne tout ce qu’il possédait dans le pays situé entre l’Escaut et la Scarpe.
 
Le chevalier Robert de Roubaix inaugurait brillamment la série des seigneurs qui allaient régir la ville et sa seigneurie jusqu’à la Révolution. C’était le premier anneau de la chaîne qui avec Isabeau et Pierre, allait aboutir aux Melun, aux Rohan et aux Soubise.
 
Guillaume de Bretagne, fils d’Alain et de Mathilde de Gand en allait être le second. Nommé seigneur de Roubaix par Robert le Frison, il allait diriger la nouvelle seigneurie de 1072 à 1083. L’hermine de Bretagne allait passer ainsi dans les armoiries de Roubaix (chef de gueules au champ d’hermine).
 
C’est le souvenir le plus durable du second seigneur de Roubaix.
 
Thècle, Robert et Guillaume méritent d’être connus : ils furent les premiers maîtres de la petite seigneurie qui devait être le berceau de la grande ville de Roubaix.

 

ALARD DE ROUBAIX
Au IXe siècle, le nom de la ville de Roubaix était acquis à l’histoire. Les premiers seigneurs, Thècle, Robert et Guillaume, sont les premiers bienfaiteurs de la petite seigneurie qui devait être le berceau de la grande cité industrielle.
 
Mais bientôt le nom de la ville et de ses seigneurs est davantage connu. Le premier châtelain important est Jean de Roubaix (1270 – 1285) qui, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, fait rayonner le nom de son « castrum ». C’était alors le temps où les bonnes comtesses, Jeanne et sa sœur Marguerite, régnaient sur le comté de Flandre et portaient le nom de notre province au faîte de sa puissance et de sa renommée.
 
Jean eut comme fils Alard de Roubaix qui devait gouverner la seigneurie de 1285 à 1310.
 
Les archives nous ont laissé des traces de son administration et ont témoigné de son activité. En 1270, il aide son père dans le procès de réhabilitation de Jean de la Vigne, accusé d’avoir fait payer plus qu’il ne fallait une terre vendue à sa nièce ; en 1282 et en février 1285, le comte de Flandre, Guy de Dampierre, qui avait succédé à sa mère Marguerite de Constantinople, cite son féal seigneur, Alard de Roubaix, dans plusieurs de ses lettres.
 
Alard devait, à partir du 3 décembre 1292, ne plus quitter le comte de Flandre et siéger avec lui à la cour de Lille.
 
La puissance du Comte de Flandre, le plus redoutable feudataire de la couronne se dressait devant le roi de France comme un sérieux obstacle.
 
Guy de Dampierre avait alors gravement indisposé contre sa personne en voulant toucher à leurs privilèges, les communes de Gand, Ypres et Bruges ; Philippe le Bel en profita pour soutenir ces trois villes ou par des promesses flatteuses, il réussit à se créer des partisans que le peuple désigna sous le nom de « partisans du Lys ».
 
Parmi les « hommes de Monseigneur de Flandres », Alard de Roubaix resta fidèlement, luttant contre ceux qui « furent de le parti Roy, en tant de were ».
 
La campagne engagée par Philippe le Bel devait avoir un dénouement désastreux. « Abandonné comme un agneau au milieu des loups » selon l’expression de l’historien flamand Jacques de Meyère, trahi de tous côtés, séduit peut-être par quelque conseiller dont il ne soupçonnait pas la perfidie, Guy de Dampierre prit le parti d’aller avec ses fils, Robert et Guillaume, en compagnie de cinquante chevaliers flamands, se mettre à la discrétion du roi de France.
 
Au nombre de ces braves, se trouvait Alard de Roubaix, en compagnie de Jean de Bondues, Yves de Werwick, Guy de Thourout, Amel d’Audenarde, Gauthier de Nivelle. Le seigneur de Roubaix fut enfermé au château de Falaise, tandis que Guy était jeté dans un cachot du donjon de Compiègne.
 
Les terres de Flandre et des seigneurs fidèles furent confisquées et distribuées par Raoul de Clermont, connétable de France, à divers chevaliers, comme indemnité que le roi leur avait promis d’assigner sur les biens du comté.
 
Mais les Flamands ne se soumirent point facilement au roi Philippe ; un parti, celui des Clauwarts ou hommes de la griffe, c’est à dire attachés au vieux Lion de Flandre, les appela à la révolte au cri de « Vlaenderen den Leeuw » (Flandre au Lion).
 
Après les sanglantes Matines de Bruges, ce fut la victoire flamande de Courtrai ou bataille des éperons d’or (1302), suivie bientôt de la bataille de Mons-en-Pévèle, avant laquelle les Flamands s’arrêtèrent à Roubaix, menaçant le camp des Français.
 
Une trêve fut signée le 20 décembre 1303 entre les princes flamands et Philippe le Bel ; et tandis que Guy de Dampierre mourait à Compiègne, son fils, Robert de Béthune, signait le traité de paix.
 
Alard de Roubaix revint alors dans sa seigneurie, fidèle toujours à son suzerain, réorganisant ses terres dévastées par les ravages de la guerre.
 
En 1310, il assista, en compagnie de 69 chevaliers, au tournoi donné à Mons par Guillaume, comte de Hainaut. Ce fut le dernier acte officiel du seigneur de Roubaix qui, bientôt après, s’éteignit dans son château.
 
Alard est le premier qui porta les armes de la terre de Roubaix ; à ce titre, son souvenir mérite d’être conservé.
 

 

JEAN DE ROUBAIX
(1401 – 1449)
Parmi les plus célèbres seigneurs de Roubaix, il faut citer Jean de Roubaix qui, de 1401 à 1449, tint sous sa tutelle, la ville naissante.
 
Jean de Roubaix naquit vers 1369, Son père était un des plus grands seigneurs de la Cour de Bourgogne. On croit communément que c’était Robert, seigneur d’Escaudoeuvres, époux de la fille de Rasse de Herzelles. Jean accompagna son père à la fameuse bataille de Roosebeke, en 1382, bataille qui marqua le triomphe de la noblesse sur les communes et pendant laquelle Van Artevelde et dix mille des siens tombèrent sous l’effort irrésistible de la cavalerie française.
 
En 1390, Jean de Roubaix participa à la croisade commandée par le duc de Bourbon, oncle du roi, organisée pour secourir les Génois, victimes des Sarrasins qui, venant des côtes d’Afrique, pillaient le territoire de la République de Gênes. Cette croisade fut marquée par quelques faits saillants : arrivée des croisés à Gênes vers la fin juin, débarquement sur la côte d’Afrique le 22 juillet puis siège de Carthage. Ce siège dura deux mois ; malgré quatre assauts et une bataille, le siège dut être levé sans résultat et l’armée revint en Europe.
 
L’humeur aventureuse de Jean de Roubaix n’était pas satisfaite car après des voyages à Jérusalem, au Mont Sinaï, à Rome, il fit partie, en 1396, de l’armée du comte de Nevers, Jean sans Peur, envoyée par Charles VI au secours du roi de Hongrie, menacé par Bajazet, conquérant de la Valachie et de la Bulgarie.
 
Seigneur de Roubaix en 1401 après la mort de son père, Jean de Roubaix fit faire le dénombrement de son fief le 4 novembre et donna à la bourgade le nom de ville.
 
En 1406, Jean devint conseiller et chambellan du duc de Bourgogne ; il reçut de son souverain la seigneurie d’Herzelles, sans le comté d’Alost, confisqué à messire Sobier de Herzelles qui avait conspiré contre le comte Louis de Maele et le duc Philippe le Hardi, en prenant le parti des Gantois et de Jacques Van Artevelde.
 
Lorsque Jean sans Peur alla à Paris assister au Conseil de Régence organisé pendant la folie de Charles VI, Jean de Roubaix fit partie des huit cent chevaliers de Bourgogne et de Flandres qui entouraient leur souverain ; il accompagna ensuite le duc dans son expédition contre les Liégeois qui ne voulaient point recevoir Jean de Bavière comme évêque ; enfin, aidé par les sires de Helly et d’Uterque, il arrêta Montaigu, principal appui des Armagnacs, qui eut la tête tranchée et le corps pendu au gibet de Montfaucon.
 
Les missions de confiance accordées ensuite à Jean de Roubaix furent de plus en plus nombreuses : il fut envoyé en ambassade auprès du roi d’Angleterre, Henri V, malheureusement sans succès puis il fut nommé, avec le baron de la Viefville, gouverneur du jeune comte de Charolais qui devait devenir Philippe Le Bon. Aussi, il obtint de Jean sans Peur l’autorisation de créer, sur la terre de Roubaix, sept échevins en remplacement des juges cottiers, comme le porte l’acte de Gand, conservé dans le septième registre de l’ancienne Chambre des Comptes de Lille.
 
En 1416, Jean de Roubaix assista au Grand Conseil de Valenciennes (le 13 novembre) ; en 1418, il fut chargé de la garde du château de Lille et des gens des comptes.
 
En récompense de ses bons et loyaux services, Jean de Roubaix fut comblé de faveurs. Le 1er juin 1420, Philippe, devenu duc de Bourgogne, accorda à son « amé et féal conseiller, la haute justice et échevinage sur tous les fiefs et arrières fiefs de la terre de Roubaix » ; « Et avec ce, ledit seigneur aura au lieu de tous les juges cottiers qu’il avait auparavant, sept échevins qu’il créera et renouvellera ou fera créer et renouveler par son bailli ou son lieutenant une fois l’an. Lesquels échevins, au conjurement dudit bailli, auront connaissance de toute justice haute, moyenne et basse sur le gros dudit fief de Roubaix et sur toutes les terres renteuses et cottières tenues dudit seigneur de Roubaix ».
 
En 1423, nouvelle faveur : l’hôtel que Jean avait acheté à Lille, rue Basse, fut rattaché par lettres patentes du 22 juillet 1423, au fief de Roubaix et en prit le nom. En 1424, Jean de Roubaix fut nommé premier chambellan du duc et reçut le fief du Fontenoit détaché de la Salle de Lille et les seigneuries de Leuvillers et de Dourier ; de plus, une pension de 300 francs d’or lui fut accordée sur les revenus de la terre de Ninove, une autre de 500 francs sur les revenus de Blaton et de Feignies, et il eut le droit de recevoir 2 000 faisceaux de bois de la forêt de Nieppe. Outre ses gages de gouverneur, une somme de trois francs par jour lui fut attribuée pour l’entretien de ses gens et de ses chevaux.
 
Après avoir participé à l’expédition organisée pour défendre le roi de Chypre et le grand maître de Rhodes contre les Sarrasins, Jean de Roubaix fut chargé de négocier le mariage de Philippe avec Elisabeth de Portugal. Il s’embarqua le 19 octobre 1428 à l’Ecluse et réussit pleinement sa mission.
 
Le 24 juillet 1429, Jean de Roubaix signa le contrat de mariage au nom de son maître et le 25, le mariage par procuration. Sur la route du retour, Jean tomba malade et fut soigné en Galice, à Ribadeo. Rapidement guéri, il débarqua à l’Ecluse le 6 décembre, précédant de quelques jours la nouvelle duchesse. Il assista au mariage solennel célébré le 7 janvier 1430 à l’Ecluse, par l’évêque de Tournai.
 
En récompense de l’heureux succès de sa mission, Jean de Roubaix fut nommé Chevalier de la Toison d’Or, ordre institué alors. Il fut le troisième des vingt-quatre chevaliers de cet ordre nouveau.
 
Après une intervention dans le différend entre les villes de Gand et de Bruges, au sujet de la préséance, Jean de Roubaix reçut, en 1432, de Jacqueline de Bavière, la terre, la forteresse et la seigneurie d’Escaudain ; en 1433, du Magistrat de Lille, un terrain au-delà de la Deûle, derrière l’hôtel de Roubaix ainsi que le pont appelé pont de Roubaix.
 
Le 7 juin 1449, à l’âge de 80 ans, Jean de Roubaix mourut ; il fut enterré dans la chapelle saint Jean Baptiste de l’église Saint Martin, laissant un fils, Pierre, héritier de sa valeur et de ses charges.

 

MICHEL DE ROUBAIX
Grammairien du treizième siècle
La ville de Roubaix si manufacturière, entièrement consacrée à l’industrie et au commerce, n’a point été cependant rebelle aux lettres et aux arts. Dès le XIIIe siècle, elle donna naissance à un grammairien qui devint célèbre : Michel de Roubaix.
 
On ne connaît aucun détail sur la vie de ce personnage ; mais on connaît une de ses œuvres : De modo significandi, traité de grammaire latine très complet pour l’époque et indispensable pour l’enseignement des écoles de ce temps.
 
Cet ouvrage nous a été conservé dans deux manuscrits de la fin du XIIIe siècle, conservé à la bibliothèque Nationale.
 
Le premier provient du fonds latin de l’abbaye de Saint Germain des Près (N° 1465). C’est un recueil in-4° sur parchemin dont les gardes sont couvertes de pièces datées de la période entre 1328 et 1339. Le traité de Michel de Roubaix est suivi de plusieurs fragments anonymes sur la grammaire d’après le grand ouvrage de Priscien et surtout d’après ceux d’Evrard de Béthune et d’Alexandre de Villedieu. A la suite de ces fragments, il y a des gloses assez étendues sur les hymnes de l’Eglise, dont le texte accompagne partout le commentaire.
 
Le second manuscrit est un recueil provenant de l’ancienne Sorbonne (côte 940) ; c’est un grand in-folio sur parchemin. L’ouvrage de Michel de Roubaix suit le traité Summa Modorum significandi, de Siger de Courtrai, professeur aux écoles de la rue du Fouarre. Mais cet exemplaire est incomplet ; il lui manque un des feuillets du premier manuscrit ; de plus, il y a quelques différences dans les règles et les exemples.
 
Le traité commence par ce vers placé en épigraphe : Ne scriban vanum, due, pia Virgo, manum. (Pour que je n’écrive aucun mot vain, dirige ma main, pieuse Vierge.) Viens ensuite un préambule, dans lequel l’auteur annonce son projet : Il veut, dit-il, faire un petit ouvrage sur les parties du discours et sur leurs divers modes, en recueillant presque partout les leçons des autres, en essayant quelquefois de les expliquer ; « ad praesens minimum oposculum faciens, circa hujus partes orationis cum suis modis significandi… vestigia aliorum in plerisque imitando, et in aliquibus eccrum obscuritates explanando… » Son but est d’exposer toutes les questions de grammaire avec leurs modes essentiels et accidentels, car cette étude doit précéder celle des sciences philosophiques, le plus vif et le plus sincère plaisir de tout vie ; « essentiales et accidentales modos significandi, in quibus consistit melior et major pars grammatice philosophicarum disciplinarum studia praetermittendo in quibus in hac vita sincerissima summaque consistit delectatio. »
 
La grammaire proprement dite suit ce préambule. Après, la définition des mots « vox », « dictio », « oratio », Michel de Roubaix prend la marche habituelle de tous les traités de grammaire ; il donne les règles du nom, du pronom, du verbe, de l’adverbe, de la conjonction, de la préposition et de l’interjection.
 
A la fin du traité se lit, dans le premier manuscrit, au bas de la seconde colonne du trente-huitième feuillet, cette finale habituelle aux ouvrages de l’époque : « Expliciunt Modi sifinificandi compositia Magistro Michaele de Robasio ». Ainsi se termine la grammaire composée par le maître Michel de Roubaix.
 
Que penser de cette œuvre de notre savant compatriote ?
Sans doute n’a-t-elle qu’un mérite tout ordinaire, la forme en trop souvent sèche et monotone ; elle est parfois peu originale, imitant de près le traité de Donat. Mais Michel de Roubaix, par ses nombreuses transitions et ses fréquentes incidentes, a inauguré une sorte de grammaire philosophique ; il a fait la philosophie de la grammaire. Fidèle disciple d’Aristote dont l’ « Organon » était alors universellement connu, il use d’une subtilité particulière dans la dialectique.
 
Michel de Roubaix, dans ce domaine spécial de la grammaire, participe ainsi au brillant renouveau littéraire du XIIIe siècle, l’âge d’or de la scolastique. Dans son enthousiasme pour la philosophie du maître, il a appliqué les principes d’un sage péripatétisme à une nouvelle branche du savoir humain. Il l’a fait selon des règles d’une orthodoxie irréprochable.
 
Ce n’est pas un petit honneur pour Roubaix d’avoir donné le jour à un grammairien éminent, à un philosophe éclairé qui, dans les écoles si renommées de la rue du Fouarre, près de l’antique Sorbonne, a révélé et fait glorifier le nom de sa petite patrie, de sa ville natale.

Charles Crupelandt, deux fois vainqueur du Paris-Roubaix

(NB : A propos de ce coureur, voir également, Gens & Pierres de Roubaix, n°20)

Charles Crupelandt naquit à Roubaix le 23 octobre 1888, fils d’Adolphe Crupelandt, tisserand de Courtrai, alors âgé de 31 ans et de prudence Vanpeybrouck. Ils demeuraient rue d’Italie.

Dès son plus jeune âge, il fit preuve de grandes qualités sportives et s’orienta vers le cyclisme où il se révéla rapidement comme un futur champion. Après avoir participé à des courses locales ou régionales, il s’inscrit pour la première fois à la grande épreuve de Paris-Roubaix en 1904 ; il terminera treizième de la course, ce qui était un succès remarquable pour ce jeune coureur âgé de moins de 18 ans. En 1910, il devait y prendre la cinquième place. Désormais, Charles Crupelandt gravira tous les échelons du succès.

Surnommé le « Taureau du Nord », il était la terreur de ses adversaires en raison de la puissance de son sprint. Il donna toute la mesure de ses capacités lors de l’arrivée sur le vélodrome de la course Paris-Roubaix en 1912, où il l’emporta de manière incontestable. Les Roubaisiens lui firent une ovation extraordinaire. Pour la première fois, un roubaisien remportait l’épreuve !

Cette victoire venait consacrer une carrière pleine de succès : au palmarès de Charles Crupelandt, il faut en effet inscrire avant ce triomphe dans Paris-Roubaix, les résultats suivants : seconde place dans Paris-Bruxelles en 1907, vainqueur de Paris-Menin en 1911 ; la même année, il termine troisième de Paris-Bruxelles et quatrième du Tour de France.

Après sa victoire en 1912 dans Paris-Roubaix, l’année 1913 sera également un grand cru. Il remporta la course Paris-Tours, termina troisième du championnat de France, troisième de Paris-Bruxelles. Il fut aussi cette année-là, troisième de Paris-Roubaix où la victoire lui échappa de justesse.

En 1914, Charles Crupelandt se révéla égal à lui-même. Il décrocha le titre de champion de France, remporta Paris-Roubaix une seconde fois et pris la troisième place de Milan-San Remo, où il rata la victoire de peu.

La guerre de 1914-1918 devait couper la carrière de notre champion roubaisien qui, cependant, fait encore preuve de grandes qualités en 1922 et 1923 où il remporta à nouveau le Championnat de France.

Zephirin Disdal, pionnier du parachutisme

Chacun sait que Roubaix a compté un aérostier des plus célèbres en la personne de Jean-Baptiste Glorieux, dont une rue de la ville porte le nom.
 
Un personnage tout aussi aventureux avec lequel d’ailleurs il organisa un bon nombre d’exploits, tel était Zéphirin Disdal, né à Roubaix le 11 février 1852, fils de Louis-Désiré Disdal, ouvrier fileur et de Césarine Marissal, son épouse. Ils habitaient rue de l’Alouette dans la cour Michiels.
Après avoir servi sept ans dans l’armée française en Algérie à la suite d’un engagement qu’il avait souscrit dès que son âge le lui permit, Zéphirin Disdal, rentré à Roubaix, monta un commerce de charbon et s’installa rue du Parc.
Jean-Baptiste Glorieux était alors en pleine gloire et avait coutume d’emmener avec lui un équilibriste qui exécutait des exercices de trapèze accroché à la nacelle du ballon pour augmenter l’attrait du public.
On commençait aussi à tenter des essais de parachutisme en plaçant sous l’aérostat une sorte de toile coupée en forme de corolle retenue par une corde que le « ballonniste » coupait lorsqu’il jugeait la hauteur suffisante. Le Trapéziste utilisait alors cet engin comme un parachute. Après une chute brutale, l’air s’engouffrant dans la toile, freinait la descente.
 
Zéphirin Disdal, que rien n’effrayait et qui s’était lié d’amitié avec Jean-Baptiste Glorieux, devint rapidement l’équilibriste préféré de celui-ci et faisant preuve d’un mépris total du vertige, se porta volontaire pour des essais de parachute.
La première tentative eut lieu le 22 juin 1884 à l’occasion d’un envol de ballon à Lille. Zéphirin fut lâché au-dessus de Thumeries où il atterrit sain et sauf. Le 14 juillet suivant, un envol au départ de Roubaix lui donna l’occasion de renouveler son exploit, il reprit contact avec le sol à la Broche de Fer à Herseaux. Le 19 octobre de la même année, le ballon partant du parc de Monsieur Pierre Catteau près de l’actuelle rue Mimerel, le fit atterrir au Petit Lannoy. A cette occasion, il faillit avoir un accident ayant touché le sol devant une voiture hippomobile qui manqua de l’écraser.
 
Dès lors, le tandem Glorieux-Disdal devint célèbre et multiplia les démonstrations. Le 12 juin 1887, Zéphirin Disdal se produisit devant le Roi des Belges et sauta au-dessus de Mons, capitale du Hainaut, où il atterrit sans dommage.
 
Cependant, avec l’âge, il dut cesser ce sport périlleux et grâce à quelques économies, il reprit un cabaret rue de Blida, puis rue d’Oran.
Sa renommée n’était pas totalement tombée dans l’oubli car lors de la création de la société d’aviation « Les Ailes Roubaisiennes », il fut sollicité pour en être le président honoraire.
Il termina sa vie à l’hospice Blanchemaille, où il s’éteignit le 20 mai 1930 à l’âge de 78 ans.

Les festivals de Jean Prouvost

Le village d’Yvoy le Marron a encore le souvenir de Jean Prouvost venant là tous les week-ends ; il fait son tour dans le village, avec son teckel, sur le bras ou sur les genoux (la mascotte d’Intexa !). Il participe au banquet des Anciens. Un maire attentif pendant 25 ans.
Sa propriété, Saint Jean, date de la guerre 14 ou des soldats canadiens installés dans la région pour couper des sapins, ont construit une maison “Saint Jean” qui ressemble à un chalet de leur pays.
Il y a deux festivals par an. En juin, le festival lui-même et en septembre, la fête des fleurs, avec son feu d’artifice, le tout est public. Pour cet événement, Jean Prouvost fait toujours venir les équipes de Paris Match (son magazine) et attire les meilleurs artistes. Le chapiteau contient 4 à 5 000 places.
Les reportages montrent en juillet 1966, Jean Prouvost, dans une prairie, face à Guy Lux qui anime le jeu des vachettes.
En septembre 1968 les vedettes sont Marie Laforêt, Richard Antony. L’après-midi, on regarde le tournoi de catch. Jean Prouvost est au premier rang. Il suit les Jeux de Midi aussi, c’est un reportage Evelyne Pagès. Autour d’eux les gens du village regardent avec tendresse et un peu fascinés, le “Patron”, heureux et élégant comme d’habitude, abrité sous un parasol.
Les meilleurs artistes ou sportifs interviennent : les Harlem Globe Trotters en juin 1971, Thierry Le Luron, qui imite Jean Nohain, Adamo, Darry Cowl, Claude François, Johnny Halliday, comme le premier ministre Chaban Delmas. La chanteuse Séverine figure au programme (un grand prix de l’Eurovision un peu oublié), SIM est là aussi pour la fête des fleurs.
On ne se lasse pas de parcourir les éphémerides du Festival et ses autres têtes d’affiches : en juin 73, à Saint Jean, une photo de groupe rassemble Gérard Lenormand, Mireille Mathieu, Thierry Le Luron, Mike Brant. Le spectacle est réalisé par Gilbert Carpentier. Cette année-là : le bal du Moulin Rouge, les jeux de la case trésor RTL, le Rugby à XV et le Rugby à VII avec Walter et Claude Spanghero !
En 1973 aussi, les Frères Ennemis, Dalida, Julien Clerc, … en 1974, un baptême de l’air en Hélicoptère et des vedettes toujours : Yves Lecocq, Michel Sardou, Stone et Charden, Carlos, Fabrice …
En juin, 1975 les Blue Bell Girls du Lido. En juin 1976, Patrick Sébastien, Dave, Gilbert Bécaud, Les “Parisiennes”.
En 1977, c’est la fin des festivals, Jean Prouvost décède en novembre 78.

Maurice Maes

En allant faire les courses à Mouvaux, rue Roosevelt, avec Georgette, on s’arrêtait au n° 5 pour rendre visite à Clémence. J’avais 15 ans et j’entrais pour la première fois dans une petite maison flamande, de basse toiture, dans une entrée où l’on ne pouvait se croiser et là, c’était un éblouissement : des peintures aussi hautes que les murs de la maison où jaillissaient la lumière et les formes, un tourbillon de couleurs et une présence. « On entrait dans une cathédrale ».

Trônait à droite sur la cheminée « le Portrait du Père » de Maurice MAES, étincelant dans les jaunes de Van Gogh (aujourd’hui conservé au musée La Piscine de Roubaix).

On s’asseyait à la table de la cuisine et Clémence nous ouvrait les cahiers d’écolier pleins de dessins, tous plus forts les uns que les autres et dont la découverte faisait que ces œuvres ne ressemblaient à aucune autres. C’était magique…

Plus tard, à l’école des Beaux Arts, notre professeur, Monsieur JACOB, nous montrera les dessins réalisés à l’école par Maurice MAES dont un était accroché près du poêle dans la salle de classe, un visage d’homme sans âge, qui avait dans le regard la détresse des soldats revenant du front de la guerre 1914.

Maurice MAES, c’est Monsieur JACOB qui me le fera découvrir dans son œuvre au cours de nos trajets de l’Ecole à Roubaix (l’E.N.S.A.I.T.) jusque Mouvaux, son domicile. Il me gratifiait d’un cours d’histoire de l’Art, pendant que je le conduisais en voiture car, à l’époque, il n’avait pas le permis et détestait prendre le volant.

Maurice MAES a conquis son droit de peindre à force de discipline. C’est un artisan de la matière, amoureux de la matière, de ses révélations et de ses rayonnements, un besoin de découverte et de renouveau constant de vie. « La peinture, sa plus belle joie » dira René JACOB.

Né le 8 novembre 1897 à Bruges, il décède à Mouvaux le 14 juin 1961. Il fait ses débuts à l’Académie de Bruges, sa ville natale, avant la guerre. En 1915, à 17 ans, il s’engage et fait toute la Campagne dans l’armée Belge. Il subi l’expérience sans pareil de la guerre des tranchées, sans excès héroïque mais aussi sans en être marqué profondément. Après la guerre, à a cause des nécessités de la vie, il vient s’installer à Mouvaux et reprend la palette après une interruption de 15 ans.

Élève de l’école des Beaux Arts de Tourcoing puis de l’E.N.S.A.I.T à Roubaix, il rencontre Monsieur JACOB, historien d’Art et Professeur de dessin, modèle vivant et peinture. Maurice MAES est vite considéré comme un artiste modeste et solitaire. On décèle cependant chez lui un génie certain, une impulsion de « démon » de la peinture. Sans autre maître que ce commandement intérieur, il produit une peinture dont l’œuvre restera marquante pour les générations futures.

« Sans maître oui, si ce n’est ceux qui sont les maîtres de tout le monde, l’immortelle phalange des artistes de tous les temps que le destin a marqué de son signe » (La Croix du Nord).

Maurice MAES était Flamand d’origine et restera Flamand de cœur et de tempérament, il était pourtant profondément attaché à la culture française. Il reconnaissait avec enthousiasme la suprématie de la peinture moderne française et s’en imprégnait sans cesse, il l’admirait totalement depuis l’époque Romantique jusqu’à nos jours et s’il aimait sincèrement les Flamands tels que Permeke ou Ensor, il plaçait au dessus de tout les impressionnistes, Pissarro en particulier, mais aussi Van Gogh.

« Maurice MAES en resta plus totalement attaché à la vie, de toutes les fibres de son être, avec ardeur, avec conviction rejetant par avance toutes les complications esthétiques qui auraient pu le détourner de cette expression franche et directe qui devait dire avant tout que la Vie était belle du moment qu’elle est vraie ».

Une des plus belles distinctions qu’il reçut fût la Rose d’or des Rosati en reconnaissance de son œuvre. Il est reconnu également par ses nombreuses participations au Salon des Artistes Français et de Paris ainsi qu’au Salon des  Artistes Roubaisiens à l’hôtel de Ville de Roubaix. Une rétrospective au Musée des Beaux Arts de Tourcoing, préfacée par Monsieur Jacob et les expositions annuelles à la Galerie d’Art à Lille rue Esquermoise, lui permirent de se faire connaître du grand public.

Comment ne pas évoquer l’influence de ce grand Artiste qui avait son atelier rue Nain à Roubaix et que fréquenteront les grands Artistes d’aujourd’hui d’Eugène Leroy dont l’œuvre, mondialement connue, a reçu l’empreinte de ce grand aîné, Arthur Van Hecke, un Roubaisien dont nous avons évoqué le parcours dans « Les Gens et Pierres de Roubaix » (n° 2 de Septembre 2006), et André Missant, cet autre géant dont Roubaix fêtera le centenaire en octobre de cette année.

Maurice MAES avait la force d’un Courbet, il s’attaquait aux motifs les plus sauvages, aux ciels les plus tourmentés comme lui plein de vie et mouvement, traduisant par le dessin, les valeurs, la couleur, c’est à dire tout ce que la vie de la nature représentait de plus riche et de plus tonifiant.

Maurice MAES a voulu rester fidèle à la vérité des choses auxquelles il devait tout, il l’a fait en profitant des enrichissements de l’Art Moderne dans la liberté, dans la couleur, atteignant encore ainsi plus de vivacité dans la sensation.

« L’Art de Maurice MAES, c’est tout cela réuni avec une conviction dont il n’aurait jamais permis à personne de douter ».

« C’est par cette conviction que son œuvre nous touche et qu’elle nous est un exemple » (Claude Glaster et René Jacob – entretien)

Alain DELSALLE

Président de la Société des Artistes Roubaisiens

Janvier 2008

Albert de Jaeger

Albert de Jaeger est né à Roubaix le 28 octobre 1908. Fils d’un contremaître dans un tissage et d’une mère fileuse, il obtient son Certificat d’Etudes à l’Ecole Communale de la rue Pierre de Roubaix. Il entre alors comme apprenti sculpteur dans une usine de meubles de la ville tout en suivant une  formation à l’E.N.S.A.I.T. qui en fait un artiste aux dons diversifiés. Il dépose en effet divers brevets d’invention dans les domaines aussi divers que l’électronique, la fonderie, l’ameublement ou la construction. Pourtant, c’est à l’école des Beaux Arts de Tourcoing qu’il apprend la sculpture.

A 18 ans, il part à Paris pour suivre les cours de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs et reçoit le 1er prix de sculpture en 1933 et de l’école des Beaux Arts de Paris où il est l’élève de Despiau, tout en travaillant la nuit pour payer ses études.

Il expose à Paris au Salon des Artistes Français, au Salon d’Automne et au Salon des Artistes Indépendants. En 1935, il reçoit le Premier Grand Prix de Rome et part pour la villa Médicis à Rome où il reste trois ans.

Il revient en France juste avant la guerre et s’installe à Meudon où il continue son activité artistique. C’est là qu’il conçoit, en 1943, dans le plus grand secret, la première médaille du Général de Gaulle. Il est ensuite nommé en 1944 conseiller artistique du Général Koening (commandant en chef en Allemagne) et Secrétaire général du Conseil Supérieur d’architecture et d’urbanisme en zone française d’occupation en Allemagne de 1945 à 1950. Il dirige alors les ateliers d’art français de 1944 à 1949 pour promouvoir le rapprochement culturel entre les deux pays.

La production artistique d’Albert de Jaeger est très importante. Sculpteur, il réalise de nombreux monuments comme celui du Général de Gaulle à Meudon, de Charles Péguy, de Cujas… Il est l’auteur des Portes de l’Europe à Mayence (portes monumentales en bronze). Médailleur reconnu, beaucoup de ses médailles sont commémoratives : Le tricentenaire de la Compagnie de Saint Gobain, le septième centenaire de la mort de Saint Louis, le tricentenaire des Invalides, le bicentenaire des Ets de Wendel, le bicentenaire de la naissance de Napoléon 1er, mais aussi les médailles du président Kennedy, pour le corps Enseignant de Droit de Paris, de l’ENA, le mariage de la Princesse Margrethe de Danemark et du prince Henrik, pour le prince Rainier de Monaco, de l’impératrice Farah Pahlavi d’Iran, du premier ministre d’Iran A. Hoveyda, pour Edmond Michelet, l’amiral Cabanier, le Général de Boissieu, mais aussi de Youri Gagarine. Il exécute de véritables chefs d’oeuvre comme la médaille pour le Prix Galien en bronze doré à l’or pur, patinée et brunie à l’agate.

Il est officier de la Légion d’Honneur, Commandeur de l’Ordre National du Mérite, Officier des Arts et des Lettres. Il meurt à Paris dans le 14earrondissement le  mardi 19 mai 1992. Sa carrière internationale en fait un des plus grands artistes roubaisiens du 20e siècle.

Bibliographie

Bénézit

Archives de la Société d’Emulation de Roubaix

Archives Municipales de Roubaix

Roubaix, une ville née de l’industrie, Itinéraires du Patrimoine, P. 33

Archives municipales de Meudon

Victor Delannoy, fondateur de la Grande Harmonie

 

Victor Delannoy, Grand Prix de Rome, fondateur de la «Grande Harmonie», fut à l’origine du classement de l’école de musique en « Ecole Nationale ».

Un personnage qui, à son époque, a animé la vie de Roubaix, tel fut Victor Delannoy.

Né à Lille le 25 septembre 1828 son père, Jacques François, exerce le métier de luthier. On comprend ainsi comment, dès son plus jeune âge, il est imprégné de musique. C’est en 1836 qu’il entre au Conservatoire de Lille où il s’initie au solfège et dès 1838, il est reçu dans la classe de violon. Deux ans après, il obtient le premier prix de dictée musicale. En 1843, il est premier violon au théâtre de Lille, ce qui démontre sa précocité puisqu’il a à peine quinze ans.

«L’ouverture pour Musique Militaire», qu’il interprète à Paris en 1849, lui vaut un succès particulièrement mérité et il n’en reste pas là. Il poursuit donc avec opiniâtreté une carrière si bien débutée et pour son œuvre avec orchestre «Francesca Da Rimini», il reçoit le deuxième Grand Prix de Rome en 1854. C’est cette même année que lui est décernée la Grande Médaille d’Or pour ses compositions musicales. L’année suivante, il est nommé chef de musique des «Canonniers Lillois».

En 1857, il vient à Roubaix où la municipalité se l’attache comme Directeur des écoles de musique. Quand il entre en fonction, cette institution ne comprenait que quatre classes et un homme de grande valeur ne pouvait se contenter d’une école aussi peu importante. Dès lors, son souci fut de se consacrer entièrement à son développement et à sa transformation. Et grâce à l’appui de la municipalité, il obtient la création de nouvelles classes.

Le Grand Prix de Rome qu’il était professa durant plusieurs années le solfège. Il y attachait une grande importance et ne confiait à personne le soin d’enseigner les premiers principes musicaux qui font de bons virtuoses. Ses efforts furent récompensés par le recrutement des meilleurs éléments qui composaient la «Grande Harmonie» qu’il dirigea avec une autorité et une compétence unanimement appréciées.

Les débuts furent laborieux car peu de gens appréciaient les œuvres des grands maîtres. Il s’efforça donc de les faire mieux connaître en les faisant entendre par son auditoire et en les faisant interpréter par les meilleurs exécutants. C’est ainsi qu’il put améliorer les programmes par quelques grandes compositions.

La participation de la «Grande Harmonie» de Roubaix au Concours de Paris en 1878 fut la consécration de son talent et l’apogée de la renommée de cette société roubaisienne.

C’est en mai 1884 que M. le Ministre des Beaux-arts érigea l’école de musique au titre d’Ecole Nationale. Ainsi, le but de Victor Delannoy était donc atteint. Il avait élevé à sa véritable place l’art musical jusque-là méconnu du public.

Il emporte les premiers prix dans les célèbres tournois qui se déroulent tant à Paris qu’au Havre. Partout où elle se produit, on acclame la «Grande Harmonie» et le public lui réserve de chaleureuses ovations. C’est ainsi que fut porté le renom de Roubaix.

Déjà, le 28 août 1878 la Ville de Roubaix, par décision du Conseil Municipal, lui avait décerné la « Grande Médaille d’Or ».

Il est mort à Roubaix, le 26 octobre 1887.

par Les Veilleurs